Déclaration de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, sur la relation entre éthique et gouvernance, l'humanisme dans la vie de l'entrepreneur et de l'homme politique, les valeurs de formation, de solidarité et de responsabilité, Paris le 16 janvier 2002.

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Circonstance : Remise du trophée "Ethique et gouvernance" des dirigeants et créateurs d'entreprises à Paris le 16 janvier 2003

Texte intégral

Merci beaucoup. C'est pour moi un grand plaisir de pouvoir commencer un discours en disant " chers camarades ", sans que cela soit un message politique.
Mon premier message sera pour les jeunes de l'EDC, pour leur dire d'abord la chance qu'ils ont d'avoir A. D. Perrin avec eux, et pour leur dire aussi que la formation qu'ils ont, est sans doute pour eux un élément essentiel de toute leur vie future, qu'il faut qu'ils soient heureux ils le sont en général ; quand je vois quelques mines que j'ai croisées , car ils sont là en train de vivre une expérience formidable. Il n'y a rien de plus important que de sculpter soi même, et de trouver des lieux où l'on peut le faire en vous faisant confiance. Par les échanges, par les initiatives, on peut comme cela, conquérir progressivement cette capacité à mener son propre parcours. C'est cela le véritable épanouissement. Nous avons besoin de ce type d'écoles, nous avons besoin de ce type d'initiatives qui, à côté de la formation, donne des libertés. On n'est pas là spectateur d'un enseignement mais on est acteur d'une dynamique éducative. C'est, je crois, très important, et je suis donc très heureux de saluer les étudiants et leur enthousiasme. Pourquoi n'y aurait il pas au Gouvernement quelqu'un issu des écoles de commerce, quand, dans les entreprises, on voit des hauts responsables issus d'écoles d'administration ?
Maintenant que nous nous connaissons bien, nous pouvons nous taquiner. Je voudrais dire que je suis là pour l'école, et par respect pour A. D. Perrin aussi. J'ai pour A. D. Perrin une immense considération. Cette capacité d'entrepreneur, de développeur, cette capacité de vision, cette capacité aussi de rester attaché aux autres, d'être attentif aux autres, cette capacité de manager et de penser à la création, de penser aux créateurs, de ne pas se laisser dévorer par sa propre réussite, de faire en sorte que l'autre ait toujours en lui même le goût de l'artiste, le goût du développement, le goût de dépasser les frontières. Alain Dominique, tu es vraiment le signe de l'honnête homme du XXIème siècle, celui qui cherche en permanence à abattre des frontières. Comment un homme qui fait du vin pourrait il être mauvais, d'ailleurs ? Mais, c'est cette capacité là qui en fait un homme d'entreprise, mais profondément respectable et c'est pour cela que je suis à ses côtés, dans ses combats.
" Ethique et gouvernance pour les entreprises " : au fond, c'est vrai pour nous tous, c'est un message qui est un message entrepreneurial, c'est un message qui est un message politique, c'est aussi un message personnel, puisqu'au fond, nous avons chacun à mener notre propre gouvernance, ce n'est pas un sujet qui ne concerne que les autres. Au fond, je crois que pour les entreprises comme pour le management public, l'idée centrale de l'éthique c'est de faire en sorte que toutes nos actions, tout ce qui constitue la gouvernance n'oublient jamais que l'homme doit rester le but de l'homme. C'est quand on oublie cette règle fondamentale, ce principe éthique, ce principe d'humanité fondamentale, c'est là où on s'écarte, en laissant penser que l'homme pourrait avoir d'autres buts que l'homme. C'est pour cela qu'il faut de la sincérité, de la sincérité dans les relations sociales, de la sincérité dans les comptes, de la sincérité dans la communication, de la sincérité dans toutes les actions que nous avons à mener, et l'homme doit rester le but de l'homme, et s'affirmer ainsi comme un militant de l'économie. Mais cela demande beaucoup de changement d'attitude dans notre société moderne, puisqu'au fond, on a habitué l'ensemble des parties de la société à rêver à d'autres valeurs que celles qui sont à l'intérieur de nous mêmes.
Je vois encore aujourd'hui, de temps en temps, ces idées apparaître, selon lesquelles il faudrait aller chercher des utopies et construire des grands projets derrière des utopies. Mais la plus belle des utopies, c'est celle que nous avons au fond de nous-mêmes, c'est de croire qu'il y a quelque chose de plus grand que nous en nous-mêmes. C'est cela qui fait, je crois, fondamentalement la capacité à rester, utilement, pour soi et pour les autres dans une démarche éthique.
Je pense que la politique est particulièrement concernée par ce débat entre gouvernance et éthique. Je pense que si la politique a donné le sentiment de s'éloigner de tout cela, c'est qu'au fond, elle s'est laissée dévorer par la technique. Elle s'est laissée dévorer par son aval au lieu de remonter la source tel le saumon pour aller vers les valeurs, vers les objectifs, vers les ambitions, vers les visions, vers ce qui doit porter l'individu à aller au-delà de lui-même. La politique s'est laissée - et quelquefois le management - dévorer par l'aval, par la technique ; à force de promettre des kilomètres de trottoirs, le politique a perdu la consistance de son propre message. Certes, il faut des kilomètres de trottoirs. Mais je crois qu'il faut vraiment montrer que l'action que nous avons à mener trouve sa légitimité, non pas dans la technicité de la décision mais, dans la cohérence entre la pensée et l'action. C'est vrai, c'est un principe de management, c'est aussi un principe d'action politique. Au fond, la vraie légitimité n'est pas de chercher la mesure qui sera la plus technique, c'est de faire en sorte qu'il y ait cette clarté entre la pensée et l'action. Vous me direz que c'est beaucoup de travail parce qu'il faut d'abord que la pensée soit claire, ce qui n'est pas toujours le cas et c'est sans doute là où la politique est défaillante : c'est de ne pas jardiner, comme dit Michel Serres, de ne pas jardiner son savoir jusqu'à la clarté. Et c'est à partir du moment où cette clarté est là, qu'il apparaît finalement qu'on peut inscrire l'action dans cette clarté et chercher cette cohérence entre la pensée et l'action. C'est là où on trouve la légitimité. C'est là aussi, sur le plan du management, qu'on trouve les capacités d'évaluation. Comment évaluer une politique si elle n'est pas définie par des objectifs ? Comment faire en sorte que l'on puisse, aujourd'hui, accorder de la légitimité à ce qui n'est pas clairement exposé comme étant une source de lumière, une source d'eau claire ? Tout le monde le dit, on sent bien qu'aujourd'hui, nous avons besoin - et peut-être encore plus au moment où les bruits du monde sont inquiétants - davantage de repères. C'est pour cela que je trouve que placer l'éthique au coeur des cours de management, au coeur de cette approche, c'est très important pour des étudiants. C'est très important aussi, pour la société. Moi, ce qui me guide, c'est d'essayer d'influencer un peu notre perspective économique, c'est de bien faire partager cette idée aujourd'hui que la France est porteuse d'un modèle économique qu'elle doit défendre, qui, est l'économie humaniste. C'est-à-dire celle, justement, où l'on fait confiance à la personne et où l'on ne se contente pas de grands mécanismes, de la course au gigantisme, de la course à la standardisation , à la banalisation. Celle où l'on va chercher vraiment ce que peut apporter le talent de l'individu dans le processus de production, c'est-à-dire au fond la valeur ajoutée, la création de richesses, l'idée, le talent... Tout cela porte plein de noms différents mais qui sont très importants et qui font peut-être l'originalité de ce que doit être le message que nous devons défendre en matière d'économie. Certes, il y a une économie mondiale, mais ce n'est pas pour cela qu'il faut que nous nous alignions sur toutes les valeurs que peut porter l'économie mondiale aujourd'hui. Essayons de défendre ce que la France a de meilleur, ce que la France a pu apporter dans l'histoire, ce que la France a comme vision, comme culture. Je crois que ce sont autour des valeurs de l'humanisme qu'il nous faut essayer de restructurer, notamment notre pensée économique. C'est pour cela qu'il faut mettre, dans ces valeurs humanistes, la première des priorités sur la valeur de création. Je pense que c'est très important pour que, dans notre pays l'on ait davantage le goût de la création. Je le dis ici, dans la maison de Robert Hossein. Je crois que ce soit la création culturelle, que ce soit la création sociale, que ce soit la création économique, il faut donner envie de créer. Il faut montrer qu'il y a un bonheur à la création ; il faut montrer que chaque homme aujourd'hui doit avoir comme ambition d'être créateur, au moins de lui-même, et que l'on puisse créer des entreprises, que l'on puisse créer des initiatives, libérer les forces vives. La création est un des éléments moteur de l'avenir d'une société. Une société qui ne croit pas à la création est une société qui ne veut pas regarder son avenir en face. Et cela demande beaucoup d'actions, le fait que l'on développe le mécénat au plan artistique, c'est très important de donner des possibilités nouvelles pour que les créateurs aient accès aux moyens de la création. Cela veut dire aussi pour la création d'entreprises Renaud Dutreil proposera prochainement un texte sur ce sujet, pour que la création soit d'une manière plus simple, tout aussi responsabilisante, accessible notamment au plus jeunes. Ce n'est pas la peine de laisser croire qu'on n'est obligé de créer que quand on est passé - je l'entendais tout à l'heure - dans les grands groupes. C'est vrai qu'il faut aller chercher des expériences, c'est vrai qu'il faut être un peu nomade et butiner quelque peu. Mais c'est vrai, aussi, que quand on a sa clarté intérieure et son envie, il faut aller créer ! Et créer, c'est un bonheur exceptionnel. Je pense que la valeur de création, dans notre pays, dans notre économie n'est pas suffisamment valorisée. Il y a un chiffre inacceptable pour nous tous, c'est de penser que nous sortons d'une période de cinq ans de croissance et que la création d'entreprises a diminué pendant cette période. Cela veut dire que l'on ne place pas la création, le respect du créateur, la joie de créer à la place où il faut les mettre dans notre société. C'est un des éléments très importants : la création comme première priorité.
Deuxième priorité de cette économie humaniste : la formation. Quand on croit à la personne, il faut évidemment croire à son développement, à son épanouissement. Nous n'avons pas de limite à nos savoirs, même si on ne sera jamais Pic de la Mirandole, même si l'humanisme aujourd'hui fait que l'on ne peut pas tout savoir. Mais nos limites sont pratiquement infinies et il faut que chacun puisse comprendre que l'on peut apprendre toujours beaucoup plus et tout au long de la vie, de faire en sorte que la formation soit cette liberté conquise sur soi-même, par des efforts personnels, par des décisions que nous pouvons prendre nous-mêmes, et avec les autres. Nous ne mettons pas suffisamment la formation en valeur dans notre société. D'ailleurs, qui comprend vraiment clairement les systèmes de formation professionnelle aujourd'hui ? Le nombre d'élus que je vois voter des textes - je pense aux conseils régionaux, qui est le milieu dont je viens -, quand on voit l'organisation régionale de la formation professionnelle entre les bassins d'emplois, entre les branches, entre les structures de ceci, de cela et l'ensemble des acteurs, vous avez dans une région moyenne de 80 à 100 acteurs. On voit bien que tout ceci, finalement est plus fait pour valoriser les appareils de la formation plutôt que le contenu et la capacité véritable de formation. Donc, il y a vraiment là une ambition très forte qui est une ambition générale. Je crois que les partenaires sociaux sont engagés dans une négociation. Mais c'est très important, c'est une idée centrale du quinquennat. Je suis sûr que si on demandait à J. Chirac quelle est l'idée à laquelle il est le plus attaché au cours de son quinquennat, il dirait que c'est cette idée d'assurance formation, qui fait que dans une vie professionnelle, on puisse se dire que dans son parcours professionnel, il y aura une alternance d'emploi et de formation, et non pas une alternance d'emploi et de chômage, d'emploi et d'inactivité. Mais que quand l'on n'est pas dans l'emploi, l'on est dans la formation. On est en train de se développer, de conquérir de nouveaux savoirs, de conquérir de nouveaux épanouissements, de nouvelles maîtrises de soi-même, d'apprendre autre chose, compte tenu du potentiel. Mais pour tout cela, encore faut-il croire en l'homme et en ses capacités de développement et non pas croire qu'il est déterminé par sa classe sociale, par ses gènes, par tout ce qui pourrait déresponsabiliser l'individu, mais au contraire que c'est en lui même que résident les véritables forces et qu'il faut semer pour pouvoir récolter. C'est celle-là, l'exigence de formation. Création, formation sont des éléments très importants et je souhaite vraiment que le Gouvernement que j'ai l'honneur de diriger, mais surtout l'initiative des partenaires sociaux, nous permette d'avancer sur ces sujets pour que l'on fasse vraiment de la formation une vraie valeur de notre économie. C'est notre ressource première, c'est notre ressource essentielle.
Troisième idée-clé, c'est la solidarité, évidemment. Je voudrais saluer "L'Enfant bleu" et je voudrais avoir un mot tout particulier pour "L'Envol et pour les "Petits Princes", ceux qui n'ont pas gagné, qui doivent forcément avoir une petite blessure... Mais leur travail est vraiment exemplaire et je voudrais qu'on les applaudisse très fort parce que ce qu'ils font est formidable. Pouvoir permettre à des enfants handicapés d'avoir accès à des vacances, faire en sorte que l'on puisse trouver des possibilités pour que ces vacances soient le plus possible "comme les autres". C'est un effort considérable. J'ai pour "L'Envol", une profonde considération pour tous ses animateurs. Quant aux "Petits Princes", ils ont de multiples qualités et en plus, ils font, comme signe de bonheur, visiter le Futuroscope, ce qui, naturellement montre qu'en plus d'être des gens généreux, ce sont des gens avisés...
Cette idée de solidarité est très importante et je crois qu'il faut qu'on la travaille dans le cadre de la pédagogie nationale. Parce qu'il y a deux éléments importants, et quelquefois, dans la solidarité, on les oublie. Il y a évidemment l'idée du don, qui est une idée très importante : c'est l'idée de l'autre, de l'épanouissement par l'autre, c'est l'autre créateur de soi-même, c'est le "tu" qui devient le but du "je" ; c'est ce don qui est essentiel et qu'il faut mesurer dans la société. Notre véritable existence est dans ce que l'on est capable d'apporter aux autres, dans cette solidarité nécessaire, dans notre vivre ensemble. Il faut renforcer cette idée de don, qui est un élément essentiel de notre équilibre social. Mais le don va avec la justice. Il faut équilibrer le don et la justice, parce que le don, ce n'est pas la distribution. Le don n'est pas forcément l'égalitarisme, qui, quelquefois, est à l'opposé de l'équité. Le don, c'est ce qui doit se conjuguer avec l'idée de justice, la reconnaissance des mérites, des injustices.
Je vois aujourd'hui l'idée de solidarité, qui est considérée comme une idée de distribution. Et finalement, on arrive à ce que les revenus de l'assistance soient supérieurs aux revenus du travail, par exemple. C'est injuste. Quelquefois, on arrive à aider très peu les faibles, parce que l'on aide tout le monde. Quand je vois un certain nombre de systèmes sociaux aujourd'hui, on veut distribuer à tout le monde. Il y a gens qui peuvent payer un certain nombre de choses. Et finalement, en distribuant à tout le monde, on donne beaucoup à tout le monde et on ne donne pas assez aux plus faibles. On arrive à ce que des idées de solidarité, en passant par l'égalitarisme, soient contre la justice. Et je pense qu'il faut développer ce type d'idées.
Quand j'étais président de région, il fallait payer tous les livres scolaires. Alors, on prend de l'argent à tout le monde, pour redistribuer de l'argent à tout le monde ? Si c'est ça le politique, ce ne sera pas efficace, parce qu'il y a des pertes en ligne. Non, quand on prend de l'argent, c'est pour faire en sorte qu'ensuite, il y ait une stratégie. Et la stratégie de justice est très importante, c'est-à-dire qu'il faut concentrer les moyens sur ceux qui en ont le plus besoin. Et cette idée de solidarité demande du courage, de la lucidité, de la franchise. D'ailleurs, elle est née où, cette idée ? Elle est finalement née dans l'amour familial, dans cette cellule familiale où l'on voit bien que cette vraie solidarité existe. Finalement, la vraie solidarité, elle est dans la fraternité familiale, dans la vie familiale, où les parents peuvent assumer leur amour, ce qui ne veut pas dire qu'ils souffrent tous les caprices. Et cela veut dire qu'on assume un certain nombre de valeurs, pour que la solidarité conduise au progrès. Et quelquefois, le progrès, ce n'est pas toujours la satisfaction immédiate. C'est un chemin qui conduit au progrès. Cette solidarité, elle est dans l'économie humaniste et je crois qu'il nous faut réfléchir et développer ces concepts.
Quatrième élément, c'est l'idée de responsabilité. Là, nous sommes au coeur - je parle aux étudiants - d'une vraie pensée, qui est au fond une pensée de nature philosophique. Vous ne ferez pas de la bonne économie, si vous n'avez pas aussi des réflexions philosophiques. Et vous vous inscrirez dans des pensées... Vous êtes, dans ce XXIème siècle, avec une chance formidable, par rapport à nous, pour la plupart ici, qui sommes des acteurs du XXème siècle : nous avons été très piégés par le débat idéologique du matérialisme et de l'humanisme. Et, au fond, le matérialisme a occupé le siècle. On nous a expliqué qu'on était déterminé - pour J.-P. Sartre, "innocents de nous-mêmes". Alors, si je suis innocent de moi, pourquoi me faire du souci, il y a toujours quelqu'un d'autre qui est responsable de ce qui m'arrive. Donc, de toute façon, tout le problème est de chercher qui est l'autre responsable, d'essayer de chercher à l'extérieur de moi-même ! Dites-vous bien qu'en général - je n'ai pas fait beaucoup d'équitation, ma silhouette vous l'indique ! -, mais il y a un principe d'équitation auquel je crois beaucoup : c'est que lorsque le cheval trébuche, c'est le cavalier qui est responsable. Nous ne sommes pas innocents de nous-mêmes. Vous n'êtes pas innocents de vous-mêmes. Et il est important dans la société aujourd'hui, de développer des idées, selon lesquelles nous devons nous comporter en responsables, sur tous les sujets. Il n'y a pas d'un côté les chauffards et de l'autre, les gens extraordinaires qui conduisent très bien. Le problème est que chacun de nous peut être chauffard, à un moment ou un autre. Le jour où on n'assume pas notre responsabilité, le jour où on franchit la ligne jaune, le jour où on va trop vite. C'est cette responsabilité-là qui est un des éléments-clés d'une économie humaniste, c'est-à-dire que l'on respecte les engagements, que l'on fasse en sorte que la personne soit responsable d'elle-même. Et c'est, je pense, un élément très important : on a trop eu tendance, dans nos schémas culturels passés, à la déresponsabilisation. Et je crois vraiment que le travail d'une nouvelle équipe de managers, c'est de faire en sorte que, dans cette économie que nous voulons, pour respecter l'homme, l'on commence par le considérer comme responsable. Parce que, finalement, le plus humiliant, c'est de penser que les décisions sont extérieures à lui-même. Cela ne va pas dire qu'on est indépendant des autres, cela veut dire que, fondamentalement, il faut que l'on puisse essayer d'assumer soi-même ses propres responsabilités. Notre vivre ensemble, c'est l'organisation de nos responsabilités. Ce n'est pas de dire qu'on envoie toutes les responsabilités à Matignon : il y a de la neige, c'est Matignon ; il y a la marée noire, c'est Matignon... D'accord, je plaide un peu pour moi, mais j'assume. Mais enfin, quand même ! Globalement, il faut bien réfléchir à tout cela et se dire qu'une société doit considérer que, surtout si elle a une pensée humaniste, il y a en chaque individu, une part de responsabilité, une part de collectif qu'il nous faut essayer de pouvoir surmonter.
Dans bien des cas, on nous a montré la personne humaine comme une source d'énergie mais qui, au fond, était désespérée, parce que ses perspectives étaient limitées, que vous étiez limités par votre classe sociale, par les difficultés que vous pourriez avoir, par votre diplôme, par ceci, par cela... Vous voyez toujours qu'on vous invente des enfers, on vous invente des blocages et des difficultés. Et puis, au fond de vous-même, il y a cette capacité à dépasser toutes ces difficultés. Je prends le mot "enfer", il est fort, mais c'est parce que la gagnante l'a employé tout à l'heure. Et je voudrais bien croiser le regard de la petite Julie car, au fond, aujourd'hui, ce qui compte pour l'homme, c'est, comme pour Julie, de sortir des enfers.


(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 21 janvier 2003)