Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
En arrivant au ministère de l'écologie et du développement durable, j'ai immédiatement fixé à mes collaborateurs et à mes services une feuille de route en trois priorités : la sécurité, la transparence, et la participation.
Sécurité d'abord, parce qu'il s'agit là d'une aspiration profonde de nos concitoyens, qui ne se limite pas au seul maintien de l'ordre. Le gouvernement doit aussi se préoccuper de risque alimentaire, de risque sanitaire, et, pour ce qui concerne mon ministère, de risque industriel, de risque technologique, de risque naturel, de risque sanitaire environnemental, et, bien évidemment de risque nucléaire.
Transparence ensuite, parce que l'écologie est trop sérieuse pour être prise en otage par les marchands de fantasme. Pour que cela n'arrive pas, il est nécessaire que tous sans exception, exploitant, contrôleur et expert, communiquent au public le maximum de données à leur disposition afin d'alimenter une discussion rationnelle.
Participation enfin, parce que la transparence est unilatérale, et ne suffit pas à remplir le besoin de débat qu'exprime notre société. Il faut aller vers plus de discussion, plus d'expertise partagée, plus de participation du public aux décisions. Si nous ne faisons pas ce pas supplémentaire, le risque existe que la transparence que nous aurons organisée serve finalement surtout à exacerber encore plus les positions des uns et des autres.
Si je ne devais exprimer qu'une ambition pour mon ministère, ce serait que de ministère de l'opposition, qu'il était jusqu'à récemment encore, il devienne ministère de la réconciliation.
Vous le constatez, ces trois axes de travail, sécurité, transparence et participation, recoupent totalement les préoccupations qui vous réunissent aujourd'hui : la sécurité, bien sûr, qui constitue la raison d'être de vos commissions, la transparence, évidemment, à laquelle vous travaillez constamment, et la participation, dont je sais que vous la cultivez. C'est pourquoi j'ai tenu à venir m'exprimer devant vous.
Première des priorités du ministère de l'écologie et du développement durable, donc, la sécurité. Son amélioration passe à mon sens par une intensification des politiques de précaution, de prévention, et de police.
Précaution, parce que nous n'avons pas le droit de prendre de risques inconsidérés, surtout quand ceux-ci engagent les générations futures. C'est là une exigence fondamentale du développement durable, qui a été rappelée lors du séminaire gouvernemental que le Premier Ministre organisait sur ce sujet le 25 novembre dernier. Le temps où l'on pouvait compter sur les progrès de la science pour réparer les conséquences de nos choix est révolu.
Mais pour que le principe de précaution puisse être appliqué efficacement, sans pour autant se trouver caricaturé dans un principe d'inaction, il est absolument indispensable que l'Etat ait à sa disposition une expertise publique compétente, indépendante et transparente, dans tous les domaines dans lesquels il est amené à prendre la responsabilité d'accepter, au nom de la société, une incertitude ou un risque lié à une activité humaine. C'est ainsi que j'ai inauguré, le mois dernier, avec mon collègue Jean-François Mattei l'agence française de sécurité sanitaire environnementale, qui travaillera dans le champ nouveau et vaste des impacts de l'environnement sur la santé. J'ai décidé, dans le domaine des risques industriels, d'une politique de renforcement des moyens de l'INERIS. Et, bien évidemment, dans le domaine qui vous concerne, j'ai la très ferme ambition de faire de l'IRSN un expert incontournable et reconnu par tous. La constitution des instances dirigeantes de cet institut a pris plus de temps que prévu. Mais je peux aujourd'hui vous assurer que des décisions seront prises d'ici la fin de ce mois, qui permettront à cet organisme de démarrer, enfin, son activité sur des bases saines. J'ai eu l'occasion de le dire devant la représentation nationale il y a quelques jours.
Les politiques de prévention font elles-aussi l'objet d'une attention toute particulière. La première loi que je défendrai devant la représentation nationale concernera d'ailleurs la prévention des risques technologiques et naturels ; je la présenterai au Conseil des Ministres le 3 janvier prochain. Ses objectifs, tant pour les risques industriels que pour les risques naturels, sont de donner la priorité à la réduction de l'aléa, d'agir sur l'existant pour s'attaquer aux situations d'urbanisation issues du passé, et de développer la conscience du risque. Autant d'impératifs rapides à énoncer, mais qui pour chacun d'entre eux constituent une petite révolution culturelle.
Un des articles de cette loi décide la création des commissions locales d'information et de concertation, j'allais presque dire de réconciliation, autour des sites SEVESO. Autour des 670 établissements concernés, près de 300 commissions devront ainsi être créées. C'est une tâche de grande ampleur, à laquelle seront dédiés des moyens tant humains que financiers. Mais, vous le savez bien, la concertation relève d'une alchimie qui ne se décrète pas. Elle se construit patiemment, et ses recettes sont jalousement conservées. J'ai donc demandé aux préfets de département de créer dès aujourd'hui des commissions expérimentales, qui permettront de tester le dispositif. Mais il me paraîtrait naturellement particulièrement souhaitable que votre assemblée fasse bénéficier les commissions qui vont être créées de son expérience, et qu'une collaboration étroite s'instaure.
Enfin, il ne faut pas oublier qu'une politique de prévention s'appuie nécessairement sur une police efficace. J'ai considéré, dans le domaine des installations industrielles, que les effectifs de l'inspection des installations classées étaient insuffisants, et j'ai engagé, en accord avec le Premier Ministre, un renforcement sur plusieurs années, qui se double d'une évolution des méthodes et des structures très profonde. Dans le domaine du nucléaire, le deuxième semestre 2003 devrait voir l'adoption de la loi sur la transparence et la sécurité dans le domaine du nucléaire. Le projet déposé par mes prédécesseurs me semble constituer une bonne base de travail, qui méritera cependant d'être amendée sur certains points. Les consultations sur le texte rentreront en phase active à partir de mai, pour une première lecture au Sénat vraisemblablement au début de l'automne. Ce travail législatif, le premier depuis bien longtemps dans le domaine du nucléaire, sera l'occasion de fonder le travail de la DGSNR et de ses inspecteurs des installations nucléaires de base, de donner une base aux actions qu'ils entreprendront et aux sanctions qu'ils prendront. Ce sera, je crois, une avancée notable, que beaucoup attendent. Je sais cependant que la DGSNR ne l'a pas attendue pour s'organiser et travailler, en toute transparence et avec une compétence que chacun reconnaît.
Ce projet de loi abordera aussi la question de la transparence dans le domaine du nucléaire, qui est le deuxième grand thème après la sécurité que je souhaitais aborder.
Je sais tout le travail, en particulier d'explication, que la transparence demande. Dans des domaines comme celui qui vous intéresse, les données des problèmes sont en effet souvent très complexes, pleines d'incertitudes et de difficultés d'interprétation, et il est nécessaire de déployer des trésors de pédagogie pour que les informations soient correctement utilisées. J'ai noté par exemple que vous vous intéressiez avant mon arrivée à l'épidémiologie et ses limites. Vaste débat ! Mais cette complexité ne doit pas nous arrêter, car l'expérience le montre : le temps et l'énergie dépensés pour rattraper a posteriori les méfaits d'une donnée non communiquée sont bien supérieurs aux efforts nécessaires pour la mettre à disposition du public dans de bonnes conditions.
A cet égard, je salue l'initiative du conseil supérieur de la sûreté et de l'information nucléaires qui a très récemment édité, au terme de deux ans de travail, le fascicule qui vous a été remis sur la " sûreté des centrales et des déchets nucléaires ". J'en ai pris connaissance avec intérêt, et je salue tant sa qualité que son objectivité. Je sais que Monsieur Lazar, le président du CSSIN, qui s'en est entretenu avec un de mes collaborateurs, souhaite que le présent opuscule puisse être utilisé comme initiateur d'authentiques débats et contribue à préparer en profondeur le grand débat public sur l'énergie qui aura lieu au printemps prochain. Il me semble que cette initiative est tout à fait positive, et je ne verrais que des avantages à ce que les commissions que vous présidez s'en fassent l'écho.
Je voulais enfin aborder en troisième lieu, après la sécurité et la transparence, la question de la participation, qui est pour moi fondamentale.
Il me semble en effet qu'il y a là une demande lourde de la société française d'être associée plus étroitement aux décisions importantes qui sont prises en son nom. Les mécanismes traditionnels de représentation et de consultation ne suffisent plus, qu'on le veuille ou non, à satisfaire cette aspiration. Il faut en prendre acte et faire plus.
Dans le domaine de l'énergie, le Premier Ministre a indiqué qu'un grand débat public serait ouvert au printemps 2003. Nicole Fontaine et moi même travaillons étroitement à mettre en place les conditions d'une discussion réelle et non biaisée sur ce sujet qui nous paraît fondamental.
Dans vos domaines, vous ne devez pas hésiter à rajouter au I d'information le C de concertation. J'attache en particulier une grande importance à ce que la pratique émergente des expertises pluralistes se généralise, même si les coûts associés sont parfois élevés, comme par exemple pour les études épidémiologiques autour de la Hague.
Le fait d'accepter le principe d'une expertise conjointe ne signifie pas, pour l'exploitant, renoncer à défendre ses intérêts, ou pour les opposants se vendre à l'ennemi. Les divergences de vues subsisteront probablement, en particulier sur des questions aussi fondamentales que l'arrêt ou la poursuite du fonctionnement de la centrale. Mais au moins sera-t-on sorti du face à face glacé qui peut s'instaurer dans certains cas.
Je sais par exemple que des contre-expertises initiées par le conseil général ont été menées à Fessenheim à l'occasion des deux premières visites décennales, avec comme sujet principal pour la deuxième visite le vieillissement des cuves et la durée de vie de la centrale. Je sais aussi que l'exercice de recevabilité du dossier des études d'impact et de danger fournis par COGEMA pour les rejets radioactifs de l'usine de la Hague a été élargi à un groupe d'experts pluralistes, parallèlement à l'expert public qu'est l'IRSN.
Ces initiatives vont dans le bon sens, et je vous encourage à les multiplier. Il ne s'agit pas là de modifier le partage du pouvoir de décision. La concertation ou la négociation ne signifie pas la codécision. C'est toujours à l'Etat, sur la base législative votée par le Parlement, de prendre la décision in fine au nom de la société. Mais l'arbitraire n'est plus acceptable, même et surtout dans le domaine très sensible du nucléaire.
En conclusion, je souhaitais vous redire à quel point je pense que le travail que vous menez dans vos commissions locales d'information est fondamental, au delà probablement de la simple ambition, louable en soi, de fournir un aiguillon supplémentaire pour l'amélioration de la sûreté dans les installations nucléaires. Je voulais très sincèrement et profondément vous en remercier, et vous souhaiter une bonne fin de colloque.
(Source http://www.environnement.gouv.fr, le 19 décembre 2002)