Déclaration de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur les circonstances de l'ajournement puis de la présentation du projet de ratification de l'accord euro-méditerranéen créant une association entre les pays membres de la Communauté européenne et Israël et l'encouragement au processus de paix, à l'Assemblée nationale le 23 novembre 1999.

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Circonstance : Débat sur le projet de loi portant ratification de l'accord d'association entre les pays membres de la Communauté européenne et l'Etat d'Israël à l'Assemblée nationale le 23 novembre 1999

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Je voudrais d'abord rappeler les raisons qui avaient présidé à la signature de l'accord d'association de 1995. Le 20 novembre de cette même année, avait été signé l'accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres d'une part, et l'Etat d'Israël, d'autre part. Une semaine plus tard, l'Union européenne et les douze partenaires méditerranéens - dont Israël - avaient adopté la déclaration de Barcelone, acte fondateur du partenariat euro-méditerranéen. L'ambition des signataires de cet acte était de faire du Proche-Orient une zone d'échanges et de coopération entre tous les Etats de la région, sans exception. Elle était portée et encouragée par les progrès spectaculaires du processus de paix réalisé par Yasser Arafat et Itzhak Rabin. Nous vivions alors dans la dynamique des accords d'Oslo et des progrès des négociations entre la Syrie et Israël. Replaçons cet accord dans le contexte historique qui était le sien plus largement : septembre 1993, déclaration de principe israélo-palestinienne ; octobre 1994, traité de Wadi Araba établissant la paix entre Israël et la Jordanie ; septembre 1995, signature à Washington de l'accord intérimaire sur l'autonomie palestinienne dit Accords de Taba. L'accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres et l'Etat d'Israël répondait donc à une double logique, celle du rapprochement entre l'Europe et ses partenaires méditerranéens, celle de l'encouragement au processus de paix.
J'en viens aux raisons qui ont fait que cet accord n'a pas été ratifié jusqu'ici. Le blocage du processus de paix intervenu après les événements que j'ai rappelés explique largement le délai qui s'est écoulé avant le présent débat. La dynamique de paix, alors qui été relancée dans les conditions que j'ai rappelées, a été brisée en quelques semaines dans les deux camps. Les groupes opposés à la paix ont tout fait pour arrêter le processus en cours. Je rappellerai les attentats meurtriers du Hamas à Tel-Aviv et à Jérusalem, l'assassinat d'Itzhak Rabin surtout, et la crise dite des "Raisins de la colère" au Sud-Liban. Ces événements ont remis en cause le processus engagé et ont abouti, en mai 1996, à l'arrivée au pouvoir de M. Netanyahou. Le processus de paix a ensuite connu une éclipse d'un peu plus de trois ans.
On a cru à certains moments que ce processus allait redémarrer entre Israéliens et Palestiniens, deux accords ont même été signés, celui sur Hébron, le 15 janvier 1997, et le mémorandum de Wye River, le 23 octobre 1998. Malheureusement, à chaque fois, les difficultés de la mise en oeuvre des accords, notamment du fait du gouvernement israélien de l'époque, ont fait retomber l'espoir qu'ils avaient suscité. Pendant toute cette période, tous nos partenaires européens, à l'exception de la Belgique, ont ratifié, malgré tout, l'accord d'association entre l'Union européenne et Israël après que le Parlement européen eût rendu le 1er mars 1996 son avis conforme. En France, en revanche, bien que le projet de loi eût été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 31 juillet 1996 et que la Commission des Affaires étrangères l'eût adoptée, le 20 février 1997, la ratification a été plusieurs fois repoussée. En février 1997, en mars 1997 enfin en septembre 1998 tandis que deux missions se rendaient sur place. Le Parlement n'a pas voulu en approuvant la ratification de l'accord paraître cautionner la politique du gouvernement israélien de l'époque manifestement contraire à l'objectif d'une paix négociée juste et durable au Proche-Orient. Mais nous sommes dans un contexte différent et j'en viens maintenant aux raisons qu'a le gouvernement de proposer d'inscrire ce texte à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Le cours de l'histoire s'est en effet à nouveau retourné. Le 17 mai 1999, les électeurs Israéliens ont porté à la tête du Gouvernement de leur pays un homme qui se présente et qui se veut l'héritier d'Itzhak Rabin.
Son gouvernement est entré en fonction depuis le 6 juillet. Il dispose à la Knesset de 75 voix sur 120. M. Barak affirme sa volonté de rechercher la paix avec les Palestiniens, comme avec les Syriens et les Libanais. L'espoir d'une solution négociée du conflit israélo-palestinien et d'une reprise des négociations entre Israël et la Syrie et entre Israël et le Liban existe de nouveau.
Certes, la route est encore longue, et il faudra aux parties beaucoup de courage et de volonté - je m'en suis rendu compte il y a quelques semaines en me rendant dans tous les pays concernés - mais la mise en oeuvre de l'accord de Charm el-Cheikh, signé le 4 septembre 1999, et l'ouverture des négociations sur le statut final des Territoires palestiniens le 8 novembre, sont des signaux encourageants. Il y a sans conteste un climat et un contexte nouveaux. La communauté internationale, et tout particulièrement l'Union européenne doivent soutenir ce processus. La France y est résolue.
Aussi, tout en restant lucide sur les difficultés présentes et à venir qui ont été présentées à l'instant, le gouvernement estime-t-il qu'il n'y a plus de raisons de différer cette ratification. Le 2 juin 1999, tenant compte des perspectives nouvelles, votre commission a décidé de reprendre le cours de l'examen du projet et l'a adopté le 30 juin.
Je voudrais rappeler également que les dispositions commerciales de l'accord sont en réalité déjà entrées en vigueur en janvier 1996, dans le cadre d'un accord intérimaire. En 1975, un premier accord de coopération avait été conclu entre Israël et la Communauté, permettant aux deux parties de renforcer leurs échanges dans le cadre d'un libre-échange industriel devenu effectif depuis 1989. En dépit de ses protocoles d'adaptation successifs, cet accord restait limité aux questions économiques et commerciales. Ainsi, dans le prolongement de l'accord d'Oslo de septembre 1993, le Conseil européen d'Essen, en 1994, avait donné mandat à la Commission de négocier un nouvel accord permettant de renforcer ces relations dans tous les domaines. L'accord d'association de 1995 s'articulait, en effet, autour des principales dispositions suivantes, qu'il faut rappeler aujourd'hui parce que cela peut éclairer utilement le vote de votre assemblée :
- D'abord, l'insertion d'une clause sur le respect des Droits de l'Homme et des principes démocratiques, qui figure désormais dans tous les accords conclus par la Communauté européenne avec des pays tiers (et qui peut aller, le cas échéant, jusqu'à la suspension de tout ou partie de l'accord). J'insiste sur ce point : de nombreuses organisations non gouvernementales m'ayant écrit à ce sujet, directement ou à travers les membres du Parlement. L'article 2 de l'accord d'association stipule en effet que "toutes les dispositions du présent accord se fondent sur le respect des Droits de l'Homme et des principes démocratiques, qui constituent un élément essentiel du présent accord". Nous rappellerons ces obligations chaque fois que cela sera utile et nécessaire.
Les autres éléments de l'accord, non moins importants, sont :
- La mise en place d'un dialogue politique et, à cet égard, je voudrais lire l'article 4 de l'accord qui le précise et qui dit que " le dialogue politique porte sur tous les sujets d'intérêt commun et vise à ouvrir la voie à de nouvelles formes de coopération en vue de la réalisation d'objectifs communs, notamment la paix, la sécurité, et la démocratie ".
Autres éléments de l'accord :
- la consolidation de la zone de libre-échange existante, en conformité avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ;
- l'introduction de dispositions relatives aux services, aux mouvements de capitaux et au droit de la concurrence;
- l'identification de nouveaux domaines de coopération (l'environnement et la culture par exemple) ainsi que la conclusion parallèle d'un accord sur la recherche, qui a ouvert à Israël le droit de participer au quatrième, puis au cinquième programme cadre de recherche et de développement de la Communauté.
Puisqu'en attendant son entrée en vigueur, les dispositions économiques et commerciales de l'accord ont déjà été mises en oeuvre par anticipation dans le cadre de l'accord intérimaire, entré en vigueur en 1996, la ratification permettrait en réalité de compléter ces dispositions économiques et commerciales par le dialogue politique dont nous avons besoin pour accompagner le processus renaissant et donc pour faire valoir nos préoccupations.
Par exemple, sur la poursuite de la colonisation, je déplore que l'accord intérimaire d'association entre la Communauté et l'Autorité palestinienne n'ait pas pu produire encore pleinement tous ses effets. C'est un autre problème, Israël ne reconnaissant pas certaines dispositions importantes de cet accord, notamment en matière douanière. Le dialogue politique permettra de traiter ces questions. J'espère que les négociations sur le statut final, qui viennent de débuter, pourront répondre d'ici au 13 septembre 2000, date espérée, aux aspirations des deux populations israélienne et palestinienne à la paix et à la sécurité, dans le respect des droits qui leur sont reconnus respectivement par la communauté internationale. La France continuera aussi à oeuvrer à la reprise des négociations entre Israël et la Syrie, entre Israël et le Liban, afin que la conclusion d'un accord de paix global permette de mettre fin, de façon durable, et en application de la résolution 425 du Conseil de sécurité des Nations unies, à l'occupation du Sud-Liban.
Ces préoccupations restent et resteront présentes dans nos relations avec Israël, après comme avant la ratification de l'accord dont nous parlons aujourd'hui. La déclaration adoptée par le Conseil européen de Berlin, en mars dernier, sur le processus de paix en est l'illustration. Ces questions alimenteront désormais le dialogue politique de l'Union européenne avec Israël, notamment dans le cadre du Conseil d'association. Le nouvel accord entre l'Union européenne et Israël nous donnera ainsi les moyens d'engager un suivi régulier de la mise en oeuvre de tous les volets de l'accord, y compris ses aspects relatifs aux Droits de l'Homme. C'est pourquoi le gouvernement souhaite que l'accord d'association entre l'Union européenne et Israël, qui s'inscrit dans cette logique, puisse maintenant entrer en vigueur.
J'ajoute qu'après la Tunisie et l'Autorité Palestinienne, Israël sera ainsi le troisième partenaire méditerranéen avec lequel un accord d'association entrera en vigueur. Il sera suivi, très prochainement, du Maroc puis, plus tard, de la Jordanie et de l'Egypte, avec laquelle les négociations sont à présent terminées. Elles se poursuivent, comme vous le savez, avec le Liban, la Syrie et l'Algérie.
Au total, les dispositions de cet accord euro-israélien conduisent à renouveler en profondeur les relations entre Israël et l'Union européenne, en les inscrivant dans le cadre d'une politique euro-méditerranéenne d'ensemble, ambitieuse et globale.
Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Voilà les principales observations qu'appelle l'accord euro-méditerranéen établissant une association entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et l'Etat d'Israël d'autre part, qui fait l'objet du projet de loi aujourd'hui proposé à votre approbation. Il renforce, à notre avis, les relations entre la France et Israël, entre l'Europe et Israël, en même temps que le projet d'ensemble d'une relation politique forte euro-méditerranéenne. Il renforce nos moyens d'avoir un dialogue politique à la fois français et européen accompagnant le processus de paix qui aujourd'hui peut être espéré, mais dont nous savons bien qu'il va se heurter à des difficultés significatives quand on regarde les dossiers précis auxquels sont maintenant confrontés les Israéliens et leurs voisins et nul doute que, dans le cadre du dialogue politique que permettrait la mise en oeuvre de l'accord ratifié, nous pourrons avec plus de force encore que jusqu'à maintenant, faire valoir nos légitimes préoccupations pour accompagner, renforcer et garantir le moment venu ce processus de paix./.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 novembre 1999)