Déclaration de M. Jean-François Mattéi, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, sur la politique de la santé et le financement de la sécurité sociale, Paris le 20 janvier 2003.

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Circonstance : Présentation des voeux aux Forces vives à Paris le 20 janvier 2003

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Présidents
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
Je suis heureux de vous accueillir, ici, aujourd'hui, pour vous présenter, à toutes et à tous, mes voeux personnels, ceux de Christian JACOB, Ministre délégué à la famille, qui vous prie de pardonner son absence et ceux de Marie-Thérèse BOISSEAU, Secrétaire d'Etat aux personnes handicapées.
Nous vous invitons à partager ces souhaits de bonheur, de réussite dans l'exercice de vos fonctions et de santé, avec tous vos proches.
Tous trois, nous avons voulu, et ce pour la première fois dans ce ministère, réunir celles et ceux qui représentent les forces vives du monde de la santé, de la famille et des personnes handicapées.
Cette initiative nous est apparue fondée au regard des liens qui nous unissent et des actions communes que nous sommes amenés à entreprendre ensemble. Gardons à l'esprit que nous sommes des partenaires au service du bien-être des Français !
Cette période des vœux est toujours propice pour dresser à la fois un constat et préciser les perspectives qui s'offrent à nous.
Incontestablement, il y a depuis huit mois, un net changement dans nos relations. Et nous pouvons tous nous en féliciter!
Ces relations se détendent, s'améliorent et permettent de progresser avec plus de sérénité. J'en veux pour preuve les accords récemment passés qui sont le fruit d'échanges nombreux, du dialogue, de la confiance retrouvée et d'un sens aigu des responsabilités de chacun des acteurs concernés.
Le triomphalisme n'est pour autant pas de mise car aujourd'hui, beaucoup reste à faire. Mais nous sommes désormais en capacité d'agir et prêts à franchir ensemble, les nombreux obstacles devant nous.
Il est de notre devoir de répondre aux aspirations des Françaises et des Français. Ne les décevons pas !
Dans cette entreprise, chacun ici, a sa part de responsabilité et aura sa part de réussite, quelle que soit sa place.
Bien évidemment, chacun joue sa partition, comme dans un orchestre. De temps en temps, quelques solistes se distinguent. Mais les musiciens qui ont le plus grand souci de jouer dans la plus parfaite harmonie s'écoutent les uns les autres.
Et le chef d'orchestre ? Il fait corps avec l'orchestre mais surtout il donne un sens, une âme à la partition qui est plus qu'une suite de notes.
Certes, comparaison n'est pas raison et je ne me considère pas comme le chef d'orchestre même si mon rôle s'en rapproche un peu.
Il m'appartient de donner du souffle à l'action politique en plaçant l'homme au cœur de celle-ci.
J'estime que mon devoir va plus loin que la gestion des dossiers qui me sont confiés. Mon devoir, c'est de mettre en perspective notre action en gardant constamment à l'esprit que nous agissons pour le bien de notre communauté.
Cette ambition, nous la partageons, j'en suis sûr, toutes et tous. C'est le sens de notre engagement au service des autres.
Cette ambition est légitime. Notre société évolue, vite, se transforme en profondeur. Nos repères changent et tout cela ne peut être ignoré de celles et ceux qui exercent des responsabilités nationales.
Ils ne peuvent avoir de position dogmatique, figée. Il leur faut, il nous faut aller de l'avant.
Pour autant, il n'est pas question d'oublier ce qui constitue la force et la particularité du système français dont nous sommes légitimement fiers : l'égalité, la solidarité et la justice, la protection contre les aléas de la vie que sont la maladie, le handicap.
La santé n'a pas de prix. Je l'ai dit. Tout le monde comprend que l'on dépense beaucoup pour conserver ce bien qui est, sans conteste, le plus précieux. Certains ont rétorqué qu'elle avait un coût.
Effectivement. Et ce coût croît régulièrement depuis plusieurs années dans des proportions bien supérieures à la richesse nationale.
Ce constat vaut d'ailleurs dans tous les pays industrialisés.
Les explications en sont simples : le vieillissement de la population, les progrès de la recherche médicale et une volonté de vivre mieux.
Inévitablement se pose le problème du financement de ces exigences nouvelles d'une part croissante de la population.
Nous sommes donc confrontés à un véritable examen de conscience.
Je voudrais poser rapidement les termes de cet examen de conscience.
Nous ne considérons pas la santé avec le sérieux nécessaire. C'est un bien étrange paradoxe.
Voilà le bien le plus précieux, un bien supérieur disent les économistes dans leur langue austère, et tant sur le plan individuel que sur le plan collectif, nous le négligeons.
Au plan individuel, nous avons, au mieux, des comportements insouciants à cause d'une alimentation mal équilibrée, d'un défaut d'activité physique, au pire, ce sont des conduites à risque qui menacent notre santé : excès d'alcool, consommation de tabac
Au plan collectif, l'indifférence, pour ne pas dire le mépris, dans lequel on tient la prévention et le dépistage, au prix de centaines de milliers de morts évitables, souligne sans équivoque le même manque de considération pour la santé.
Nous dépensons des sommes importantes pour les soins et nous mégotons des crédits pour lancer des actions de sensibilisation et d'éducation à la santé.
Sur le plan financier, nous ne faisons pas preuve d'un sérieux plus grand, là aussi collectivement et individuellement. Le " trou " de la sécurité sociale est un sujet d'ironie ou d'incrédulité. Ils - désignant les hommes politiques - nous en menacent que pour mieux préparer les mauvaises nouvelles : hausse des prélèvements ou baisse des prestations.
Ce scepticisme s'allie à une hypocrisie, dont il faut nous débarrasser, qui pousse à croire que l'on peut à la fois baisser les impôts et accroître les dépenses.
Je l'ai dit et je le répète : le temps de la cohérence est venu. C'est le temps politique par excellence car il faut faire des choix c'est-à-dire gouverner.
C'est l'honneur des responsables politiques que de présenter et d'effectuer ces choix. C'est la responsabilité des citoyens que d'exprimer de vraies priorités et de ratifier ces choix.
Cette légèreté en matière financière s'exprime aussi dans les comportements individuels. C'est toujours l'autre qui exagère, l'autre dont la dépense est soupçonnée d'être un gaspillage, l'autre malade, l'autre médecin, l'établissement d'en face.
C'est pourquoi je parle d'examen de conscience, un mot un peu vieilli mais une exigence toujours actuelle. Il faut abandonner le confort des excuses que l'on se donne et s'interroger.
Et d'abord s'interroger sur le processus de production des soins. Nul ne peut affirmer qu'il est optimal.
La multiplicité des acteurs pose de redoutables problèmes de coordination. Le renouvellement des connaissances médicales expose au risque d'agir de manière dépassée. L'accessibilité de l'offre est une tentation d'en faire plus qu'il n'est nécessaire. Or l'on sait les dangers de la sur-prescription médicamenteuse, on connaît le risque nosocomial à l'hôpital
Un recours raisonné aux soins est gage de santé pour nos finances sociales mais plus encore de santé tout court. Nos concitoyens, si épris de sécurité sanitaire, doivent savoir qu'ils détiennent, pour une part, la clé de cette sécurité en adoptant des comportements mesurés.
Il nous faut donc nous interroger aussi sur cette tendance à tout médicaliser. On parle de consumérisme médical.
Distinguons. Il y a un accroissement du niveau d'éducation de la population, une diffusion de l'information médicale qui mettent le patient en position d'interpeller le praticien. Pas de nostalgie inutile. C'est un phénomène irréversible et bienheureux qui implique que tout prestataire de service, le médecin, mais aussi le professeur ou encore le gestionnaire d'autoroute un soir d'hiver neigeux, soit en mesure d'expliquer ce qu'il fait, soit en mesure de justifier ses choix.
Pour autant, ce n'est pas parce que la santé est une réalité globale - un bien-être physique, mental et social - que l'assurance maladie doit tout rembourser.
C'est l'objet d'une troisième interrogation sur les contours de la solidarité nationale. Redéfinir en permanence ce qui doit être remboursé par le financement solidaire, en fonction de la qualité du produit ou de la prestation mais aussi en fonction de sa véritable utilité sanitaire et sociale, est une mission imparfaitement assurée aujourd'hui. Je souhaite voir se généraliser et s'harmoniser les procédures d'évaluation de ce que la collectivité nationale finance.
Les choix que font les Français pour eux-mêmes, choix de comportement ou d'exigences de confort, n'ont pas à peser sur cette collectivité. La restauration d'espaces de responsabilité et de liberté doit conduire à mieux articuler la protection des régimes de base comme de l'assurance complémentaire.
Enfin, il convient de s'interroger sur l'adaptation de nos mécanismes de financement. Parer aux aléas de la croissance économique mais aussi clarifier les circuits et préserver l'intégrité des sommes qui reviennent à l'assurance maladie sont les pistes de la réflexion que je conduirai en 2003.
Enfin, un système aussi complexe que celui de la santé et de l'assurance maladie doit trouver un autre mode de gouvernance. La clarification des responsabilités, la culture de résultat, une participation de tous les acteurs qui ne soit pas neutralisation des intérêts, sont les axes du projet qui sera présenté à la consultation au cours du deuxième semestre.
J'aborde cette réforme avec le souci d'être fidèle au meilleur de notre tradition sociale et avec la prudence de ne pas opérer d'inutiles bouleversements institutionnels. Réveiller les querelles " de boutique ", si vous me passez l'expression, c'est prendre le risque d'un combat d'épouvantails quand le véritable danger approche. C'est une vraie exigence éthique qui nous somme de réaliser une allocation des ressources qui sauvegarde la solidarité à l'égard de ceux que la maladie frappe.
Les conditions pour mener à bien tous ces chantiers sont réunies. Il y de quoi remplir la vie d'un ministre, d'un cabinet et de son administration. Il y a de quoi remplir la vôtre et celle des institutions que vous représentez. Votre présence au cours de cette manifestation est le signe d'une volonté d'agir ensemble, malgré les divergences, dans l'intérêt de nos concitoyens. C'est le dernier vœu de mon propos de ce matin.

(Source http://www.sante.gouv.fr, le 21 janvier 2003)