Texte intégral
F. Laborde -. Sur les retraites, on a entendu J.-P. Raffarin le Premier ministre s'exprimer au Conseil économique et social, institution de la République où sont représentés les syndicats et le patronat, et son thème clé c'était dépasser les égoïsmes. Au fond, tout le monde peut signer un engagement de cette sorte ?
- "Moi, je l'ai trouvé surtout flou, flou et injuste. C'est ça qui m'a frappé. Flou, parce que, par exemple il dit " je vais maintenir la retraite à 60 ans", mais si on augmente la durée de cotisation, étant donné que les gens sortent de plus en plus tard de l'école, il n'y a pas de retraite à 60 ans. Flou, aussi - cela m'a frappé - lorsqu'il dit " je vais maintenir, je vais défendre le principe de la répartition ", même s'il a fait - je ne sais pas si vous l'avez vu - un énorme lapsus en confondant répartition et capitalisation. Mais il dit, " je vais défendre la répartition ", mais en même temps il ouvre des voix de capitalisation et si on développe la capitalisation, la répartition ne peut pas y trouver son compte. Je m'explique parce que je ne suis pas sûr que tout le monde soit au courant de la façon dont ça se passe : la répartition c'est le système actuel, c'est-à-dire que vous cotisez, je cotise, et puis ça paye les retraites des gens qui aujourd'hui sont en retraite. La capitalisation, c'est autre chose : on demande à chacun d'épargner et à la fin de sa vie, on touche ce qu'on a épargné. Cela paraît assez séduisant la capitalisation, ajouté à l'autre, mais quand on réfléchit, les gens qui ont de petits revenus ne peuvent pas épargner, et tout ce qui est pris pour la capitalisation vient en diminution de la répartition. Donc, là aussi, je l'ai trouvé flou. Et puis je l'ai aussi trouvé flou sur la question du montant des retraites parce que si les montants des retraites sont baissés ou ne sont pas corrects, on peut dire "vous allez prendre la retraite", mais les gens ne peuvent pas vivre. Donc, il y a à la fois du flou et de l'injustice. J'ai trouvé ça assez bien résumé par une formule d'un de vos confrères de Libération, ce matin, qui dit d'une façon drôle, " M. Raffarin nous avait dit qu'il allait prendre le taureau par les cornes, il ne l'a même pas attrapé par la queue ". C'est à peu près ce que je pense."
L'autre dossier des retraites sur lequel il insiste beaucoup, c'est ramener à peu près au même régime les salariés du privé et ceux du public. On sait que dans le privé, il faut cotiser 37,5 annuités contre 40, est-ce qu'aujourd'hui c'est raisonnable de penser qu'on peut arriver à un rééquilibrage ?
- "C'est normal qu'il y ait une équité entre le public et le privé, mais il faut mettre tout sur la table, et là je n'ai pas l'impression qu'on mette tout sur la table. Par exemple, vous savez que les fonctionnaires touchent leur retraite, non pas sur la totalité de leurs salaires mais sur les salaires moins ce qu'on appelle les primes, qui représentent 10, 20, 30% de leur salaire. Donc, si vous dites, "on va allonger la durée de cotisation", alors à ce moment-là, les fonctionnaires vont dire, "oui, mais il faut intégrer les primes". Et quand vous intégrez les primes, quand on regarde précisément le dossier, cela coûte aussi cher que ne rapporte le fait d'allonger les cotisations. Donc, vous voyez que c'est beaucoup plus compliqué que ce qu'on dit."
Si je vous comprends bien, ce que vous dites, c'est que le Premier ministre pourrait être tenté..
- "C'est qu'il faut mettre tout sur la table."
...Pourrait être tenté par exemple de faire une sorte de tour de passe-passe ?
- "De faire une opération sur le dos des fonctionnaires."
C'est-à-dire de dire, on intègre les primes dans votre calcul de retraite en échange de quoi vous cotisez plus longtemps ?
- "Oui, mais à ce moment-là, du point de vue financier, qui est le point de vue où il se place, cela ne rapporte rien. Donc, moi je pense que - il faut attendre encore - jusqu'à présent il a été un peu comme ça, il essaie de prendre le problème de biais et ça me frappe que ce soit à la fois injuste et flou."
Le risque, selon vous, aujourd'hui c'est quoi ? C'est qu'il n'y ait pas de réforme de la retraite ?
- "Le risque - on verra, il ne faut pas faire de procès d'intention -, c'est qu'il y ait à la fois une réforme qui ne résolve pas les questions de fond sur la durée et qui en même temps soit injuste."
Evoquons maintenant, si vous le voulez bien, l'Irak. La position de la France est assez ferme en la matière, c'est d'ailleurs un des sujets de tension entre les Français et les Britanniques qui se rencontrent aujourd'hui ; le Premier ministre britannique et le président de la République se rencontrent aujourd'hui au Touquet. Est-ce que vous pensez que la France peut maintenir effectivement cette ligne de fermeté au Conseil de sécurité des Nations unies, avec ce veto qu'elle pourrait évoquer ?
- "Ma position est très ferme. Je demande au président de la République d'opposer son veto à une intervention en Irak. Je pense qu'il y a une détermination extrêmement forte du Président Bush, mais à cette détermination doit répondre la détermination de la France. Et pourquoi je dis cela ? S. Hussein est un dictateur et personne ici ne va le défendre, mais les conditions en droit international ne sont pas réunies pour une intervention en Irak, parce que jusqu'à présent, je dis bien jusqu'à présent, on n'a pas établi qu'il y ait des capacités de destruction massive que l'Irak conserve. En plus, sur le plan de l'équilibre régional une intervention éventuelle ne résoudrait rien, ça alimenterait le terrorisme. La France ne peut pas accepter ça. Quand nous prenons cette position, on nous dit, " c'est la vieille Europe ". Mais je dis non, c'est la guerre qui est vieille ; la paix, elle, c'est la jeunesse, c'est la jeunesse du monde. Il faut donc être extrêmement déterminé et c'est la position que je demande jusqu'au bout au Gouvernement français."
C'est-à-dire que vous soutenez inconditionnellement la fermeté affichée par le Président Chirac ?
- "On jugera sur les actes finaux. Mais je pense que comme il s'agit de principes qui non seulement jouent dans cette grave affaire de l'Irak - il faut toujours se rappeler que la guerre c'est des morts, c'est des atrocités -, mais d'une façon plus générale, on ne peut pas accepter qu'un homme, le Président des Etats-Unis, veuille mettre le droit au service de sa force."
Evoquons maintenant la Côte d'Ivoire. On voit que les accords qui ont été signés à Marcoussis ont beaucoup de mal à s'appliquer sur le terrain, il y a des manifestations violentes, beaucoup de Français sont revenus. Qu'est-ce qu'il faut faire ? Il faut renégocier Marcoussis ?
- "Il faut parler de ça avec beaucoup de précaution."
Il faut envoyer davantage de forces françaises ?
- "Il faut parler de cela avec beaucoup de prudence parce que c'est une situation explosive et beaucoup de nos concitoyens sont là-bas. Il faut penser à leur sécurité. Mais je crois que jusqu'ici le constat oblige à reconnaître que c'est un très grave échec. Le Gouvernement français nous a dit qu'avec l'accord de Marcoussis, tout est réglé ; rien n'est réglé, on le voit bien ! Les rebelles prétendument doivent devenir ministre de la Défense, ministre de l'Intérieur, c'est quand même très compliqué ; le Président, lui, on ne sait pas ce qu'il va faire. Donc, il n'y a qu'une solution, c'est que là aussi la communauté internationale, l'organisation des Nations unies et les Etats africains interviennent pour une solution pacifique et qu'on protège nos ressortissants et qu'on ait une solution politique. Mais aujourd'hui, en tout cas, pour le Gouvernement français et le Président - j'espère que ça va évoluer dans le futur -, c'est un échec grave."
Vous voulez dire que la France n'est pas très bien placée aujourd'hui pour amener de l'apaisement en Côté d'Ivoire ?
- "Vous avez entendu comme moi les manifestants.."
En appeler au Président..
- "Américain."
Et donc c'est l'ONU qui doit intervenir aujourd'hui ?
- "Donc, c'est la communauté internationale. Il faut avant tout penser au sort de nos ressortissants."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 5 février 2003)
- "Moi, je l'ai trouvé surtout flou, flou et injuste. C'est ça qui m'a frappé. Flou, parce que, par exemple il dit " je vais maintenir la retraite à 60 ans", mais si on augmente la durée de cotisation, étant donné que les gens sortent de plus en plus tard de l'école, il n'y a pas de retraite à 60 ans. Flou, aussi - cela m'a frappé - lorsqu'il dit " je vais maintenir, je vais défendre le principe de la répartition ", même s'il a fait - je ne sais pas si vous l'avez vu - un énorme lapsus en confondant répartition et capitalisation. Mais il dit, " je vais défendre la répartition ", mais en même temps il ouvre des voix de capitalisation et si on développe la capitalisation, la répartition ne peut pas y trouver son compte. Je m'explique parce que je ne suis pas sûr que tout le monde soit au courant de la façon dont ça se passe : la répartition c'est le système actuel, c'est-à-dire que vous cotisez, je cotise, et puis ça paye les retraites des gens qui aujourd'hui sont en retraite. La capitalisation, c'est autre chose : on demande à chacun d'épargner et à la fin de sa vie, on touche ce qu'on a épargné. Cela paraît assez séduisant la capitalisation, ajouté à l'autre, mais quand on réfléchit, les gens qui ont de petits revenus ne peuvent pas épargner, et tout ce qui est pris pour la capitalisation vient en diminution de la répartition. Donc, là aussi, je l'ai trouvé flou. Et puis je l'ai aussi trouvé flou sur la question du montant des retraites parce que si les montants des retraites sont baissés ou ne sont pas corrects, on peut dire "vous allez prendre la retraite", mais les gens ne peuvent pas vivre. Donc, il y a à la fois du flou et de l'injustice. J'ai trouvé ça assez bien résumé par une formule d'un de vos confrères de Libération, ce matin, qui dit d'une façon drôle, " M. Raffarin nous avait dit qu'il allait prendre le taureau par les cornes, il ne l'a même pas attrapé par la queue ". C'est à peu près ce que je pense."
L'autre dossier des retraites sur lequel il insiste beaucoup, c'est ramener à peu près au même régime les salariés du privé et ceux du public. On sait que dans le privé, il faut cotiser 37,5 annuités contre 40, est-ce qu'aujourd'hui c'est raisonnable de penser qu'on peut arriver à un rééquilibrage ?
- "C'est normal qu'il y ait une équité entre le public et le privé, mais il faut mettre tout sur la table, et là je n'ai pas l'impression qu'on mette tout sur la table. Par exemple, vous savez que les fonctionnaires touchent leur retraite, non pas sur la totalité de leurs salaires mais sur les salaires moins ce qu'on appelle les primes, qui représentent 10, 20, 30% de leur salaire. Donc, si vous dites, "on va allonger la durée de cotisation", alors à ce moment-là, les fonctionnaires vont dire, "oui, mais il faut intégrer les primes". Et quand vous intégrez les primes, quand on regarde précisément le dossier, cela coûte aussi cher que ne rapporte le fait d'allonger les cotisations. Donc, vous voyez que c'est beaucoup plus compliqué que ce qu'on dit."
Si je vous comprends bien, ce que vous dites, c'est que le Premier ministre pourrait être tenté..
- "C'est qu'il faut mettre tout sur la table."
...Pourrait être tenté par exemple de faire une sorte de tour de passe-passe ?
- "De faire une opération sur le dos des fonctionnaires."
C'est-à-dire de dire, on intègre les primes dans votre calcul de retraite en échange de quoi vous cotisez plus longtemps ?
- "Oui, mais à ce moment-là, du point de vue financier, qui est le point de vue où il se place, cela ne rapporte rien. Donc, moi je pense que - il faut attendre encore - jusqu'à présent il a été un peu comme ça, il essaie de prendre le problème de biais et ça me frappe que ce soit à la fois injuste et flou."
Le risque, selon vous, aujourd'hui c'est quoi ? C'est qu'il n'y ait pas de réforme de la retraite ?
- "Le risque - on verra, il ne faut pas faire de procès d'intention -, c'est qu'il y ait à la fois une réforme qui ne résolve pas les questions de fond sur la durée et qui en même temps soit injuste."
Evoquons maintenant, si vous le voulez bien, l'Irak. La position de la France est assez ferme en la matière, c'est d'ailleurs un des sujets de tension entre les Français et les Britanniques qui se rencontrent aujourd'hui ; le Premier ministre britannique et le président de la République se rencontrent aujourd'hui au Touquet. Est-ce que vous pensez que la France peut maintenir effectivement cette ligne de fermeté au Conseil de sécurité des Nations unies, avec ce veto qu'elle pourrait évoquer ?
- "Ma position est très ferme. Je demande au président de la République d'opposer son veto à une intervention en Irak. Je pense qu'il y a une détermination extrêmement forte du Président Bush, mais à cette détermination doit répondre la détermination de la France. Et pourquoi je dis cela ? S. Hussein est un dictateur et personne ici ne va le défendre, mais les conditions en droit international ne sont pas réunies pour une intervention en Irak, parce que jusqu'à présent, je dis bien jusqu'à présent, on n'a pas établi qu'il y ait des capacités de destruction massive que l'Irak conserve. En plus, sur le plan de l'équilibre régional une intervention éventuelle ne résoudrait rien, ça alimenterait le terrorisme. La France ne peut pas accepter ça. Quand nous prenons cette position, on nous dit, " c'est la vieille Europe ". Mais je dis non, c'est la guerre qui est vieille ; la paix, elle, c'est la jeunesse, c'est la jeunesse du monde. Il faut donc être extrêmement déterminé et c'est la position que je demande jusqu'au bout au Gouvernement français."
C'est-à-dire que vous soutenez inconditionnellement la fermeté affichée par le Président Chirac ?
- "On jugera sur les actes finaux. Mais je pense que comme il s'agit de principes qui non seulement jouent dans cette grave affaire de l'Irak - il faut toujours se rappeler que la guerre c'est des morts, c'est des atrocités -, mais d'une façon plus générale, on ne peut pas accepter qu'un homme, le Président des Etats-Unis, veuille mettre le droit au service de sa force."
Evoquons maintenant la Côte d'Ivoire. On voit que les accords qui ont été signés à Marcoussis ont beaucoup de mal à s'appliquer sur le terrain, il y a des manifestations violentes, beaucoup de Français sont revenus. Qu'est-ce qu'il faut faire ? Il faut renégocier Marcoussis ?
- "Il faut parler de ça avec beaucoup de précaution."
Il faut envoyer davantage de forces françaises ?
- "Il faut parler de cela avec beaucoup de prudence parce que c'est une situation explosive et beaucoup de nos concitoyens sont là-bas. Il faut penser à leur sécurité. Mais je crois que jusqu'ici le constat oblige à reconnaître que c'est un très grave échec. Le Gouvernement français nous a dit qu'avec l'accord de Marcoussis, tout est réglé ; rien n'est réglé, on le voit bien ! Les rebelles prétendument doivent devenir ministre de la Défense, ministre de l'Intérieur, c'est quand même très compliqué ; le Président, lui, on ne sait pas ce qu'il va faire. Donc, il n'y a qu'une solution, c'est que là aussi la communauté internationale, l'organisation des Nations unies et les Etats africains interviennent pour une solution pacifique et qu'on protège nos ressortissants et qu'on ait une solution politique. Mais aujourd'hui, en tout cas, pour le Gouvernement français et le Président - j'espère que ça va évoluer dans le futur -, c'est un échec grave."
Vous voulez dire que la France n'est pas très bien placée aujourd'hui pour amener de l'apaisement en Côté d'Ivoire ?
- "Vous avez entendu comme moi les manifestants.."
En appeler au Président..
- "Américain."
Et donc c'est l'ONU qui doit intervenir aujourd'hui ?
- "Donc, c'est la communauté internationale. Il faut avant tout penser au sort de nos ressortissants."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 5 février 2003)