Déclaration de Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes, sur la vocation européenne de Strasbourg, les conséquences de l'élargissement de l'Union européenne et les positions de la France sur la réforme des institutions communautaires, Strasbourg le 28 septembre 2002.

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Circonstance : Université d'été du Parti radical à Strasbourg le 28 septembre 2002

Texte intégral

Monsieur le Président,
Cher Collègue,
Cher François Loos,
Messieurs les Ministres,
Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs,
Je vous remercie très chaleureusement de m'avoir invitée à participer aujourd'hui à votre Université d'été pour évoquer l'un des grands défis du début de ce siècle : l'avenir de l'Europe.
Quel meilleur lieu que Strasbourg pour évoquer un tel sujet ! Je me réjouis en effet du choix que vous avez fait de Strasbourg comme ville d'accueil de votre réunion. Cette ville est le symbole même du parlementarisme et du renouveau démocratique européens. Strasbourg, c'est aussi la ville des Droits de l'Homme à l'échelle de l'Europe. C'est donc un lieu emblématique.
Strasbourg : ville européenne, ville de la réconciliation des lendemains de la guerre, ville des bâtisseurs de l'Europe. Au moment où le siège du Parlement européen à Strasbourg subit le feu croisé de critiques, à mon avis, de fort mauvaise foi, il importe de rappeler la vocation européenne de la ville, et de souligner l'intérêt croissant de cette vocation à l'aube de l'élargissement de l'Union de 15 à vraisemblablement 25 Etats membres.
Siège du Parlement européen et des institutions du Conseil de l'Europe - dont la Cour européenne des Droits de l'Homme est un fleuron - Strasbourg est - nous le savons tous - le phare de l'Europe des démocraties retrouvées. Strasbourg a été choisie pour de bonnes raisons qui n'ont nullement perdu de leur actualité : située sur les bords du Rhin, elle est d'abord le berceau de la réconciliation franco-allemande. C'est encore et plus que jamais le centre de gravité du couple franco-allemand, de l'harmonie dont dépend l'avenir de l'Europe et singulièrement de l'Union européenne. Strasbourg plutôt que Bruxelles, Paris, La Haye ou Rome, c'était le bon choix. Strasbourg, au centre de l'Europe, sans être, en même temps, la capitale d'un de ses Etats membres, c'était la bonne idée. Car l'Europe, en effet, se nourrit de la diversité des cultures nationales et de la participation conjointe des Etats à la vitalité des institutions européennes. Elle ne souffrirait pas une concentration du pouvoir en un seul lieu.
Les Européens doivent garder cela à l'esprit : le centralisme mettrait en danger les principes fondateurs d'une Union fondée sur l'entente entre des peuples dont chacun entend conserver son identité.
La mise en cause de cette diversité sonnerait le glas de cette Union. Ne nous illusionnons pas : le déménagement du Parlement européen à Bruxelles aujourd'hui, signifierait, pour demain, l'instauration d'une langue unique pour l'Europe, et pour après-demain la domination sans partage d'une technocratie abstraite, car par trop confinée et éloignée du terrain. Une telle logique de "rationalisation" serait fatale à l'Europe.
C'est pourquoi nous ne devons pas céder. Il faut marquer plus que jamais notre présence à Strasbourg. Responsables politiques - que nous soyons ministres ou parlementaires - c'est à nous qu'il revient de trouver des solutions intelligentes pour renforcer l'attractivité de Strasbourg. Conserver la place éminente de Strasbourg comme ville européenne exige de l'imagination et des moyens. Je m'engage, dans la ligne tracée par le Premier ministre, à contribuer à dégager ces solutions, et c'est ainsi que j'ai entamé un dialogue avec mon collègue, secrétaire d'Etat aux Transports et à la Mer, Dominique Bussereau, au sujet de l'amélioration des dessertes de la ville, notamment depuis Bruxelles. Je me réjouis de pouvoir compter dans ma tâche sur l'appui des élus tant au plan national que local, ainsi que sur le soutien de notre Délégation française au Parlement européen. J'ai d'ailleurs chargé mon ami, Thierry Cornillet, parlementaire européen - que j'ai le plaisir de saluer ici même - d'une mission informelle d'information et d'alerte sur tout ce qui intéresse nos liens avec le Parlement européen de Strasbourg.
Mesdames et Messieurs,
L'Europe va bientôt franchir une nouvelle étape historique : l'élargissement fera de notre Union une famille de 25 membres (et demain encore davantage). Autant dire une famille nombreuse pour laquelle il nous faut impérativement de nouvelles structures et de nouvelles règles. L'enjeu principal est que le continent européen, désormais presque réunifié, se montre capable d'assumer ses responsabilités dans le monde, de par son influence et de par ses valeurs éthiques. En tant qu'hommes et femmes politiques, nous avons une responsabilité à la fois sociale et individuelle. Nous devons, dans l'ensemble des pays membres de la grande famille européenne, passer le message du volontarisme nécessaire pour construire une Europe dans laquelle nos descendants pourront vivre en paix, dans la prospérité et la démocratie.
L'Europe revêt plusieurs dimensions. Elle ne se construit pas seulement sur la base d'un volontarisme étatique, toujours fragile compte tenu du risque du retour des égoïsmes nationaux. La construction d'une Europe unie se fait aussi dans les communes, les départements et les régions. Elle commande, en outre, que nos élus européens, qui vivent l'Europe de l'intérieur, fassent montre d'un dynamisme sans faille au sein de ces institutions, et en particulier du Parlement, par leur présence, et par la multiplicité et la qualité de leurs interventions. Nos élus européens ont une mission pédagogique particulière qu'ils doivent accomplir inlassablement.
Car il n'est plus question de faire l'Europe sans le citoyen. Citoyen de son Etat, chacun d'entre nous est également citoyen européen (comme l'indique expressément maintenant le Traité sur l'Union), ce qui veut dire qu'il adhère en tant que tel à des valeurs de tolérance et de respect de la dignité de l'autre. La citoyenneté européenne est le véritable sens de la construction européenne. Mais comment donner corps à cette citoyenneté ? Comment recréer chez nos concitoyens un nouvel enthousiasme pour la cause européenne tel qu'il a existé après la dernière guerre mondiale ? Comment éviter que l'Europe soit avant tout l'affaire des dirigeants politiques ou économiques ? Comment faire comprendre à l'opinion publique française que les échéances européennes des mois à venir la touchent autant qu'elles concernent les citoyens des pays de l'Europe de l'Est qui vont bientôt rejoindre l'Union ? Les Français ont trop l'impression que l'élargissement se joue loin de la France. Si l'on en juge à travers les sondages - notamment l'Eurobaromètre de mai 2002 - les Français sont les moins sensibilisés en Europe à l'élargissement et ils seraient même les plus réticents face à cette perspective. De la même façon, la Constitution européenne en cours d'élaboration par la Convention attire peu les Français. Elle ne fait débat que dans les milieux bien informés, politiques ou académiques. Cette situation n'est pas sans risque pour la France. Je le souligne fortement ici car je vous sais sensibles à cette préoccupation. Comment retrouver l'ardeur qui anime les Français aux grands moments de leur histoire ?
Permettez-moi d'évoquer à ce propos un événement qui a eu lieu dans une petite ville du Palatinat - Hambach - à quelques pas d'ici, le long du Rhin. La scène se passait en 1832. Sur le site du château de Hambach, des dizaines de milliers d'étudiants - Français, Allemands et Polonais - se sont réunis pour dire leur foi dans une Europe démocratique. Imprégnés des idéaux de la Révolution française, ils ont émis le vu que des nations libres et démocratiques s'unissent au sein d'une Europe de liberté, d'égalité et de fraternité. Et voici que près de deux siècles plus tard, nous sommes enfin à même de réaliser le rêve de cette jeunesse venue clamer sa confiance dans l'avenir de notre continent ! Les Français sont-ils bien conscients de l'importance des événements que nous vivons avec l'élargissement et l'élaboration d'une Constitution pour l'Europe ? Je n'en suis pas sûre et c'est pourquoi c'est à nous de le leur faire savoir.
L'élargissement - on ne le répétera jamais assez - va bien au-delà d'une simple extension de l'espace géographique européen. Il répond d'abord à une obligation morale vis-à-vis des pays de l'Europe de l'Est. Mais l'élargissement ne marche pas à sens unique. Car ces pays nous donnent aussi beaucoup. Ils nous donnent l'occasion d'un nouveau souffle, enrichi de leurs cultures et de leurs traditions. Ils nous apportent par ailleurs un potentiel économique, scientifique et intellectuel considérable dont l'Union européenne, et à travers elle, tous les citoyens français vont profiter toutes ces années à venir. Déjà, il est remarquable de constater combien ces pays se sont profondément transformés au cours des dernières années dans la perspective de leur adhésion à l'Union.
Tout cela, il faut le dire haut et fort et c'est ce que je compte faire lors de la campagne de communication que je dois animer et qui s'appuiera sur des manifestations décentralisées organisées en association étroite avec les élus locaux. Cette campagne ambitieuse d'information sur l'élargissement sera lancée par le Premier ministre dans les prochaines semaines, et vous êtes, bien entendu, invités à la relayer et à y participer activement. C'est également le message du ministre des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, qui insiste, lui aussi, sur l'importance capitale du tournant à prendre par les Européens.
Beaucoup d'idées fausses ou d'approximations ont aujourd'hui cours en France concernant l'élargissement. Non, l'élargissement n'est pas une menace pour notre économie ! Non, l'élargissement ne mettra pas en danger nos structures sociales ! Il n'y aura au demeurant pas de choc, et encore moins de rupture, lors de l'adhésion des nouveaux Etats membres en 2004. D'une part, en effet, l'intégration économique est déjà très avancée, grâce au processus de pré-adhésion. En particulier, il n'existe plus aucune barrière commerciale vis-à-vis de ces pays avec lesquels nous sommes liés par des accords de libre-échange. D'autre part, les nouveaux Etats membres de l'Union devront encore patienter plusieurs années avant de pouvoir prétendre entrer dans la zone euro, voire de pouvoir supprimer les contrôles à leurs frontières dans le cadre de l'Espace Schengen.
Autre aspect important de l'élargissement : il est l'occasion d'un renforcement des contrôles (on dit en jargon communautaire du "monitorage") du respect des règles de sécurité définies dans divers domaines. La France a beaucoup insisté, avec succès d'ailleurs, au cours des négociations sur l'élargissement, sur la nécessité d'un strict contrôle du respect des engagements souscrits par les pays candidats, notamment dans les domaines de la sécurité sanitaire, de la lutte contre l'immigration clandestine et de la criminalité transfrontalière. Ce contrôle ne disparaîtra pas au moment de l'adhésion. Au contraire, les nouveaux membres participeront pleinement aux mécanismes européens de régulation, qui sont aujourd'hui les plus rigoureux du monde, notamment dans le domaine de la sécurité alimentaire.
La crainte d'un coût excessif de l'élargissement est tout aussi infondée. Contrairement à la réunification allemande, qui s'est traduite par un effondrement de l'activité économique de l'ancienne RDA (dont la reconstruction coûte encore aujourd'hui quelques 75 milliards d'euros par an à l'Allemagne, et ce depuis dix ans), l'intégration économique des anciens pays de l'Est - qui est déjà une réalité - a été beaucoup plus progressive et mieux préparée, notamment grâce aux programmes de pré-adhésion. La restructuration de l'appareil productif des pays candidats s'effectue à un rythme soutenu. Et ces pays sont désormais engagés durablement sur un sentier de forte croissance, correspondant à une logique de rattrapage similaire à celle qu'ont connue voici quelques années l'Espagne, le Portugal ou l'Irlande. Le Fonds monétaire internationale vient d'ailleurs de souligner la "résistance surprenante" au ralentissement de l'économie mondiale des pays candidats, dont le taux de croissance moyen en 2002 devrait être de 3% et de 4,1% en 2003. L'élargissement coûterait, selon les évaluations de la Commission, 15 milliards d'euros par an entre 2004 et 2006, dont 2,5 milliards d'euros pour la quote-part française, soit environ 15% du budget de l'Union européenne et 0,15% du Produit intérieur brut des Quinze. L'élargissement n'est ainsi pas seulement un investissement pour la paix. C'est aussi un investissement qui peut - si vous me permettez l'expression - "rapporter gros" au profit du dynamisme économique à moyen et long terme de l'Europe.
J'ai été favorablement impressionnée, lors de mes visites dans les pays candidats, par le climat qui y règne : d'une part, le désir d'Europe et la connaissance des institutions et des politiques communautaires y sont dans la population de ces pays beaucoup plus grands qu'en France. L'élargissement donne lieu, au surplus, à d'intenses débats dont les médias se font quotidiennement l'écho ; d'autre part, les dirigeants politiques, souvent jeunes car issus d'une transition démocratique ayant permis un renouvellement des élites, sont remarquables et leur enthousiasme pour la construction européenne est un encouragement pour l'avenir. Je ne serais ainsi pas surprise que ce soit des nouveaux membres de l'Union que vienne ce nouvel élan de la construction européenne dont nous avons tant besoin.
Ne soyons pas inquiets : l'élargissement ne va pas paralyser le fonctionnement des institutions européennes. Il ne va pas diluer l'ambition d'une Europe politique dans une vaste zone de libre-échange. Les problèmes de fonctionnement de l'Union européenne se posent indépendamment de l'élargissement. C'est d'ailleurs la finalité de la Convention sur l'avenir de l'Europe que de rechercher les voies et moyens de surmonter les difficultés d'une Europe trop éloignée du citoyen et bien souvent insuffisamment efficace.
Etant personnellement impliquée dans la préparation des positions de la France à la Convention, je considère notre contribution aux travaux de cette instance comme absolument prioritaire. Du reste, notre participation à ces travaux commence à être très active. Ainsi déjà, après concertation avec ses partenaires allemands, la France a-t-elle demandé l'intégration de la Charte des droits fondamentaux dans la future Constitution européenne. Dans la ligne des déclarations du président de la République, nous nous sommes prononcés par ailleurs en faveur de la désignation par le Conseil européen, pour une durée suffisamment longue, d'un président de l'Union qui personnifierait l'Europe. Le président a également proposé la mise en place d'un véritable ministre des Affaires étrangères de l'Union de manière à faciliter l'expression de la voix de l'Europe sur la scène internationale. Nous avons également rappelé notre attachement au fameux "triangle institutionnel" formé du Conseil, de la Commission - d'une Commission renforcée - et du Parlement européen. Si l'efficacité des rapports entre les divers éléments de ce triangle mérite certes d'être amélioré, le triangle lui-même répond à un souci d'équilibre qu'il faut préserver.
Expliquer, expliquer, expliquer que l'Europe est notre chance à tous. Expliquer que l'Europe, c'est nous-mêmes. Tel est notre devoir à nous, responsables politiques.
(...)
Notre tâche est à présent, sur le socle de ces valeurs, de consolider l'édifice tout en conservant à notre pays son "leadership" dans la construction européenne. Une entreprise qui est devenue partie intégrante de notre identité
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 octobre 2002)