Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire général,
Chers Amis de la France,
Je suis très heureux de vous rencontrer aujourd'hui : c'est la première fois, depuis que j'exerce ma mission, que j'ai l'honneur de saluer votre association.
L'Alliance française n'est pas, pour le ministère des Affaires étrangères, un partenaire comme les autres. Ce vaste mouvement associatif qui vous rassemble a été le premier artisan de l'action culturelle extérieure de la France. Le 28 juillet 1883, réunis à Paris, vos fondateurs ont décidé de constituer une "Association nationale pour la propagation de la langue française dans les colonies et à l'étranger". Il y avait alors une grande ambition patriotique. Quelques années après la défaite de 1871, il s'agissait de restaurer le rang de la France dans le concert des Nations, d'affirmer la conviction que ce rang pouvait être rétabli par la langue française davantage que par les armes.
Depuis lors, nous avançons dans la même direction, avec la même exigence, et nous n'avons cessé de nous rencontrer, de nous inspirer, de nous épauler. A la suite de Paul Cambon, qui fut Ambassadeur à Londres, Madrid et Constantinople, et qui présida votre séance inaugurale, nombreux sont les diplomates qui vous ont apporté leurs concours. Notre rêve partagé, mais aussi la densité et la multiplicité de nos échanges sur toute l'étendue de la planète, donnent à notre relation une qualité et une ardeur exceptionnelles.
Vous êtes les héritiers d'une longue histoire, vous les femmes et les hommes qui, sur les quatre continents, dans toutes les régions du monde, des plus riches aux plus pauvres, des plus proches aux plus lointaines, donnez votre énergie, votre coeur pour porter une certaine image de notre langue et de notre pays. Nous partageons cette ambition d'être les témoins et les passeurs des cultures. Ensemble, nous défendons la diversité des regards et des langues. Permettez-moi simplement de dessiner avec vous les contours de cette ambition qui nous est commune.
Au coeur de votre longue action, il y a un secret, une originalité profonde : votre mouvement est le gage d'une double et très féconde liberté. Mouvement associatif, vous n'êtes pas l'émanation de la puissance publique, mais de la volonté de vos membres. Mouvement international, vous réunissez des comités étrangers qui oeuvrent en commun, sans que s'établisse un rapport hiérarchique entre le centre et la périphérie. Avant tout, l'Alliance incarne une communauté de valeurs.
C'est cette liberté qui caractérise depuis l'origine l'Alliance française, et qui garantit son efficacité. C'est parce que chacun de vos comités, régi par le droit local et inséré dans la vie quotidienne du pays qui vous accueille, demeure à chaque instant à l'écoute du terrain, que vous êtes à même d'uvrer si utilement au profit d'une ambition partagée.
Fort de son indépendance, votre mouvement refuse toute rigidité et hiérarchie inutiles. Il repose sur la volonté. La volonté d'étrangers amoureux de notre langue et de chacun de vous, Français qui à travers le monde relevez le défi, et portez cette haute figure de la culture que vous incarnez.
Chacun de vos comités dispose de la même autorité et de la même légitimité, dès lors que vous adhérez au pacte fondamental qui vous unit. L'Alliance française de Paris, qui nous accueille aujourd'hui, exerce d'abord une autorité morale, garante des objectifs du mouvement. C'est dans l'exercice de cette magistrature qu'elle trouve pleinement sa justification.
Ce dispositif est exemplaire par son inspiration comme par sa modernité. Il semble avoir été pensé pour répondre par avance aux questions que soulève aujourd'hui la mondialisation de la culture. Avec un siècle d'anticipation, vos fondateurs ont pressenti que la diffusion planétaire d'une langue et d'une culture pouvait se concilier avec le respect des identités locales. S'allier à la France, partout, tout en restant pleinement soi-même, c'est là votre mission, et c'est l'une des plus nobles et des plus généreuses.
Votre mouvement, enfin, sait marier l'ancien et le nouveau. Il sait maintenir les traditions fécondes, préserver l'esprit des lieux qui inspire de nombreux bâtiments témoignant d'une présence séculaire de la culture française. Il sait aussi renouveler ses méthodes, s'ouvrir à de nouveaux publics, tirer partie de l'évolution technologique. Au cours des dix dernières années, de nombreuses bibliothèques se sont transformées, avec l'aide du Ministère, en centres de ressources sur la France contemporaine. Elles se sont munies des équipements les plus modernes, et disposent des personnels les mieux formés. En 1998, l'Alliance française de Laguna Torreon, au Mexique, s'est doté du premier cyber-café de votre réseau. Aujourd'hui ils sont des dizaines, et déjà l'Alliance française de Lima se lance dans la diffusion de cours de français par Internet.
Votre mouvement exerce, jour après jour, des missions essentielles. Et d'abord la promotion de la langue française partout dans le monde. Je sais bien qu'il est parfois de bon ton en France de s'affliger d'un déclin du français ; de traiter sa défense et son illustration comme une glorieuse illusion ; ou de consentir, au nom d'un supposé réalisme, à la diffusion planétaire d'une langue du commerce et des échanges qui imposerait sa suprématie à toutes les autres. Le dynamisme dont vous faites preuve ne serait-il donc que le reflet vague d'une splendeur passée, le dernier engagement d'une bataille perdue ?
Cette conception m'est profondément étrangère : la promotion de la langue française constitue, bien au contraire, une ambition d'une brûlante actualité.
D'abord parce que jamais, au cours de l'histoire, les francophones n'ont été aussi nombreux qu'aujourd'hui. Ils étaient environ dix-neuf millions lorsque Rivarol écrivit son " Discours sur l'universalité de la langue française ", une quarantaine de millions peut-être lorsque fut fondée votre association. Ils sont aujourd'hui cent quatre-vingts millions, répartis sur les cinq continents.
Comment ne pas sentir la vigueur nouvelle que le français a trouvée en s'affranchissant ainsi de ses frontières nationales ? Voilà une véritable révolution : aujourd'hui pour la première fois, ceux qui parlent le français hors de France sont plus nombreux que les Français de France.
De ce point de vue encore, votre association s'est distinguée par sa prescience des grandes évolutions à venir. Nous mesurons aujourd'hui ce que notre langue doit aux écrivains francophones "hors de France". Aux grandes figures : Senghor, Césaire, Hampâté Bâ... A l'Algérien Kateb Yacine, dont l'oeuvre vient d'entrer au répertoire de la Comédie française. Aux Antillais comme Edouard Glissant, apôtre de la diversité des cultures et de la créolisation, ou comme Patrick Chamoizeau, dont le roman "Texaco" constitue le plus grand succès de librairie rencontré depuis dix ans par un écrivain de langue française aux Etats-Unis. Au Roumain Cioran qui décrivait la langue qui s'était imposée à lui comme "un exercice d'ascèse " ou comme " un mélange de camisole de force et de salons". A tant et tant d'autres, venus d'Afrique, des Antilles ou du Levant, et qui ont accédé au panthéon des lettres françaises. Dès 1910, l'Alliance française de Paris avait organisé une fête solennelle en l'honneur des poètes francophones. C'est dire si votre mouvement sait se situer à l'avant-garde et sentir, à travers la langue, battre le pouls du monde.
Au-delà des frontières de notre famille, l'attrait qu'exerce notre langue n'a pas davantage disparu, bien au contraire : plus de quatre-vingts millions d'élèves et d'étudiants apprennent aujourd'hui le français. La carte de cette francophonie évolue sans cesse, et il faut chaque jour s'adapter, se mobiliser, pour faire partout où c'est nécessaire les efforts qui s'imposent. Car notre langue aujourd'hui, dans un monde d'inquiétude et d'incertitude, doit plus que jamais être la langue du respect et de l'ouverture à l'autre.
Je vois dans de nombreuses régions du monde de nouveaux territoires pour l'enseignement de notre langue, que ce soit en Russie, en Chine, dans le sous-continent indien, en Afrique, dans le golfe persique, en Océanie, ou encore dans certains pays d'Amérique Latine. Dans chacune de ces régions, le français n'est en concurrence avec personne : son apprentissage représente, pour les étudiants qui le choisissent, une nouvelle porte d'accès au monde. Il leur ouvre des opportunités de formation, et constitue un formidable atout dans un environnement où la maîtrise de plusieurs langues internationales est de plus en plus nécessaire.
Pour répondre à cette demande, il est indispensable de disposer, sur le terrain, d'acteurs vigilants et passionnés. Les Alliances françaises prennent part à cette grande aventure, comme en témoigne la croissance remarquable de leurs réseaux, dans des délais très brefs, dans des pays comme la Russie et la Chine, qui n'appartiennent pourtant pas à la carte historique de leurs implantations. Presque partout, vos publics évoluent et se diversifient, du médecin mexicain à l'étudiante sud-africaine, en passant par l'ingénieur chinois. Pour répondre à ces nouvelles demandes, de nouveaux comités se créent, de nouveaux bâtiments se construisent : à Salvador de Bahia, Manille, Port-Louis, Dublin, Reykjavik, Sao Tomé, pour m'en tenir à quelques opérations récentes. Le Premier Ministre s'apprête ainsi à poser la première pierre de l'Alliance française de New Delhi, à l'occasion de la visite officielle qu'il effectuera en Inde dans quelques jours.
Il y a donc là pour votre mouvement une nouvelle frontière. Sans négliger nos zones de force traditionnelles, il faut s'ouvrir, dans une période d'expansion et d'activité, à ce qui doit être un nouvel âge d'or de la langue.
Au-delà de cette mission fondamentale qu'est l'enseignement du français, vous participez brillamment à la diffusion de la culture française et aux échanges avec les artistes étrangers. Aujourd'hui, c'est le meilleur de la création française qui bénéficie d'une vitrine internationale grâce à vous : en témoignent, par exemple, la participation du French Institute Alliance française de New York au festival de danse contemporaine "France Moves", l'organisation du "French May" par l'Alliance française de Hong Kong, ou encore la diffusion d'auteurs de théâtre contemporains français à travers toute l'Amérique Latine dans le cadre du programme "Tintas Frescas".
Votre rôle est irremplaçable. Les défis à relever sont immenses. C'est pourquoi le ministère des Affaires étrangères apporte à certaines Alliances - environ 280 d'entre elles aujourd'hui - des moyens propres à assurer leur dynamisme. Il choisit, en concertation avec l'Alliance française de Paris, et rémunère les personnels détachés qui servent dans ces établissements : cette mesure concerne cette année 255 agents expatriés et 84 volontaires internationaux. Il apporte des subventions de fonctionnement, qui viennent s'ajouter aux ressources propres des Alliances, et dans certains cas, des subventions d'investissement permettant la réalisation de leurs projets immobiliers. L'ensemble de ces moyens s'élevait à environ 45 millions d'euros l'an passé.
C'est un montant considérable à l'échelle des moyens sur lesquels s'appuie l'action culturelle de la France à l'étranger. Il ne s'agit pas pour moi de mettre en exergue la générosité dont ferait preuve le gouvernement français. En appuyant l'action des Alliances, la France s'aide elle-même en finançant des actions indispensables au rayonnement de sa langue et de sa culture. Bien souvent, l'argent investi bénéficie d'un effet multiplicateur puisqu'il s'ajoute aux ressources tirées de l'activité des alliances et de la générosité des francophiles qui les animent. En revanche, je veux souligner que les Alliances qui disposent de ce soutien se trouvent de facto placées, avec leurs caractéristiques propres, au sein d'un dispositif plus vaste, oeuvrant au profit d'une ambition commune.
Il s'agit là d'un point central : l'unité du réseau culturel français à l'étranger. Associés de manière souple, les 151 centres et instituts culturels dépendant du ministère des Affaires étrangères et les 280 Alliances ayant passé une convention avec celui-ci partagent les mêmes missions : l'enseignement du français, la diffusion de notre culture, la mise à disposition d'informations sur la France contemporaine au profit du public local.
C'est pourquoi il est urgent de mettre au point une gestion et une stratégie commune aux diverses catégories d'établissements, qu'il s'agisse de la sélection et de la formation des personnels, de la carte des implantations, des investissements immobiliers, de l'organisation des tournées artistiques, du choix des méthodes pédagogiques ou de l'évaluation des résultats. Dans ce même esprit, lorsque plusieurs catégories d'établissements coexistent dans un même pays, c'est à l'ambassadeur qu'il revient de s'assurer que la répartition des rôles et des ressources est optimale.
Ce principe d'unité vise avant tout à la cohérence et à l'efficacité de l'action. Pour cela, il doit respecter deux impératifs essentiels.
Le premier, c'est le respect des particularités et des identités de chacun. A l'occasion de mes déplacements à l'étranger, j'ai pu mesurer à quel point chaque Alliance, chaque centre ou institut culturel, était attaché à son identité propre, héritée de l'histoire et du contexte local. Il faut préserver ces spécificités fondamentales. Il ne s'agit donc pas de dicter aux Alliances leurs actions ou leur programmes, mais de s'assurer de leur insertion harmonieuse dans un dispositif plus vaste. La convention passée avec l'ambassade est l'instrument, souple et adapté, de cette collaboration.
Le second impératif, c'est l'équité dans le traitement réservé aux différents établissements. Les Alliances françaises ne seront pas les parents pauvres du réseau culturel. Dans toute la mesure du possible, elles doivent avoir accès aux mêmes ressources que les centres et instituts culturels, et en particulier aux "fonds de soutien" que le ministère des Affaires étrangères affecte à la réalisation de projets prioritaires : création et modernisation des centres de ressources, organisation de débats d'idées, projets pédagogiques innovants, manifestations franco-allemandes organisées dans les pays tiers conjointement avec les Goethe Institute. Enfin, la même exigence d'équité s'applique aux personnels détachés dans les Alliances françaises, qui doivent bénéficier de conditions d'emploi équivalentes à celles des centres et instituts culturels. J'ai mesuré l'émotion qu'a pu susciter la décision du ministère des Finances d'inscrire les emplois budgétaires correspondants sur les crédits de titre IV : je tiens donc à rassurer les intéressés en leur indiquant que toutes les dispositions ont été prises afin que cette mesure n'entraîne aucune modification d'ordre salarial ni statutaire.
L'unité du réseau ne constitue pas une fin en soi. Elle doit nous permettre de faire évoluer notre dispositif culturel à l'étranger, en harmonie avec les profondes transformations que connaît le monde et l'apparition de nouveaux modes de distribution des oeuvres culturelles à l'échelon international. Il faut en particulier élargir le champ d'action de nos centres et de nos instituts à des missions de coopération, faire évoluer les services de coopération et d'action culturelle vers plus d'autonomie, plus de réactivité, plus d'efficacité sur le terrain. Il faut enfin valoriser davantage les métiers de l'action culturelle extérieure. Ce sont là de grands défis pour le ministère des Affaires étrangères. A nous de les relever ensemble.
Je tiens à vous dire aujourd'hui que les Alliances françaises ne seront pas négligées dans le cadre de cette démarche. Leur remarquable contribution à l'effort de promotion de la langue et de la culture française à l'étranger sera justement prise en compte. Et leur indépendance - gage de leur succès - sera bien entendu préservée. Vous souhaitez pouvoir exploiter pleinement les possibilités offertes par le caractère associatif de votre mouvement. C'est un choix que nous respectons profondément : l'Alliance ne doit perdre ni sa singularité, ni son âme.
Je veux vous dire enfin à quel point nous sommes attachés, je suis attaché, à votre maison, à travers chacun d'entre vous, femmes et hommes qui, chaque jour, lui donnez vie. Parce que j'ai pu le vérifier moi-même, sous toutes les latitudes, vous représentez une somme d'expériences, de sensibilité, de générosité. Vous êtes aux quatre coins du monde, et parfois dans les endroits les plus difficiles et les plus reculés. Vous êtes le visage de la France. D'une France audacieuse, d'une France courageuse et active. Vous êtes porteurs d'une langue, d'une culture. Vous incarnez un esprit de partage, d'ouverture, de respect de l'autre, qui représente le meilleur de l'esprit français. Combien de fois, ici ou là, j'ai pu apprécier votre disponibilité pour aider l'un de nos compatriotes en difficulté ! Au bout de l'Amérique latine, à Goa ou en Afrique, vous appartenez à la grande famille des ambassadrices et des ambassadeurs du coeur de la France. Pour tous ceux-là, je veux vous dire aujourd'hui : merci.
Et c'est à un partenariat renouvelé au sein d'un seul et même réseau que j'appelle l'Alliance française, et que je vous invite à réaffirmer ainsi l'ambition de vos fondateurs. C'est en sachant rester fidèle à l'histoire que les hommes parviennent à réinventer en permanence leurs projets et à frayer leur chemin dans le monde. L'Alliance a devant elle un formidable avenir, à la hauteur des défis à relever. Et je vous donne ici l'assurance que vous trouverez au ministère des Affaires étrangères un soutien toujours renouvelé, à la mesure de notre ambition commune. A la mesure de notre rêve partagé.
Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 janvier 2003)