Texte intégral
1- Nous sommes en faveur d'un nouveau cycle de négociations commerciales multilatérales pour au moins trois raisons essentielles :
1-1- Parce que l'ouverture du commerce international est porteuse d'opportunités de croissance :
Depuis le premier grand cycle de négociations à la fin des années 50 - le Dillon round - jusqu'au cycle de l'Uruguay round, tous les cycles de négociation se sont traduits par une intensification des échanges, qui a permis d'alimenter la croissance mondiale.
Pour l'Uruguay round, sur les cinq dernières années, la richesse mondiale a augmenté de 3 % par an, en grande partie grâce une croissance du commerce international qui a atteint presque 8 % par an.
La France, 4ème puissance commerciale mondiale et 3ème exportateur mondial de services, a évidemment un parti important à tirer de ce vaste mouvement d'ouverture des échanges. Dans notre pays, un emploi sur quatre est directement ou indirectement lié à l'activité exportatrice du pays.
1-2- Parce qu'il faut organiser la mondialisation en l'encadrant par des règles qui soient reconnues internationalement:
Nous sommes passés en dix ans de l'internationalisation à la mondialisation, c'est-à-dire une imbrication si poussée de nos économies que l'ensemble des comportements de nos concitoyens, comme consommateurs, comme salariés, comme épargnants ou comme investisseurs, sont tributaires en partie d'évolutions qui se situent en-dehors du territoire national, et bien souvent en dehors même du territoire européen. C'est une réalité. Nous ne devons pas la nier. Nous devons, au contraire, l'appréhender dans toutes ses dimensions pour exiger que les discussions sur le commerce international s'accompagnent d'une volonté de bâtir de nouvelles régulations qui mettent de l'ordre dans l'économie mondiale.
1-3- Parce qu'il faut offrir des perspectives nouvelles aux pays en développement :
Le commerce international a soutenu la croissance mondiale depuis 50 ans, et tout particulièrement depuis 10 ans. Mais il a aussi contribué à accroître les inégalités de richesses entre le Nord et le Sud.
C'est malheureusement un des traits caractéristiques de ce phénomène de mondialisation. La richesse tend à s'ordonner autour de quelques lieux, de quelques centres de production qui accumulent les facteurs clés de succès: haut niveau d'éducation, effort de formation important, avance scientifique et technologique...
En sens inverse, de vastes ensembles démographiques, majoritairement situés au Sud, se trouvent de plus en plus à l'écart des circuits de l'échange marchand contemporain.
Notre responsabilité - et aussi notre intérêt - est de les y réintégrer. Le nouveau cycle doit être l'occasion d'une meilleure prise en compte des attentes des pays en développement (PED) - et singulièrement des pays les moins avancés (PMA) - vis-à-vis de l'OMC. Le développement inégal doit céder la place au co-développement.
2- Cette vision claire du cahier des charges du prochain cycle nous a conduit à la formaliser à travers des conclusions du Conseil de l'Union européenne.
C'est chose faite dans le cadre du Conseil "Affaires générales", depuis le 11 octobre dernier pour la plus grande partie du texte, et depuis vendredi dernier pour les dernières questions en discussion. L'Union doit aborder le prochain cycle de manière unie et déterminée. L'Union doit être capable de peser comme puissance politique dans ces négociations.
2-1- Nous voulons un cycle large :
L'accord de Marrakech de 1994 prévoit la réouverture de discussions sur l'agriculture et les services le 1er janvier 2000. Nous respecterons donc cette échéance.
Mais, en même temps, lors de la dernière conférence ministérielle de Singapour, de nombreux pays ont souhaité l'inscription de nouveaux sujets à l'agenda du prochain cycle. L'Union européenne souhaite que ces nouveaux sujets dits "de Singapour" soient maintenant traités.
- Les règles relatives aux investissements internationaux :
Nous avons refusé de discuter en 1998 de l'accord multilatéral sur l'investissement - cet AMI qui n'était pas tout à fait notre ami. Et nous avons dit alors que l'harmonisation des règles relatives aux investissements internationaux était une nécessité, mais qu'elle devait avoir lieu dans le cadre plus large de l'OMC, qui compte 134 pays membres, et non pas dans le cadre restreint de l'OCDE, qui regroupe les pays les plus riches de la planète.
Le moment est donc venu pour la France et l'Union européenne d'expliquer très concrètement aux PED qu'ils peuvent trouver dans l'élaboration de règles communes un élément favorable à leur développement. Pour attirer chez eux des investissements directs extérieurs, voie privilégiée d'accès à la technologie et aux marché internationaux, ces pays ont besoin d'un cadre sûr, prévisible, internationalement reconnu, qui offre une sécurité minimale à l'investisseur étranger, qu'il vienne de l'OCDE ou des pays émergents eux-mêmes.
- Les règles de concurrence :
Les pratiques anticoncurrentielles constituent une atteinte manifeste aux droits des consommateurs, qui acquittent parfois un prix trop élevé faute d'une offre diversifiée. Elles doivent être combattues, et elles le sont au plan national et au niveau européen.
Mais les grands groupes internationaux ont aujourd'hui un champ d'action mondial. Il faut donc envisager un niveau de régulation de la concurrence au niveau mondial pour assurer le caractère équitable du jeu concurrentiel.
Qu'on ne se méprenne pas ! Il ne s'agit évidemment pas de transformer l'OMC en une sorte d'autorité mondiale de la concurrence. Elle n'en a ni les moyens ni la vocation. Mais nous souhaitons, dans un premier temps, que le prochain cycle de négociations fournisse l'occasion de fixer un corps de principes et de procédures visant à promouvoir la mise en oeuvre de politiques internes de concurrence et de les rendre compatibles entre elles.
- Les normes sociales fondamentales :
L'Union européenne ne redoute pas spécialement une plus grande perméabilité aux échanges avec des pays où les salaires et les droits sociaux des travailleurs sont nettement moins importants qu'en Europe. L'Union européenne a les moyens de préserver son modèle social car le coût du travail n'est qu'un élément parmi beaucoup d'autres de la compétitivité globale d'un pays ou d'un espace économique intégré comme l'Europe.
Il demeure que nous ne pouvons pas accepter, pour des raisons autant morales qu'économiques, de voir des pays exporter librement des produits fabriqués par des enfants ou des populations carcérales. C'est la raison qui nous conduit à demander la création d'un forum permanent de travail conjoint OIT/OMC qui devra permettre de dégager les voies d'une meilleure prise en compte par l'OMC des normes sociales fondamentales élaborées dans le cadre de l'OIT.
- Les normes environnementales :
Nous devons faire en sorte que les règles de l'OMC tiennent mieux compte des accords multilatéraux sur l'environnement, qui existent déjà ou qui sont en cours de préparation (biodiversité, changement climatique). Là aussi, l'échange international doit être resitué dans la perspective plus vaste du développement durable qui est la nôtre. L'échange international doit être régulé pour éviter qu'il ne vienne ajouter à la dégradation des biens publics que sont l'eau, l'air ou la couche d'ozone.
2-2- Un cycle global :
C'est le principe, fondamental pour nous, de l'engagement unique. Rien ne pourra être décidé tant qu'il n'y aura pas d'accord sur l'ensemble des sujets en discussion. Nous sommes donc totalement opposés à l'idée de "récoltes précoces" qui pourraient venir constater en cours de cycle des accords partiels sur certains sujets, quand bien même leur validation définitive serait renvoyée à une sorte de synthèse générale en fin de cycle. Il s'agit clairement de deux démarches différentes, voire opposées. Et nous nous en tiendrons au principe de l'engagement unique et de la globalité des discussions.
3- Les attentes de la société française à l'égard du cycle sont légitimes: l'exigence de qualité pour l'alimentation, la défense de notre identité culturelle, la préférence pour le non-marchand dans certaines activités comme la santé ou l'éducation, ne sont pas négociables de notre point de vue.
Sur tous ces sujets, nous ferons application d'un principe particulièrement cher à certains de nos partenaires de l'OMC : "le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes". Par conséquent, nous n'accepterons pas que les discussions sur le commerce international puissent avoir une incidence sur les fondements même de notre vie collective.
3-1- Après un long débat au sein des Quinze, qui s'est prolongé jusqu'à vendredi dernier, nous avons obtenu que l'Union européenne se rende à Seattle avec un mandat précis :
"L'Union veillera à garantir, comme dans le cycle de l'Uruguay, la possibilité pour la Communauté et les Etats membres de préserver et de développer leur capacité à définir et mettre en oeuvre leurs politiques culturelles et audiovisuelles".
Notre objectif, dans ce domaine, est bien évidemment de maintenir l'acquis de Marrakech, en restant très vigilants sur les possibilités de remise en cause indirecte, notamment dans le cadre de discussions connexes sur les nouvelles technologies de l'information et de la communication ou sur le commerce électronique.
3-2- Quant à l'agriculture, nous nous appuierons sur le très bon texte des Ministres de l'agriculture, auquel les conclusions du Conseil font référence intégralement :
Les grands axes qui structurent le mandat de négociation de l'Union européenne ont été rappelés jeudi dernier par le Premier ministre à l'occasion de la table-ronde réunissant les organisations professionnelles :
- la défense d'un modèle européen fondé sur une agriculture multifonctionnelle ;
- la prise en compte dans le nouveau cycle des questions non commerciales (sécurité et qualité des aliments) ;
- la référence aux accords de Berlin et le renforcement de la politique agricole commune comme socle permanent de la position européenne.
Pour conclure sur cet ensemble de préoccupations absolument fondamentales qui sont les nôtres pour ce prochain cycle, je dirais simplement que nous sommes attachés profondément à notre mode de vie, au moins autant que les Américains le sont à "l'american way of life", qu'ils n'envisagent d'ailleurs pas un instant de remettre en cause. Nous n'envisageons pas non plus de négocier notre modèle européen de société./.
Monsieur le Président,
Mesdames, messieurs les députés,
Le débat de ce matin sur l'OMC a été de haute tenue politique et je ne m'étonne pas, compte tenu du sujet, qu'il ait été à la fois passionnant et passionné. En effet, nous traitons ici de questions anciennes, qu'il s'agisse d'économie politique - sommes-nous pour le libre-échange ou pour le protectionnisme ? - ou de préoccupations qui remontent au début de l'Union européenne - comment assurer l'articulation entre la nation et l'Europe ? -, et aussi de sujets très actuels : comment aller vers la régulation de la mondialisation, comment contrôler et maîtriser cette régulation ?
Ce débat de grande qualité a servi à éclairer, confirmer, enrichir le propos que François Huwart a tenu au nom du Gouvernement.
Avant de passer aux réponses et aux commentaires, je voudrais revenir sur un aspect de forme mais qui a son importance : pourquoi la discussion de ce matin n'a-t-elle pas été suivie d'un vote ? Ce point a été soulevé par plusieurs d'entre vous, M. Sarre, M. Gaillard, M. Luca et M. Barrau a déjà répondu. Je préciserai simplement que cela n'est pas de la responsabilité du Gouvernement. Je rappellerai aussi qu'il y a eu déjà deux votes qui ont porté sur l'OMC : le 30 septembre sur la proposition de résolution de Béatrice Marre, et je salue la qualité de son rapport, qui a été adoptée à l'unanimité avec une abstention par la délégation pour l'Union européenne, puis, le 6 octobre, en commission de la production et des échanges, avec l'adoption à l'unanimité de la proposition de résolution - M. Jean-Claude Daniel y a fait allusion.
Cela a permis au Gouvernement de disposer, avant le conseil affaires générales du 11 octobre, de la position du Parlement exprimée par ces commissions et même en l'occurrence, et je m'en réjouis, de son soutien.
Si, aujourd'hui, nous ne pouvons pas aller plus loin, c'est que le recours, disons peut-être un peu excessif - cela a été rappelé -, à certaines motions de procédure, nous a conduits à prévoir ce matin une déclaration du Gouvernement plutôt que la discussion d'une résolution. Croyez que, pour ce qui nous concerne, nous étions prêts pour cette discussion. L'unanimité dégagée à deux reprises démontre amplement que le Gouvernement n'avait rien à craindre d'un vote, au contraire. Il s'agissait avant tout de faire en sorte que ce débat ait lieu.
Je rappellerai encore que le texte qui a permis l'adoption d'une résolution, c'est-à-dire la communication de la Commission sur le mandat de négociation, a été transmis volontairement par le Gouvernement au titre de la clause facultative de l'article 88-4 de la Constitution. En outre, au nom du Gouvernement, je vous indique que nous serons bien sûr à la disposition du Parlement pour nous expliquer continûment sur les dispositions de l'OMC.
Il est clair, monsieur Dominati, que, même sans vote en séance publique, la résolution adoptée par la commission de la production et des échanges et par la délégation constitue un point d'appui essentiel pour le Gouvernement vis-à-vis des Quinze, et à Seattle. J'ajoute, pour ceux, nombreux, qui se sont préoccupés ce matin de l'association du Parlement, que M. Strauss-Kahn a indiqué ici même la semaine dernière que la délégation française à Seattle comprendrait des parlementaires représentant l'ensemble des familles politiques.
Peu de pays de l'Union européenne ont d'ailleurs organisé des débats parlementaires. La France en est à son deuxième. Nous respectons donc pleinement la démocratie.
J'en viens au fond de mon propos et à notre attitude par rapport à ce nouveau cycle de négociations multilatérales auquel nous sommes favorables pour au moins trois raisons essentielles. Je m'inscrirai là dans le cadre des questions soulevées par Mme Marre : quelle régulation pour quelle mondialisation ?
En la matière, nous n'avons pas de double langage, monsieur Dominati.
Nous voulons la régulation pour freiner les aspects négatifs de la mondialisation qui comporte aussi des aspects plus positifs avec le développement de l'échange international. Notre ligne politique est claire et équilibrée. Nous faisons le choix du développement du commerce international, mais nous voulons que celui-ci soit régi par des règles. Dans cette négociation, nous souhaitons aussi défendre nos intérêts internationaux et nous allons le faire ensemble.
Alors, faut-il aller à Seattle ? A votre position, monsieur Luca, j'ai tendance à préférer, n'y voyez aucune malice, celle de M. Gaymard. Je pense en effet qu'il faut aller à Seattle. Je suis persuadé qu'en la matière la politique de la chaise vide à l'OMC ne mènerait à rien. Au contraire, elle desservirait nos intérêts nationaux.
Il faut se rendre à Seattle pour négocier avec vigilance et fermeté, mais en aucun cas se dérober à cette grande confrontationinternationale.
Première raison pour laquelle nous sommes favorables à ce nouveau cycle de négociations, c'est que l'ouverture du commerce international, et nous le savons tous ici, est porteuse d'opportunités de croissance. L'histoire de l'économie mondiale le prouve. Depuis le premier grand cycle de négociations à la fin des années 50 - le Dillon round - jusqu'à l'Uruguay round, tous les cycles de négociations se sont traduits par une intensification des échanges qui a permis à son tour d'alimenter la croissance mondiale, dont nous voyons qu'elle est la condition de la reprise de l'emploi.
Pour l'Uruguay round, sur les cinq dernières années, la richesse mondiale a augmenté de 3 % par an, en grande partie grâce à une croissance du commerce international, proche de 8 % par an.
La France, quatrième puissance commerciale mondiale et troisième exportateur mondial de services, a évidemment un parti important à tirer de ce vaste mouvement d'ouverture des échanges puisque, je le rappelle, il s'agit là d'un facteur essentiel de création d'emplois. Aujourd'hui, dans notre pays, un emploi sur quatre dépend directement ou indirectement du commerce extérieur.
Deuxième raison pour laquelle nous sommes favorables à la négociation, c'est qu'il faut organiser la mondialisation en l'encadrant par des règles qui soient reconnues internationalement. Je veux préciser ici que, pour ce qui nous concerne, nous ne sommes pas comme vous, monsieur Dominati, favorables à une mondialisation qui ne connaîtrait ni contrepoids, ni règles.
Monsieur Sarre, nous sommes opposés à une mondialisation libérale. Il s'agit pour nous d'encadrer la mondialisation par des règles. Tâchons de préciser de quoi nous parlons.
Nous sommes passés en dix ans de l'internationalisation à la mondialisation, c'est-à-dire à une imbrication si poussée de nos économies que l'ensemble des comportements de nos concitoyens, qu'ils soient consommateurs, salariés, épargnants ou investisseurs, sont tributaires, en très grande partie, d'évolutions qui se situent en dehors du territoire national et bien souvent en dehors du territoire européen. Cette mondialisation est une réalité, avec ses conséquences néfastes - je ne le contesterai pas - mais aussi ses potentialités.
Nous ne devons donc pas la nier. Nous devons au contraire l'appréhender dans toutes ses dimensions pour exiger que les discussions sur le commerce international s'accompagnent d'une volonté de bâtir de nouvelles régulations qui remettent de l'ordre dans l'économie mondiale. C'est pourquoi nous sommes partisans d'une mondialisation régulée.
Troisième raison, nous sommes convaincus, comme tant d'orateurs sur ces bancs, qu'il faut offrir des perspectives nouvelles aux pays en développement. Le commerce international a soutenu la croissance mondiale depuis cinquante ans, et tout particulièrement depuis dix ans. Mais nous le savons, et M. Lefort l'a montré avec éloquence, tout comme M. Lajoinie, et Julien Dray y a insisté également, la mondialisation est créatrice d'injustices et d'inégalités. On voit ainsi se développer à l'échelle de la planète des politiques de firmes entièrement tournées vers le bénéfice des actionnaires. C'est ce qu'on appelle la création de valeur, avec des conséquences parfois néfastes sur l'emploi, mais aussi la constitution de fortunes colossales. Comme vous l'avez rappelé, cela donne des chiffres extrêmement choquants : les deux cents plus grosses fortunes du monde représentent à peu près l'équivalent des ressources de 41 % de la population mondiale. A l'évidence, cela doit être maîtrisé. J'en profite d'ailleurs pour saluer le rapport sur l'OMC de M. Lefort devant la délégation pour l'Union européenne : voilà un an, il posait déjà les bonnes questions.
Ces inégalités sont malheureusement un des traits caractéristiques du phénomène de mondialisation. La richesse tend de plus en plus à s'ordonner autour de quelques lieux, de quelques centres de production qui accumulent les facteurs clés du succès - haut niveau d'éducation, effort de formation important, avance scientifique et technologique. En sens inverse, de vastes ensembles démographiques, majoritairement situés au sud, se trouvent de plus en plus à l'écart des circuits de l'échange marchand contemporain.
Mais en même temps, et je m'adresse là au président Lajoinie, je ne crois pas qu'on puisse dire que l'OMC est le théâtre de la domination des petits par les grands. J'aurais même tendance à dire le contraire. Le fait qu'il s'agisse d'un cénacle dans lequel chaque pays représente une voix et où la règle de décision est celle du consensus, permet, au contraire, de faire entendre toutes les exigences.
Notre responsabilité, et aussi notre intérêt, est de réintégrer les pays en développement dans l'OMC. J'ajoute, pour faire écho à ce que disait M. Daniel, qu'il est important que l'OMC gagne son universalité, notamment que de grands pays comme la Chine et la Russie puissent y adhérer. C'est clair, le nouveau cycle doit être l'occasion d'une meilleure prise en compte des attentes des pays en développement, et singulièrement des pays les moins avancés, vis-à-vis de l'OMC.
Je veux le dire avec force, le développement inégal doit céder la place au codéveloppement. Comme Béatrice Marre, comme Chantal Robin-Rodrigo, j'ai la conviction que le commerce international doit accompagner le développement et non aller contre le développement. Ce sera une des stratégies que nous poursuivrons dans cette négociation.
Voilà les raisons pour lesquelles nous devons aller à Seattle et l'esprit dans lequel nous devons y aller. Ne nous trompons pas de débat, en effet, nous devons mener une bonne négociation. Nous devons être ferme mais pas refuser le débat, ni contester le cadre. Il faut, au contraire, essayer de l'élargir et de l'utiliser au mieux.
C'est pour cela que, contrairement à Julien Dray, qui a dit par ailleurs beaucoup de choses que je partage, je ne crois pas que l'OMC soit un acteur de la mondialisation libérale ou la préfiguration d'un gouvernement occulte du monde. C'est aussi le cadre de la régulation. D'une certaine façon, je trouve un peu paradoxal de refuser, au nom de la critique du libéralisme, le cadre où l'on pourrait précisément organiser ou maîtriser ce libéralisme.
Cette vision claire du cahier des charges du prochain cycle nous a conduits à la formaliser à travers des conclusions du Conseil de l'Union européenne. Sachez que l'Union européenne veut et va jouer tout son rôle dans la négociation de l'OMC. En outre, elle est, selon moi, plus unie que par le passé sur la conception du cycle et la position qu'elle défendra à Seattle et c'est très important. Je crois aussi, comme M. Gaillard, que l'Union européenne est aujourd'hui davantage préparée que les Etats-Unis.
Ceux-ci, en effet, sont aujourd'hui confrontés à des difficultés politiques : fin de la présidence de M. Clinton, absence de fast track, tentations unilatéralistes ou protectionnistes de certains membres du Congrès.
Sachez, monsieur Guillaume que, dans cette négociation, nous ne serons pas isolés. Et nous ne sommes, en rien, dépourvus de stratégie.
Le cadre européen est désormais fixé. Il l'a été par le Conseil laquo; Affaires générales raquo; du 11 octobre dernier pour la plus grande partie du texte et, depuis vendredi dernier - et de façon satisfaisante, me semble-t-il - pour les dernières questions en discussion. L'Union doit aborder le prochain cycle de manière unie et déterminée. Elle doit être capable - nous agirons en ce sens - de peser comme puissance politique dans ces négociations.
Je ne peux que m'inscrire dans le cadre défini fort justement par François Huwart et rejoindre les conceptions du rapport de Béatrice Marre. Nous voulons, d'abord, un cycle large. L'accord de Marrakech de 1994 prévoit la réouverture des discussions sur l'agriculture et les services le 1er janvier 2000. Nous respecterons cette échéance, même si nous n'acceptons pas, contrairement à ce que souhaitent certains aux Etats-Unis, que l'on s'en tienne là, c'est-à-dire à un agenda intégré. En effet, lors de la dernière conférence ministérielle de Singapour, de nombreux pays ont souhaité l'inscription de nouveaux sujets à l'agenda du prochain cycle et l'Union européenne souhaite précisément que ces nouveaux sujets dits de Singapour soient maintenant traités. Je veux en citer quatre, pour expliciter notre position.
Premier sujet, les règles relatives aux investissements internationaux, sur lesquels sont intervenus notamment M. Georges Sarre et Mme Robin-Rodrigo. Vous le savez puisque cela a été dit ici même par le Premier ministre, nous avons refusé de discuter en 1998 de l'AMI - ce faux-ami selon Jack Lang. Nous avions alors dit que l'harmonisation des règles relatives aux investissements internationaux était une nécessité - Lionel Jospin ne l'a jamais niée - mais qu'elle devait avoir lieu dans le cadre légitime et plus large de l'OMC qui compte 134 pays membres et non pas dans celui plus restreint de l'OCDE qui regroupe uniquement les pays les plus riches de la planète.
Nous voulons aussi changer le contexte et le thème même de cette négociation. Il faudra, comme nous y invite M. Lefort, prendre en compte la dimension Nord-Sud, celle du développement durable aussi. Le passage à l'OMC devrait le permettre.
Le moment est donc venu pour la France et l'Union européenne d'expliquer très concrètement aux pays en développement qu'ils peuvent trouver dans l'élaboration de règles communes un élément favorable à leur développement. Pour attirer chez eux des investissements directs extérieurs, voire pour aller vers un accès plus important à la technologie et aux marchés internationaux, ces pays ont besoin d'un cadre sûr, prévisible, internationalement reconnu, qui offre une sécurité minimale à l'investisseur étranger qu'il vienne de l'OCDE ou des pays émergents eux-mêmes. Bref, oui, nous sommes d'accord pour négocier sur l'investissement mais pas du tout comme on voulait le faire à l'occasion de l'AMI.
Deuxième sujet, les règles de concurrence. Les pratiques anticoncurrentielles constituent une atteinte manifeste aux droits des consommateurs, qui acquittent parfois un prix trop élevé, faute d'une offre diversifiée. Elles doivent être combattues et elles le sont au plan national et au plan européen.
Mais, et c'est là un des effets de la mondialisation, les grands groupes internationaux ont aujourd'hui un champ d'action mondial. Il faut donc envisager un niveau de régulation de la concurrence au niveau mondial pour assurer le caractère équitable du jeu concurrentiel.
Qu'on ne se méprenne pas sur mon propos. Il ne s'agit évidemment pas de transformer l'OMC en une sorte d'autorité mondiale de la concurrence, elle n'en a ni les moyens ni la vocation. Nous souhaitons dans un premier temps que le prochain cycle de négociations fournisse l'occasion de fixer en quelque sorte un corps de principes et de procédures visant à promouvoir la mise en _uvre de politiques internes de concurrence et à les rendre compatibles entre elles.
Troisième sujet, les normes sociales fondamentales. On pourrait débattre longuement, cela a été fait d'ailleurs en d'autres circonstances, de la question des délocalisations. En cette matière, l'Union européenne n'a pas à redouter à l'excès une plus grande perméabilité ou ouverture aux échanges avec des pays où les salaires et les droits sociaux des travailleurs sont moins importants qu'en Europe. En effet, l'Union européenne a d'autres atouts. Elle a les moyens de préserver son modèle social, le coût du travail n'étant qu'un élément parmi bien d'autres de la compétitivité globale d'un pays ou d'un espace intégré comme l'espace européen.
Il demeure que nous ne pouvons pas accepter, pour des raisons morales, philosophiques mais aussi économiques, de voir des pays exporter librement des produits fabriqués par des enfants ou par des populations carcérales, par exemple. C'est la raison qui nous a conduits à demander la création d'un forum permanent de travail conjoint entre l'OIT et l'OMC qui devra permettre de dégager les voies d'une meilleure prise en compte par l'OMC des normes sociales fondamentales justement élaborées dans le cadre de l'OIT.
Enfin, quatrième sujet, les normes environnementales. Nous devons faire en sorte que les règles de l'OMC tiennent mieux compte des accords multilatéraux sur l'environnement qui existent déjà ou qui sont en cours de préparation. Je pense à tout ce qui concerne la biodiversité ou le changement climatique. Là aussi, l'échange international doit être resitué dans la perspective plus vaste du développement durable qui est le nôtre. L'échange international doit être régulé pour éviter qu'il ne vienne ajouter à la dégradation des biens publics que sont l'eau, l'air ou la couche d'ozone.
Comme vous, monsieur Cochet, nous souhaitons que l'OMC permette d'accroître les normes sociales et environnementales. Nous y serons vigilants. François Huwart a commencé à répondre aux questions que vous avez posées, monsieur le député.
Nous voulons un cycle large ; nous souhaitons aussi un cycle global. C'est le principe, fondamental pour nous, de l'engagement unique, ce qui signifie que rien ne pourra être décidé tant qu'il n'y aura pas d'accord sur l'ensemble des sujets en discussion.
Nous sommes donc totalement opposés, comme l'a dit François Huwart, à l'idée selon laquelle il pourrait être possible de constater en cours de cycle des accords partiels sur certains sujets, quand bien même leur validation définitive serait renvoyée à une synthèse générale en fin de processus. Entre ces deux démarches fondamentalement différentes, voire opposées, nous nous en tiendrons, je puis vous l'assurer, au principe de l'engagement unique et de la globalité des dicussions.
J'en termine en évoquant les attentes de la société française à l'égard du cycle, à tous égards parfaitement légitimes. Exigence de qualité pour l'amélioration, défense de notre identité culturelle, préférence accordée au non-marchand dans certaines activités comme la santé ou l'éducation : autant de sujets de notre point de vue non négociables. Tout comme M. Gaillard - j'espère qu'il sera d'accord avec moi, car je suis d'accord avec lui -, je crois que la place du politique doit être ici réhabilitée. Sur tous ces sujets, nous entendons appliquer un principe particulièrement cher à certains de nos partenaires de l'OMC : le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Ce qui signifie que nous n'accepterons pas que les discussions sur le commerce international aient une quelconque incidence sur les fondements mêmes de notre vie collective. Sur ce point également, M. Luca et M. Gaymard diffèrent dans la manière de dire non ; une fois de plus, c'est votre façon que je préfère, monsieur le député Gaymard.
Un mot également sur ce qui se déroule au sein de l'Union européenne. Après un long débat au sein des Quinze, qui s'est prolongé jusqu'à vendredi dernier, nous avons obtenu que la Commission se rende à Seattle avec un mandat précis tout à la fois sur la culture et sur l'agriculture. M. Gaymard m'a paru quelque peu dubitatif ; je veux lui expliquer pourquoi et comment nous avons choisi de procéder ainsi.
Pour commencer, il faut bien à la Commission un mandat de l'Union européenne. Comme vous avez été plusieurs à le souligner, c'est elle qui négocie au nom de l'Union européenne ; dès lors, autant qu'elle soit en contact avec le Conseil des ministres, mais également que celui-ci lui fixe des orientations précises. Faute de quoi, elle pourrait négocier librement, sans aucune ligne politique, au risque de céder au tropisme libéral.
C'est pour éviter ce danger que le Gouvernement et le Président de la République ont souhaité l'élaboration d'un mandat précis donné par le Conseil à la Commission.
Il est sans aucun doute utile à la France, monsieur Guillaume, et peut-être aussi dans notre débat.
Les propositions que nous avons faites à chaque étape, c'est-à-dire avant, puis après le 11 octobre, vont jusqu'à prévoir une adoption du mandat par le COREPER. Rappelons que le COREPER ne travaille que sur instruction ; ce n'est pas une vague association de fonctionnaires technocrates totalement déconnectés du politique. Tout cela, monsieur Gaymard, a été fait non seulement en coordination, mais en parfait accord avec le Président de la République. Du reste, François Huwart peut en porter témoignage, l'accord finalement retenu nous satisfait d'autant plus qu'il ressemble beaucoup, avouons-le, à ce que nous avions proposé le 11 octobre. En effet, l'Union s'engagera à respecter la diversité culturelle, puisqu'elle s'est déclarée attachée aux acquis de Marrakech et qu'elle veillera, dans la discussion extrêmement serrée qui s'engagera à Seattle, à garantir la libre mise en _uvre des politiques culturelles et audiovisuelles auxquelles l'Europe comme la France tiennent particulièrement.
Nous avons, c'est vrai, bâti un compromis. Parce que l'Union européenne est une réalité, M. Sarre le sait bien, parce que nous ne pouvons en changer les règles, parce que nous sommes dans un ensemble à quinze, parce que les traités ont prévu que c'est la Commission qui discutera, mais nous avons su tirer ce compromis vers des thèses satisfaisantes et qui répondent à notre exigence ; comme l'a très bien dit François Huwart, en matière culturelle, c'est l'exception qui est la règle et la libéralisation l'exception.
Pour ce qui est de l'agriculture, nous nous appuierons surl'excellent texte des ministres de l'agriculture qui doit beaucoup à l'action de Jean Glavany et auquel les conclusions du Conseil font intégralement référence.
Epargnons-nous en la matière les complexes déplacés. Quand les Américains nous traitent de protectionnistes ou se livrent à une attaque en règle, en des termes peu acceptables tels ceux de Mme Barshefsky, contre notre politique agricole commune, il est bon de rappeler qu'ils dépensent 60 milliards de dollars pour les agriculteurs américains pendant que les Européens n'en dépensent que 40 milliards de dollars pour les leurs, et avec une population supérieure.
Nous partageons totalement les préoccupations exprimées par M. Leyzour de protéger le modèle agricole européen dans ses dimensions traditionnelles, mais également dans celles plus nouvelles, telle la sécurité alimentaire que j'ai citée comme lui. Nous entendons bien y faire valoir le principe de précaution et je veux l'assurer de la totale vigilance du Gouvernement dans cette affaire.
Les grands axes qui structurent le mandat de négociations de l'Union européenne ont été rappelés jeudi dernier par le Premier ministre, à l'occasion de la table ronde réunissant les organisations professionnelles : défense d'un modèle européen fondé sur une agriculture multifonctionnelle, prise en compte dans le nouveau cycle des questions non commerciales, telles la sécurité et la qualité des aliments, référence enfin aux accords de Berlin et au renforcement de la politique agricole commune en tant que socle permanent de la position européenne. Sur ce dernier point, je tiens à rassurer M. Gaillard. Je crois très sincèrement que, dans le domaine agricole, nous avons un bon texte pour aller à l'OMC. Cela avait du reste été reconnu dès le 11 octobre.
Je conclus sur cet ensemble de préoccupations fondamentales à nos yeux pour ce prochain cycle en rappelant que la question des DOM et de la coopération régionale dans la Caraïbe reste à nos yeux un sujet essentiel pour le développement de ces régions. Le Premier ministre aura l'occasion de l'aborder lors de son voyage aux Antilles à la fin de cette semaine, sans oublier le fait qu'il sera traité dans le projet de loi d'orientation sur les DOM en cours de préparation.
Nous sommes profondément attachés à notre mode de vie, au moins autant que les Américains le sont à leur american way of life, qu'ils n'envisagent d'ailleurs pas un instant de remettre en cause. Soyons clairs : dans la discussion qui s'engage, nous n'envisageons pas de négocier notre modèle européen de société, pas plus qu'ils n'envisagent de renoncer au leur. Nous entendons bien nous rendre à l'OMC en restant intransigeants sur ce que nous croyons, mais en tâchant de l'être intelligemment. En d'autres termes, non seulement nous y défendrons nos intérêts, mais nous comptons bien nous montrer offensifs, comme plusieurs d'entre vous nous y ont invités. Car si nous devons protéger nos spécificités, nous devons aussi affirmer notre modèle dans le monde. C'est justement parce que l'Europe a cette double capacité, défensive et offensive, parce qu'elle a vocation à se poser en puissance capable d'organiser la mondialisation que je crois à l'Europe. Et l'Europe et la France en son sein ont tout leur rôle à jouer dans le débat de l'OMC.
(source http://www.assemblee-nationale.fr, le 9 décembre 1999)
1-1- Parce que l'ouverture du commerce international est porteuse d'opportunités de croissance :
Depuis le premier grand cycle de négociations à la fin des années 50 - le Dillon round - jusqu'au cycle de l'Uruguay round, tous les cycles de négociation se sont traduits par une intensification des échanges, qui a permis d'alimenter la croissance mondiale.
Pour l'Uruguay round, sur les cinq dernières années, la richesse mondiale a augmenté de 3 % par an, en grande partie grâce une croissance du commerce international qui a atteint presque 8 % par an.
La France, 4ème puissance commerciale mondiale et 3ème exportateur mondial de services, a évidemment un parti important à tirer de ce vaste mouvement d'ouverture des échanges. Dans notre pays, un emploi sur quatre est directement ou indirectement lié à l'activité exportatrice du pays.
1-2- Parce qu'il faut organiser la mondialisation en l'encadrant par des règles qui soient reconnues internationalement:
Nous sommes passés en dix ans de l'internationalisation à la mondialisation, c'est-à-dire une imbrication si poussée de nos économies que l'ensemble des comportements de nos concitoyens, comme consommateurs, comme salariés, comme épargnants ou comme investisseurs, sont tributaires en partie d'évolutions qui se situent en-dehors du territoire national, et bien souvent en dehors même du territoire européen. C'est une réalité. Nous ne devons pas la nier. Nous devons, au contraire, l'appréhender dans toutes ses dimensions pour exiger que les discussions sur le commerce international s'accompagnent d'une volonté de bâtir de nouvelles régulations qui mettent de l'ordre dans l'économie mondiale.
1-3- Parce qu'il faut offrir des perspectives nouvelles aux pays en développement :
Le commerce international a soutenu la croissance mondiale depuis 50 ans, et tout particulièrement depuis 10 ans. Mais il a aussi contribué à accroître les inégalités de richesses entre le Nord et le Sud.
C'est malheureusement un des traits caractéristiques de ce phénomène de mondialisation. La richesse tend à s'ordonner autour de quelques lieux, de quelques centres de production qui accumulent les facteurs clés de succès: haut niveau d'éducation, effort de formation important, avance scientifique et technologique...
En sens inverse, de vastes ensembles démographiques, majoritairement situés au Sud, se trouvent de plus en plus à l'écart des circuits de l'échange marchand contemporain.
Notre responsabilité - et aussi notre intérêt - est de les y réintégrer. Le nouveau cycle doit être l'occasion d'une meilleure prise en compte des attentes des pays en développement (PED) - et singulièrement des pays les moins avancés (PMA) - vis-à-vis de l'OMC. Le développement inégal doit céder la place au co-développement.
2- Cette vision claire du cahier des charges du prochain cycle nous a conduit à la formaliser à travers des conclusions du Conseil de l'Union européenne.
C'est chose faite dans le cadre du Conseil "Affaires générales", depuis le 11 octobre dernier pour la plus grande partie du texte, et depuis vendredi dernier pour les dernières questions en discussion. L'Union doit aborder le prochain cycle de manière unie et déterminée. L'Union doit être capable de peser comme puissance politique dans ces négociations.
2-1- Nous voulons un cycle large :
L'accord de Marrakech de 1994 prévoit la réouverture de discussions sur l'agriculture et les services le 1er janvier 2000. Nous respecterons donc cette échéance.
Mais, en même temps, lors de la dernière conférence ministérielle de Singapour, de nombreux pays ont souhaité l'inscription de nouveaux sujets à l'agenda du prochain cycle. L'Union européenne souhaite que ces nouveaux sujets dits "de Singapour" soient maintenant traités.
- Les règles relatives aux investissements internationaux :
Nous avons refusé de discuter en 1998 de l'accord multilatéral sur l'investissement - cet AMI qui n'était pas tout à fait notre ami. Et nous avons dit alors que l'harmonisation des règles relatives aux investissements internationaux était une nécessité, mais qu'elle devait avoir lieu dans le cadre plus large de l'OMC, qui compte 134 pays membres, et non pas dans le cadre restreint de l'OCDE, qui regroupe les pays les plus riches de la planète.
Le moment est donc venu pour la France et l'Union européenne d'expliquer très concrètement aux PED qu'ils peuvent trouver dans l'élaboration de règles communes un élément favorable à leur développement. Pour attirer chez eux des investissements directs extérieurs, voie privilégiée d'accès à la technologie et aux marché internationaux, ces pays ont besoin d'un cadre sûr, prévisible, internationalement reconnu, qui offre une sécurité minimale à l'investisseur étranger, qu'il vienne de l'OCDE ou des pays émergents eux-mêmes.
- Les règles de concurrence :
Les pratiques anticoncurrentielles constituent une atteinte manifeste aux droits des consommateurs, qui acquittent parfois un prix trop élevé faute d'une offre diversifiée. Elles doivent être combattues, et elles le sont au plan national et au niveau européen.
Mais les grands groupes internationaux ont aujourd'hui un champ d'action mondial. Il faut donc envisager un niveau de régulation de la concurrence au niveau mondial pour assurer le caractère équitable du jeu concurrentiel.
Qu'on ne se méprenne pas ! Il ne s'agit évidemment pas de transformer l'OMC en une sorte d'autorité mondiale de la concurrence. Elle n'en a ni les moyens ni la vocation. Mais nous souhaitons, dans un premier temps, que le prochain cycle de négociations fournisse l'occasion de fixer un corps de principes et de procédures visant à promouvoir la mise en oeuvre de politiques internes de concurrence et de les rendre compatibles entre elles.
- Les normes sociales fondamentales :
L'Union européenne ne redoute pas spécialement une plus grande perméabilité aux échanges avec des pays où les salaires et les droits sociaux des travailleurs sont nettement moins importants qu'en Europe. L'Union européenne a les moyens de préserver son modèle social car le coût du travail n'est qu'un élément parmi beaucoup d'autres de la compétitivité globale d'un pays ou d'un espace économique intégré comme l'Europe.
Il demeure que nous ne pouvons pas accepter, pour des raisons autant morales qu'économiques, de voir des pays exporter librement des produits fabriqués par des enfants ou des populations carcérales. C'est la raison qui nous conduit à demander la création d'un forum permanent de travail conjoint OIT/OMC qui devra permettre de dégager les voies d'une meilleure prise en compte par l'OMC des normes sociales fondamentales élaborées dans le cadre de l'OIT.
- Les normes environnementales :
Nous devons faire en sorte que les règles de l'OMC tiennent mieux compte des accords multilatéraux sur l'environnement, qui existent déjà ou qui sont en cours de préparation (biodiversité, changement climatique). Là aussi, l'échange international doit être resitué dans la perspective plus vaste du développement durable qui est la nôtre. L'échange international doit être régulé pour éviter qu'il ne vienne ajouter à la dégradation des biens publics que sont l'eau, l'air ou la couche d'ozone.
2-2- Un cycle global :
C'est le principe, fondamental pour nous, de l'engagement unique. Rien ne pourra être décidé tant qu'il n'y aura pas d'accord sur l'ensemble des sujets en discussion. Nous sommes donc totalement opposés à l'idée de "récoltes précoces" qui pourraient venir constater en cours de cycle des accords partiels sur certains sujets, quand bien même leur validation définitive serait renvoyée à une sorte de synthèse générale en fin de cycle. Il s'agit clairement de deux démarches différentes, voire opposées. Et nous nous en tiendrons au principe de l'engagement unique et de la globalité des discussions.
3- Les attentes de la société française à l'égard du cycle sont légitimes: l'exigence de qualité pour l'alimentation, la défense de notre identité culturelle, la préférence pour le non-marchand dans certaines activités comme la santé ou l'éducation, ne sont pas négociables de notre point de vue.
Sur tous ces sujets, nous ferons application d'un principe particulièrement cher à certains de nos partenaires de l'OMC : "le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes". Par conséquent, nous n'accepterons pas que les discussions sur le commerce international puissent avoir une incidence sur les fondements même de notre vie collective.
3-1- Après un long débat au sein des Quinze, qui s'est prolongé jusqu'à vendredi dernier, nous avons obtenu que l'Union européenne se rende à Seattle avec un mandat précis :
"L'Union veillera à garantir, comme dans le cycle de l'Uruguay, la possibilité pour la Communauté et les Etats membres de préserver et de développer leur capacité à définir et mettre en oeuvre leurs politiques culturelles et audiovisuelles".
Notre objectif, dans ce domaine, est bien évidemment de maintenir l'acquis de Marrakech, en restant très vigilants sur les possibilités de remise en cause indirecte, notamment dans le cadre de discussions connexes sur les nouvelles technologies de l'information et de la communication ou sur le commerce électronique.
3-2- Quant à l'agriculture, nous nous appuierons sur le très bon texte des Ministres de l'agriculture, auquel les conclusions du Conseil font référence intégralement :
Les grands axes qui structurent le mandat de négociation de l'Union européenne ont été rappelés jeudi dernier par le Premier ministre à l'occasion de la table-ronde réunissant les organisations professionnelles :
- la défense d'un modèle européen fondé sur une agriculture multifonctionnelle ;
- la prise en compte dans le nouveau cycle des questions non commerciales (sécurité et qualité des aliments) ;
- la référence aux accords de Berlin et le renforcement de la politique agricole commune comme socle permanent de la position européenne.
Pour conclure sur cet ensemble de préoccupations absolument fondamentales qui sont les nôtres pour ce prochain cycle, je dirais simplement que nous sommes attachés profondément à notre mode de vie, au moins autant que les Américains le sont à "l'american way of life", qu'ils n'envisagent d'ailleurs pas un instant de remettre en cause. Nous n'envisageons pas non plus de négocier notre modèle européen de société./.
Monsieur le Président,
Mesdames, messieurs les députés,
Le débat de ce matin sur l'OMC a été de haute tenue politique et je ne m'étonne pas, compte tenu du sujet, qu'il ait été à la fois passionnant et passionné. En effet, nous traitons ici de questions anciennes, qu'il s'agisse d'économie politique - sommes-nous pour le libre-échange ou pour le protectionnisme ? - ou de préoccupations qui remontent au début de l'Union européenne - comment assurer l'articulation entre la nation et l'Europe ? -, et aussi de sujets très actuels : comment aller vers la régulation de la mondialisation, comment contrôler et maîtriser cette régulation ?
Ce débat de grande qualité a servi à éclairer, confirmer, enrichir le propos que François Huwart a tenu au nom du Gouvernement.
Avant de passer aux réponses et aux commentaires, je voudrais revenir sur un aspect de forme mais qui a son importance : pourquoi la discussion de ce matin n'a-t-elle pas été suivie d'un vote ? Ce point a été soulevé par plusieurs d'entre vous, M. Sarre, M. Gaillard, M. Luca et M. Barrau a déjà répondu. Je préciserai simplement que cela n'est pas de la responsabilité du Gouvernement. Je rappellerai aussi qu'il y a eu déjà deux votes qui ont porté sur l'OMC : le 30 septembre sur la proposition de résolution de Béatrice Marre, et je salue la qualité de son rapport, qui a été adoptée à l'unanimité avec une abstention par la délégation pour l'Union européenne, puis, le 6 octobre, en commission de la production et des échanges, avec l'adoption à l'unanimité de la proposition de résolution - M. Jean-Claude Daniel y a fait allusion.
Cela a permis au Gouvernement de disposer, avant le conseil affaires générales du 11 octobre, de la position du Parlement exprimée par ces commissions et même en l'occurrence, et je m'en réjouis, de son soutien.
Si, aujourd'hui, nous ne pouvons pas aller plus loin, c'est que le recours, disons peut-être un peu excessif - cela a été rappelé -, à certaines motions de procédure, nous a conduits à prévoir ce matin une déclaration du Gouvernement plutôt que la discussion d'une résolution. Croyez que, pour ce qui nous concerne, nous étions prêts pour cette discussion. L'unanimité dégagée à deux reprises démontre amplement que le Gouvernement n'avait rien à craindre d'un vote, au contraire. Il s'agissait avant tout de faire en sorte que ce débat ait lieu.
Je rappellerai encore que le texte qui a permis l'adoption d'une résolution, c'est-à-dire la communication de la Commission sur le mandat de négociation, a été transmis volontairement par le Gouvernement au titre de la clause facultative de l'article 88-4 de la Constitution. En outre, au nom du Gouvernement, je vous indique que nous serons bien sûr à la disposition du Parlement pour nous expliquer continûment sur les dispositions de l'OMC.
Il est clair, monsieur Dominati, que, même sans vote en séance publique, la résolution adoptée par la commission de la production et des échanges et par la délégation constitue un point d'appui essentiel pour le Gouvernement vis-à-vis des Quinze, et à Seattle. J'ajoute, pour ceux, nombreux, qui se sont préoccupés ce matin de l'association du Parlement, que M. Strauss-Kahn a indiqué ici même la semaine dernière que la délégation française à Seattle comprendrait des parlementaires représentant l'ensemble des familles politiques.
Peu de pays de l'Union européenne ont d'ailleurs organisé des débats parlementaires. La France en est à son deuxième. Nous respectons donc pleinement la démocratie.
J'en viens au fond de mon propos et à notre attitude par rapport à ce nouveau cycle de négociations multilatérales auquel nous sommes favorables pour au moins trois raisons essentielles. Je m'inscrirai là dans le cadre des questions soulevées par Mme Marre : quelle régulation pour quelle mondialisation ?
En la matière, nous n'avons pas de double langage, monsieur Dominati.
Nous voulons la régulation pour freiner les aspects négatifs de la mondialisation qui comporte aussi des aspects plus positifs avec le développement de l'échange international. Notre ligne politique est claire et équilibrée. Nous faisons le choix du développement du commerce international, mais nous voulons que celui-ci soit régi par des règles. Dans cette négociation, nous souhaitons aussi défendre nos intérêts internationaux et nous allons le faire ensemble.
Alors, faut-il aller à Seattle ? A votre position, monsieur Luca, j'ai tendance à préférer, n'y voyez aucune malice, celle de M. Gaymard. Je pense en effet qu'il faut aller à Seattle. Je suis persuadé qu'en la matière la politique de la chaise vide à l'OMC ne mènerait à rien. Au contraire, elle desservirait nos intérêts nationaux.
Il faut se rendre à Seattle pour négocier avec vigilance et fermeté, mais en aucun cas se dérober à cette grande confrontationinternationale.
Première raison pour laquelle nous sommes favorables à ce nouveau cycle de négociations, c'est que l'ouverture du commerce international, et nous le savons tous ici, est porteuse d'opportunités de croissance. L'histoire de l'économie mondiale le prouve. Depuis le premier grand cycle de négociations à la fin des années 50 - le Dillon round - jusqu'à l'Uruguay round, tous les cycles de négociations se sont traduits par une intensification des échanges qui a permis à son tour d'alimenter la croissance mondiale, dont nous voyons qu'elle est la condition de la reprise de l'emploi.
Pour l'Uruguay round, sur les cinq dernières années, la richesse mondiale a augmenté de 3 % par an, en grande partie grâce à une croissance du commerce international, proche de 8 % par an.
La France, quatrième puissance commerciale mondiale et troisième exportateur mondial de services, a évidemment un parti important à tirer de ce vaste mouvement d'ouverture des échanges puisque, je le rappelle, il s'agit là d'un facteur essentiel de création d'emplois. Aujourd'hui, dans notre pays, un emploi sur quatre dépend directement ou indirectement du commerce extérieur.
Deuxième raison pour laquelle nous sommes favorables à la négociation, c'est qu'il faut organiser la mondialisation en l'encadrant par des règles qui soient reconnues internationalement. Je veux préciser ici que, pour ce qui nous concerne, nous ne sommes pas comme vous, monsieur Dominati, favorables à une mondialisation qui ne connaîtrait ni contrepoids, ni règles.
Monsieur Sarre, nous sommes opposés à une mondialisation libérale. Il s'agit pour nous d'encadrer la mondialisation par des règles. Tâchons de préciser de quoi nous parlons.
Nous sommes passés en dix ans de l'internationalisation à la mondialisation, c'est-à-dire à une imbrication si poussée de nos économies que l'ensemble des comportements de nos concitoyens, qu'ils soient consommateurs, salariés, épargnants ou investisseurs, sont tributaires, en très grande partie, d'évolutions qui se situent en dehors du territoire national et bien souvent en dehors du territoire européen. Cette mondialisation est une réalité, avec ses conséquences néfastes - je ne le contesterai pas - mais aussi ses potentialités.
Nous ne devons donc pas la nier. Nous devons au contraire l'appréhender dans toutes ses dimensions pour exiger que les discussions sur le commerce international s'accompagnent d'une volonté de bâtir de nouvelles régulations qui remettent de l'ordre dans l'économie mondiale. C'est pourquoi nous sommes partisans d'une mondialisation régulée.
Troisième raison, nous sommes convaincus, comme tant d'orateurs sur ces bancs, qu'il faut offrir des perspectives nouvelles aux pays en développement. Le commerce international a soutenu la croissance mondiale depuis cinquante ans, et tout particulièrement depuis dix ans. Mais nous le savons, et M. Lefort l'a montré avec éloquence, tout comme M. Lajoinie, et Julien Dray y a insisté également, la mondialisation est créatrice d'injustices et d'inégalités. On voit ainsi se développer à l'échelle de la planète des politiques de firmes entièrement tournées vers le bénéfice des actionnaires. C'est ce qu'on appelle la création de valeur, avec des conséquences parfois néfastes sur l'emploi, mais aussi la constitution de fortunes colossales. Comme vous l'avez rappelé, cela donne des chiffres extrêmement choquants : les deux cents plus grosses fortunes du monde représentent à peu près l'équivalent des ressources de 41 % de la population mondiale. A l'évidence, cela doit être maîtrisé. J'en profite d'ailleurs pour saluer le rapport sur l'OMC de M. Lefort devant la délégation pour l'Union européenne : voilà un an, il posait déjà les bonnes questions.
Ces inégalités sont malheureusement un des traits caractéristiques du phénomène de mondialisation. La richesse tend de plus en plus à s'ordonner autour de quelques lieux, de quelques centres de production qui accumulent les facteurs clés du succès - haut niveau d'éducation, effort de formation important, avance scientifique et technologique. En sens inverse, de vastes ensembles démographiques, majoritairement situés au sud, se trouvent de plus en plus à l'écart des circuits de l'échange marchand contemporain.
Mais en même temps, et je m'adresse là au président Lajoinie, je ne crois pas qu'on puisse dire que l'OMC est le théâtre de la domination des petits par les grands. J'aurais même tendance à dire le contraire. Le fait qu'il s'agisse d'un cénacle dans lequel chaque pays représente une voix et où la règle de décision est celle du consensus, permet, au contraire, de faire entendre toutes les exigences.
Notre responsabilité, et aussi notre intérêt, est de réintégrer les pays en développement dans l'OMC. J'ajoute, pour faire écho à ce que disait M. Daniel, qu'il est important que l'OMC gagne son universalité, notamment que de grands pays comme la Chine et la Russie puissent y adhérer. C'est clair, le nouveau cycle doit être l'occasion d'une meilleure prise en compte des attentes des pays en développement, et singulièrement des pays les moins avancés, vis-à-vis de l'OMC.
Je veux le dire avec force, le développement inégal doit céder la place au codéveloppement. Comme Béatrice Marre, comme Chantal Robin-Rodrigo, j'ai la conviction que le commerce international doit accompagner le développement et non aller contre le développement. Ce sera une des stratégies que nous poursuivrons dans cette négociation.
Voilà les raisons pour lesquelles nous devons aller à Seattle et l'esprit dans lequel nous devons y aller. Ne nous trompons pas de débat, en effet, nous devons mener une bonne négociation. Nous devons être ferme mais pas refuser le débat, ni contester le cadre. Il faut, au contraire, essayer de l'élargir et de l'utiliser au mieux.
C'est pour cela que, contrairement à Julien Dray, qui a dit par ailleurs beaucoup de choses que je partage, je ne crois pas que l'OMC soit un acteur de la mondialisation libérale ou la préfiguration d'un gouvernement occulte du monde. C'est aussi le cadre de la régulation. D'une certaine façon, je trouve un peu paradoxal de refuser, au nom de la critique du libéralisme, le cadre où l'on pourrait précisément organiser ou maîtriser ce libéralisme.
Cette vision claire du cahier des charges du prochain cycle nous a conduits à la formaliser à travers des conclusions du Conseil de l'Union européenne. Sachez que l'Union européenne veut et va jouer tout son rôle dans la négociation de l'OMC. En outre, elle est, selon moi, plus unie que par le passé sur la conception du cycle et la position qu'elle défendra à Seattle et c'est très important. Je crois aussi, comme M. Gaillard, que l'Union européenne est aujourd'hui davantage préparée que les Etats-Unis.
Ceux-ci, en effet, sont aujourd'hui confrontés à des difficultés politiques : fin de la présidence de M. Clinton, absence de fast track, tentations unilatéralistes ou protectionnistes de certains membres du Congrès.
Sachez, monsieur Guillaume que, dans cette négociation, nous ne serons pas isolés. Et nous ne sommes, en rien, dépourvus de stratégie.
Le cadre européen est désormais fixé. Il l'a été par le Conseil laquo; Affaires générales raquo; du 11 octobre dernier pour la plus grande partie du texte et, depuis vendredi dernier - et de façon satisfaisante, me semble-t-il - pour les dernières questions en discussion. L'Union doit aborder le prochain cycle de manière unie et déterminée. Elle doit être capable - nous agirons en ce sens - de peser comme puissance politique dans ces négociations.
Je ne peux que m'inscrire dans le cadre défini fort justement par François Huwart et rejoindre les conceptions du rapport de Béatrice Marre. Nous voulons, d'abord, un cycle large. L'accord de Marrakech de 1994 prévoit la réouverture des discussions sur l'agriculture et les services le 1er janvier 2000. Nous respecterons cette échéance, même si nous n'acceptons pas, contrairement à ce que souhaitent certains aux Etats-Unis, que l'on s'en tienne là, c'est-à-dire à un agenda intégré. En effet, lors de la dernière conférence ministérielle de Singapour, de nombreux pays ont souhaité l'inscription de nouveaux sujets à l'agenda du prochain cycle et l'Union européenne souhaite précisément que ces nouveaux sujets dits de Singapour soient maintenant traités. Je veux en citer quatre, pour expliciter notre position.
Premier sujet, les règles relatives aux investissements internationaux, sur lesquels sont intervenus notamment M. Georges Sarre et Mme Robin-Rodrigo. Vous le savez puisque cela a été dit ici même par le Premier ministre, nous avons refusé de discuter en 1998 de l'AMI - ce faux-ami selon Jack Lang. Nous avions alors dit que l'harmonisation des règles relatives aux investissements internationaux était une nécessité - Lionel Jospin ne l'a jamais niée - mais qu'elle devait avoir lieu dans le cadre légitime et plus large de l'OMC qui compte 134 pays membres et non pas dans celui plus restreint de l'OCDE qui regroupe uniquement les pays les plus riches de la planète.
Nous voulons aussi changer le contexte et le thème même de cette négociation. Il faudra, comme nous y invite M. Lefort, prendre en compte la dimension Nord-Sud, celle du développement durable aussi. Le passage à l'OMC devrait le permettre.
Le moment est donc venu pour la France et l'Union européenne d'expliquer très concrètement aux pays en développement qu'ils peuvent trouver dans l'élaboration de règles communes un élément favorable à leur développement. Pour attirer chez eux des investissements directs extérieurs, voire pour aller vers un accès plus important à la technologie et aux marchés internationaux, ces pays ont besoin d'un cadre sûr, prévisible, internationalement reconnu, qui offre une sécurité minimale à l'investisseur étranger qu'il vienne de l'OCDE ou des pays émergents eux-mêmes. Bref, oui, nous sommes d'accord pour négocier sur l'investissement mais pas du tout comme on voulait le faire à l'occasion de l'AMI.
Deuxième sujet, les règles de concurrence. Les pratiques anticoncurrentielles constituent une atteinte manifeste aux droits des consommateurs, qui acquittent parfois un prix trop élevé, faute d'une offre diversifiée. Elles doivent être combattues et elles le sont au plan national et au plan européen.
Mais, et c'est là un des effets de la mondialisation, les grands groupes internationaux ont aujourd'hui un champ d'action mondial. Il faut donc envisager un niveau de régulation de la concurrence au niveau mondial pour assurer le caractère équitable du jeu concurrentiel.
Qu'on ne se méprenne pas sur mon propos. Il ne s'agit évidemment pas de transformer l'OMC en une sorte d'autorité mondiale de la concurrence, elle n'en a ni les moyens ni la vocation. Nous souhaitons dans un premier temps que le prochain cycle de négociations fournisse l'occasion de fixer en quelque sorte un corps de principes et de procédures visant à promouvoir la mise en _uvre de politiques internes de concurrence et à les rendre compatibles entre elles.
Troisième sujet, les normes sociales fondamentales. On pourrait débattre longuement, cela a été fait d'ailleurs en d'autres circonstances, de la question des délocalisations. En cette matière, l'Union européenne n'a pas à redouter à l'excès une plus grande perméabilité ou ouverture aux échanges avec des pays où les salaires et les droits sociaux des travailleurs sont moins importants qu'en Europe. En effet, l'Union européenne a d'autres atouts. Elle a les moyens de préserver son modèle social, le coût du travail n'étant qu'un élément parmi bien d'autres de la compétitivité globale d'un pays ou d'un espace intégré comme l'espace européen.
Il demeure que nous ne pouvons pas accepter, pour des raisons morales, philosophiques mais aussi économiques, de voir des pays exporter librement des produits fabriqués par des enfants ou par des populations carcérales, par exemple. C'est la raison qui nous a conduits à demander la création d'un forum permanent de travail conjoint entre l'OIT et l'OMC qui devra permettre de dégager les voies d'une meilleure prise en compte par l'OMC des normes sociales fondamentales justement élaborées dans le cadre de l'OIT.
Enfin, quatrième sujet, les normes environnementales. Nous devons faire en sorte que les règles de l'OMC tiennent mieux compte des accords multilatéraux sur l'environnement qui existent déjà ou qui sont en cours de préparation. Je pense à tout ce qui concerne la biodiversité ou le changement climatique. Là aussi, l'échange international doit être resitué dans la perspective plus vaste du développement durable qui est le nôtre. L'échange international doit être régulé pour éviter qu'il ne vienne ajouter à la dégradation des biens publics que sont l'eau, l'air ou la couche d'ozone.
Comme vous, monsieur Cochet, nous souhaitons que l'OMC permette d'accroître les normes sociales et environnementales. Nous y serons vigilants. François Huwart a commencé à répondre aux questions que vous avez posées, monsieur le député.
Nous voulons un cycle large ; nous souhaitons aussi un cycle global. C'est le principe, fondamental pour nous, de l'engagement unique, ce qui signifie que rien ne pourra être décidé tant qu'il n'y aura pas d'accord sur l'ensemble des sujets en discussion.
Nous sommes donc totalement opposés, comme l'a dit François Huwart, à l'idée selon laquelle il pourrait être possible de constater en cours de cycle des accords partiels sur certains sujets, quand bien même leur validation définitive serait renvoyée à une synthèse générale en fin de processus. Entre ces deux démarches fondamentalement différentes, voire opposées, nous nous en tiendrons, je puis vous l'assurer, au principe de l'engagement unique et de la globalité des dicussions.
J'en termine en évoquant les attentes de la société française à l'égard du cycle, à tous égards parfaitement légitimes. Exigence de qualité pour l'amélioration, défense de notre identité culturelle, préférence accordée au non-marchand dans certaines activités comme la santé ou l'éducation : autant de sujets de notre point de vue non négociables. Tout comme M. Gaillard - j'espère qu'il sera d'accord avec moi, car je suis d'accord avec lui -, je crois que la place du politique doit être ici réhabilitée. Sur tous ces sujets, nous entendons appliquer un principe particulièrement cher à certains de nos partenaires de l'OMC : le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Ce qui signifie que nous n'accepterons pas que les discussions sur le commerce international aient une quelconque incidence sur les fondements mêmes de notre vie collective. Sur ce point également, M. Luca et M. Gaymard diffèrent dans la manière de dire non ; une fois de plus, c'est votre façon que je préfère, monsieur le député Gaymard.
Un mot également sur ce qui se déroule au sein de l'Union européenne. Après un long débat au sein des Quinze, qui s'est prolongé jusqu'à vendredi dernier, nous avons obtenu que la Commission se rende à Seattle avec un mandat précis tout à la fois sur la culture et sur l'agriculture. M. Gaymard m'a paru quelque peu dubitatif ; je veux lui expliquer pourquoi et comment nous avons choisi de procéder ainsi.
Pour commencer, il faut bien à la Commission un mandat de l'Union européenne. Comme vous avez été plusieurs à le souligner, c'est elle qui négocie au nom de l'Union européenne ; dès lors, autant qu'elle soit en contact avec le Conseil des ministres, mais également que celui-ci lui fixe des orientations précises. Faute de quoi, elle pourrait négocier librement, sans aucune ligne politique, au risque de céder au tropisme libéral.
C'est pour éviter ce danger que le Gouvernement et le Président de la République ont souhaité l'élaboration d'un mandat précis donné par le Conseil à la Commission.
Il est sans aucun doute utile à la France, monsieur Guillaume, et peut-être aussi dans notre débat.
Les propositions que nous avons faites à chaque étape, c'est-à-dire avant, puis après le 11 octobre, vont jusqu'à prévoir une adoption du mandat par le COREPER. Rappelons que le COREPER ne travaille que sur instruction ; ce n'est pas une vague association de fonctionnaires technocrates totalement déconnectés du politique. Tout cela, monsieur Gaymard, a été fait non seulement en coordination, mais en parfait accord avec le Président de la République. Du reste, François Huwart peut en porter témoignage, l'accord finalement retenu nous satisfait d'autant plus qu'il ressemble beaucoup, avouons-le, à ce que nous avions proposé le 11 octobre. En effet, l'Union s'engagera à respecter la diversité culturelle, puisqu'elle s'est déclarée attachée aux acquis de Marrakech et qu'elle veillera, dans la discussion extrêmement serrée qui s'engagera à Seattle, à garantir la libre mise en _uvre des politiques culturelles et audiovisuelles auxquelles l'Europe comme la France tiennent particulièrement.
Nous avons, c'est vrai, bâti un compromis. Parce que l'Union européenne est une réalité, M. Sarre le sait bien, parce que nous ne pouvons en changer les règles, parce que nous sommes dans un ensemble à quinze, parce que les traités ont prévu que c'est la Commission qui discutera, mais nous avons su tirer ce compromis vers des thèses satisfaisantes et qui répondent à notre exigence ; comme l'a très bien dit François Huwart, en matière culturelle, c'est l'exception qui est la règle et la libéralisation l'exception.
Pour ce qui est de l'agriculture, nous nous appuierons surl'excellent texte des ministres de l'agriculture qui doit beaucoup à l'action de Jean Glavany et auquel les conclusions du Conseil font intégralement référence.
Epargnons-nous en la matière les complexes déplacés. Quand les Américains nous traitent de protectionnistes ou se livrent à une attaque en règle, en des termes peu acceptables tels ceux de Mme Barshefsky, contre notre politique agricole commune, il est bon de rappeler qu'ils dépensent 60 milliards de dollars pour les agriculteurs américains pendant que les Européens n'en dépensent que 40 milliards de dollars pour les leurs, et avec une population supérieure.
Nous partageons totalement les préoccupations exprimées par M. Leyzour de protéger le modèle agricole européen dans ses dimensions traditionnelles, mais également dans celles plus nouvelles, telle la sécurité alimentaire que j'ai citée comme lui. Nous entendons bien y faire valoir le principe de précaution et je veux l'assurer de la totale vigilance du Gouvernement dans cette affaire.
Les grands axes qui structurent le mandat de négociations de l'Union européenne ont été rappelés jeudi dernier par le Premier ministre, à l'occasion de la table ronde réunissant les organisations professionnelles : défense d'un modèle européen fondé sur une agriculture multifonctionnelle, prise en compte dans le nouveau cycle des questions non commerciales, telles la sécurité et la qualité des aliments, référence enfin aux accords de Berlin et au renforcement de la politique agricole commune en tant que socle permanent de la position européenne. Sur ce dernier point, je tiens à rassurer M. Gaillard. Je crois très sincèrement que, dans le domaine agricole, nous avons un bon texte pour aller à l'OMC. Cela avait du reste été reconnu dès le 11 octobre.
Je conclus sur cet ensemble de préoccupations fondamentales à nos yeux pour ce prochain cycle en rappelant que la question des DOM et de la coopération régionale dans la Caraïbe reste à nos yeux un sujet essentiel pour le développement de ces régions. Le Premier ministre aura l'occasion de l'aborder lors de son voyage aux Antilles à la fin de cette semaine, sans oublier le fait qu'il sera traité dans le projet de loi d'orientation sur les DOM en cours de préparation.
Nous sommes profondément attachés à notre mode de vie, au moins autant que les Américains le sont à leur american way of life, qu'ils n'envisagent d'ailleurs pas un instant de remettre en cause. Soyons clairs : dans la discussion qui s'engage, nous n'envisageons pas de négocier notre modèle européen de société, pas plus qu'ils n'envisagent de renoncer au leur. Nous entendons bien nous rendre à l'OMC en restant intransigeants sur ce que nous croyons, mais en tâchant de l'être intelligemment. En d'autres termes, non seulement nous y défendrons nos intérêts, mais nous comptons bien nous montrer offensifs, comme plusieurs d'entre vous nous y ont invités. Car si nous devons protéger nos spécificités, nous devons aussi affirmer notre modèle dans le monde. C'est justement parce que l'Europe a cette double capacité, défensive et offensive, parce qu'elle a vocation à se poser en puissance capable d'organiser la mondialisation que je crois à l'Europe. Et l'Europe et la France en son sein ont tout leur rôle à jouer dans le débat de l'OMC.
(source http://www.assemblee-nationale.fr, le 9 décembre 1999)