Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre en réponse à une question sur la politique de régulation des flux migratoires, l'immigration clandestine et le travail clandestin, à l'Assemblée nationale le 8 avril 1998.

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Texte intégral

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les députés, monsieur le député. je vous remercie de vos compliments monsieur le député, parce que ces temps derniers, j'ai plutôt entendu des critiques. Le ministre de l'Intérieur vient de s'exprimer à l'instant, il ne m'est pas donc nécessaire d'entrer moi-même dans le détail des mesures que nous avons prises. Mais je voudrais, après lui, parce que je pense que cela peut être utile - et en tout cas c'est la question que vous me posez - redonner le sens de ce que nous faisons.
Pendant la campagne électorale législative, nous avons pris, devant les Françaises et les Français, des engagements clairs, et moi en particulier :
- Conduire une politique de régulation des flux migratoires qui soit à la fois réaliste et humaine, qui prenne en compte les intérêts de la nation et qui respecte la dignité des personnes humaines.
- Combattre sans défaillance l'immigration clandestine et le travail irrégulier.
- Supprimer ce qui dans la législation précédente - appelée souvent Pasqua- Debré - heurtait inutilement les droits de la personne et notamment le droit de vivre en famille.
- Régulariser selon des critères précis, définis et qui résultaient d'ailleurs de ce qu'avaient suggéré les membres de la commission consultative des droits de l'homme dont je rappelle qu'elle est posée auprès du Premier ministre et qu'elle s'était exprimée alors que le Premier ministre était mon prédécesseur.
- Enfin, enfin, dire à ceux qui ne peuvent être régularisés, qu'ils doivent repartir dans leur pays ; ils ont vocation à être reconduits à leur frontière.
C'est simplement là, le respect du droit international, et je dirais même du droit des gens. c'est très exactement cette politique qui se complaît d'une volonté d'intégration - que, ceux des étrangers qui continuent à vivre dans notre pays régulièrement, c'est très exactement cette politique que nous avons définie -, que vous avez votée. Et la troisième lecture interviendra cet après-midi ou ce soir, sur ce point, pour clore ce débat parlementaire. Et c'est cette politique que nous appliquons.
Je ne connais aucune formation politique sur ces bancs, qui ait préconisée l'entrée - sans règles - d'étrangers sur notre territoire, et qui ait voulu qu'aucun étranger en situation irrégulière ne puisse être reconduit dans son pays. Il serait d'ailleurs - est-ce qu'on peut avoir ce débat ? - il serait d'ailleurs, inconséquent politiquement et intellectuellement, d'adopter une telle politique. De même qu'il serait inconséquent de travailler et pendant des mois autour du ministre de l'Intérieur - en s'inspirant des critères de la commission consultative des droits de l'homme, au contact des associations, en accueillant des Immigrés par un travail précis d'écoute des préfets, des critères jugés, normaux -, pour régulariser des étrangers d'un côté, et de l'autre d'affirmer le droit à tout étranger qui ne veut pas quitter notre territoire national - alors qu'il est en situation irrégulière - le droit de ne pas être reconduit à la frontière.
Je précise d'ailleurs que ces étrangers en situation irrégulière sont le plus souvent des célibataires et des célibataires qui sont depuis relativement peu de temps sur notre territoire national. Une telle politique n'aurait pas de sens, et ce n'est donc pas la politique que nous conduisons.
Et je voudrais dire là, très clairement, à l'attention de tous, ici, qu'une politique, une politique pour un pays, ce n'est pas simplement quelque chose qu'il faut définir. Quand on est au gouvernement, c'est une politique qu'il faut aussi appliquer. Je me suis toujours efforcé - sans doute avec des succès inégaux -, mais en tout cas, je me suis toujours efforcé d'introduire dans mon action politique, de la cohérence intellectuelle et politique.
Cette exigence du respect de la loi, elle doit être plus forte encore pour ceux qui font la loi, pour ceux qui sont les législateurs dans ce pays. Sinon, comment pourrions-nous rétablir, dans l'esprit de nos concitoyennes et de nos concitoyens, dans ceux, notamment qui ont perdu des repères, qui sont troublés dans leur vie quotidienne, qui cherchent des références, comment pourrions-nous rétablir dans leur idée, que nous sommes dans un Etat de droit, qu'il y a des règles pour la société, et que ces règles doivent être respectées ?
Pour respecter, justement, la dignité des personnes, nous nous sommes efforcés de reconduire dignement, sur des avions de ligne, au vu de tous, par tout petits groupes, des hommes et des femmes qui n'ont pas vocation à rester sur notre territoire, parce qu'ils sont en situation irrégulière. Et je pense que cela ne peut pas être aux personnes qui vont être reconduites à la frontière, une fois que les voies de droit ont été légitimement utilisées, de décider à notre place s'ils partiront ou non ! Sinon, il n'y a plus d'Etat, il n'y a même plus d'Etat de droit ! Alors, non responsables sont ceux qui les incitent spectaculairement, et sur les lieux-mêmes du départ, à refuser de partir. Et quand je dis cela, je ne pense pas aux associations, dont la vocation est d'être, légitimement, aux côtés des travailleurs immigrés, y compris sans-papiers pour défendre leurs droits, mais leurs droits devant la loi, pas leurs droits contre la loi.
Je voudrais dire, pour finir, Mesdames et Messieurs les députés, que nous ne voulons pas, au Gouvernement, le ministre de l'Intérieur, moi-même, et l'ensemble des ministres, nous ne voulons pas que l'on politise la question de l'immigration, de quelque côté que ce soit. Nous voulons au contraire qu'elle échappe aux passions françaises. La politique, qui est celle du Gouvernement, et qui est celle du ministre de l'Intérieur, est une politique humaine et réaliste, une politique équilibrée et compréhensible par tous nos concitoyens. Je sais que les Françaises et les Français la reconnaissent comme telle, et c'est comme telle que nous continuerons à l'appliquer.

(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 2 octobre 2001)