Interview de M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire, à France 2 le 10 octobre 2002, sur le transfert d'excédents de la caisse de retraite du privé sur celle de la fonction publique, le traitement des fonctionnaires, le redéploiement des agents, la réduction du temps de travail et la décentralisation.

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F. Laborde.- Nos confrères des Echos font une révélation ce matin : le régime de la retraite privée va devoir financer en partie le régime de la retraite de la Fonction publique. Voilà qui ne va pas plaire aux salariés du privé et qui pourrait paraître un peu paradoxal !
- "On ne peut pas présenter ça comme cela. En réalité, l'excédent de la Caisse nationale d'assurance vieillesse est d'1,5 milliard d'euros. Et on s'aperçoit qu'aujourd'hui, il y a une augmentation de la cotisation des employeurs des collectivités locales et des hôpitaux - c'est un peu compliqué -, tout cela pour financer des régimes déficitaires, ce qui pose deux problèmes. Le problème, c'est la nécessaire clarification des flux financiers pour savoir qui paie et qui reçoit..."
Parce qu'il faut dire qu'aujourd'hui, le système de retraite de la Fonction publique est totalement opaque, puisqu'il est payé par l'Etat et qu'il n'y a pas une caisse qui fait qu'on sait exactement qui cotise et qui touche quoi. Tout cela est dans le flou artistique de l'impôt public ?
- "Ce n'est pas un flou artistique. En réalité, effectivement, il y a deux financements : d'abord, il y a les agents de l'Etat qui, quand ils partent en retraite, restent sur le budget de l'Etat. Donc, ce n'est pas un allégement de charges, c'est au contraire quelqu'un que l'on paie jusqu'à la fin de ses jours, soit en activité, soit en retraite. Le deuxième élément, ce sont les collectivités locales et les hôpitaux qui ont une caisse particulière mais cette caisse étant excédentaire, elle finance des régimes déficitaires. Et puis, il y a le système du fonds qui avait été institué par le précédent gouvernement et qui sert, normalement, à prévoir un financement pour les retraites du privé et qui, en réalité, sert à financer les allégements de charges liés aux 35 heures. Et donc, nous sommes tout à fait d'accord avec ce qu'exprimaient le Parlement et la volonté du Gouvernement, de dire que l'année prochaine, mettons à plat tous les flux financiers : qui paie quoi ? Cela pose aussi le problème de la fragilisation des systèmes de retraites. On sent bien qu'aujourd'hui, la garantie de l'avenir de nos systèmes n'est pas assurée."
Le fonds de réserve pour les retraites était prévu justement pour faire face au boom démographique. Et l'argent que l'on prend n'ira pas dans ce fonds de réserve. Même si le secteur privé est excédentaire, c'est quand même un peu embêtant qu'on enlève 830 millions d'euros à ce fonds de réserve.
- "Je vous rappelle que l'excédent est de 1,5 milliard, mais cela justifie pleinement la volonté de J.-P. Raffarin et du Gouvernement de mettre à plat l'an prochain la discussion sur les retraites, menée par F. Fillon sur le privé et par nous-mêmes sur le public."
On se rappelle que cette question des retraites avait aussi conduit dans la rue un certain nombre d'agents de la Fonction publique sous le gouvernement Juppé. C'est un dossier extrêmement sensible, les syndicats vous l'ont fait savoir à plusieurs reprises. Vous pensez tout de même que les conditions sont réunies aujourd'hui pour le réouvrir et tout mettre à plat ?
- "Non seulement les conditions, mais la nécessité de le réouvrir. Chacun est inquiet pour la pérennité des systèmes, donc nous devons avoir un dialogue sur la pérennité des systèmes de retraite et l'équité entre les Françaises et les Français par rapport à ce système de retraite."
Parlons maintenant traitement et salaire des fonctionnaires. Vous avez, si je ne me trompe pas, convenu d'une augmentation moyenne de 1,3 % en 2002. Par ailleurs, Bruxelles rappelle à la France qu'elle a un déficit public qu'elle doit absolument réduire. Est-ce que tout cela va peser sur les négociations salariales que vous devez reprendre avec les fonctionnaires dans les semaines qui viennent ?
- "Pas sur les négociations salariales, sur l'ensemble des dépenses publiques. Nous avons l'obligation, aujourd'hui, de réduire le déficit structurel. Cela veut dire quoi ? Cela veut dire qu'aujourd'hui, l'Etat dépense plus qu'il ne reçoit et nous avons donc à rationaliser nos moyens et à optimiser nos résultats. Au niveau de la réforme de l'Etat, nous allons entreprendre une mise à plat des procédures, des moyens, des missions, pour regarder si les moyens sont adaptés aux missions de l'Etat."
Cela veut dire que vous allez, par exemple, faire des redéploiements ? Parce qu'on en parle toujours, mais est-ce que c'est possible de dire à un agent de la sécurité ou des forces publiques d'aller subitement retrouver le corps enseignant ?
- "C'est le chantier de la gestion des ressources humaines, que nous avons ouvert avec l'ensemble des organisations syndicales, sur la mobilité, sur le recrutement, sur la formation, sur l'ascenseur social et sur le fait qu'avec la loi de décentralisation qui va engendrer une nouvelle répartition entre l'Etat et les collectivités locales, mais aussi le choc démographique - 40.000 départ en retraite, 64.000 en 2008 -, il faut effectivement imaginer un redéploiement des moyens par rapport à des missions nouvelles."
Cela passe par une formation professionnelle ou des filières totalement différentes ? On pourra, quand on est fonctionnaire en France, se dire que l'on s'est trompé, qu'on veut faire carrière dans un autre secteur ?
- "Je souhaiterais que l'on aboutisse à des solutions permettant la mobilité entre les trois fonctions publiques, hospitalière, collectivités locales et Etat mais aussi qu'on imagine des secondes carrières, que les gens qui seraient saturés par un travail qu'ils auraient du mal à supporter puissent faire autre chose dans d'autres administrations."
Quand vous avez rencontré les fonctionnaires pour la première fois, quand vous êtes arrivé à votre poste, vous avez dit qu'il fallait assouplir les 35 heures dans la Fonction publique. Peut-être connaissez vous le mauvais jeu de mot qui dit que ce sera une augmentation du temps de travail pour certains... Vous nous confirmez que tout le monde fait 35 heures dans la Fonction publique ? Comment allez-vous assouplir ces règles ?
- "Nous ne remettons pas en cause le statut des 35 heures. Ce que nous disons, c'est que la continuité du service public doit permettre à quelqu'un qui est responsable du service public, de pouvoir, en accord avec les organisations syndicales, permettre un assouplissement, lorsque cela est nécessaire pour la continuité du service public."
Un exemple concret ?
- "Regardez ce qui se passe au niveau du ministère de l'Intérieur et ce qui se passe aujourd'hui dans les hôpitaux. On fermait les services d'un certain nombre d'hôpitaux par manque de médecins, d'infirmières, tout simplement parce qu'il y avait ce qu'on appelle les "RTT". En permettant au directeur, au responsable de pouvoir payer les journées de RTT, on peut mettre un peu plus de moyens et d'effectifs sur le terrain pour préserver la continuité du service public."
A La Poste par exemple, on pourrait prévoir qu'il y ait des plages d'ouverture plus importantes ?
- "La difficulté des 35 heures et de leur application, c'est qu'en réalité, avec moins de temps de travail, il fallait augmenter la plage des services. On voit bien le caractère extrêmement difficile de l'application des 35 heures dans un certain nombre de services publics. Eh bien, donnons un peu de souplesse pour remettre au coeur de nos préoccupations le service au public !"
Demain, à Matignon, le Premier ministre reçoit les présidents des Conseils régionaux. Il s'agit de mettre en place la réforme de l'Etat, la décentralisation. C'est une fois que vous aurez vu comment cela fonctionne que vous pourrez dire effectivement comment réduire davantage le nombre de fonctionnaires ? Parce qu'au fond, il n'y a pas eu une réduction significative dans ce budget, par rapport à ce qu'on pouvait attendre d'un gouvernement de droite...
- "Je crois d'abord que les effectifs, ce n'est pas la variable d'ajustement d'une politique. Ce qu'il convient, c'est que lorsqu'il y a trop d'effectifs pour accomplir des missions, c'est l'asphyxie des procédures ; lorsqu'il n'y en a pas assez, c'est le ralentissement. Il faut donc, en terme de responsabilité par rapport à l'impôt que l'on prélève, que l'on ait des moyens justement adaptés aux missions qui sont les nôtres. Demain, le Premier ministre reçoit les préfets et les présidents de régions, et c'est surtout pour la mobilisation des fonds européens. Nous étions dans la situation dans laquelle nous devions perdre de l'argent que l'Europe mettait à notre disposition pour financer les reconversions, notamment en milieu rural ou en milieu industriel. Nous avons adopté, au titre de la réforme de l'Etat, des procédures tout à fait exceptionnelles et nouvelles, permettant de favoriser le projet et non pas d'imposer des procédures tellement lourdes que ceux qui avaient des projets étaient fatigués et disaient préférer perdre leurs subventions que d'établir le projet. C'est en réalité demain une réunion pour dire : "Les deux acteurs, région et préfet, mobilisez-vous pour soutenir les projets, pour développer vos territoires, et derrière, grâce aux procédures qu'on a mis en place, l'Europe pourra vous donner un certain nombre de financements"."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 10 octobre 2002