Texte intégral
H. Lauret -. Un premier avion est rentré cette nuit d'Abidjan, avec 260 personnes à bord ; c'est l'entreprise Bolloré qui rapatrie ses cadres. Le Gouvernement, lui, se dit prêt à un rapatriement massif mais, pour le moment, ne bouge pas, considère que la situation n'est pas suffisamment grave. Pourtant, le chef rebelle à Paris incite plutôt à ce que nous rapatrions nos ressortissants le plus vite possible. Est-ce qu'aujourd'hui, vous ne jouez pas avec le feu ?
- "Non, nous sommes bien sûr extrêmement attentifs à la situation, heure par heure si je puis dire. Que ce soit M. Alliot-Marie, ministre de la Défense, que ce soit bien entendu D. de Villepin ou le Premier ministre, nous sommes très attentifs à la manière dont les choses se déroulent. Il nous semble, à l'heure où je vous parle, que la situation n'exige pas l'évacuation. Il s'agit simplement pour nous d'être évidemment très attentifs, très vigilants."
Une évacuation massive serait compliquée ?
- "Du point de vue opérationnel, nous sommes tout à fait organisés, préparés pour toute éventualité, mais nous considérons qu'à l'heure où je vous parle, encore une fois, il n'y a pas lieu d'être dans ce processus d'évacuation. [...] Nous sommes très attentifs à tout cela, donc à partir du moment où nous avons une réactivité permanente, nous sommes en situation de pouvoir adresser de manière continue les messages qui s'imposent à nos ressortissants - et aux ressortissants étrangers, car la France considère dans cette affaire devoir être attentive aussi à la sécurité de tous les ressortissants, français et étrangers."
La tenaille américaine se resserre chaque jour un petit peu plus sur l'Irak. La guerre approche manifestement, et huit pays européens, et non des moindres - l'Italie, l'Espagne, la Hongrie, le Danemark, la Pologne, le Portugal et la Grande-Bretagne évidemment - se rangent clairement du côté de G. Bush. La question que je vous pose est simple : est-ce que la France ne se trouve pas un petit peu piégée ?
- "Non je ne crois pas que les choses doivent se positionner en ces termes. La France a une position qui est d'ailleurs, je crois, partagée par de très nombreux autres pays..."
Par l'Allemagne pour le moment...
- "Non, pas seulement, il y en a bien d'autres qui partagent cette opinion : la Russie par exemple, la Chine, évoquent toutes ces questions. Quelle est l'idée ? L'idée est que sur une situation aussi complexe et difficile, c'est la communauté internationale, par la voix du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui doit prendre en dernier ressort les décisions. C'est cela notre démarche et il ne faut rien voir d'autre que celle-là. C'est d'abord l'application de la résolution 1441, décidée par le Conseil de sécurité, et c'est devant le Conseil de sécurité que cela doit être précisément mesuré et évalué. Donc, ne voyons là aucune polémique, mais simplement l'attention qui est la nôtre à ce que le droit international soit respecté."
La France irait jusqu'à opposer son veto ?
- "Encore une fois, pardon de me répéter, mais nous sommes dans cette affaire à suivre en continu la situation. La France par la voix du Président de la République a eu l'occasion de dire qu'elle entendait dans cette affaire se préserver la totalité de sa liberté de décision ; je ne peux rien dire d'autre à ce stade, puisqu'il n'y a pas lieu de dire autre chose..."
Le climat économique et social se dégrade apparemment très vite en ce moment. Les conflits, les fermetures d'usines, tout cela tombe assez brutalement. Metaleurop, Arcelor, Daewoo, et puis on entend parler aujourd'hui ce matin de LU, de Péchiney, etc. Alors, en un mot comme en cent, on a le sentiment que le Gouvernement est un peu dépassé par cette vague de plans sociaux ?
- "Très honnêtement, je ne crois pas qu'il faille faire cette analyse. Le problème n'est pas de savoir - au-delà bien sûr du commentaire quotidien par les observateurs - si le Gouvernement est dépassé ou pas dépassé. Dans un pays comme le nôtre, où la vie économique est-ce qu'elle est, il y a lieu pour le Gouvernement d'être extrêmement attentif et réactif à la situation économique, mais surtout de proposer à l'ensemble des acteurs économiques, entrepreneurs, salariés, et aux citoyens, une politique économique qui soit claire et lisible dans la durée. C'est cela qui compte. Alors, ensuite, il y a bien entendu être capable d'être réactif et d'apporter un accompagnement public dans des situations difficiles, au cas par cas. Vous savez, je crois que l'une des marques de ce gouvernement par rapport au précédent, c'est probablement d'essayer de faire comprendre que l'économie doit divorcer de l'idéologie. Il y en a assez de ces visions incantatoires par lesquelles on essaie de faire croire aux agents économiques que l'homme politique peut tout faire tout seul, doit tout décider tout seul, et qu'en le faisant, en réalité il ne provoque que de la déception."
Allez dire ça aujourd'hui aux salariés de Metaleurop !
- "Ce que nous disons aux salariés qui sont aujourd'hui très préoccupés par cette situation, c'est que nous sommes très attentifs à la situation, mais que nous essayons de l'être de manière constructive, avec trois approches. La première approche, c'est celle du droit : le rôle d'un gouvernement est de s'assurer que le droit, et notamment le droit social, le droit du travail, le droit de l'environnement est respecté. C'est le premier élément et vous avez vu très concrètement, pour ce qui concerne par exemple Metaleurop, qu'une enquête préliminaire sur la responsabilité de la société mère a été ouverte par le Parquet de Paris."
Là, la gauche vous demande su c'était une bonne politique d'avoir suspendu des clauses de la loi de modernisation sociale qui protégeaient précisément les salariés ?
- "Mais c'est de la mauvaise polémique, on retombe justement là dans le schéma idéologique que je dénonçais tout à l'heure. Enfin, tout le monde sait que, malheureusement, Metaleurop en est à son troisième plan social, il y en a déjà eu deux les deux années précédentes, donc à une époque où la loi dite de modernisation sociale, dont on a vu qu'elle n'avait rien modernisé du tout, était en application. Je veux quand même rappeler que cette loi de modernisation sociale a été un formidable facteur de multiplication de dépôts de bilan pour les entreprises, puisque beaucoup d'entre elles, voyant la rigidité extrême des procédures introduites dans les plans sociaux, ont préféré y renoncer et déposer le bilan tout de suite, pour se délocaliser. Alors il va de soi, quand on est dans ce type de situation aussi ubuesque, que le rôle d'un gouvernement est d'être pragmatique. Encore une fois, l'esprit de J.-P. Raffarin, comme d'ailleurs de tous les membres de ce gouvernement, dont beaucoup sont des nouveaux venus d'ailleurs dans l'équipe gouvernementale, c'est de dire qu'on n'est pas obligé, quand on prend une décision, de se demander si elle est bien, si elle a été prévue par le livre des intellectuels de la fin du XIXème siècle ou du début du XXème, alors que tant d'années ont passé depuis et que la société bouge très vite. Nous avons pour vocation d'être réactifs, donc c'est pour ça que j'insiste sur les plans sociaux. Quelle est l'approche qui est la nôtre ? Un, il faut veiller à ce que le droit soit respecté. Le deuxième aspect, c'est que pour les salariés, les hommes et les femmes des entreprises, l'objectif est de mobiliser tous les moyens qui existent, notamment les moyens du service public, de l'emploi, pour faire en sorte que chacun ait droit à un processus de reconversion, c'est essentiel."
De reclasser, bien entendu...
- "De reclassement. Et quel est le gros travail que nous faisons ? C'est un travail dans lequel on essaie d'imaginer, dans la durée, la possibilité de faire une formation tout au long de la vie, car on voit bien que pour beaucoup de ces salariés, il y a là une échéance et une difficulté. On voit bien d'ailleurs qu'il faudra aussi poser le problème aux entreprises qui, pour beaucoup d'entre elles, considèrent que quand on a 45, 50 ans, 53 ans, on n'est plus employable de la même manière. Il y a là un vrai sujet, il va falloir qu'on aborde ce débat, surtout dans une période où nous réfléchissons aux différents temps de la vie et au temps du travail. On ne peut pas d'un côté assouplir, comme on l'a fait, les 35 heures, et de l'autre ne pas poser cette question. Le troisième point, c'est évidemment celui du territoire. On a lancé un grand mouvement de décentralisation, qui est une étape absolument historique, même si aujourd'hui elle n'est pas très perceptible - ce qui est normal au quotidien, elle va l'être de plus en plus. Il faut bien entendu l'appliquer à tous les problèmes économiques de territoires. Aujourd'hui, ce qui compte, c'est que sur le territoire donné, au plus près du terrain, des acteurs publics et des acteurs privés travaillent ensemble pour réussir la réindustrialisation et la reconversion."
Mais cela fait vingt ans qu'on entend cela, depuis la sidérurgie et la grande crise de la Lorraine !
- "Oui, c'est vrai, mais je voudrais dire que dans certains cas, cela n'a plutôt pas si mal marché, les bassins de réindustrialisation sont un modèle remarquable de réussite, malgré les difficultés..."
Ce n'est pas faux... Qu'allez-vous faire concrètement alors ?
- "L'objectif est d'aller plus loin, plus vite, et de manière plus intensive, en donnant de véritables compétences aux acteurs locaux pour travailler ensemble, ce qui n'a pas toujours été le cas dans le passé, où nous avons un pays quand même très centralisé. Nous voulons par exemple appliquer ce qu'on appelle l'expérimentation, à ces bassins de reconversion et de réindustrialisation, des expérimentations comme par exemple les zones franches. Il va y avoir une zone franche qui va se trouver à Hénin-Beaumont, à 15 kilomètres de Noyelles, où se trouve le site de Metaleurop, où on va pouvoir naturellement développer une véritable dynamique économique sur le terrain et non pas depuis Paris. Car le grand problème de notre pays c'est que tout se décide encore trop à Paris et c'est cela qu'il faut changer."
Vous disiez tout à l'heure qu'il fallait réconcilier le monde de l'entreprise et le monde de la politique. Très bien, vaste sujet, manifestement, votre gouvernement et le Premier ministre lui-même d'ailleurs ont fait des gestes forts en la matière. Néanmoins, le comportement de certains patrons, on l'a vu depuis quelques semaines, est très contre-productif pour l'image à la fois de l'entreprise et pour la stratégie qui est la vôtre. Vous en avez conscience ?
- "Naturellement, et je crois qu'il faut bien entendu être particulièrement sévère à l'égard du comportement de certains patrons qui se comportent, d'ailleurs des secteurs très différents si je peux me permettre : on a vu pour les problèmes maritimes..."
Bien entendu, les supers pétroliers à simple coque...
- "Exactement, et de la même manière pour des sites industriels, comme ceux que nous pouvons avoir sur notre territoire. Donc, tout cela est effectivement absolument indigne, et fait beaucoup de mal à l'image de l'entreprise française. Notre rôle dans cette affaire est d'essayer d'avoir une politique économique avec deux ou trois mots d'ordre clairs, qui ne sont pas des mots d'ordre théoriques, mais des mots d'ordre concrets. Le premier d'entre eux, c'est que tout ce que nous faisons doit favoriser l'emploi et le pouvoir d'achat. Pour une raison simple, c'est que la clé majeure d'un bon système économique c'est un système économique où la croissance est suffisamment solide pour générer de l'emploi et du pouvoir d'achat, surtout quand la situation économique internationale est aussi instable que celle qu'on connaît aujourd'hui. Donc ce que nous voulons, et c'est toutes les décisions que nous avons prises depuis le premier jour d'arrivée de ce gouvernement en situation au mois de mai dernier, attendues vers cela, que ce soit la baisse des impôts, la baisse des charges, l'assouplissement des 35 heures, l'harmonisation du Smic, tout cela va dans le sens d'une simplification et aussi d'une dynamisation de l'économie."
Je fais juste une parenthèse : l'enquête Ernst Young qui est publiée à l'occasion du salon des entrepreneurs, qui a démarré hier, et auquel nous sommes associés nous-mêmes Radio Classique, montre que précisément la France est moins mal placée qu'on ne l'imaginait, puisque dans le classement, ce palmarès des cinq pays où il fait bon créer son entreprise, il se trouve que nous arrivons en quatrième position derrière l'Irlande - ça, vous n'en êtes pas surpris ! -, l'Espagne, le Royaume-Uni... Mais la France est quatrième, ce n'est pas si mal que cela ?
- "Oui, mais l'idée qui est la notre derrière cela, c'est de faire en sorte d'avoir à l'esprit, une clé pour les entrepreneurs et pour les agents économiques en général, c'est la notion d'anticipation. Il faut que la politique économique que nous conduisons soit une politique dans laquelle les gens puissent voir assez loin ce que nous voulons faire. Pourquoi est-ce que nous répétons sans cesse notre bonne volonté dans les démarches d'alléger les contraintes administratives, de baisser les charges fiscales et sociales, de donner de l'oxygène..."
Y compris l'ISF ?
- "Ça, c'est un autre sujet, on peut en parler si vous le souhaitez mais..."
C'est un sujet emblématique !
- "Oui, d'accord, je vais y revenir dans un instant, mais je ne voudrais pas que l'arbre cache la forêt, si je peux me permettre. Donc, encore une fois, les mots d'ordre là-dessus sont des mots d'ordre très clairs : il faut que les agents sachent en matière d'anticipation qu'il n'y aura pas de mauvaises surprises, que notre volonté à nous est de faire en sorte que l'univers soit stabilisé pour encourager l'investissement, l'embauche, et bien entendu les décisions de consommation pour les ménages. Car vous parliez de l'investissement qui se redresse un peu, mais on peut le dire de la même manière de la consommation qui, grâce aux mesures internes que nous avons prises, s'est plutôt améliorée."
D'un mot, l'ISF...
- "Encore une fois, sur ce point précis - et là aussi on va essayer d'éviter la caricature et Dieu sait si dans ce domaine on est plutôt desservi par la gauche, qui n'a plus grand chose à nous reprocher, pour l'instant en tout cas, donc qui se focalise beaucoup là-dessus -, la seule chose qu'on veut dire, c'est que nous appliquons dans ce domaine le même critère que dans tous les autres - l'emploi, l'attractivité du territoire, le pouvoir d'achat... S'il y a possibilité d'inciter, de réorienter une partie de l'épargne vers les fonds propres des entreprises, et ainsi de créer de l'emploi, c'est quelque chose qu'il faut étudier, et donc nous avons un rendez-vous, la semaine prochaine, avec la loi Dutreil sur la création d'entreprise ; ce sera un moment très important pour développer les entreprises dans notre pays..."
Sur le projet de réforme de la loi électorale, dans un autre domaine, les Verts, l'UDF, le PC, pour ne pas en dire plus, sont totalement désespérés par cette loi qu'ils considèrent comme un véritable attentat contre la démocratie ?
- "D'abord, j'ai le sentiment que c'est un sujet qui fait couler beaucoup d'encre alors qu'en réalité... [inaud.] L'objectif est assez simple. Nous avons deux collectivités jeunes, la région, le Parlement européen, appelées à des responsabilités importantes, qui ont besoin l'une et l'autre : pour l'Europe, d'être plus proche des citoyens, l'élu européen et le citoyen ; et pour les régions, il nous faut des majorités claires et stables, parce qu'on ne peut pas avoir des majorités instables. C'est à cela que nous travaillons à travers cette petite réforme, qui est bien modeste."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 31 janvier 2003)
- "Non, nous sommes bien sûr extrêmement attentifs à la situation, heure par heure si je puis dire. Que ce soit M. Alliot-Marie, ministre de la Défense, que ce soit bien entendu D. de Villepin ou le Premier ministre, nous sommes très attentifs à la manière dont les choses se déroulent. Il nous semble, à l'heure où je vous parle, que la situation n'exige pas l'évacuation. Il s'agit simplement pour nous d'être évidemment très attentifs, très vigilants."
Une évacuation massive serait compliquée ?
- "Du point de vue opérationnel, nous sommes tout à fait organisés, préparés pour toute éventualité, mais nous considérons qu'à l'heure où je vous parle, encore une fois, il n'y a pas lieu d'être dans ce processus d'évacuation. [...] Nous sommes très attentifs à tout cela, donc à partir du moment où nous avons une réactivité permanente, nous sommes en situation de pouvoir adresser de manière continue les messages qui s'imposent à nos ressortissants - et aux ressortissants étrangers, car la France considère dans cette affaire devoir être attentive aussi à la sécurité de tous les ressortissants, français et étrangers."
La tenaille américaine se resserre chaque jour un petit peu plus sur l'Irak. La guerre approche manifestement, et huit pays européens, et non des moindres - l'Italie, l'Espagne, la Hongrie, le Danemark, la Pologne, le Portugal et la Grande-Bretagne évidemment - se rangent clairement du côté de G. Bush. La question que je vous pose est simple : est-ce que la France ne se trouve pas un petit peu piégée ?
- "Non je ne crois pas que les choses doivent se positionner en ces termes. La France a une position qui est d'ailleurs, je crois, partagée par de très nombreux autres pays..."
Par l'Allemagne pour le moment...
- "Non, pas seulement, il y en a bien d'autres qui partagent cette opinion : la Russie par exemple, la Chine, évoquent toutes ces questions. Quelle est l'idée ? L'idée est que sur une situation aussi complexe et difficile, c'est la communauté internationale, par la voix du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui doit prendre en dernier ressort les décisions. C'est cela notre démarche et il ne faut rien voir d'autre que celle-là. C'est d'abord l'application de la résolution 1441, décidée par le Conseil de sécurité, et c'est devant le Conseil de sécurité que cela doit être précisément mesuré et évalué. Donc, ne voyons là aucune polémique, mais simplement l'attention qui est la nôtre à ce que le droit international soit respecté."
La France irait jusqu'à opposer son veto ?
- "Encore une fois, pardon de me répéter, mais nous sommes dans cette affaire à suivre en continu la situation. La France par la voix du Président de la République a eu l'occasion de dire qu'elle entendait dans cette affaire se préserver la totalité de sa liberté de décision ; je ne peux rien dire d'autre à ce stade, puisqu'il n'y a pas lieu de dire autre chose..."
Le climat économique et social se dégrade apparemment très vite en ce moment. Les conflits, les fermetures d'usines, tout cela tombe assez brutalement. Metaleurop, Arcelor, Daewoo, et puis on entend parler aujourd'hui ce matin de LU, de Péchiney, etc. Alors, en un mot comme en cent, on a le sentiment que le Gouvernement est un peu dépassé par cette vague de plans sociaux ?
- "Très honnêtement, je ne crois pas qu'il faille faire cette analyse. Le problème n'est pas de savoir - au-delà bien sûr du commentaire quotidien par les observateurs - si le Gouvernement est dépassé ou pas dépassé. Dans un pays comme le nôtre, où la vie économique est-ce qu'elle est, il y a lieu pour le Gouvernement d'être extrêmement attentif et réactif à la situation économique, mais surtout de proposer à l'ensemble des acteurs économiques, entrepreneurs, salariés, et aux citoyens, une politique économique qui soit claire et lisible dans la durée. C'est cela qui compte. Alors, ensuite, il y a bien entendu être capable d'être réactif et d'apporter un accompagnement public dans des situations difficiles, au cas par cas. Vous savez, je crois que l'une des marques de ce gouvernement par rapport au précédent, c'est probablement d'essayer de faire comprendre que l'économie doit divorcer de l'idéologie. Il y en a assez de ces visions incantatoires par lesquelles on essaie de faire croire aux agents économiques que l'homme politique peut tout faire tout seul, doit tout décider tout seul, et qu'en le faisant, en réalité il ne provoque que de la déception."
Allez dire ça aujourd'hui aux salariés de Metaleurop !
- "Ce que nous disons aux salariés qui sont aujourd'hui très préoccupés par cette situation, c'est que nous sommes très attentifs à la situation, mais que nous essayons de l'être de manière constructive, avec trois approches. La première approche, c'est celle du droit : le rôle d'un gouvernement est de s'assurer que le droit, et notamment le droit social, le droit du travail, le droit de l'environnement est respecté. C'est le premier élément et vous avez vu très concrètement, pour ce qui concerne par exemple Metaleurop, qu'une enquête préliminaire sur la responsabilité de la société mère a été ouverte par le Parquet de Paris."
Là, la gauche vous demande su c'était une bonne politique d'avoir suspendu des clauses de la loi de modernisation sociale qui protégeaient précisément les salariés ?
- "Mais c'est de la mauvaise polémique, on retombe justement là dans le schéma idéologique que je dénonçais tout à l'heure. Enfin, tout le monde sait que, malheureusement, Metaleurop en est à son troisième plan social, il y en a déjà eu deux les deux années précédentes, donc à une époque où la loi dite de modernisation sociale, dont on a vu qu'elle n'avait rien modernisé du tout, était en application. Je veux quand même rappeler que cette loi de modernisation sociale a été un formidable facteur de multiplication de dépôts de bilan pour les entreprises, puisque beaucoup d'entre elles, voyant la rigidité extrême des procédures introduites dans les plans sociaux, ont préféré y renoncer et déposer le bilan tout de suite, pour se délocaliser. Alors il va de soi, quand on est dans ce type de situation aussi ubuesque, que le rôle d'un gouvernement est d'être pragmatique. Encore une fois, l'esprit de J.-P. Raffarin, comme d'ailleurs de tous les membres de ce gouvernement, dont beaucoup sont des nouveaux venus d'ailleurs dans l'équipe gouvernementale, c'est de dire qu'on n'est pas obligé, quand on prend une décision, de se demander si elle est bien, si elle a été prévue par le livre des intellectuels de la fin du XIXème siècle ou du début du XXème, alors que tant d'années ont passé depuis et que la société bouge très vite. Nous avons pour vocation d'être réactifs, donc c'est pour ça que j'insiste sur les plans sociaux. Quelle est l'approche qui est la nôtre ? Un, il faut veiller à ce que le droit soit respecté. Le deuxième aspect, c'est que pour les salariés, les hommes et les femmes des entreprises, l'objectif est de mobiliser tous les moyens qui existent, notamment les moyens du service public, de l'emploi, pour faire en sorte que chacun ait droit à un processus de reconversion, c'est essentiel."
De reclasser, bien entendu...
- "De reclassement. Et quel est le gros travail que nous faisons ? C'est un travail dans lequel on essaie d'imaginer, dans la durée, la possibilité de faire une formation tout au long de la vie, car on voit bien que pour beaucoup de ces salariés, il y a là une échéance et une difficulté. On voit bien d'ailleurs qu'il faudra aussi poser le problème aux entreprises qui, pour beaucoup d'entre elles, considèrent que quand on a 45, 50 ans, 53 ans, on n'est plus employable de la même manière. Il y a là un vrai sujet, il va falloir qu'on aborde ce débat, surtout dans une période où nous réfléchissons aux différents temps de la vie et au temps du travail. On ne peut pas d'un côté assouplir, comme on l'a fait, les 35 heures, et de l'autre ne pas poser cette question. Le troisième point, c'est évidemment celui du territoire. On a lancé un grand mouvement de décentralisation, qui est une étape absolument historique, même si aujourd'hui elle n'est pas très perceptible - ce qui est normal au quotidien, elle va l'être de plus en plus. Il faut bien entendu l'appliquer à tous les problèmes économiques de territoires. Aujourd'hui, ce qui compte, c'est que sur le territoire donné, au plus près du terrain, des acteurs publics et des acteurs privés travaillent ensemble pour réussir la réindustrialisation et la reconversion."
Mais cela fait vingt ans qu'on entend cela, depuis la sidérurgie et la grande crise de la Lorraine !
- "Oui, c'est vrai, mais je voudrais dire que dans certains cas, cela n'a plutôt pas si mal marché, les bassins de réindustrialisation sont un modèle remarquable de réussite, malgré les difficultés..."
Ce n'est pas faux... Qu'allez-vous faire concrètement alors ?
- "L'objectif est d'aller plus loin, plus vite, et de manière plus intensive, en donnant de véritables compétences aux acteurs locaux pour travailler ensemble, ce qui n'a pas toujours été le cas dans le passé, où nous avons un pays quand même très centralisé. Nous voulons par exemple appliquer ce qu'on appelle l'expérimentation, à ces bassins de reconversion et de réindustrialisation, des expérimentations comme par exemple les zones franches. Il va y avoir une zone franche qui va se trouver à Hénin-Beaumont, à 15 kilomètres de Noyelles, où se trouve le site de Metaleurop, où on va pouvoir naturellement développer une véritable dynamique économique sur le terrain et non pas depuis Paris. Car le grand problème de notre pays c'est que tout se décide encore trop à Paris et c'est cela qu'il faut changer."
Vous disiez tout à l'heure qu'il fallait réconcilier le monde de l'entreprise et le monde de la politique. Très bien, vaste sujet, manifestement, votre gouvernement et le Premier ministre lui-même d'ailleurs ont fait des gestes forts en la matière. Néanmoins, le comportement de certains patrons, on l'a vu depuis quelques semaines, est très contre-productif pour l'image à la fois de l'entreprise et pour la stratégie qui est la vôtre. Vous en avez conscience ?
- "Naturellement, et je crois qu'il faut bien entendu être particulièrement sévère à l'égard du comportement de certains patrons qui se comportent, d'ailleurs des secteurs très différents si je peux me permettre : on a vu pour les problèmes maritimes..."
Bien entendu, les supers pétroliers à simple coque...
- "Exactement, et de la même manière pour des sites industriels, comme ceux que nous pouvons avoir sur notre territoire. Donc, tout cela est effectivement absolument indigne, et fait beaucoup de mal à l'image de l'entreprise française. Notre rôle dans cette affaire est d'essayer d'avoir une politique économique avec deux ou trois mots d'ordre clairs, qui ne sont pas des mots d'ordre théoriques, mais des mots d'ordre concrets. Le premier d'entre eux, c'est que tout ce que nous faisons doit favoriser l'emploi et le pouvoir d'achat. Pour une raison simple, c'est que la clé majeure d'un bon système économique c'est un système économique où la croissance est suffisamment solide pour générer de l'emploi et du pouvoir d'achat, surtout quand la situation économique internationale est aussi instable que celle qu'on connaît aujourd'hui. Donc ce que nous voulons, et c'est toutes les décisions que nous avons prises depuis le premier jour d'arrivée de ce gouvernement en situation au mois de mai dernier, attendues vers cela, que ce soit la baisse des impôts, la baisse des charges, l'assouplissement des 35 heures, l'harmonisation du Smic, tout cela va dans le sens d'une simplification et aussi d'une dynamisation de l'économie."
Je fais juste une parenthèse : l'enquête Ernst Young qui est publiée à l'occasion du salon des entrepreneurs, qui a démarré hier, et auquel nous sommes associés nous-mêmes Radio Classique, montre que précisément la France est moins mal placée qu'on ne l'imaginait, puisque dans le classement, ce palmarès des cinq pays où il fait bon créer son entreprise, il se trouve que nous arrivons en quatrième position derrière l'Irlande - ça, vous n'en êtes pas surpris ! -, l'Espagne, le Royaume-Uni... Mais la France est quatrième, ce n'est pas si mal que cela ?
- "Oui, mais l'idée qui est la notre derrière cela, c'est de faire en sorte d'avoir à l'esprit, une clé pour les entrepreneurs et pour les agents économiques en général, c'est la notion d'anticipation. Il faut que la politique économique que nous conduisons soit une politique dans laquelle les gens puissent voir assez loin ce que nous voulons faire. Pourquoi est-ce que nous répétons sans cesse notre bonne volonté dans les démarches d'alléger les contraintes administratives, de baisser les charges fiscales et sociales, de donner de l'oxygène..."
Y compris l'ISF ?
- "Ça, c'est un autre sujet, on peut en parler si vous le souhaitez mais..."
C'est un sujet emblématique !
- "Oui, d'accord, je vais y revenir dans un instant, mais je ne voudrais pas que l'arbre cache la forêt, si je peux me permettre. Donc, encore une fois, les mots d'ordre là-dessus sont des mots d'ordre très clairs : il faut que les agents sachent en matière d'anticipation qu'il n'y aura pas de mauvaises surprises, que notre volonté à nous est de faire en sorte que l'univers soit stabilisé pour encourager l'investissement, l'embauche, et bien entendu les décisions de consommation pour les ménages. Car vous parliez de l'investissement qui se redresse un peu, mais on peut le dire de la même manière de la consommation qui, grâce aux mesures internes que nous avons prises, s'est plutôt améliorée."
D'un mot, l'ISF...
- "Encore une fois, sur ce point précis - et là aussi on va essayer d'éviter la caricature et Dieu sait si dans ce domaine on est plutôt desservi par la gauche, qui n'a plus grand chose à nous reprocher, pour l'instant en tout cas, donc qui se focalise beaucoup là-dessus -, la seule chose qu'on veut dire, c'est que nous appliquons dans ce domaine le même critère que dans tous les autres - l'emploi, l'attractivité du territoire, le pouvoir d'achat... S'il y a possibilité d'inciter, de réorienter une partie de l'épargne vers les fonds propres des entreprises, et ainsi de créer de l'emploi, c'est quelque chose qu'il faut étudier, et donc nous avons un rendez-vous, la semaine prochaine, avec la loi Dutreil sur la création d'entreprise ; ce sera un moment très important pour développer les entreprises dans notre pays..."
Sur le projet de réforme de la loi électorale, dans un autre domaine, les Verts, l'UDF, le PC, pour ne pas en dire plus, sont totalement désespérés par cette loi qu'ils considèrent comme un véritable attentat contre la démocratie ?
- "D'abord, j'ai le sentiment que c'est un sujet qui fait couler beaucoup d'encre alors qu'en réalité... [inaud.] L'objectif est assez simple. Nous avons deux collectivités jeunes, la région, le Parlement européen, appelées à des responsabilités importantes, qui ont besoin l'une et l'autre : pour l'Europe, d'être plus proche des citoyens, l'élu européen et le citoyen ; et pour les régions, il nous faut des majorités claires et stables, parce qu'on ne peut pas avoir des majorités instables. C'est à cela que nous travaillons à travers cette petite réforme, qui est bien modeste."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 31 janvier 2003)