Texte intégral
Le moment est venu, sans doute, de débattre un peu plus au fond de ces questions. Je repartirai de la question que M. Dray m'a posée dans son intervention générale, il disait en substance que le Gouvernement avait réussi à remettre la croissance économique sur les rails et il avait l'amabilité de reconnaître que c'était, en grande partie, grâce à la politique économique que nous avions menée. Mais il ajoutait que le problème pour un Ministre de l'Economie et des Finances de gauche n'était pas tant d'obtenir ce résultat que de savoir que faire des fruits de la croissance, ajoutant " beaucoup s'y sont cassés les dents ". Et, selon lui, la solution qu'il a martelée réside dans la redistribution.
C'est sur ce point que je ne suis que partiellement d'accord avec lui. Certes, la redistribution est très importante et c'est un combat que la gauche a toujours menée, notamment en défendant l'Etat-providence. Bien entendu, cette redistribution n'est pas seulement financière, elle passe aussi par les écoles, par les services publics etc... et nous devons faire tout ce qui est possible en faveur de la redistribution.
Mais -et c'est là que je m'écarte de M. Dray- notre mission ne s'arrête pas là. Selon moi, la répartition du revenu primaire est plus importante que la distribution et doit la précéder. Notre rôle ne peut se limiter à laisser fonctionner l'économie de marché et le capitalisme pour n'intervenir qu'ensuite afin de panser les plaies.
Non, nous devons aussi faire en sorte de modifier le capitalisme. Lorsque le Premier ministre parle de régulation domestique, nationale et internationale, cela signifie qu'il faut poser des règles propres à infléchir l'évolution du capitalisme de sorte qu'il nous convienne mieux.
Or, réguler le capitalisme, c'est toucher à la répartition des revenus primaires. Devrions-nous accepter une fois pour toutes que le salarié ne perçoive que le salaire qu'on veut bien lui accorder sans référence à la richesse qu'il crée ? Est-il normal que les prolétaires n'aient d'autres biens que leurs chaînes et leur force de travail à vendre, sans profiter des résultats de l'entreprise, quels qu'ils soient ? Je ne vois aucune raison d'accepter cela, sauf à voir là un moyen de précipiter la chute du capitalisme.... Mais voyez-vous, je suis de ceux qui pensent que Keynes a fait davantage que Rosa Luxembourg pour la classe ouvrière.
Bien entendu le salaire est un moyen privilégié d'agir sur la répartition du revenu primaire et, de ce point de vue, nous n'avons pas à rougir, étant donné l'augmentation du pouvoir d'achat depuis deux ans et demi. Mais le salaire versé ne reflète pas, a priori, la productivité du travail et l'incertitude quant aux résultats de l'entreprise est de plus en plus grande, en raison notamment des évolutions technologiques. Ainsi, on constate au bout de cinq ou dix ans seulement que les entreprises se sont beaucoup développées parce que leurs salariés ont été payés moins qu'ils auraient dû l'être.
Personnellement, je ne me résous pas à ce qu'on achète de force le travail au salarié à un prix qu'il accepte parce qu'il faut bien vivre, étant entendu que tout ce qui en découlera sera pour les autres ! l'épargne salariale est une partie de ce surplus. C'est un sujet majeur de notre société en raison de l'incertitude qui s'attache à la productivité du travail. Nous manquerions à notre devoir si nous ne nous intéressions qu'à la redistribution. Marx a écrit le capital et pas la sécurité sociale ! Ce qui caractérise le capitalisme, c'est la façon dont les revenus primaires sont répartis.
Le Premier ministre a dit, il y a un an environ, qu'il voulait une société de travail et non d'assistance. C'est bien au moment où les richesses se créent que les inégalités apparaissent, et pas au stade de l'assistance, qu'il faut évidemment assurer.
Bref, il faut réformer l'épargne salariale et permettre aux salariés de récupérer une partie des produits de l'entreprise, c'est à dire modifier après coup le partage salaires-profit.
L'épargne salariale est donc au cur de notre projet et je souhaite que nous en débattions à l'occasion d'un texte global, qui ne portera pas seulement sur l'actionnariat salarié. M. Cochet a parlé de la schizophrénie du salarié qui devient actionnaire ; il est vrai, que même si l'on ne peut pas dire qu'il s'exploite lui-même, plus son salaire est élevé, moins il aura de dividendes. Cela dit, ses dividendes étant nettement moins importants que son salaire, il résoudra vite cette contradiction...
Il reste qu'il y aura demain encore plus de salariés qu'aujourd'hui qui défendront des actions - de leur propre entreprise ou d'une autre. Mais l'épargne salariale pourra aussi prendre d'autres formes : une entreprise peut cotiser à un plan d'épargne du salarié.
Le Gouvernement a donc confié à un député expérimenté, Jean-Pierre Balligand, et à l'ancien commissaire au plan, Jean-Baptiste de Foucauld, une mission de réflexion sur l'ensemble de ces questions. Ils remettront leur rapport avant la fin du mois de janvier ; le Gouvernement élaborera ensuite, en collaboration avec vous, un projet de loi.
Parmi les sujets à aborder, il en est un qui a beaucoup de succès depuis quelques jours, celui des stock-options. J'ai déjà dit que ce qui s'est passé à l'occasion de la fusion de deux entreprises pétrolières m'a choqué au moins autant qu'Augustin Bonrepaux. Le régime actuel des stock-options doit évidemment être transformé car il a des défauts dirimants. D'abord, il conduit à distribuer des sommes qui avais-je dit à Strasbourg, dépassent l'entendement ; ensuite, il est totalement opaque ; enfin, il est extrêmement injuste puisque réservé à un petit nombre. Je partage tout ce qui a été dit là-dessus par Augustin Bonrepaux.
Le Gouvernement souhaite que l'on fasse en sorte de mieux associer les salariés aux décisions et à la croissance de leur entreprise, ainsi que de maintenir des centres de décision en France. Dans cet esprit, il demande à la mission Balligand-de Foucauld de remettre à plat le régime des stock-options, en procédant notamment à des comparaisons internationales. Les dispositions qui seront proposées dans le projet de loi que le Gouvernement vous soumettra seront, si vous en décidez ainsi, applicables dès le 1er Janvier 2000.
Elles auront trois objectifs. D'abord, assurer la transparence dans l'attribution des stock-options ; ensuite assurer une diffusion plus large de ces instruments ; enfin, moraliser leur régime fiscal et social, le prélèvement total pouvant varier en fonction de différents paramètres, notamment le risque pris et le montant des plus-values réalisées pour aller jusqu'au taux de l'impôt sur le revenu.
J'invite donc l'Assemblée à ne pas légiférer de façon partielle. Elle peut compter sur le Gouvernement ; elle a déjà dans ce projet de loi de finances satisfaction à la demande qu'avaient formulée des parlementaires l'année dernière, concernant la TVA dans le secteur du bâtiment. C'est pourquoi je demande à ceux qui ont déposé des amendements de les retirer, forts de l'engagement du Gouvernement de réformer l'ensemble du système dans les délais que j'ai indiqués.
(Source http://www.finances.gouv.fr, le 26 octobre 1999)