Texte intégral
Monsieur le Président,
Chers Collègues,
Chers Amis,
Mesdames Messieurs,
Les Journées Annuelles d'Ethique, organisées par le CCNE pour répondre à sa mission d'information et de sensibilisation, sont un rendez vous important auquel participe chaque année un public nombreux et fidèle.
A quelques semaines de la reprise du débat parlementaire sur les lois bioéthiques, ces journées prennent un relief tout particulier.
Je suis heureux de pouvoir aujourd'hui faire le constat d'un succès qui ne se dément pas.
Oui, je suis heureux, et je vous le dis très sincèrement, d'être aujourd'hui parmi vous.
Ma sensibilité à l'éthique, vous le savez, ne date pas d'hier. Elle a bien 20 ans, 20 ans comme bientôt les aura le Comité Consultatif National d'Ethique qui en début d'année prochaine fêtera cet anniversaire.
Ce comité, j'en ai, depuis sa création, suivi avec attention le cheminement et, systématiquement, lu et annoté les recommandations ;
Ce comité, j'ai eu le privilège d'en être membre ;
Ce comité, j'ai la fierté d'avoir porté les Lois qui en ont consacré l'existence législative ;
Ce comité national, enfin n'est pas " un, parmi d'autres " mais bien " Le " Comité Consultatif National d'Ethique.
Je tiens solennellement à le féliciter, à vous féliciter, pour la qualité du travail accompli.
Ce travail remarquable, lourd et difficile, le Comité peut le mener à bien en raison de sa structure qui allie pluridisciplinarité des compétences et pluralité des opinions.
Le CCNE est saisi et se saisit en effet, de questions auxquelles il est difficile d'apporter une réponse simple et qui nécessitent en premier lieu de bien comprendre ce qui est en cause.
Faire une description aussi précise et complète que possible des faits et, acquérir une vision claire de la réalité, font partie intégrante de la réflexion éthique.
C'est un travail considérable et nécessaire à la mise en perspective, au débat, à l'élaboration progressive d'un avis.
Les avis n'ont pas vocation à constituer une réponse toute prête à appliquer, pas plus qu'ils ne lient ceux qui ont pu les solliciter, mais ils sont une aide pour un mieux agir.
La contribution du Comité, dont le seul pouvoir "est celui que lui donne la sagesse de ses avis" pour reprendre les mots du Professeur Jean Bernard, est de ce fait devenue une composante importante dans la gestation de décisions marquantes pour le devenir de nos sociétés.
Face à la difficulté d'effectuer un choix, le politique, le décideur trouvera dans tel avis des raisons d'être conforté, encouragé à faire. L'attention attirée par l'éventail mis à jour des conséquences, il sera parfois au contraire, retenu ou amené au moins à reconsidérer l'option envisagée.
La structure du comité apparaît tout à fait essentielle pour garantir la pertinence d'avis qui marquent pour certains profondément notre société. Lors des nominations, une attention particulière est donc portée au respect de la représentativité tant en terme de compétences disciplinaires que de pluralisme des opinions. Cette exigence a, on le sait conduit à augmenter le nombre de ses membres qui est passé progressivement de 33 à 41.
Si la structure a une telle importance, on doit alors se méfier des succédanés.
Face à la prolifération de comités dont ni les règles de composition ni les missions n'apparaissent clairement définies, on doit, me semble-t-il, s'interroger.
Bien sûr, le travail de compréhension, le travail d'évaluation de nos actions, qui caractérise la pensée éthique ne peut se transmettre par le seul biais des avis émis par le comité national.
La prolifération des comités locaux, observatoires, espaces de réflexion et ateliers éthiques, peut être lue comme la marque de la volonté du plus grand nombre d'être acteur de la réflexion éthique. On peut s'en féliciter dès lors qu'il n'y a pas confusion des genres. Mais comment s'assurer qu'ainsi s'effectue au mieux la transmission de la réflexion éthique ne relève pas de l'évidence. Je tiens, Monsieur le Président, à ce que vous engagiez une réflexion sur cette importante question.
Le Comité Consultatif joue au niveau National un rôle qui, je l'ai dit, le rend indispensable et dont je me félicite. J'aimerais toutefois voir renforcée son action internationale. Je sais Monsieur le Président que c'est bien l'un de vos objectifs. Les échanges avec d'autres comités nationaux ne cessent, sous votre impulsion, de s'amplifier. Ces échanges sont, à n'en point douter, de nature à enrichir vos débats.
Mais je pense qu'il faut oser aller plus loin. Par exemple, le regroupement en un réseau des comités d'éthiques nationaux pourrait au niveau européen donner poids à la défense de valeurs que nous savons communes mais qui peinent parfois à se faire entendre.
Deux exemples récents montrent qu'en l'absence d'un tel dispositif nous perdons en efficacité pour défendre des valeurs qui nous sont communes.
Premier exemple : le clonage reproductif. En dépit de positions convergentes, nous ne sommes pas encore parvenus, avec nos amis allemands, à faire adopter au niveau international une déclaration commune d'interdiction du clonage reproductif. Ce retard est en partie lié à des démarches insuffisamment concertées entre des pays européens qui pourtant se retrouvent pleinement sur l'objectif de fond.
Deuxième exemple : la brevetabilité des gènes humains. Nous sommes, à ce sujet, restés dans l'ambiguïté la plus totale sur la définition de ce qui relève de l'invention et de la découverte, et cela dans le texte même de la directive européenne censée harmoniser les pratiques entre les Etats membres dans le domaine des inventions biotechnologiques.
Partageant les mêmes motivations, les mêmes valeurs, et les mêmes exigences, nous sommes là confrontés à des situations qui auraient manifestement pu bénéficier d'un travail plus approfondi de réflexion au sein d'un réseau des comités d'éthiques nationaux.
Pour terminer, je souhaiterais insister sur ce qui m'apparaît être une exigence pour nos sociétés, à savoir l'éducation à l'éthique.
En 1989, le CCNE s'était avec prudence penché sur la question de l'enseignement de l'éthique. Cette question était considérée alors comme délicate parce que l'éthique implique la référence à des valeurs morales ; elle est également une question délicate parce que l'éthique n'est pas une science : l'éthique est un questionnement et il n'est donc pas simple d'imaginer comment l'enseigner.
Nous nous devons d'aborder à nouveau cette question.
Les futurs citoyens doivent pouvoir comprendre les enjeux soulevés par la recherche scientifique.
Troisième révolution sociale des temps modernes après les révolutions agraires et industrielles, la révolution scientifique donne à la vitesse de déplacement de la frontière des connaissances une telle accélération qu'à peine esquissées, les limites semblent dépassées.
Les repères s'effacent faisant émerger un besoin accru de sens et de délibération éthique, un besoin croissant d'une philosophie de l'action. L'accélération qui est à l'oeuvre impose que nous trouvions les moyens les plus adaptés pour rester maître de nos choix. Il y va de notre liberté.
L'émergence de l'éthique traduit cette quête d'une recherche des comportements les plus conformes à l'idée que l'homme se fait de sa dignité.
L'éducation ne peut ignorer cette exigence.
Au collège, au lycée, à l'université, à tous les niveaux de la formation nous devons avoir présent à l'esprit un impératif : ne pas laisser s'endormir les consciences. A chaque instant, il faut les nourrir, les éveiller, les sensibiliser aux droits mais aussi aux devoirs de l'homme, à la nécessaire prise en compte de l'autre, aujourd'hui et demain, ici et ailleurs.
Le défi du monde moderne n'est-il pas de prendre en compte ce changement d'échelle spatio-temporelle d'une altérité qui n'en reste pas moins ontologique et qui fonde notre dignité.
Pour les professionnels de santé, qui sont, vous le savez, confrontés à une évolution rapide des techniques d'investigation et des thérapeutiques, aux attentes nées du progrès médical, l'éducation à l'éthique revêt une importance toute particulière. Les professions de santé doivent trouver les organisations facilitant l'exercice de la réflexion et le développement de la formation à l'éthique. Je viens précisément de confier à Monsieur Alain Cordier, que je remercie, la présidence d'une mission chargée de me faire des propositions spécifiques à ce secteur.
Mesdames, Messieurs, ces journées sont l'occasion, si ce n'est d'entrer directement au coeur de la gestation des avis, au moins d'en expliciter l'argumentaire. Je vous souhaite de profiter pleinement de cette journée en gardant à l'esprit que l'histoire de l'homme, depuis son apparition sur terre, est faite d'une succession de transgression des limites imposées, pour un temps, à la pensée et à l'action et qu'il n'y a pas de choix éthiques sans tension morale.
(source http://www.sante.gouv.fr, le 29 novembre 2002)