Texte intégral
Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs,
C'est un grand plaisir pour moi de conclure les travaux de votre colloque consacré, cet après-midi, à l'Union européenne et au sport, à la veille de la présidence française de l'Union européenne.
Je souhaite tout d'abord remercier chaleureusement Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale et le féliciter pour son initiative, qui me réjouit autant en tant que ministre chargé des Affaires européennes qu'en tant que sportif et amateur de sport. Avec le rapport d'information, très documenté et pertinent, qu'il a rédigé à la fin de l'année dernière sur ce sujet, Alain Barrau a largement contribué à faire avancer la réflexion sur un thème encore nouveau.
Vos débats de l'après-midi - introduits par ma collègue et amie Marie-George Buffet, dont l'action en faveur du sport, depuis trois ans, est unanimement appréciée - vos débats auxquels, malheureusement, je n'ai pas pu assister entièrement, ont été, m'a-t-on dit, d'un grand intérêt. Vous avez contribué à donner au sport sa vraie place dans le débat communautaire.
Alors que me revient la charge de conclure - ce qui est, dans le domaine des colloques, peut être moins décisif mais tout aussi délicat que dans la plupart des sports - je souhaiterais simplement vous donner quelques éclairages sur la place nouvelle que nous souhaitons donner au sport dans la politique européenne de la France et sur les grandes lignes de ce que pourrait être une stratégie européenne en faveur du sport.
1/ La prise en compte du sport dans les politiques européennes témoigne de notre volonté de bâtir une Europe plus proche des citoyens.
Il y a quelques années, l'idée d'un colloque sur la place du sport dans la thématique européenne serait apparue, au mieux curieuse, au pire déplacée, aux yeux des acteurs habituels de la vie communautaire. C'est qu'effectivement, le sport n'a été pris en compte en tant que tel dans les travaux de l'Union que depuis quelques années, après avoir été longtemps considéré comme un sujet totalement extérieur à la raison d'être de la construction européenne.
Cette évolution, pour laquelle la présidence française va marquer, je l'espère, une étape importante, est positive et symbolique.
Elle est positive car il est clair que les évolutions récentes du sport, au cours de la dernière décennie en particulier, ont rendu nécessaire une prise de conscience à l'échelle du continent. Je ne reviendrai pas en détail sur ce point, car d'éminents spécialistes du sport, plus qualifiés que moi, en ont parlé au cours des discussions. Mais je veux simplement souligner que la commercialisation croissante du sport, l'augmentation exponentielle des enjeux financiers, et leurs conséquences en matière de gestion des carrières des sportifs, de dérive dans la recherche des performances et des records, aboutissent aujourd'hui à la fois à une audience accrue du sport mais aussi à une mise en danger des principes fondamentaux de la pratique sportive.
Les manifestations de ces dérives sont nombreuses. Vous les avez évoquées : recours croissant au dopage, remise en cause de l'équilibre des compétitions du fait des moyens exorbitants dont disposent certains clubs, manipulation de jeunes sportifs mineurs, remise en cause des efforts de formation, etc...
Cette dimension économique croissante du sport l'a fait entrer - avec une certaine logique - dans le cadre de procédures communautaires auxquelles il était auparavant largement étranger, je pense en particulier au droit de la concurrence. Dans ce contexte, l'échelon communautaire est d'abord apparu en négatif, au travers, principalement, de la polémique née des conséquences du fameux arrêt Bosman de la Cour de Justice des Communautés européennes, en 1995, qui a été largement commenté aujourd'hui.
La volonté des autorités françaises, aujourd'hui partagée par la grande majorité de nos partenaires, est bien de définir les conditions d'une nouvelle attitude européenne à l'égard du sport, au service du sport.
Il en va, en fait, de notre volonté plus générale de renforcer l'adhésion des citoyens européens au projet communautaire, en le rendant plus proche de leurs préoccupations concrètes et quotidiennes.
Nous le savons tous, malgré des réalisations remarquables qui ont transformé largement - et positivement - la vie de nos concitoyens, l'idée européenne demeure vécue de façon trop abstraite, comme une machinerie bureaucratique brillante mais complexe, souvent éloignée de la vie réelle. Elle peut même être perçue, quand elle touche à la vie quotidienne, comme une source de réglementations et de décisions tatillonnes, voire négatives.
C'est pour contrecarrer cette perception, parfois justifiée, mais pas toujours, que la France met l'accent sur une Europe du concret, plus en prise avec les préoccupations réelles de chacun. Et il est tout à fait légitime, dans ce contexte, qu'un domaine comme le sport, avec ses implications sociales et humaines, soit désormais traité au niveau européen avec toute l'attention qu'il mérite.
C'est ainsi, comme l'a affirmé le Premier ministre, Lionel Jospin, lors de son discours devant l'Assemblée nationale le 9 mai dernier, que la France agira, pendant sa présidence, en faveur de la préservation de la fonction sociale du sport et de la poursuite de la lutte contre le dopage. Nous travaillerons donc sur cette ligne, avec Marie-George Buffet, au cours du second semestre de cette année.
2/ Je voudrais donc maintenant évoquer devant vous les grandes lignes de ce qui pourrait définir une stratégie européenne en faveur du sport. Nous allons prolonger mais aussi accentuer ce qui est en train de se faire sous la présidence portugaise.
Tout d'abord, je voudrais préciser qu'il n'est aucunement dans notre esprit de mettre sur pied une politique communautaire du sport, au sens où il existe une politique commerciale ou une politique agricole communes. L'uniformisation n'est absolument pas à l'ordre du jour. Elle ne serait pas du tout, au demeurant, la bonne réponse aux interrogations actuelles. Il s'agit plutôt d'adapter, de mettre les instruments communautaires au service du sport.
- Cela passe d'abord par la nécessaire clarification de l'environnement juridique du sport en Europe.
Je l'ai déjà mentionné et vous en avez abondamment parlé au cours de vos débats, la commercialisation des pratiques sportives les a conduit à entrer dans le champ des procédures communautaires, essentiellement pour ce qui concerne les règles de la concurrence et de la libre circulation.
Il convient aujourd'hui de mener une réflexion sérieuse sur les moyens de concilier le nécessaire respect du droit communautaire - et le ministre des Affaires européennes que je suis ne peut que souligner cette primauté du droit - et la préservation tout aussi nécessaire, je partage la formule de Marie-George Buffet, de la spécificité des pratiques sportives.
En premier lieu, il faut reconnaître que la jurisprudence fait déjà la part, plus qu'on ne l'admet généralement, entre les aspects de la pratique sportive qui relèvent d'une activité économique - et donc soumis à l'application des règles communautaires - et ceux qui demeurent de l'unique responsabilité du monde sportif. Il en est ainsi, par exemple, des règles du jeu, des clauses de nationalité pour les équipes nationales ou encore des critères sportifs de sélection lors d'éliminatoires.
De plus, au sein même des dispositions qui relèvent de l'aspect économique des activités sportives, la Cour a admis, en reconnaissant justement l'importance sociale du sport, que certaines exonérations au droit de la concurrence pouvaient être admises : par exemple pour la vente de l'exclusivité des droits de télévision.
En fait, la difficulté vient surtout du quasi vide juridique dans lequel se trouve la Communauté dans le domaine sportif, faute de base juridique dans les traités. C'est cette lacune qui fait reposer toute la responsabilité de l'établissement du droit sur la jurisprudence de la Cour, alors même que celle-ci, justement, dispose d'un cadre de référence succinct.
Le souhait des autorités françaises est donc, en conséquence, dans la ligne des propositions du rapport d'Helsinki, d'une clarification de l'environnement juridique, qui passe, selon moi, par la mise en place d'un véritable corpus juridique, destiné à garantir le respect des spécificités du sport dans le cadre nécessaire de l'application des grands principes de la liberté de circulation et de la concurrence.
Ce cadre juridique nouveau pourrait prendre des formes variables selon les questions précises devant être traitées :
- S'agissant des clauses de nationalité et des règles en matière de transferts de joueurs, aspects emblématiques de l'arrêt Bosman, le gouvernement français souhaite que soit préservé l'équilibre entre les clubs, nécessaire au maintien d'une compétition équitable, que soient garanties les politiques de formation des clubs et, enfin, que soient protégés les intérêts des joueurs, en particulier des mineurs, contre des pratiques commerciales abusives.
Ces orientations pourraient utilement figurer dans une déclaration sur la spécificité sportive, que pourrait adopter le Conseil européen de Nice, en décembre prochain. Sans remettre en cause, bien entendu, les principes fondamentaux du droit communautaire, cette déclaration permettrait de marquer clairement et solennellement l'engagement des Etats membres en faveur du respect des valeurs sportives.
- S'agissant plus spécifiquement de la préservation des intérêts des sportifs et des clubs lors des transferts, il pourrait être envisagé, par voie de règlement, la mise en place de contrats-types, prévoyant les indemnités en cas de rupture anticipée. Devraient également faire l'objet d'une prise en compte - je sais que Marie-George Buffet, avec raison, en fait un point central - les intérêts des sportifs mineurs.
Quant à la question des règles de nationalité au sein des clubs, je ne méconnais ni la réelle difficulté juridique liée à la force du principe de la libre circulation des travailleurs, ni les conséquences négatives de la suppression de toute limite du nombre de joueurs étrangers. Nous avons noté avec intérêt les propositions de l'UEFA et de la FIFA - dont je salue les responsables ici présents - pour la règle "6 nationaux, 5 étrangers" et souhaitons que le dialogue puisse se poursuivre entre le mouvement sportif, les Etats membres et les instances communautaires, pour faire avancer ce point.
Je suis convaincu, en tout cas, qu'une prise de position claire et solennelle des chefs d'Etat et de gouvernement des Quinze contribuera à orienter de façon décisive le débat dans la bonne direction.
- En complément de cette déclaration, d'autres décisions et actes pourraient être envisagés afin de préserver d'autres aspects des activités sportives.
Je pense notamment à la question du monopole d'organisation des compétitions sportives par les fédérations nationales, que certains groupements uniquement commerciaux pourraient chercher à remettre en cause, au nom du droit de la concurrence. Face à cela, et afin de bien marquer notre attachement à ce principe, à l'organisation pyramidale des divisions, au principe relégation/promotion, au lien entre sport amateur et sport professionnel, nous pourrions envisager, par exemple par le biais d'une déclaration conjointe Conseil/Commission, de garantir juridiquement le principe du monopole d'organisation.
De même, le système de vente collective de droits exclusifs des retransmissions télévisées, qui est désormais essentiel pour le financement de plusieurs sports, pourrait être garanti par un règlement, sous réserve - et j'insiste sur ce point car nous avons vu de réels abus en ce domaine - que soit assurés, parallèlement, le respect du droit à l'information, le principe de redistribution des fédérations vers les clubs ou encore la promotion des sports moins connus à la télévision.
Enfin, pour citer un dernier exemple, les aides publiques aux clubs et associations sportives pourraient être garanties en étant incluses parmi les aides d'Etat autorisées. Cela parait d'autant plus indispensable dans le contexte actuel pour maintenir une certaine équité entre "petits" et "grands" clubs.
Je termine sur ce point en soulignant que, non seulement, cette clarification du droit applicable pourra prévenir des évolutions qui iraient à l'encontre des intérêts du sport, mais que, bien plus, le droit communautaire peut être un instrument au service de la préservation des valeurs sportives, ce qui n'est pas toujours mis en valeur.
On peut ainsi souligner que c'est l'application des règles de la concurrence qui empêche la propriété de plusieurs équipes par un même groupe commercial, tentation qui existe, vous le savez, et qui pourrait évidemment remettre en cause l'intérêt et la bonne foi des compétitions.
De même, l'on pourrait se demander si la situation de certains clubs étrangers, dont les capacités financières reposent en fait sur l'absorption de leurs déficits par la puissance publique, ne contrevient pas à l'interdiction de principe des aides d'Etat. Il y a là un élément qui remet incontestablement en cause l'équilibre de certaines compétitions, surtout quand on connaît la sévérité de la réglementation française à ce sujet.
Ceci m'amène à aborder le deuxième volet de la stratégie que peut mener l'Europe en matière sportive, où il ne s'agit pas seulement de préciser le cadre juridique, mais, de façon dynamique, d'utiliser les instruments communautaires au service du sport.
Il en est ainsi, bien entendu, de la lutte contre le dopage, priorité des autorités françaises depuis plusieurs années, et que Marie-George Buffet assure avec énergie et efficacité. Il est indispensable, pour qu'elle soit encore plus efficace, que la lutte contre le dopage soit menée de façon concertée par l'ensemble des pays européens, qu'il s'agisse de la définition des produits interdits, de la lutte contre leur trafic ou encore des systèmes de contrôle et de prévention. La présidence française y consacrera donc une attention particulière.
De même, nous accordons une importance majeure à la mise en place rapide et efficace de l'Agence mondiale antidopage, avec une participation active de l'Union européenne. Je ne peux pas dire que nous soyons pleinement rassurés, à ce stade, sur ces deux points. Nous continuerons donc, dans la ligne de l'attitude très responsable qu'a adoptée Mme Buffet, de mener un travail de persuasion auprès de nos partenaires.
Je ne peux pas oublier, non plus, de mentionner la lutte nécessaire que les pays européens doivent mener contre la violence dans le sport et autour du sport. J'adresse, à cet égard, tous mes encouragements aux autorités belges et néerlandaises, à la veille de l'Euro 2000, et les assure qu'elles bénéficieront de toute la collaboration des autorités françaises.
Au-delà du dopage et de la violence, de nombreux outils communautaires peuvent être mis au service de la pratique du sport. Je pense, en particulier, au sport amateur, auquel la France accorde une grande importance, ou au développement du sport à l'école.
Il est donc important, et je terminerai sur ce point, que la concertation entre le mouvement sportif, les Etats membres et les instances communautaires, bien sûr aussi les entreprises puisse se renforcer, afin, notamment, que la dimension sportive soit prise en compte comme il convient dans l'élaboration des politiques communautaires dans le domaine social, en matière de développement urbain ou encore dans le domaine de la santé.
Je me réjouis ainsi de la perspective de la tenue, pour la première fois depuis plusieurs années, du Forum européen du sport, sous présidence française, à l'automne. Il sera un moment important sur le chemin de la reconnaissance du sport comme un élément à part entière de la vie sociale des Européens.
Mesdames et Messieurs,
Le forum d'aujourd'hui l'a bien montré, les autorités françaises sont déterminées, après les Portugais qui ont montré la voie, à donner le coup d'envoi d'une véritable stratégie européenne au service du sport. Au cours d'un semestre qui sera riche en événements sportifs de première importance, en commençant, au deuxième jour de notre présidence, le 2 juillet, par la finale de l'Euro 2000, de laquelle, j'en suis convaincu, nous ne serons pas absents, et en poursuivant, bien sûr, par les Jeux olympiques, nous nous efforcerons ainsi à la fois de faire progresser notre conception humaniste du sport telle que l'avait si bien exprimée le baron de Coubertin voici plus d'un siècle et notre vision d'une Europe mieux comprise parce que plus proche des citoyens.
Je vous remercie.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 juin 2000)
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs,
C'est un grand plaisir pour moi de conclure les travaux de votre colloque consacré, cet après-midi, à l'Union européenne et au sport, à la veille de la présidence française de l'Union européenne.
Je souhaite tout d'abord remercier chaleureusement Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale et le féliciter pour son initiative, qui me réjouit autant en tant que ministre chargé des Affaires européennes qu'en tant que sportif et amateur de sport. Avec le rapport d'information, très documenté et pertinent, qu'il a rédigé à la fin de l'année dernière sur ce sujet, Alain Barrau a largement contribué à faire avancer la réflexion sur un thème encore nouveau.
Vos débats de l'après-midi - introduits par ma collègue et amie Marie-George Buffet, dont l'action en faveur du sport, depuis trois ans, est unanimement appréciée - vos débats auxquels, malheureusement, je n'ai pas pu assister entièrement, ont été, m'a-t-on dit, d'un grand intérêt. Vous avez contribué à donner au sport sa vraie place dans le débat communautaire.
Alors que me revient la charge de conclure - ce qui est, dans le domaine des colloques, peut être moins décisif mais tout aussi délicat que dans la plupart des sports - je souhaiterais simplement vous donner quelques éclairages sur la place nouvelle que nous souhaitons donner au sport dans la politique européenne de la France et sur les grandes lignes de ce que pourrait être une stratégie européenne en faveur du sport.
1/ La prise en compte du sport dans les politiques européennes témoigne de notre volonté de bâtir une Europe plus proche des citoyens.
Il y a quelques années, l'idée d'un colloque sur la place du sport dans la thématique européenne serait apparue, au mieux curieuse, au pire déplacée, aux yeux des acteurs habituels de la vie communautaire. C'est qu'effectivement, le sport n'a été pris en compte en tant que tel dans les travaux de l'Union que depuis quelques années, après avoir été longtemps considéré comme un sujet totalement extérieur à la raison d'être de la construction européenne.
Cette évolution, pour laquelle la présidence française va marquer, je l'espère, une étape importante, est positive et symbolique.
Elle est positive car il est clair que les évolutions récentes du sport, au cours de la dernière décennie en particulier, ont rendu nécessaire une prise de conscience à l'échelle du continent. Je ne reviendrai pas en détail sur ce point, car d'éminents spécialistes du sport, plus qualifiés que moi, en ont parlé au cours des discussions. Mais je veux simplement souligner que la commercialisation croissante du sport, l'augmentation exponentielle des enjeux financiers, et leurs conséquences en matière de gestion des carrières des sportifs, de dérive dans la recherche des performances et des records, aboutissent aujourd'hui à la fois à une audience accrue du sport mais aussi à une mise en danger des principes fondamentaux de la pratique sportive.
Les manifestations de ces dérives sont nombreuses. Vous les avez évoquées : recours croissant au dopage, remise en cause de l'équilibre des compétitions du fait des moyens exorbitants dont disposent certains clubs, manipulation de jeunes sportifs mineurs, remise en cause des efforts de formation, etc...
Cette dimension économique croissante du sport l'a fait entrer - avec une certaine logique - dans le cadre de procédures communautaires auxquelles il était auparavant largement étranger, je pense en particulier au droit de la concurrence. Dans ce contexte, l'échelon communautaire est d'abord apparu en négatif, au travers, principalement, de la polémique née des conséquences du fameux arrêt Bosman de la Cour de Justice des Communautés européennes, en 1995, qui a été largement commenté aujourd'hui.
La volonté des autorités françaises, aujourd'hui partagée par la grande majorité de nos partenaires, est bien de définir les conditions d'une nouvelle attitude européenne à l'égard du sport, au service du sport.
Il en va, en fait, de notre volonté plus générale de renforcer l'adhésion des citoyens européens au projet communautaire, en le rendant plus proche de leurs préoccupations concrètes et quotidiennes.
Nous le savons tous, malgré des réalisations remarquables qui ont transformé largement - et positivement - la vie de nos concitoyens, l'idée européenne demeure vécue de façon trop abstraite, comme une machinerie bureaucratique brillante mais complexe, souvent éloignée de la vie réelle. Elle peut même être perçue, quand elle touche à la vie quotidienne, comme une source de réglementations et de décisions tatillonnes, voire négatives.
C'est pour contrecarrer cette perception, parfois justifiée, mais pas toujours, que la France met l'accent sur une Europe du concret, plus en prise avec les préoccupations réelles de chacun. Et il est tout à fait légitime, dans ce contexte, qu'un domaine comme le sport, avec ses implications sociales et humaines, soit désormais traité au niveau européen avec toute l'attention qu'il mérite.
C'est ainsi, comme l'a affirmé le Premier ministre, Lionel Jospin, lors de son discours devant l'Assemblée nationale le 9 mai dernier, que la France agira, pendant sa présidence, en faveur de la préservation de la fonction sociale du sport et de la poursuite de la lutte contre le dopage. Nous travaillerons donc sur cette ligne, avec Marie-George Buffet, au cours du second semestre de cette année.
2/ Je voudrais donc maintenant évoquer devant vous les grandes lignes de ce qui pourrait définir une stratégie européenne en faveur du sport. Nous allons prolonger mais aussi accentuer ce qui est en train de se faire sous la présidence portugaise.
Tout d'abord, je voudrais préciser qu'il n'est aucunement dans notre esprit de mettre sur pied une politique communautaire du sport, au sens où il existe une politique commerciale ou une politique agricole communes. L'uniformisation n'est absolument pas à l'ordre du jour. Elle ne serait pas du tout, au demeurant, la bonne réponse aux interrogations actuelles. Il s'agit plutôt d'adapter, de mettre les instruments communautaires au service du sport.
- Cela passe d'abord par la nécessaire clarification de l'environnement juridique du sport en Europe.
Je l'ai déjà mentionné et vous en avez abondamment parlé au cours de vos débats, la commercialisation des pratiques sportives les a conduit à entrer dans le champ des procédures communautaires, essentiellement pour ce qui concerne les règles de la concurrence et de la libre circulation.
Il convient aujourd'hui de mener une réflexion sérieuse sur les moyens de concilier le nécessaire respect du droit communautaire - et le ministre des Affaires européennes que je suis ne peut que souligner cette primauté du droit - et la préservation tout aussi nécessaire, je partage la formule de Marie-George Buffet, de la spécificité des pratiques sportives.
En premier lieu, il faut reconnaître que la jurisprudence fait déjà la part, plus qu'on ne l'admet généralement, entre les aspects de la pratique sportive qui relèvent d'une activité économique - et donc soumis à l'application des règles communautaires - et ceux qui demeurent de l'unique responsabilité du monde sportif. Il en est ainsi, par exemple, des règles du jeu, des clauses de nationalité pour les équipes nationales ou encore des critères sportifs de sélection lors d'éliminatoires.
De plus, au sein même des dispositions qui relèvent de l'aspect économique des activités sportives, la Cour a admis, en reconnaissant justement l'importance sociale du sport, que certaines exonérations au droit de la concurrence pouvaient être admises : par exemple pour la vente de l'exclusivité des droits de télévision.
En fait, la difficulté vient surtout du quasi vide juridique dans lequel se trouve la Communauté dans le domaine sportif, faute de base juridique dans les traités. C'est cette lacune qui fait reposer toute la responsabilité de l'établissement du droit sur la jurisprudence de la Cour, alors même que celle-ci, justement, dispose d'un cadre de référence succinct.
Le souhait des autorités françaises est donc, en conséquence, dans la ligne des propositions du rapport d'Helsinki, d'une clarification de l'environnement juridique, qui passe, selon moi, par la mise en place d'un véritable corpus juridique, destiné à garantir le respect des spécificités du sport dans le cadre nécessaire de l'application des grands principes de la liberté de circulation et de la concurrence.
Ce cadre juridique nouveau pourrait prendre des formes variables selon les questions précises devant être traitées :
- S'agissant des clauses de nationalité et des règles en matière de transferts de joueurs, aspects emblématiques de l'arrêt Bosman, le gouvernement français souhaite que soit préservé l'équilibre entre les clubs, nécessaire au maintien d'une compétition équitable, que soient garanties les politiques de formation des clubs et, enfin, que soient protégés les intérêts des joueurs, en particulier des mineurs, contre des pratiques commerciales abusives.
Ces orientations pourraient utilement figurer dans une déclaration sur la spécificité sportive, que pourrait adopter le Conseil européen de Nice, en décembre prochain. Sans remettre en cause, bien entendu, les principes fondamentaux du droit communautaire, cette déclaration permettrait de marquer clairement et solennellement l'engagement des Etats membres en faveur du respect des valeurs sportives.
- S'agissant plus spécifiquement de la préservation des intérêts des sportifs et des clubs lors des transferts, il pourrait être envisagé, par voie de règlement, la mise en place de contrats-types, prévoyant les indemnités en cas de rupture anticipée. Devraient également faire l'objet d'une prise en compte - je sais que Marie-George Buffet, avec raison, en fait un point central - les intérêts des sportifs mineurs.
Quant à la question des règles de nationalité au sein des clubs, je ne méconnais ni la réelle difficulté juridique liée à la force du principe de la libre circulation des travailleurs, ni les conséquences négatives de la suppression de toute limite du nombre de joueurs étrangers. Nous avons noté avec intérêt les propositions de l'UEFA et de la FIFA - dont je salue les responsables ici présents - pour la règle "6 nationaux, 5 étrangers" et souhaitons que le dialogue puisse se poursuivre entre le mouvement sportif, les Etats membres et les instances communautaires, pour faire avancer ce point.
Je suis convaincu, en tout cas, qu'une prise de position claire et solennelle des chefs d'Etat et de gouvernement des Quinze contribuera à orienter de façon décisive le débat dans la bonne direction.
- En complément de cette déclaration, d'autres décisions et actes pourraient être envisagés afin de préserver d'autres aspects des activités sportives.
Je pense notamment à la question du monopole d'organisation des compétitions sportives par les fédérations nationales, que certains groupements uniquement commerciaux pourraient chercher à remettre en cause, au nom du droit de la concurrence. Face à cela, et afin de bien marquer notre attachement à ce principe, à l'organisation pyramidale des divisions, au principe relégation/promotion, au lien entre sport amateur et sport professionnel, nous pourrions envisager, par exemple par le biais d'une déclaration conjointe Conseil/Commission, de garantir juridiquement le principe du monopole d'organisation.
De même, le système de vente collective de droits exclusifs des retransmissions télévisées, qui est désormais essentiel pour le financement de plusieurs sports, pourrait être garanti par un règlement, sous réserve - et j'insiste sur ce point car nous avons vu de réels abus en ce domaine - que soit assurés, parallèlement, le respect du droit à l'information, le principe de redistribution des fédérations vers les clubs ou encore la promotion des sports moins connus à la télévision.
Enfin, pour citer un dernier exemple, les aides publiques aux clubs et associations sportives pourraient être garanties en étant incluses parmi les aides d'Etat autorisées. Cela parait d'autant plus indispensable dans le contexte actuel pour maintenir une certaine équité entre "petits" et "grands" clubs.
Je termine sur ce point en soulignant que, non seulement, cette clarification du droit applicable pourra prévenir des évolutions qui iraient à l'encontre des intérêts du sport, mais que, bien plus, le droit communautaire peut être un instrument au service de la préservation des valeurs sportives, ce qui n'est pas toujours mis en valeur.
On peut ainsi souligner que c'est l'application des règles de la concurrence qui empêche la propriété de plusieurs équipes par un même groupe commercial, tentation qui existe, vous le savez, et qui pourrait évidemment remettre en cause l'intérêt et la bonne foi des compétitions.
De même, l'on pourrait se demander si la situation de certains clubs étrangers, dont les capacités financières reposent en fait sur l'absorption de leurs déficits par la puissance publique, ne contrevient pas à l'interdiction de principe des aides d'Etat. Il y a là un élément qui remet incontestablement en cause l'équilibre de certaines compétitions, surtout quand on connaît la sévérité de la réglementation française à ce sujet.
Ceci m'amène à aborder le deuxième volet de la stratégie que peut mener l'Europe en matière sportive, où il ne s'agit pas seulement de préciser le cadre juridique, mais, de façon dynamique, d'utiliser les instruments communautaires au service du sport.
Il en est ainsi, bien entendu, de la lutte contre le dopage, priorité des autorités françaises depuis plusieurs années, et que Marie-George Buffet assure avec énergie et efficacité. Il est indispensable, pour qu'elle soit encore plus efficace, que la lutte contre le dopage soit menée de façon concertée par l'ensemble des pays européens, qu'il s'agisse de la définition des produits interdits, de la lutte contre leur trafic ou encore des systèmes de contrôle et de prévention. La présidence française y consacrera donc une attention particulière.
De même, nous accordons une importance majeure à la mise en place rapide et efficace de l'Agence mondiale antidopage, avec une participation active de l'Union européenne. Je ne peux pas dire que nous soyons pleinement rassurés, à ce stade, sur ces deux points. Nous continuerons donc, dans la ligne de l'attitude très responsable qu'a adoptée Mme Buffet, de mener un travail de persuasion auprès de nos partenaires.
Je ne peux pas oublier, non plus, de mentionner la lutte nécessaire que les pays européens doivent mener contre la violence dans le sport et autour du sport. J'adresse, à cet égard, tous mes encouragements aux autorités belges et néerlandaises, à la veille de l'Euro 2000, et les assure qu'elles bénéficieront de toute la collaboration des autorités françaises.
Au-delà du dopage et de la violence, de nombreux outils communautaires peuvent être mis au service de la pratique du sport. Je pense, en particulier, au sport amateur, auquel la France accorde une grande importance, ou au développement du sport à l'école.
Il est donc important, et je terminerai sur ce point, que la concertation entre le mouvement sportif, les Etats membres et les instances communautaires, bien sûr aussi les entreprises puisse se renforcer, afin, notamment, que la dimension sportive soit prise en compte comme il convient dans l'élaboration des politiques communautaires dans le domaine social, en matière de développement urbain ou encore dans le domaine de la santé.
Je me réjouis ainsi de la perspective de la tenue, pour la première fois depuis plusieurs années, du Forum européen du sport, sous présidence française, à l'automne. Il sera un moment important sur le chemin de la reconnaissance du sport comme un élément à part entière de la vie sociale des Européens.
Mesdames et Messieurs,
Le forum d'aujourd'hui l'a bien montré, les autorités françaises sont déterminées, après les Portugais qui ont montré la voie, à donner le coup d'envoi d'une véritable stratégie européenne au service du sport. Au cours d'un semestre qui sera riche en événements sportifs de première importance, en commençant, au deuxième jour de notre présidence, le 2 juillet, par la finale de l'Euro 2000, de laquelle, j'en suis convaincu, nous ne serons pas absents, et en poursuivant, bien sûr, par les Jeux olympiques, nous nous efforcerons ainsi à la fois de faire progresser notre conception humaniste du sport telle que l'avait si bien exprimée le baron de Coubertin voici plus d'un siècle et notre vision d'une Europe mieux comprise parce que plus proche des citoyens.
Je vous remercie.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 juin 2000)