Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, dans "Le Journal du dimanche" le 2 février 2003, sur la place de l'UDF dans la majorité et son opposition au projet de réforme des scrutins régionaux et européens, sur la question irakienne et la division des pays européens quant au soutien aux Etats-Unis et sur la situation en Côte-d'Ivoire.

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L'UDF a fêté hier ses 25 ans. Un anniversaire bien silencieux. Est-ce parce que l'ancien grand parti est devenu tout petit ?
L'UDF a changé de nature, et c'est beaucoup mieux ! Depuis 1978, hélas, cela a été " division à tous les étages " : les giscardiens contre les barristes, les PR contre les centristes, et chacun tirait la couverture à lui. Ces querelles et rivalités ont empêché l'UDF de gouverner la France. Depuis six mois, tous ceux qui voulaient couler le navire l'ont quitté. Les divisions ont disparu. En quelques mois, l'UDF a été vue différemment par les Français, plus courageuse, plus tranchée. Cette UDF intéresse les Français.
Mais à quel prix !
C'est vrai, cette période a été dure à vivre et nous avons payé le prix fort. Mais elle est derrière nous. Aujourd'hui, 30 députés, 30 sénateurs, 8 parlementaires européens : trois groupes soudés qui font de l'UDF la troisième force parlementaire française. Enfin, nos idées, notre différence sont devenues audibles. C'était ce qui nous manquait depuis tant d'années.
Vous défendez le pluralisme, mais c'est la lutte du pot de terre Bayrou contre le pot de fer Juppé.
Je suis certain que ce combat pour le pluralisme sera gagné ! L'UMP d'Alain Juppé a tous les pouvoirs, mais les Français, eux, sont pour le pluralisme : ils refusent le monopole d'un parti unique, concentrant tous les pouvoirs et déterminé à cadenasser la démocratie en France. La démocratie, c'est respecter les différences et tenir compte des autres. C'est un combat essentiel. Il sera gagné.
D'où votre fureur contre la réforme des scrutins, régional et européen.
Après avoir promis sur tous les tons qu'on allait gouverner autrement, voilà qu'on n'a rien de plus urgent que de trafiquer les modes de scrutin. Aux européennes, une loi électorale incompréhensible même pour les experts qui empêchera tout vrai débat européen et fera grimper l'abstention à des niveaux jamais atteints. Aux régionales, une loi destinée à faire disparaître toute représentation autre que UMP et PS. Ce n'est pas la démocratie, c'est le verrouillage. Pour moi, dès qu'une majorité franche est assurée, toutes les sensibilités doivent pouvoir être représentées et faire entendre leur voix.
Ce raisonnement vaut donc aussi pour le Front national
Bien sûr, moi qui me suis battu depuis des années contre l'extrême droite, j'affirme que trafiquer les modes de scrutin ce n'est pas combattre l'extrémisme, c'est le favoriser.
Des " petits partis ", de gauche et de droite, s'élèvent aussi contre ce projet. Prendrez-vous une initiative commune ?
J'y travaille. Au second tour de l'élection présidentielle, il y a eu 82% d'électeurs, qu'ils viennent de droite, de gauche ou du centre, qui ont voté pour Jacques Chirac au nom des principes démocratiques. Un contrat moral a été passé. Nous lui demandons de le respecter.
L'Europe se divise sur la question irakienne : huit dirigeants européens expriment leur soutien aux États-Unis, isolant la France et l'Allemagne.
L'Europe se retrouve en miettes. Chacun a choisi de jouer sa carte personnelle et le résultat est là : dispersion assurée et impuissance collective garantie. Quel recul ! La division de l'Europe rend notre voix inaudible. Maintenant la seule question devrait être : comment reconstruire ? La France devrait demander en urgence une réunion au sommet, un conseil des chefs d'Etat et de gouvernement pour sortir de cette terrible impasse.
Vous avez pourtant récemment approuvé l'action diplomatique de la France ?
La ligne de la France, selon moi, devrait être : ONU et Europe. Respect de l'ONU pour que le droit international l'emporte sur la force et position européenne pour que l'on n'ait pas d'un côté les vassaux des Américains et de l'autre des protestataires impuissants. Car le risque est qu'au bout de cette crise il n'y ait plus ni ONU ni Europe.
La situation en Côte d'Ivoire vous inquiète-t-elle ?
Comment pourrait-il en être autrement ? Les Français sont menacés, la position de la France est affaiblie, peut-être pour longtemps. Je n'arrive pas bien à comprendre comment on a pu décider que les " rebelles " se verraient confier les ministères de la Défense et de l'Intérieur.
Votre opinion sur Lionel Jospin, qui dans le Monde reprend la parole " pour être utile " ?
Ce qui m'a frappé à la lecture de ce texte, c'est que tout est pour lui de la faute des autres. Il n'y a aucune remise en question de sa manière de gouverner ou de sa politique.
Propos recueillis par Virginie Le Gay
(Source http://www.udf.org, le 4 février 2003)