Texte intégral
Je suis heureux d'être avec vous ce soir pour remettre à Bruno FORTIER le Grand Prix de l'Urbanisme 2002.
Comme maire d'Amiens, j'ai eu l'occasion de connaître et d'apprécier nombre d'entre vous. Vous connaissez, je pense, ma passion pour l'urbanisme et l'architecture.
Vous retrouver aujourd'hui en tant que ministre en charge de l'urbanisme est
donc, pour moi, une réelle fierté.
Ce grand prix, c'est d'abord, chaque année, l'occasion de saluer et de mettre à l'honneur votre profession.
Nos villes ont besoin de gens qui fassent se rencontrer ingénieurs, constructeurs, économistes, architectes. Nos villes ont besoin de gens qui connaissent les transports, le commerce, l'assainissement des eaux usées et les pratiques culturelles qui sachent compter, dessiner, s'exprimer en public, faciliter les concertations...
Bref, nos villes ont besoin de ces hommes-orchestres et de ces femmes-orchestres
que sont les urbanistes.
Pour le Grand Prix 2002, trois fils rouges se sont dégagés : les grands territoires, la ville malade, les infrastructures.
Les grands territoires d'abord.
Du logement à l'urbanisme commercial, en passant par les transports, nos villes ont besoin de cohérence. A l'échelle des quartiers, des villes et des grands territoires, des outils sont nécessaires pour assurer cette cohérence. Dans un pays décentralisé, il n'appartient pas à l'État d'imposer un modèle particulier d'organisation urbaine ; c'est aux élus locaux de choisir les orientations à donner à l'organisation de leurs villes.
Il m'appartient seulement de faciliter le travail en commun des élus, de leur donner des outils.
"Donner aux élus les outils pour travailler ensemble, faciliter le recours aux urbanistes" : c'est dans cet esprit que je travaille, avec mes collègues en charge des libertés locales et de l'aménagement du territoire, à la mise en harmonie des lois VOYNET, CHEVENEMENT et SRU, voulue par le Premier Ministre.
Vous savez qu'en attendant cette réforme, le gouvernement a décidé de présenter au Parlement quelques mesures "d'urgence" pour débloquer la production de terrains. Il m'appartient en effet aussi de permettre aux urbanistes de travailler sur du concret, notamment en facilitant la production de foncier.
Sans entrer dans le détail, je vous indique simplement qu'il ne s'agit pas de bouleverser les textes en vigueur mais de donner aux élus locaux les souplesses nécessaires. En évitant bien entendu la dérive des villes à l'américaine, cette respiration urbaine me semble véritablement urgente.
Un mot sur votre deuxième thème, la ville malade et notamment sur la mixité sociale.
Beaucoup de nos agglomérations sont, vous le savez, confrontées à des écarts sociaux qui s'aggravent entre quartiers et entre communes. Pour une large part, ces difficultés trouvent leurs sources dans une mauvaise répartition de l'habitat social. Comme je l'ai dit, et comme je veux le réaffirmer avec force, le gouvernement défend la mixité sociale. Il n'y renoncera en rien.
J'en viens aux infrastructures de transport. Je me sens doublement concerné, comme ministre chargé de l'Urbanisme mais aussi comme ministre des Transports. Je suis profondément convaincu qu'il y a là une question majeure : quelle place pour les gares, les ports, les voies ferrées, les routes dans la ville ? Qu'il s'agisse de nouveau projet ou de requalification des sites autrefois dédiés au transport. A Marseille, avec le projet Euroméditerrannée, à Bordeaux, à Amiens, au Havre, cette réflexion sur les transports interpelle les urbanistes.
Bruno FORTIER intervient d'ailleurs, je crois, dans plusieurs de ces projets.
Les grands territoires, la ville malade, les infrastructures de transport.
Vous me permettrez d'ajouter un mot sur l'Europe.
Il me semble que mon rôle de ministre est aussi de porter au niveau européen, l'expérience française et de favoriser les échanges avec nos amis. Je crois qu'il y a la place, dans le respect du principe de subsidiarité, pour un travail européen sur les défis de la ville pour l'avenir : "marier les fragments de la ville, la ville qui réussit et la ville en difficulté, la ville historique, la ville consolidée, la ville périphérique, la ville diffuse, pour créer un sentiment d'identité et d'appartenance des citadins quelle que soit leur origine et lieu de vie" : il y a là un enjeu qui n'est pas franco-français.
Avant d'en venir au Grand Prix lui-même, qui est l'occasion de célébrer le travail et le talent des nominés et du lauréat, je voudrais avoir une pensée pour quelqu'un qui nous a quittés l'an dernier et qui était un très, très grand professionnel. Je veux parler de Bernard HUET qui avait reçu ce Grand Prix en 1993. Il était un homme de grande qualité, dont j'appréciais la culture et le talent.
En distinguant cinq nominés aux profils très divers, le jury a voulu distinguer des personnalités importantes et témoigner de la pluralité des métiers de l'urbanisme
François ASCHER démontre que la recherche peut guider l'action au service de la ville.
François GRETHER, avec qui j'ai le grand bonheur de travailler, souligne à quel point "projet urbain" et "temps" se conjuguent, comment la règle peut être au service du projet.
Bernardo SECCHI montre où sont les questions d'avenir de la ville et notamment de la ville diffuse.
Jean-Pierre CHARBONNEAU invente un métier d'assistant à maîtrise d'ouvrage, à la confluence de l'urbanisme et de l'art contemporain.
Bernard REICHEN montre comment en réutilisant le bâti du 19° siècle, on peut mieux affronter l'obligation de rénovation urbaine, lourd héritage du 20°siècle.
En choisissant Bruno FORTIER comme Grand Prix de l'Urbanisme 2002, le jury met en lumière une maîtrise d'oeuvre fondée -au sens architectural du terme- sur une culture et sur une pratique de la recherche et de la connaissance.
L'urbanisme n'est pas une technique univoque mais se nourrit de multiples savoirs. Elle est le lien, le passage entre les disciplines, entre les hommes, entre les lieux.
Bruno FORTIER illustre à la fois une pratique et une pensée, sur des territoires aussi divers que l'espace public central à Nantes, la recomposition des bassins portuaires au Havre, le réaménagement du littoral de Menton et tant d'autres villes qui illustrent ce profil nomade de l'urbaniste.
Bruno FORTIER est aussi homme de savoir et de plume. Il a publié nombre d'ouvrages dont l'atlas de Paris et l'imaginaire des villes. Il démontre que talent de chercheur, d'écrivain, de concepteur et de designer urbain peuvent cohabiter avec bonheur. Dans une sélection qui témoignait de la vitalité et de la grande qualité des professionnels français, le jury a voulu mettre en valeur ce croisement entre la culture et le projet, entre l'histoire et l'avenir de la ville, au service des enjeux majeurs de la régénération urbaine et de la qualité de vie.
J'ajouterai, à titre plus personnel que j'ai eu, en tant que maire d'Amiens, l'occasion de connaître directement Bruno FORTIER et d'apprécier la qualité de son travail, sa finesse, son doigté, son élégance. Et je le dis d'autant plus librement, que je ne l'ai pas retenu pour la requalification de l'espace PERRET. Tel est le destin des urbanistes, un jour paraissant écartés, un autre jour couronnés. Je dis "paraissant écartés" car, vous le savez, tout projet d'urbanisme et d'architecture se nourrit du travail des candidats malheureux.
C'est pourquoi les urbanistes forment bel et bien une famille avec ses joies, ses disputes parfois, mais toujours avec un vrai souci d'unité. J'espère que cette famille sera toujours faite de diversité, une famille recomposée en quelque sorte avec ses vilains petits canards. Les vilains petits canards ont en effet un rôle crucial, un devoir, le devoir d'irrespect.
Je crois, et ce sera ma conclusion, au devoir d'irrespect.
La pensée unique a été critiquée mille et mille fois en d'autres lieux. Vous trouverez chez moi, un farouche opposant de la pensée urbaine unique.
Je crois à la diversité. Je ne veux pas d'une France uniforme. Je ne veux pas que Marseille ressemble à Paris, Amiens à Tours, Moulins à Arras.
Je crois à la diversité, mais pas à l'immobilisme. Dire qu'Amiens ne doit pas ressembler à Tours, ce n'est pas dire que ces villes doivent se figer dans des traditions immuables. Ce n'est pas rechercher dans l'aménagement des villes de France, un éternel retour en arrière. C'est pousser les feux de l'audace.
C'est bousculer les traditions.
Les élus locaux ont besoin de votre audace. J'essaierai, dans les limites de mon rôle, de soutenir l'audace et les audacieux. J'aimerais, si tant est que le ministre ait une influence réelle, être, dans le domaine de l'urbanisme, le ministre de l'irrespect.
Pour finir, j'aimerais rendre hommage au jury international, réuni par la DGUHC, pour la qualité, la passion et l'engagement de ses travaux. Il a entendu les messages issus de la consultation, donc du public que vous représentez. Il en a tenu compte dans ses choix. C'est bien l'ensemble de la sélection qui prend sens. Je félicite donc l'heureux lauréat et les cinq nominés.
Remise des prix à Bruno FORTIER (diplôme).
(Source http://www.equipement.gouv.fr, le 11 décembre 2002)