Texte intégral
P. Ganz -. Une grande partie de l'Europe grelotte, sous un froid qui est de saison et n'est pas, selon la météo, exceptionnel, puisqu'il avait fait aussi froid en 1998 et 1999. Mais les sans-abri se pressent à l'entrée des centres d'accueil. Est-ce que, au secrétariat d'Etat à la Lutte contre la Précarité et l'Exclusion, vous avez l'impression de faire face à des populations de sans-abri différentes des autres années ?
- "Nous avons à la fois l'impression d'avoir toujours les populations connues, qui sont les plus désocialisées, ceux qu'on appelle les clochards, et qui sont les populations les plus dangers, puisque c'est souvent eux qui refusent toute aide et tout hébergement, qu'on peut trouver morts au matin, et pour lesquels il faut donner l'alerte. Et il y a également des gens beaucoup plus jeunes, il y a des familles, qu'il faut mettre à l'abri en urgence..."
Avec des enfants, la nuit, en ce moment ?
- "Il y a de temps en temps des familles, effectivement, avec des enfants, puisqu'il y a énormément de demandeurs d'asile, énormément de migrants, qui arrivent chaque jour dans notre pays. Les demandeurs sont passés de 10.000 à 100.000 personnes sur trois ans. Il faut donc immédiatement les mettre à l'abri, protéger les enfants, les scolariser etc. Nous sommes effectivement face à la gestion permanente d'une crise, car nous ne savons jamais à l'avance combien il y a de personnes. C'est pourquoi, dès le mois de juillet, j'ai mobilisé tous nos préfets, pour augmenter le dispositif et mobiliser 5.700 places supplémentaires, en plus des 82.000 qui existent déjà."
A combien chiffrez-vous le nombre de personnes qui errent dans les rues de certaines villes de France en ce moment, dans ces périodes de froid ?
- "Les chiffres sont mal connus, parce que, par définition, les populations sans domicile fixe ne sont pas repérables facilement. Les associations remontent des chiffres très variables, qui font de 300.000 à 500.000 personnes."
La fourchette est large...
- "Ce dont nous sommes sûrs, c'est du nombre de places que nous avons et du nombre de places manquantes."
Combien il en manque ?
- "Nous adaptons le dispositif jour après jour, donc, actuellement, sur l'ensemble du territoire, les préfets rouvrent des places chaque jour, partout où il en manque."
Vous parliez de ces migrants, de cet afflux supplémentaire. On entendait tout à l'heure, sur l'antenne de RFI, un reportage dans une association, dont le responsable disait qu'il y avait de plus en plus de Kurdes, de plus en plus d'Afghans, peut-être des personnes qui ne sont pas à Sangatte, qui ne sont pas à proximité de la Grande-Bretagne et qui reviennent sur Paris ?
- "Oui, des gens croient encore que Sangatte est ouvert et y arrivent. A partir de là, le préfet de la région leur propose un hébergement dans un autre endroit du territoire, car il a été tellement difficile de faire fermer Sangatte, que ce serait vraiment une erreur de recréer un Sangatte bis. Les préfets proposent donc des solutions. Mais il y en a qui les souhaitent, qui les acceptent, d'autres qui ne les acceptent pas, d'autres qui espèrent toujours passer en Grande-Bretagne."
Est-ce qu'il n'aurait pas fallu attendre la belle saison pour fermer aussi bien ce centre, que certains camps de tziganes de la région parisienne ?
- "En ce qui concerne Sangatte, j'y suis allée, ce n'est vraiment pas possible qu'en France, il y ait un camp d'immigrants aux portes du pays. Cela a fait des ravages. Cela a porté tort à la cause des demandeurs d'asile dans le monde entier : partout, quand on entend Sangatte, tous les gens refusent l'ouverture de centres."
La ville de Paris estime que cet afflux de réfugiés prouverait une mauvaise répartition de la solidarité sur le plan géographique. Vous avez plutôt l'impression que les gens vont plutôt sur Paris, que d'autres villes sont moins accueillantes ?
- "Oui. Le problème est que c'est un phénomène de mégapole. Les flux migrants, partout dans le monde, vont vers les grandes mégapoles, vont vers les grandes villes, parce que c'est dans la grande ville qu'il y a le plus de possibilités de s'abriter, de manger et même de travailler."
Vous avez fait allusion à cet appel à la solidarité que vous lancez tous les soirs à la télévision, en ce moment, en France. Les présentateurs des bulletins météo rappellent le numéro 115, qui est celui du Samu social. Est-ce que c'est efficace, ce type d'appel aux particuliers ? Est-ce que ce n'est pas une façon de les impliquer un peu légèrement ?
- "En tout cas, je crois que le minimum que l'on puisse attendre de nos concitoyens, c'est qu'ils signalent et qu'ils donnent l'alerte, lorsqu'ils voient quelqu'un. Surtout, ce qu'il faut leur dire, c'est que la personne est inconsciente, lorsque la personne ne répond pas, il faut appeler le Samu médical ou les pompiers, c'est-à-dire le 15 ou le 18. Il y a trois possibilités : le 115, pour donner l'alerte, une équipe ira et trouvera une solution ; le 15 ou le 18. Un coup de fil peut sauver une vie et qu'on ne peut pas passer à côté."
Vous travaillez depuis des années sur ce dossier. Avant d'être secrétaire d'Etat à la Lutte contre la Précarité et l'Exclusion, vous étiez la directrice du Samu social. Il y a un travail de fond à faire, sinon, c'est le tonneau des Danaïdes. Combien chiffrez-vous de personnes en France qui sont dans cette précarité, ou à proximité de cette précarité et de cette exclusion ?
- "Il y a au moins 5 à 6 millions de personnes, qui sont tous ceux qui vivent des minima sociaux..."
Qui ne sont pas à la rue, mais qui sont "limite" ?
- "Qui ne sont pas à la rue, qui vivent des minima sociaux ou de petits salaires, qui sont en CDD, qui sont des mamans seules avec des enfants, qui vivent dans des quartiers difficiles, les quartiers dont s'occupent J.-L. Borloo, dans des habitats insalubres. Ces gens-là sont fragiles, parce qu'ils sont isolés, parce que tout est compliqué, le travail est loin, l'habitat est compliqué, il y a souvent de la violence, ils sont surendettés. Et ceux-là, il faut qu'on les aide à se maintenir dans du lien et à surtout ne pas affronter ces énormes ruptures, qui font que l'on retrouve certaines personnes à la rue - pas tout le monde, ce n'est pas inéluctable."
Il y a beaucoup de mineurs à la rue, y en a-t-il plus ?
- "C'est un phénomène récent, que l'on connaît mal, qui date des deux ou trois dernières années. Avec les flux de migrants et de demandeurs d'asile, on s'est aperçus qu'il y avait des mineurs, des enfants seuls. Certains arrivent, sans doute envoyés par leurs parents, et demandent l'asile..."
Ce sont des mineurs étrangers ?
- "Oui, des mineurs étrangers. Il n'y a pas de mineurs français seuls dans les rues ; en tout cas, il n'y reste pas longtemps, ils sont vite pris en charge par l'Aide sociale à l'enfance et la protection judiciaire. Il y a également, phénomène encore plus grave, une traite d'enfants, une exploitation par des réseaux mafieux, qui prennent des enfants dans certains pays du monde, et qui les amènent dans nos pays pour les prostituer sur les trottoirs de Paris et des grandes villes."
Est-ce que le Gouvernement, est-ce que les autorités compétentes font assez pour ces mineurs ?
- "Nous avons dit "stop". Et dès mon arrivée au Gouvernement, j'ai proposé la mise en place d'un dispositif d'aides pour ces enfants, qui est expérimental sur Paris, qui a démarré, qui est géré par une plate-forme d'associations. Et nous avons mis en place des partenariats avec les pays d'origine, pour que les enfants puissent retrouver leur famille, retrouver une famille d'accueil et qu'on puisse surtout les sortir des griffes de ces réseaux mafieux qui les exploitent."
Mais ces enfants, a priori, quand ils sont mineurs, quand ils sont arrivés en France, ne sont pas expulsables ? Ils sont pris en charge, logiquement, par l'Aide sociale à l'enfance ?
- "Il n'est pas du tout question de les expulser ! D'abord, la loi l'interdit, heureusement. Ils sont placés sous la protection du juge pour enfants et, à partir de là, une démarche est mise en place pour retrouver éventuellement les familles. Parce que, si on prend par exemple certains mineurs roumains, les familles sont des familles rurales simples, ne savent pas que l'enfant est parti avec un réseau mafieux."
Vous estimez que c'est un problème pour lequel il faudrait créer davantage de place, même davantage d'argent ?
- "Cela fait partie de mes priorités, cela fait partie de celles que le président de la République m'a données. Et c'est un sujet sur lequel on ne peut pas transiger, parce qu'effectivement, ce sont des enfants."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 9 janvier 2003)
- "Nous avons à la fois l'impression d'avoir toujours les populations connues, qui sont les plus désocialisées, ceux qu'on appelle les clochards, et qui sont les populations les plus dangers, puisque c'est souvent eux qui refusent toute aide et tout hébergement, qu'on peut trouver morts au matin, et pour lesquels il faut donner l'alerte. Et il y a également des gens beaucoup plus jeunes, il y a des familles, qu'il faut mettre à l'abri en urgence..."
Avec des enfants, la nuit, en ce moment ?
- "Il y a de temps en temps des familles, effectivement, avec des enfants, puisqu'il y a énormément de demandeurs d'asile, énormément de migrants, qui arrivent chaque jour dans notre pays. Les demandeurs sont passés de 10.000 à 100.000 personnes sur trois ans. Il faut donc immédiatement les mettre à l'abri, protéger les enfants, les scolariser etc. Nous sommes effectivement face à la gestion permanente d'une crise, car nous ne savons jamais à l'avance combien il y a de personnes. C'est pourquoi, dès le mois de juillet, j'ai mobilisé tous nos préfets, pour augmenter le dispositif et mobiliser 5.700 places supplémentaires, en plus des 82.000 qui existent déjà."
A combien chiffrez-vous le nombre de personnes qui errent dans les rues de certaines villes de France en ce moment, dans ces périodes de froid ?
- "Les chiffres sont mal connus, parce que, par définition, les populations sans domicile fixe ne sont pas repérables facilement. Les associations remontent des chiffres très variables, qui font de 300.000 à 500.000 personnes."
La fourchette est large...
- "Ce dont nous sommes sûrs, c'est du nombre de places que nous avons et du nombre de places manquantes."
Combien il en manque ?
- "Nous adaptons le dispositif jour après jour, donc, actuellement, sur l'ensemble du territoire, les préfets rouvrent des places chaque jour, partout où il en manque."
Vous parliez de ces migrants, de cet afflux supplémentaire. On entendait tout à l'heure, sur l'antenne de RFI, un reportage dans une association, dont le responsable disait qu'il y avait de plus en plus de Kurdes, de plus en plus d'Afghans, peut-être des personnes qui ne sont pas à Sangatte, qui ne sont pas à proximité de la Grande-Bretagne et qui reviennent sur Paris ?
- "Oui, des gens croient encore que Sangatte est ouvert et y arrivent. A partir de là, le préfet de la région leur propose un hébergement dans un autre endroit du territoire, car il a été tellement difficile de faire fermer Sangatte, que ce serait vraiment une erreur de recréer un Sangatte bis. Les préfets proposent donc des solutions. Mais il y en a qui les souhaitent, qui les acceptent, d'autres qui ne les acceptent pas, d'autres qui espèrent toujours passer en Grande-Bretagne."
Est-ce qu'il n'aurait pas fallu attendre la belle saison pour fermer aussi bien ce centre, que certains camps de tziganes de la région parisienne ?
- "En ce qui concerne Sangatte, j'y suis allée, ce n'est vraiment pas possible qu'en France, il y ait un camp d'immigrants aux portes du pays. Cela a fait des ravages. Cela a porté tort à la cause des demandeurs d'asile dans le monde entier : partout, quand on entend Sangatte, tous les gens refusent l'ouverture de centres."
La ville de Paris estime que cet afflux de réfugiés prouverait une mauvaise répartition de la solidarité sur le plan géographique. Vous avez plutôt l'impression que les gens vont plutôt sur Paris, que d'autres villes sont moins accueillantes ?
- "Oui. Le problème est que c'est un phénomène de mégapole. Les flux migrants, partout dans le monde, vont vers les grandes mégapoles, vont vers les grandes villes, parce que c'est dans la grande ville qu'il y a le plus de possibilités de s'abriter, de manger et même de travailler."
Vous avez fait allusion à cet appel à la solidarité que vous lancez tous les soirs à la télévision, en ce moment, en France. Les présentateurs des bulletins météo rappellent le numéro 115, qui est celui du Samu social. Est-ce que c'est efficace, ce type d'appel aux particuliers ? Est-ce que ce n'est pas une façon de les impliquer un peu légèrement ?
- "En tout cas, je crois que le minimum que l'on puisse attendre de nos concitoyens, c'est qu'ils signalent et qu'ils donnent l'alerte, lorsqu'ils voient quelqu'un. Surtout, ce qu'il faut leur dire, c'est que la personne est inconsciente, lorsque la personne ne répond pas, il faut appeler le Samu médical ou les pompiers, c'est-à-dire le 15 ou le 18. Il y a trois possibilités : le 115, pour donner l'alerte, une équipe ira et trouvera une solution ; le 15 ou le 18. Un coup de fil peut sauver une vie et qu'on ne peut pas passer à côté."
Vous travaillez depuis des années sur ce dossier. Avant d'être secrétaire d'Etat à la Lutte contre la Précarité et l'Exclusion, vous étiez la directrice du Samu social. Il y a un travail de fond à faire, sinon, c'est le tonneau des Danaïdes. Combien chiffrez-vous de personnes en France qui sont dans cette précarité, ou à proximité de cette précarité et de cette exclusion ?
- "Il y a au moins 5 à 6 millions de personnes, qui sont tous ceux qui vivent des minima sociaux..."
Qui ne sont pas à la rue, mais qui sont "limite" ?
- "Qui ne sont pas à la rue, qui vivent des minima sociaux ou de petits salaires, qui sont en CDD, qui sont des mamans seules avec des enfants, qui vivent dans des quartiers difficiles, les quartiers dont s'occupent J.-L. Borloo, dans des habitats insalubres. Ces gens-là sont fragiles, parce qu'ils sont isolés, parce que tout est compliqué, le travail est loin, l'habitat est compliqué, il y a souvent de la violence, ils sont surendettés. Et ceux-là, il faut qu'on les aide à se maintenir dans du lien et à surtout ne pas affronter ces énormes ruptures, qui font que l'on retrouve certaines personnes à la rue - pas tout le monde, ce n'est pas inéluctable."
Il y a beaucoup de mineurs à la rue, y en a-t-il plus ?
- "C'est un phénomène récent, que l'on connaît mal, qui date des deux ou trois dernières années. Avec les flux de migrants et de demandeurs d'asile, on s'est aperçus qu'il y avait des mineurs, des enfants seuls. Certains arrivent, sans doute envoyés par leurs parents, et demandent l'asile..."
Ce sont des mineurs étrangers ?
- "Oui, des mineurs étrangers. Il n'y a pas de mineurs français seuls dans les rues ; en tout cas, il n'y reste pas longtemps, ils sont vite pris en charge par l'Aide sociale à l'enfance et la protection judiciaire. Il y a également, phénomène encore plus grave, une traite d'enfants, une exploitation par des réseaux mafieux, qui prennent des enfants dans certains pays du monde, et qui les amènent dans nos pays pour les prostituer sur les trottoirs de Paris et des grandes villes."
Est-ce que le Gouvernement, est-ce que les autorités compétentes font assez pour ces mineurs ?
- "Nous avons dit "stop". Et dès mon arrivée au Gouvernement, j'ai proposé la mise en place d'un dispositif d'aides pour ces enfants, qui est expérimental sur Paris, qui a démarré, qui est géré par une plate-forme d'associations. Et nous avons mis en place des partenariats avec les pays d'origine, pour que les enfants puissent retrouver leur famille, retrouver une famille d'accueil et qu'on puisse surtout les sortir des griffes de ces réseaux mafieux qui les exploitent."
Mais ces enfants, a priori, quand ils sont mineurs, quand ils sont arrivés en France, ne sont pas expulsables ? Ils sont pris en charge, logiquement, par l'Aide sociale à l'enfance ?
- "Il n'est pas du tout question de les expulser ! D'abord, la loi l'interdit, heureusement. Ils sont placés sous la protection du juge pour enfants et, à partir de là, une démarche est mise en place pour retrouver éventuellement les familles. Parce que, si on prend par exemple certains mineurs roumains, les familles sont des familles rurales simples, ne savent pas que l'enfant est parti avec un réseau mafieux."
Vous estimez que c'est un problème pour lequel il faudrait créer davantage de place, même davantage d'argent ?
- "Cela fait partie de mes priorités, cela fait partie de celles que le président de la République m'a données. Et c'est un sujet sur lequel on ne peut pas transiger, parce qu'effectivement, ce sont des enfants."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 9 janvier 2003)