Déclaration de M. Alain Richard, ministre de la défense, sur les premiers enseignements de l'engagement de la France au Kosovo et la nécessité d'avancer dans la construction de l'Europe de la défense, Paris le 7 juillet 1999.

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Circonstance : Intervention de M. Alain Richard, devant la promotion de l'IHEDN, à Paris le 7 juillet 1999

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
C'est pour moi un plaisir de vous accueillir ici à l'Hôtel de Brienne, alors que votre participation aux travaux de la 51ème session nationale de l'Institut des hautes études de la défense nationale est terminée depuis un mois.
Je tiens en quelques mots à vous remercier pour vos travaux et les efforts que vous avez déployés au cours de vos neuf mois de présence au sein de l'Institut.
Je voudrais également vous exprimer mes regrets de ne pas avoir pu vous rencontrer plus tôt, et en particulier de ne pas avoir participé, le 8 juin dernier, à la clôture de la 51ème session. Vous n'êtes pas sans savoir que l'actualité internationale est venue bouleverser mon emploi du temps du printemps.
Je sais néanmoins quel travail a été le vôtre. J'y attache une réelle importance car vos réflexions sont précieuses pour le monde de la Défense.
L'IHEDN constitue un forum de réflexion unique qui occupe une place de premier plan en matière d'étude de défense. Je sais que votre promotion s'est attachée à confirmer, par la qualité de ses travaux et la diversité de ses activités, la réputation de centre de compétence dont jouit l'Institut.
Je veux saluer ici le général GERMANOS qui va bientôt quitter l'IHEDN. Je veux le remercier chaleureusement pour son action à la tête de l'Institut.
Votre promotion s'est plus particulièrement penchée, à l'occasion de cette 51ème session, sur les questions stratégiques et la perspective de l'Europe de la défense. Votre thème d'étude portait, en effet, sur " la France et l'Europe face au nouveau contexte géostratégique ".
Vous êtes donc, après cette période de travail au sein de l'Institut, particulièrement à même de prendre la mesure des enseignements que l'opération au Kosovo est venue apporter à la réflexion de défense.
Je n'ai malheureusement pas pu venir m'exprimer à ce sujet devant vous comme je l'aurais souhaité. Notre rencontre d'aujourd'hui me donne néanmoins l'occasion d'évoquer quelques pistes de réflexion pour l'avenir, au regard de la crise à laquelle nous tentons aujourd'hui de mettre un terme.
Alors que la phase terrestre de maintien de la paix est maintenant bien engagée sur le terrain, vous savez que le ministère de la Défense a lancé à mon initiative une réflexion élargie sur tous les enseignements à tirer de notre engagement dans la phase des opérations qui vient de s'achever.
J'ai souhaité que cet exercice soit conduit dans un esprit de transparence. C'est dans ce cadre que s'est tenu le 21 juin dernier un premier séminaire d'étude.
Ces travaux sont appelés à se poursuivre dans la durée et à produire des analyses de fond. Vos travaux trouvent naturellement leur place dans la suite à donner à cette réflexion et apportent un éclairage de long terme précieux et utile.
Nous sommes en mesure de tirer un premier bilan de notre action dans ses deux volets technico-opérationnel et militaro-stratégique.
Ce premier bilan est globalement très satisfaisant.
Au plan technico-opérationnel, les leçons de la guerre du Golfe ont été tirées et nos forces ont été capables de contribuer à la plus grande majorité des missions opérationnelles avec d'excellents résultats. La France a été le deuxième contributeur de la coalition après les Etats-Unis. Elle a effectué plus de 12 % des missions offensives et 20 % des missions de reconnaissance aéroportée.
Notre engagement dans la crise a démontré toute l'importance de la maîtrise de l'information. Certaines capacités de renseignement nous avaient fait gravement défaut lors de la guerre du Golfe, réduisant d'autant notre autonomie stratégique. De réels progrès ont été accomplis et la France est aujourd'hui le seul pays européen à disposer de moyens couvrant toute la gamme des moyens stratégiques et tactiques.
La conduite des opérations a fait apparaître la nécessité de disposer de l'information quasiment en temps réel pour assurer la réactivité de l'action. Les opérations aériennes ont montré le rôle nouveau des systèmes d'analyse et de détermination des cibles. Il nous faudra accroître notre effort en ce sens.
Au-delà de notre contribution opérationnelle, nous avons conservé notre position originale au sein de l'Alliance. Nous sommes restés fidèles à nos choix politiques, ce qui ne nous a pas empêchés d'exprimer clairement notre vision de la crise tout en restant solidaire de ses alliés.
Néanmoins, les opérations ont montré qu'il est crucial d'assurer sur un plan technique notre interopérabilité avec les forces. Cet objectif est globalement atteint.
Dans le domaine terrestre, la mise sur pied de la Force d'Extraction a montré qu'il était possible d'assumer les plus hautes responsabilités au cur de l'Alliance sans être membre de la structure militaire intégrée.
Le Kosovo est également, pour nous, l'occasion d'avancer dans la construction de l'Europe de la défense.
La crise vient de démontrer la volonté des Européens de prendre toutes leurs responsabilités diplomatiques et de participer de manière significative aux opérations militaires aux côtés de notre allié américain. Votre thème de réflexion a ainsi été replacé au cur des préoccupations politiques du moment.
Nous avons progressé dans nos discussions avec nos principaux partenaires au sein de l'Union, lors des sommets de Saint-Malo et de Cologne. L'idée de doter l'Union de capacités de défense efficaces et crédibles est aujourd'hui partagée par nos partenaires.
C'est dans les faits qu'il nous faut maintenant faire progresser l'Europe de la défense.
Il faut chercher en particulier à optimiser nos efforts respectifs par la coopération en matière d'armement et la mise en commun de nos capacités. Des avancées ont eu lieu avec la création de l'Euroforce et de l'Euromarfor, la constitution du groupe aérien franco-britannique et la décision de transformer l'état-major du Corps européen en état-major d'un Corps de réaction rapide.
L'intervention au Kosovo a permis d'illustrer ce que signifie une " juxtaposition de moyens " européens. Il s'agit d'une première étape vers ce qui serait une véritable mutualisation de nos efforts.
J'ai proposé, en outre, de franchir une étape supplémentaire avec l'harmonisation de nos programmations militaires. Je sais qu'il faudra du temps pour adapter nos méthodes et approfondir le dialogue. Cet effort devra concerner en priorité les Etats qui disposent des capacités militaires les plus importantes.
Seule une volonté politique forte sera en mesure de permettre cette programmation concertée. Elle devra s'appuyer sur des avancées concrètes réalisées pas à pas.
Il faut plus d'Europe dans notre politique de défense. La coopération européenne permettra à notre continent d'atteindre sa pleine maturité stratégique. Vous en êtes vous-même pleinement conscients au terme de votre réflexion collective et je sais que vous uvrerez, chacun à votre manière, à la promotion de la construction de l'Europe de la défense.
Le Premier ministre vous avait demandé, à l'occasion de l'ouverture de votre session, de travailler avec enthousiasme, dans un esprit d'ouverture et d'amitié. Je crois pouvoir constater, au regard de ce qu'ont été vos activités et aux dires de divers participants, que vous avez pleinement répondu à cet appel.
Vos déplacements ont été pour vous l'occasion de prendre conscience sur le terrain des défis que nos forces opérationnelles doivent aujourd'hui relever. Votre visite à Mailly-le-camp vous a permis d'assister à une démonstration sur le thème de notre engagement dans le Balkans. A Toulon, vous avez pris contact avec notre force aéronavale. A Orléans et à Cazaux, vous avez rencontré nos aviateurs et constaté leur grand professionnalisme dont les opérations au Kosovo ont à nouveau apporté la preuve.
Je salue votre souci d'établir des contacts à l'étranger dans les principales capitales européennes. En particulier, votre visite à Bruxelles vous a permis de dialoguer avec des responsables de l'UE et de l'UEO et de mesurer les progrès actuels de l'Europe de la défense.
Votre voyage d'étude en Asie centrale témoigne de votre souci d'ouverture à un espace géostratégique bouleversé par l'effondrement de l'Union soviétique. Il vous a permis d'élargir votre champ de vision aux voisinages de l'espace européen dont les évolutions intéressent notre sécurité.
Maintenant que votre session travail est achevée, vous avez vocation à diffuser votre savoir dans le reste de la société et contribuer à faire connaître et partager les principes de notre politique de défense.
Votre passage à l'IHEDN a été une source d'enrichissement personnel et vous a permis d'approfondir votre connaissance de notre politique de sécurité. Je compte sur chacune et chacun d'entre vous pour que, à vos postes de responsabilités, vous sachiez faire connaître le monde de la défense et rester sensibilisés aux grands enjeux qui l'intéressent.
Vous participerez ainsi au renforcement des liens entre nos armées et la nation.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 03 janvier 2000).