Point de presse conjoint et débat au siège du quotidien polonais "Gazeta Wyborcza" à Varsovie le 10 octobre 2002 entre MM. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères, et Wlodzimierz Cimoszewicz, ministre polonais des affaires étrangères, sur le soutien de la France à l'intégration européenne de la Pologne, l'avenir de l'Union européenne et la coopération renforcée entre les deux pays.

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Circonstance : Voyage en Pologne de M. de Villepin le 10 octobre 2002 : entretien et débat avec le ministre polonais des affaires étrangères, M. Cimoszewicz

Média : Gazeta Wyborcza - Presse étrangère

Texte intégral

(Point de presse conjoint à Varsovie, le 10 octobre 2002) :
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Merci à Wlodzimierz Cimoszewicz. Merci pour ce premier entretien que nous avons pu avoir qui, comme il l'a dit, nous a permis de faire le point sur ces questions aussi importantes que sont aujourd'hui les questions européennes ainsi que sur les relations bilatérales entre la France et la Pologne dont vous savez à quel point elles nous tiennent à coeur.
J'ai tenu à ce que cette première visite dans la nouvelle Europe de l'élargissement se fasse en Pologne et, vous imaginez bien, que ce n'est pas un hasard. Avec le rapport de la Commission, la perspective de l'élargissement est maintenant claire.
Je voudrais tout d'abord vous dire "enfin et bravo". Il y a longtemps que la France attend ce jour, ce jour où les déchirures, les blessures de l'histoire sont enfin éteintes, réparées. Enfin, parce qu'il est rendu justice après plusieurs siècles à la Pologne. Bravo, parce que je sais tous les efforts qu'il a fallu, tous les sacrifices qui ont été consentis par tous les Polonais.
Le chemin est maintenant clair : le Sommet de Bruxelles, le Sommet de Copenhague, la signature des traités et la ratification au début de 2003 et cette entrée solennelle en 2004.
Ce chemin, nous allons le faire ensemble, Français et Polonais, unis dans un même but qui est celui de faire en sorte que cette nouvelle aventure de la famille européenne, enfin réunie, qui commence, soit bien l'affaire de tous.
Sur ce chemin, il reste encore des défis à relever, non pas des défis pour le plaisir de relever des défis mais bien parce que cette Europe, de la même façon qu'elle a des valeurs communes, veut avoir aussi des règles communes.
Nous partageons ensemble le fait d'être des grands pays à vocation agricole, cela nous rapproche, cela crée des intérêts communs très forts. C'est pour cela que nous avons défendu l'idée qu'il ne fallait pas lier l'élargissement et la réforme de la politique agricole. C'est pour cela que nous défendons la nécessité des aides directes aux nouveaux pays candidats et c'est pour cela que d'ici les Sommets de Bruxelles et Copenhague, nous travaillons avec nos amis allemands pour surmonter les difficultés et nous avons bon espoir ; il faut que nous y arrivions.
Il y a bien sûr aussi les défis de la sécurité au sens large, de la sécurité intérieure, de la sécurité alimentaire. Là encore, c'est un défi pour toute l'Europe parce que toutes nos populations y sont sensibles et en y travaillant, c'est au service de nos peuples que nous travaillons.
Cet élargissement, vous le voyez, c'est d'abord pour nous tous une chance, une chance pour la démocratie, une chance pour la paix, une chance pour nos économies et pour nos peuples. Dans ce contexte, les relations entre la France et la Pologne doivent encore se resserrer davantage pour permettre justement de faire face aux difficultés qui sont encore devant nous et je pense aux coopérations que nous devons avoir dans le domaine de l'Etat de droit, dans le domaine judiciaire, dans le domaine de la police, il y a là encore beaucoup à faire dans l'échange entre nos administrations qui nous permettront de lever les dernières difficultés.
Il est important aussi que nous ayons tous conscience que ce projet européen est aussi un projet qui nous dépasse car l'Europe aujourd'hui est nécessaire au monde. Le monde a besoin d'une Europe forte de la même façon que nous avons besoin d'Etats Unis forts. Nous le voyons aujourd'hui dans chaque situation de crise. Il faut que l'Europe pèse de tout son poids dans tous les domaines, qu'il s'agisse de la politique étrangère et de sécurité, qu'il s'agisse de la défense européenne, nous avons là ensemble de grands défis et c'est pour cela que nous avons longtemps évoqué les problèmes d'institutions européennes. Nous devons définir ensemble les termes d'une Europe plus efficace, qui puisse permettre à la fois de répondre aux exigences de démocratie, de répondre aux exigences de transparence vis-à-vis de nos concitoyens mais aussi et peut-être surtout, de répondre à l'exigence de décision qui fait que l'Europe peut assumer tout son rôle, toutes ses responsabilités sur la scène internationale.
Pour que cette Europe soit forte, il est important, plus que jamais, que la France et la Pologne travaillent ensemble. Le ministre l'a dit : nos relations économiques sont des relations fortes, le rôle de la France comme premier investisseur dans votre pays en témoigne. Nos pays sont proches aussi par la culture et nous voulons faire ensemble que cette grande échéance de la saison polonaise " Nowa Polska " soit véritablement un grand moment puisque cette saison interviendra en 2004, au moment de la consécration de la nouvelle Europe élargie.
Q - Comment évaluez-vous l'état de préparation de la Pologne à l'adhésion à l'Union européenne ? Dans le rapport d'étape préparé par la Commission, plusieurs points négatifs apparaissent.
R - Vous me permettrez de ne pas partager la présentation que vous faites. Regardez le chemin parcouru, regardez l'expérience acquise, regardez l'élan pris, regardez l'objectif, enfin à portée de main, et appuyez-vous sur cet élan pour continuer d'avancer sur ce chemin ; aujourd'hui, c'est bien aux côtés de la Pologne que nous nous situons, non pas du tout pour voir ce qui ne va pas, mais pour voir ensemble comment nous pouvons aborder les dernières étapes encore à franchir. Ce sont des étapes qu'il faut franchir dans nos intérêts communs, l'intérêt de nos pays, la réponse aux besoins de nos peuples. Ne voyons donc pas les choses sous l'angle de difficultés, de fardeaux, voyons l'élan qui a été pris, voyons l'objectif, il est là devant nous, nous devons lui tendre les bras.
Si je résume mon propos, je dirais simplement que travailler aujourd'hui pour l'Europe, c'est travailler aussi pour la Pologne, c'est dire à quel point ce qui nous mobilise est fort, ce qui nous mobilise est véritablement aujourd'hui un objectif que chacun de nos citoyens doit partager.
Q - (A propos de la position française sur l'Iraq).
R - Vous connaissez les objectifs de la France. Nous avons eu l'occasion de les développer lors d'un débat qui s'est tenu hier et avant-hier au parlement français. Et le président de la République a eu l'occasion, hier, évidemment, de préciser tout cela au président Bush.
Il y a une détermination française, que nous partageons avec l'ensemble de la communauté internationale, à lutter contre le risque de prolifération. Nous considérons qu'il appartient aux Nations unies d'être mobilisées pour permettre justement le retour des inspecteurs. Car telle est bien la priorité, le retour des inspecteurs en Iraq pour permettre l'élimination de toutes les armes de destruction massive. Et c'est pour cela que nous récusons toute action unilatérale et préventive. Nous défendons au Conseil de sécurité, aux Nations unies, une approche en deux temps : une première résolution qui doit fixer les arrangements pratiques permettant aux inspecteurs de revenir en Iraq dans de bonnes conditions et nous avons progressé dans la définition de ces arrangements au cours de ces dernières semaines, en particulier grâce à la contribution qui est celle des responsables des inspecteurs, je pense en particulier au président de la Commission de contrôle, M. Hans Blix, et au directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique, M. El Baradeï.
Nous ne pensons pas qu'il faille une clause automatique de recours à la force dans cette première résolution, parce que nous sommes soucieux de la légitimité du processus engagé au sein du Conseil de sécurité et nous pensons qu'il faut viser à obtenir un très large consensus de l'ensemble des membres permanents et non permanents du Conseil de sécurité sur l'objectif qui est d'adresser un message clair à Saddam Hussein : accepter le retour des inspecteurs et permettre à ces inspecteurs de remplir leur tâche sans condition ni restriction.
Si ce retour n'était pas possible ou si les inspecteurs ne pouvaient pas véritablement effectuer leur travail sur place dans de bonnes conditions, il faudrait alors dans une deuxième résolution en tirer toutes les conclusions, examiner toutes les options, et chacun des membres serait alors amené à prendre véritablement ses responsabilités mais dans ce deuxième temps uniquement. Il est important que nous puissions faire justement, à travers ces différentes étapes, la pédagogie indispensable, tant vis-à-vis des gouvernements que des peuples et je pense en particulier à la nécessité de prendre en compte les opinions et les peuples arabes.
Vous me permettrez de me réjouir des progrès accomplis, à Vienne et à New York. Il nous reste encore du travail à faire et nous sommes convaincus qu'il faut le faire vite pour que les inspecteurs puissent très rapidement reprendre leur travail en Iraq. Nous sommes convaincus aujourd'hui que la communauté internationale est mobilisée dans cet objectif, nous sommes convaincus que c'est possible et nous sommes surtout désireux de faire en sorte qu'à New York cette résolution - qui n'est pas indispensable, je vous le rappelle, mais qui permettrait d'adresser un message très clair à Saddam Hussein - pourra être adoptée ; je sens aujourd'hui, dans les contacts que nous avons, un très large soutien de la communauté internationale pour une approche mesurée et graduée qui permettrait à la fois d'affirmer la détermination, et en même temps de faire en sorte que la guerre, l'emploi de la force, ne puissent être qu'un dernier recours
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 octobre 2002)
(Propos de M. de Villepin lors du débat au siège du quotidien polonais "Gazeta Wyborcza", à Varsovie, le 10 octobre 2002) :
Q - Pourquoi l'Europe ? L'Union européenne a été créée en tant que réponse aux défis totalitaires du XXème siècle, le nazisme vaincu et le communisme triomphant. Elle a été symbolisée à sa phase initiale par la réconciliation franco-allemande. Ainsi, on peut dire que l'Union européenne est une construction qui cultive une philosophie de réconciliation. Est-ce aussi votre avis ?
R - Oui, l'Europe contemporaine est fondée en grande mesure sur la réconciliation franco-allemande. Ce projet visait à supprimer les déchirures et les cicatrices de l'histoire. Immédiatement après la seconde guerre mondiale, le défi consistait à reconstruire quelque chose de commun, qui transformerait profondément les destins de nos peuples. Il n'y a eu et il n'y a aucun fatalisme qui ne puisse être inversé.
Depuis le début, nous avons vu apparaître en Europe une recherche de pragmatisme, une politique de petits pas, qui d'une certaine façon permettaient d'obliger l'histoire à suivre le bon chemin. Ensuite, il y a eu la volonté de l'élargissement, tout d'abord à 12, puis à 15 pays, de l'ouverture à la Mer Méditerranéenne et plus loin, à l'intérieur d'un continent déchiré, marqué par des stigmates tels que le rideau de fer et le mur de Berlin, symboles d'une Europe divisée après la deuxième guerre mondiale et divisée - une fois de plus - par le fatalisme de l'histoire.
Après 1989, nous avons voulu inverser rapidement ce fatalisme. D'où la nécessité d'un nouvel élargissement rapidement devenu une obligation pour l'Europe. Cet énorme projet nous a réunis ici le jour suivant la publication du rapport de la Commission européenne dans lequel on a mis l'accent sur l'effort des pays de la "nouvelle" Europe et où on a apprécié les progrès de pays tels que la Pologne. Nous sommes conscients des sacrifices qui ont été nécessaires pour arriver au point où nous nous trouvons actuellement. C'est pourquoi, je désire dire "enfin" : enfin la grande famille européenne est unie, enfin l'histoire rend justice à la Pologne, enfin, nous sommes en mesure de vaincre les déchirures de l'Europe.
Je veux dire aussi "bravo", puisque rien ne s'est fait tout seul. En 2004, avec l'élargissement, nous verrons apparaître un nouveau mouvement. Il a déjà été initié, c'est le mouvement contre le fatalisme. La réconciliation, comme l'a souligné Adam Michnik, se situe au coeur même de l'Europe, de la France et de l'Allemagne. Elle signifie une volonté d'échange, de partage. Elle signifie l'esprit de l'Europe venu de très loin.
J'ai visité à Varsovie le marché de la vieille ville. Quand on regarde cette place qui date du XIIIème siècle, reconstruite au XVIIIème siècle puis après la deuxième guerre mondiale, on se rend compte que nous avons besoin d'espoir, de ténacité et de persévérance.
En me promenant dans la vieille ville, j'ai pensé à Napoléon, qui a vu ce marché tel que je l'ai vu aujourd'hui. C'est peut-être là qu'il a rencontré Maria Walewska. En feuilletant l'album des relations entre la France et la Pologne, j'y rencontre des noms connus, je dirais même, des noms de famille : Sulkowski - compagnon de Bonaparte lors de la campagne d'Egypte, Poniatowski, l'un des grands, qui a participé à la grande épopée de l'Empereur et beaucoup d'autres : Kosciuszko, Chopin, Mickiewicz - ces noms sont connus à nos deux peuples, ils font partie du patrimoine commun. Cela signifie que la Pologne et la France ont le devoir commun de construire une Europe qui ne se renfermerait pas sur elle-même, mais qui porterait nos valeurs plus loin.
Nous voyons que le monde contemporain est un monde en crise, en difficulté, parfois en guerre. Or, justement ce monde-là a besoin d'une Europe forte remplie d'ambition, d'une Europe qui jouerait pleinement son rôle. La Pologne c'est la moitié de la population des nouveaux membres de l'Union. C'est la raison pour laquelle une responsabilité particulière pèse sur la Pologne.
Q - La révolution qu'est l'intégration européenne, est peut-être la première dans l'histoire qui n'est dirigée contre personne. C'est une révolution positive. Or, justement, où se trouvent les frontières de l'Europe ? Quels sont les défis fondamentaux ? Est-ce la question de la place de l'islam et de la Turquie dans l'Union européenne ? La querelle sur la forme de l'Europe, qui nous oppose aux Etats-Unis ? Il s'agit peut-être du problème de la Russie dans le contexte de l'Union européenne ? Y a-t-il dans l'Europe une place pour l'Ukraine ou non ?
R - Je pense que je ne vous surprendrai pas en disant que pour moi, de nos jours, les premières frontières de l'Europe se situent dans chacun de nous, à l'intérieur de chaque Européen. N'oublions pas que nous portons l'héritage de l'universalisme. Le premier devoir de l'Europe consiste aujourd'hui à élargir le coeur, l'esprit, la conscience de chacun de nous aux dimensions de nos ambitions et de nos espoirs pour plusieurs années.
Notre premier devoir consiste à nous rendre compte de ce que nous sommes porteurs d'une culture plurielle que représente l'Europe d'aujourd'hui. Regardons autour de nous : L'Europe est ouverte sur l'Atlantique, sur la Méditerranée, l'Afrique, sur l'Orient. L'Europe devrait être ouverte en direction des points les plus éloignés. Ce serait une chance exceptionnelle si nous étions en mesure de remuer ces bastilles et ces citadelles qui se trouvent en nous. Au coeur de l'histoire de l'Europe, il y a la crainte de l'étranger, de la culture différente du pays voisin. Il faut faire en sorte que toutes ces barrières tombent.
Retrouvons cet esprit de fraternité pour que cette Europe que nous construisons ensemble ne soit pas concentrée sur elle-même mais pour qu'elle soit cette Europe qui peut tendre la main à autrui. Cette Europe a une mission vis-à-vis de ceux qui deviendront bientôt voisins. Celui qui se trouvera à la frontière de l'Europe n'en sera pas exclu car il pourra profiter de l'esprit de partage de l'Europe avec les autres. Se poser aujourd'hui la question sur l'identité européenne - vis-à-vis de l'Est jusqu'à la Russie, vis-à-vis de la Turquie, vis-à-vis du Sud et des pays du Maghreb - signifie se poser la question sur l'avenir de ces frontières de l'Europe. Nous sommes obligés d'aller de l'avant : c'est le défi que nous devons relever. Ce sont la Convention européenne, l'adhésion des dix nouveaux pays et d'autres pays comme la Bulgarie et la Roumanie qui constituent ces défis. D'ici à la fin de l'année, nous établirons une feuille de route pour ces pays et pour la Turquie. Nous devons tout faire pour que l'Europe ne soit pas uniquement une liste de pays mais qu'elle soit démocratique, transparente, efficace. Il faut inventer de nouveaux mécanismes qui nous permettront de devenir plus fort et plus actif.
Le monde a besoin d'une Europe forte. Nous devons résoudre divers problèmes : la question de l'agriculture, de la sécurité dans tous les domaines - intérieur mais aussi dans le domaine des productions agricoles -. Nous devons construire autour de l'Europe des axes de stabilité, créer des mécanismes qui permettront à l'Europe d'être généreuse. Nous devons avoir des accords d'association avec les pays voisins qui les aideront à se développer. Je pense ici à l'Ukraine, à la Russie. C'est grâce à l'Europe que fleurit l'idée de régionalisme, que des pays nationaux en Amérique, en Afrique, en Asie se fédèrent. Ce mouvement de régionalisation constitue sans aucun doute une des grandes idées qui permettront d'affermir le développement et la démocratie.
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Q - Au cours des dernières élections présidentielles en France, une information terrible nous est parvenue : le dirigeant du Front national Jean-Marie Le Pen est arrivé au second tour des élections. Les résultats du second tour ont pourtant été plus optimistes mais ne croyez-vous pas que les tendances populistes, présentes dans tous les pays européens, y compris en Pologne, constituent un piège cruel pour la démocratie européenne ?
R - Vous avez raison. L'Histoire, y compris la plus récente, nous a appris que rien n'était jamais donné pour toujours. La démocratie consiste également à convaincre les citoyens, à répondre à leurs inquiétudes. C'est exactement ici que l'Europe apporte quelque chose de plus, cet esprit de solidarité qui fait que nous sommes plus forts ensemble, que nous pouvons tirer des leçons des erreurs passées.
L'Europe doit prendre dans le monde une place qui lui revient, sinon la stabilité n'aura pas lieu, le monde ne pourra pas faire face à des crises qui le secouent. Aucune puissance ne peut seule faire face au désordre dans le monde.
De ce point de vue, les objectifs de la Convention qui doit unir les nations de l'Europe en créant une charte comportant des valeurs communes et conférant une nouvelle forme à l'Europe sont très importants.
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Q - Monsieur le Ministre de Villepin, selon une légende polonaise, lorsque Napoléon demandait à Mme Walewska de lui donner ce qu'elle avait de plus précieux, elle lui a demandé : "et la Pologne, Sir ?" Nous, Polonais, nous avons accompagné Napoléon jusqu'à sa fin. Nous avons toujours espéré que l'empereur français restituerait l'indépendance à la Pologne. C'est l'unique pays du monde auquel nous ayons réservé une place dans notre hymne national. Même les Français ne l'ont pas fait ! Cependant, Napoléon ne nous a pas offert une Pologne libre, nous avons perdu avec lui et ensuite, pendant tout le XIXème siècle, nous avons lutté, seuls, pour l'indépendance. Nous, Polonais, nous avons toujours été des bonapartistes spécifiques, c'est-à-dire nous avons toujours cru en la réalité de ce qui n'était pas réel. Je voudrais vous poser la dernière question : existent-ils aujourd'hui des motifs raisonnables pour bloquer le processus d'élargissement de l'Union européenne pour des raisons, appelons-les euphémiquement, financières ? Ou bien, comme l'a déclaré un roi français : "Paris vaut bien une messe" ? La Pologne vaut-elle la messe ?
R - Je crois à la Pologne. J'y crois, c'est pourquoi j'y suis venu aujourd'hui. L'aventure européenne se poursuit et nous allons la continuer ensemble. C'est pourquoi nous devons entreprendre ensemble les efforts qui nous attendent encore. On parle des problèmes de l'agriculture, de la pêche, de la sécurité, des problèmes budgétaires. Ce sont des efforts pour lesquels la Pologne peut compter sur la mobilisation des autres pays européens. Tous les Quinze souhaitent, en octobre à Bruxelles et en décembre à Copenhague, résoudre les questions qui attendent encore sur la table des négociations.
Nous voulons croire que rien ne sera en mesure d'arrêter le processus d'élargissement de l'Union européenne. La Pologne doit encore résoudre certaines questions, au service de l'Europe évidemment, mais aussi à son propre profit. Cette prise de conscience par nous tous, au sein de nos nations respectives, devrait nous donner des ailes.
Si un jour vous vous promenez à Paris, à Bordeaux, à Marseille ou dans une autre ville française et vous vous entretenez avec ses habitants, vous allez voir qu'aucun Français n'a de doute sur le fait que la Pologne fait partie de la famille européenne.
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Q - Vous avez à côté de vous trois ministres des affaires étrangères polonais dont un qui a été également Premier ministre. Cette situation arrive assez rarement dans notre pays. Je pense qu'elle symbolise nos passions et nos sentiments particulièrement brûlants envers la France. Je pourrais servir d'exemple permettant d'illustrer cette thèse. Je ne parle pas anglais comme tout "snob" polonais, primitif et bête, mais je parle évidemment français. Je me permets de vous demander de garder le souvenir d'une Pologne amie de la France, fidèle pour le meilleur et le pire. A vrai dire, plus souvent pour le pire que pour le meilleur.
R - S'agissant du Triangle de Weimar - il est vrai que nous parlons de l'Union européenne, mais cette Europe a été également bâtie avec des Etats-nations, en suivant la tradition - il est un atout qui permettra de continuer la recherche de nouvelles solutions aux problèmes communs. Les sommets bilatéraux représentent eux aussi une telle occasion. Il s'agit de développer en permanence le dialogue à l'intérieur de ces organismes européens collégiaux, parce que nous avons besoin d'échange, de tolérance.
Vous avez eu raison, M. Rosati de parler de certains épisodes qui d'une façon ou autre, pouvaient blesser certaines susceptibilités et inquiéter. J'estime que, dans le cadre de notre famille européenne, dans le cadre de l'Union européenne, nous devrions porter ensemble la responsabilité de toutes ces difficultés.
Vous avez parlé de Kaliningrad. Grâce à la position française on s'est mis à chercher les solutions à cette question, sans aucunement contester l'acquis des accords de Schengen, mais en s'efforçant de s'ouvrir à l'autre. Il ne s'agit pas ici d'oublier nos intérêts, nos convictions. Il s'agit de chercher en permanence des solutions. C'est en cela que consiste l'esprit de la diplomatie française. C'est dans cet esprit là que nous voulons collaborer avec nos amis polonais. Je comprends qu'à un tel moment vous ayez pu avoir l'impression de ne pas trouver votre juste place dans le coeur de la France. Je vous assure qu'il en est tout à fait autrement.
Nous n'avons jamais douté que la Pologne trouverait une juste place en Europe et que le coeur de la France était avec la Pologne. Aujourd'hui, cet espoir se réalise. Modifions donc notre façon de penser. Laissons place à l'action. C'est en cela que consiste la responsabilité et le devoir des Européens.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 octobre 2002)