Interview de M. Jean-François Copé, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement, porte-parole du gouvernement, à RMC le 13 mars 2003, sur la position française face à la volonté des Etats-Unis d'intervenir militairement en Irak et sur les projets de réforme du gouvernement notamment dans la gestion du service public.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

J.-J. Bourdin-. Pour commencer, regardons la situation sur l'Irak. Washington maintient la date butoir du 17 mars, lundi prochain. Il est temps d'en finir, dit le gouvernement américain. Londres tente d'accrocher d'ultimes propositions à la résolution américaine. Vous n'avez rien dit sur ces dernières propositions anglaises. Quelle est la position du Gouvernement, et surtout du chef de l'Etat ?
- "La position du président de la République est constante. Il a eu l'occasion de la rappeler lundi soir aux Français. Nous sommes clairement dans la logique de dire, d'un côté, il n'y a absolument aucune compromission ni faiblesse possible à l'égard du régime irakien ; nous sommes tous pleinement d'accord pour dire que l'objectif, c'est le désarmement de l'Irak. C'est toute la communauté internationale qui l'a décidé. Nous avons une divergence, c'est clair, sur les moyens. Certains préconisent la guerre de manière automatique, ce n'est pas notre position. Nous avons, là encore, dans un cadre international, adopté une autre méthode qui est celle des inspections de l'ONU, sous l'égide de l'ONU, et nous considérons que le temps des inspections n'est pas achevé, parce que les inspecteurs considèrent que ce temps doit se poursuivre. Voilà la différence."

La dernière proposition de Londres ne change rien ?
- "Elle ne change rien, naturellement."

Elle ne change rien à la position française ?
- "Elle ne change rien, bien sûr."

Washington dit : nous allons peut-être avoir les neuf votes nécessaires.
- "Oui. Quelle est la question ?"

La question est simple : que va faire la France, si neuf pays votent la résolution américaine, ou affirment vouloir voter la résolution américaine ?
- "Compte tenu du caractère toujours très difficile de ces périodes internationales que nous vivons, c'est toujours très difficile de le faire dans les boules de cristal. Il y a effectivement deux hypothèses - là encore, le chef de l'Etat l'a rappelé -, soit il y a une majorité qui approuverait cette éventuelle résolution, et je rappelle qu'aujourd'hui, elle n'est pas soumise au vote, soit il n'y a pas cette majorité. En tout état de cause, la France a considéré qu'à ce stade, le recours à la guerre n'était pas justifié, parce que toutes les autres solutions n'avaient été pas explorées."

Et les six pays indécis du Conseil qui proposent un délai de trente à quarante-cinq jours, c'est une solution qui vous irait ?
- "Là encore, ce qu'il faut bien comprendre, c'est que l'esprit de la position de beaucoup de pays - il n'y a pas que la France ; on dit "la France", c'est vrai que la France est en pole position mais je rappelle que beaucoup d'autres pays soutiennent la position défendue par le président de la République -, c'est de dire qu'il ne doit pas y avoir de système automatique de décision à un recours à la guerre. Aujourd'hui, nous sommes dans le temps des inspections. C'est eux qui doivent faire leur rapport. Vous savez, c'est un système d'horlogerie : ils viennent tous les quinze jours au Conseil de sécurité pour dire où ils en sont. Donc, c'est à eux de dire, si oui ou non, ils peuvent continuer leur mission d'inspection. Si c'est le cas, c'est une chose. Si jamais il s'avérait que ce ne l'était plus, qu'il n'y avait de coopération du régime irakien, là, on serait dans une autre logique. Mais ce qui est très important de comprendre, et c'est vraiment essentiel que les auditeurs le comprennent bien : il n'y a pas dans la position de la France, à aucun moment, ni esprit pacifiste, au sens pacifiste par principe. Nous sommes tous dans la logique de dire, comme l'a fait la communauté internationale, que le régime irakien est un régime condamnable à tous égards. Il y a un objectif de désarmement qui est essentiel. C'est là-dessus que la communauté internationale s'est mise d'accord. Donc, il n'y a pas d'esprit pacifiste et il n'y a encore moins d'esprit anti-américain. Et ça, c'est très important de bien le comprendre. C'est une position au regard du droit international et de notre capacité, nous communauté internationale, à résoudre des crises sans forcément, de manière automatique, passer par la guerre."

Comment regardez-vous la dernière proposition britannique ? Est-ce une façon pour T. Blair de s'en tirer, politiquement, si je puis dire ?
- "Je n'en sais rien. Je n'ai pas de commentaire à faire sur ce point. Ce sont des sujets qui sont très difficiles."

Il est dans une situation délicate ? Ce serait pour lui une porte de sortie ? Vous ne voulez pas mettre de l'huile sur le feu, si je comprends bien.
- "C'est une situation qui est difficile, sur laquelle il est difficile de faire des commentaires sur les commentaires. La position de la France, je vous l'ai rappelée, elle est claire maintenant. Je crois qu'il faut que chacun l'entende bien, y compris dans la logique de dynamique européenne que nous voulons constituer."

Changeons de sujet et revenons en France sur une actualité franco-française. L'emploi. Je lis dans Le Parisien, ce matin, à propos d'une interview de J.-P. Delevoye sur les fonctionnaires : "soyez moins nombreux, vous gagnerez plus", résume Le Parisien. C'est la réalité ça ?
- "Pardon de dire cela, mais c'est un résumé un tout petit peu rapide quand même ! Vous comprendrez que les choses ne sont pas tout à fait - pardon de dire cela aussi - aussi simplistes, puisqu'on est rentré dans la simplification très abusive. La démarche qui est enclenchée par le Gouvernement est une réflexion de fond, qui n'est pas d'ailleurs une réflexion qui doit être traitée comme cela, à la petite semaine. C'est une réflexion de fond, qui est de dire : est-ce que le moment n'est pas venu d'engager une vraie réflexion sur l'efficacité de l'Etat, l'efficacité de la dépense publique, faire en sorte que ce travail d'améliorer la considération de nos fonctionnaires vis-à-vis de nos concitoyens, car on sait bien qu'il y a par rapport à cela, une situation de doute pour beaucoup de nos agents publics. Il est indispensable de leur apporter la considération dont ils ont besoin et cette réflexion passe par une modernisation de l'Etat. C'est essentiel."

J.-P. Delevoye dit que les salaires des agents de l'Etat ne seront augmentés que s'ils acceptent les efforts demandés par le Gouvernement.
- "Oui, mais je crois que ce qui est important ..."

Cela veut dire quoi ?
- "Cela veut dire qu'aujourd'hui, nous sommes engagés, tous ensemble, dans une réflexion sur la modernisation de la France. L'incertitude internationale, c'est peut-être une opportunité de réfléchir à comment faire pour aller chercher des réserves de croissance là où nous en avons, et nous en avons beaucoup en France. Nous en avons dans la capacité des hommes et des femmes de notre pays à mieux organiser le travail, à mieux organiser l'efficacité dans le travail. Et puis, deuxièmement, dans la croissance de créations d'entreprises d'innovation, de recherche et dans la croissance qu'on peut trouver dans les grandes réformes. La réforme des retraites, la réforme de l'Etat, la décentralisation. Tout le monde est concerné mais il faut le vivre et le voir de manière positive, car en réalité, le grand défi pour nous, c'est d'être capables, dans les cinq, dix années qui viennent, de travailler à l'amélioration de la rémunération des Français en général, des fonctionnaires, mais des Français en général, en allant chercher le plus de croissance et cela passe par une réflexion sur notre modernisation."

Ca c'est un voeu !
- "Vous rigolez ! Ce n'est pas du tout un voeu. C'est un enjeu fantastique."

La réforme de l'Etat, concrètement, où est-elle engagée ?
- "Partout, c'est tous les sujets ; tous les ministères sont concernés en réalité. En réalité, le défi, c'est de dire, dans tous les ministères, chacune et chacun d'entre nous, nous devons être capables de nous dire : est-ce que chaque euro dépensé correspond bien à l'attente, en termes d'amélioration du service public ?"

Donc, on va faire des économies dans le fonctionnement des ministères, dans chaque ministère ?
- "Plus que ça encore, c'est une approche qualitative qui nous intéresse. Il y a des domaines où il y a, à l'évidence, besoin de dépenser plus. Il faut investir plus, d'ailleurs, on l'a fait dans le domaine de la sécurité, dans le domaine de la justice. On le voit bien, il y a besoin d'investir plus."

Dans les prisons, il y a besoin, oui...
- "Il n'y a pas que dans les prisons, mais vous avez raison. J'ai compris l'allusion, et vous avez raison de la faire. Mais c'est même au delà. Je suis élu à Meaux et dans mon commissariat, il y a deux voitures sur trois qui, l'année dernière encore, ne marchaient pas bien, voire pas du tout. Et la troisième, elle marchait, mais c'était une voiture avec moteur bridé, donc courir derrière les BMW volés, ce n'est pas possible. Donc, il y a un travail d'équipement à faire, très important, des gilets pare-balles qui arrivent enfin, des choses comme ça... Les policiers, les magistrats, ils ont besoin d'être effectivement, eux, plus nombreux avec un meilleur matériel. Il y a d'autres secteurs dans lesquels on sait que ce n'est pas un problème d'augmentation des effectifs, c'est un problème de réorganisation du boulot, des tâches mieux identifiées, dans lequel les fonctionnaires seront sans doute mieux valorisés avec une vraie gestion des carrières, avec une bien meilleure réflexion sur la mobilité et la formation. Sur tout cela, on sait que l'Etat est gagnant en termes de denier du contribuable, et qu'en même temps, nos agents du service public en profiteront en termes de qualité du travail. Donc, voilà le défi sur les dix années qui viennent."

(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 17 mars 2003)