Interview de M. Jean-François Copé, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement et porte parole du gouvernement, à France 2 le 22 octobre 2002, sur les cinq premiers mois du gouvernement, la situation économique et sociale et le projet de loi sur la sécurité intérieure.

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Texte intégral

F. Laborde .- C'était il y a six mois le 21 avril. Un certain nombre de journaux ont fait des sondages hier, dans Libé, dans Le Parisien, les Français donnaient un peu leur sentiment, à partir de questions très simples. Mais dans Libé notamment, un certain nombre de Français considéraient qu'en six mois, leurs problèmes n'avaient pas tous été résolus et dans Le Parisien qu'ils n'étaient peut-être pas suffisamment entendus. Est-ce que c'est le début d'une sorte d'impatience ?
- "C'est quand même assez normal que les Français considèrent que leurs impatiences ne sont pas satisfaites au bout de cinq ou six mois, ça paraît assez logique. Qu'a fait le Gouvernement depuis cinq mois ? Il s'est attaché à commencer à réunir les conditions qui nous permettront d'aller aux résultats dans deux grands domaines. D'abord, dans le domaine économique, à travers tout ce qui est fait pour stimuler le pouvoir d'achat : la baisse des impôts, l'augmentation du SMIC, et puis aussi surtout pour stimuler l'emploi et c'est ce qu'on a fait à travers les baisses de charges, les assouplissements des 35 heures. L'autre grand volet, c'est ce qu'on appelle le volet régalien, c'est à dire sécurité - justice - défense. Dans ces domaines-là, je crois que les conditions sont en train d'être préparées pour aller ensuite aux résultats. Car le vrai message du mois d'avril et du mois de mai, c'est une obligation de résultats pour le Gouvernement. On veut aujourd'hui être satisfait de notre République et on ne l'est pas parce qu'elle produit de l'exaspération, alors on veut des réponses concrètes et c'est à cela qu'on travaille aujourd'hui."
Sur le volet économique, vous arrivez tout de même avec une conjoncture qui n'est pas extraordinaire. On sait que les hypothèses de croissance affichées dans le budget auront du mal sans doute à être réalisées. L'Europe, même si elle permet d'assouplir un certain nombre de choses, nous rappelle régulièrement à l'ordre sur un certain nombre de points, dont notamment, par exemple, EDF encore tout récemment ; c'est une difficulté réelle.
- "C'est vrai qu'on aurait préféré, en arrivant en charge de responsabilités publiques, avoir à la fois une meilleure conjoncture et un meilleur héritage. C'est vrai qu'on a une situation budgétaire qui a beaucoup dérapé. Cela dit, on l'assume, c'est l'héritage et puis surtout, on est en train de mettre en place un certain nombre de mesures économiques qui doivent permettre, malgré tout, d'atteindre cet objectif de croissance. Je ne fais pas partie des gens qui passent leur temps à se dire que tout est catastrophique dans la vie, il faut savoir ce que l'on veut : ou on veut redresser notre pays et on y va tous ensemble, et dans ce cas, on prend quelques mesures qui vont dans ce sens, on baisse les impôts, on allège les charges sociales, on assouplit les réglementations, on simplifie le rapport entre l'administration et les gens, les entreprises, les ménages. Et puis on fonce, parce qu'il faut moderniser ce pays et que c'est maintenant que ça se passe."
Il y a déjà quelques mouvements sociaux : on a vu les enseignants, enfin les professeurs des écoles, les pions aussi, les aides scolaires manifester dans les rues ; on a vu "les supporters" du service public manifester aussi la semaine dernière. C'est une contestation qui vous paraît idéologique ou c'est une contestation qui correspond à une inquiétude réelle ?
- "Comme toujours, dans les manifestations, on sait qu'il y a un peu de tradition, un peu de culture dans tout ça. On est à l'automne et c'est vrai qu'on sait qu'à l'automne il y a souvent ce type de manifestations. En même temps, il faut toujours tout écouter dans la vie ; je crois que c'est important pour nous de bien entendre tous les messages. Je note en particulier que ces manifestations, pour l'essentiel, ne sont pas vraiment contre le Gouvernement. Dans ma ville de Meaux, j'ai par exemple une directrice d'école qui m'a écrit pour me dire qu'elle va aller manifester contre la violence à l'école, qui est devenue insupportable, que c'était la première fois de sa vie qu'elle allait à une manif, mais qu'elle n'en pouvait plus. La violence à l'école, c'est un vrai problème aujourd'hui, il faut des réponses. Oui, ce sont des messages qu'il faut qu'on entende, évidemment."
Vous voulez dire que les professeurs qui étaient dans la rue manifestaient pour des motifs parfois totalement différents ?
- "Bien sûr. Comme toujours, il y a la part un peu idéologique, un peu politique peut-être - je n'en sais rien. Mais il y a surtout, au-delà de ça, une vraie réflexion sur la crise matérielle, morale, la crise de considération que subissent beaucoup de nos concitoyens dans les services publics, à l'école, ou ici et là. Il faut l'entendre. Cela ne veut pas dire, ensuite, qu'il ne faut pas qu'on tienne notre cap et qu'on décide, mais il faut l'entendre, bien sûr."
Si vous entendez l'inquiétude de cette directrice d'école sur la violence à l'école, pourquoi avoir supprimé autant de postes de pions et de surveillants ?
- "Parce qu'il faut sortir de la caricature ! Qui peut croire aujourd'hui que c'est à ce niveau-là que l'on peut lutter efficacement contre l'insécurité ? Pendant cinq ans, les effectifs n'ont cessé d'augmenter dans l'Education nationale et on atteint aujourd'hui le record absolu en matière de taux d'illettrisme à l'entrée en sixième, de violence à l'école d'échec scolaire. C'est bien que le problème n'est pas que quantitatif. Ce n'est pas qu'un problème de moyen, c'est un problème d'organisation, c'est un problème d'objectif, c'est un problème de faire en sorte qu'enfin, dans chaque école de ce pays, il y ait des moyens adaptés parce que les situations ne sont pas les mêmes dans un quartier difficile ou dans un centre-ville."
Vous voulez dire que les profs ne travaillent pas assez ?
- "Non, ce n'est pas un problème de prof ! D'ailleurs, vous l'avez bien vu, ce ne sont pas les profs qui sont en cause. Là où les effectifs augmentent, les profs augmentent ; là où les effectifs diminuent, il est normal que les effectifs de profs n'augmentent pas - on n'est pas dans la même situation dans le primaire ou dans le secondaire. Non, c'est dans l'organisation générale de l'école, c'est l'établissement qui compte : on n'est pas dans la même école quand on est dans un quartier sensible, dans un centre-ville ou dans une zone rurale. C'est ce que l'on veut faire passer comme message et c'est à cela qu'on travaille. Assez de décider depuis Paris des choses qui doivent se décider sur le terrain ! Ce n'est pas le même métier."
Il y a la contestation sociale et il y a aussi la contestation sur les libertés. On a beaucoup parlé de droit à la liberté d'édition de certains livres dont on redoutait qu'ils soient interdits - finalement, ils ne l'ont pas été... Aujourd'hui, un certain nombre d'associations de gauche ont signé une pétition - un appel en tout cas - contre le projet de loi de N. Sarkozy, loi présentée comme liberticide, parce qu'elle interdit beaucoup de choses : la mendicité, le racolage, la prostitution, la fouille dans les automobiles. Vous allez nous dire si tout cela est vrai.
- "C'est surtout que tout cela relève de la caricature. Faire le procès qui consiste à dire qu'on lutte contre la pauvreté, c'est véritablement continuer de ne pas comprendre qu'il y a une vraie différence entre ce qui se dit dans les salons parisiens et ce qui se vit sur le terrain. Aujourd'hui, qui sont les premières victimes de l'insécurité, si ce n'est ceux de nos concitoyens qui sont les plus défavorisés ? Je trouve que ce procès est indigne, parce qu'en réalité à quoi répond cette loi présentée par N. Sarkozy ? A des choses très concrètes, parce que la lutte contre l'insécurité qui le message numéro 1 exige des réponses concrètes. Le problème des squats dans les halls d'immeubles, le problème de la mendicité agressive, le problème des filières mafieuses, le problème des gens du voyage et toute une série de problèmes concrets, exigent une réponse publique. Si on ne le fait pas - et ça, il faut bien que tout le monde le comprenne - ,la prochaine fois, ce sera l'extrême droite qui s'en occupera. Il y en a assez ! Il faut qu'on se dise une bonne fois les choses, il faut que l'action publique soit efficace sur des sujets pour lesquels il n'y a pas de réponse et qui produisent l'exaspération des Français sur le terrain. Je peux en témoigner dans une ville comme la mienne, qui est la ville de Meaux, où l'insécurité est omniprésente dans l'esprit des gens et dans la réalité. Les réponses concrètes c'est là : quand vous avez des gosses de 10-12-15 ans, qui, aujourd'hui, dans les halls d'immeubles, menacent les habitants, eh bien il faut qu'on apporte des réponses. Si on ne le fait pas, je vous le dis, c'est l'extrémisme qui le fera."
Et la gauche vous fait un faux procès ? Elle se trompe d'adversaire ? Vous pensez qu'il faudrait que sur ces sujets-là, il y ait une sorte de consensus ?
- "Je n'admets pas que l'on puisse aujourd'hui faire un procès au Gouvernement sur l'atteinte à la liberté, alors qu'aujourd'hui, nos concitoyens sont victimes de l'insécurité et donc, dans leur propre liberté, en sont les prisonniers. Je suis de ceux qui sont engagés en politique avec l'esprit, pour reprendre l'expression de J.-P. Raffarin, l'esprit de mai 2002 qui n'a rien à voir avec l'esprit de mai 68, dans lequel il y avait beaucoup d'arrogance, beaucoup de certitudes. Nous n'avons plus de certitudes, nous avons des interrogations mais on a envie d'aller aux résultats. C'est ça la différence."
Une toute dernière question sur la décentralisation : est ce que pour cette question, il faut avoir recours au référendum ou c'est un sujet trop compliqué qu'il faut laisser entre les mains des politiques, sénateurs et députés ?
- "La décentralisation est un enjeu fantastique. Quand les Français nous disent qu'ils ne sont pas contents de leur République, qu'elle produit de l'exaspération, de l'impuissance ou des inégalités, notre réponse c'est qu'il faut décentraliser, c'est-à-dire, donner du pouvoir aux gens. Pour la première fois, avec ces textes, on va donner des responsabilités aux acteurs locaux, aux maires, aux conseils généraux et aux habitants pour décider concrètement de ce qui relève de leurs compétences et qui ne doit plus se décider depuis Paris."
Avec ou sans référendum ?
- "Ce n'est pas encore tranché aujourd'hui."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 22 octobre 2002)