Déclaration de M. Robert Hue, secrétaire national du PCF, sur les droits de l'enfant, notamment dans le contexte de la mondialisation et le sous développement, Paris le 19 novembre 1999.

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Circonstance : 10 ème anniversaire de la convention internationale des droits de l'enfant à Paris les 18 et 19 novembre 1999

Texte intégral

Je tiens tout d'abord à vous remercier très chaleureusement d'avoir répondu à notre invitation, et à vous souhaiter la bienvenue ici, au siège du Parti communiste français, pour cette rencontre et cette exposition organisées pour marquer le 10ème anniversaire de la Convention internationale des droits de l'enfant. Qu'il me soit permis de remercier tout particulièrement ceux qui en ont pris l'initiative et qui ont contribué à sa réalisation.
Nous tenions à marquer cet anniversaire, parce qu'à travers la condition des enfants et l'affirmation de leurs droits, c'est l'indivisibilité de la dignité de la personne humaine qui est reconnue.
Vous comprendrez aussi que nous attachions du prix à cette journée, pour avoir été, en concertation avec de nombreuses associations, les artisans et les promoteurs de la loi qui en a fait, au printemps 1996, un moment fort des droits de l'enfant, dans la société et dans les institutions.
Depuis dix ans, le 20 novembre est l'occasion d'une multitude d'initiatives. Et avec la publication, hier, du rapport au Parlement sur la mise en oeuvre de la Convention et l'action du gouvernement en faveur de la situation des enfants dans le monde, nous disposons d'un outil aussi précieux qu'attendu.
On ne peut que se féliciter de ce foisonnement. Il témoigne d'une attention croissante, d'une sensibilité de plus en plus exigeante envers tout ce qui intéresse le sort des enfants, leur avenir.
Cet intérêt est révélateur d'une prise de conscience toujours plus aigüe qu'à travers les droits des enfants et le respect dû à chacun d'eux, c'est d'une certaine vision de la société et de la civilisation qu'il est question. Pour l'avenir, évidemment. Mais aussi pour le présent.
On estime, en effet, que les moins de 18 ans sont, sur la planète, environ 3 milliards, soit la moitié de l'humanité. Ce qui éclate à la face, avec violence, c'est ce terrible paradoxe qui fait qu'au moment où les moyens existent d'éradiquer les fléaux que constituent la misère et la faim, l'analphabétisme et les maladies, des centaines de millions d'enfants sont les premières victimes des injustices, des inégalités, des conflits et des guerres. L'exploitation éhontée de leur travail, parfois jusqu'à l'esclavage, à l'aube du 21ème siècle prend un caractère de scandale insupportable.
Dans les pays les plus pauvres -et aussi dans certains pays développés- des enfants ne mangent pas à leur faim, sont privés du droit à l'éducation et aux soins. D'autres sont la proie de honteux trafics en tout genre : la prostitution, la drogue, le commerce d'organes.
D'autres enfin sont les victimes civiles, et souvent militaires en dépit de leur jeune âge, des conflits armés dont on estime qu'ils ont fait, depuis 1987, 2 millions de morts, 6 millions de blessés et 20 millions de déplacés parmi les enfants.
Oui, à travers cette mise en regard de la convention internationale et des réalités, nous mesurons les efforts pour parvenir, dans les faits, à une reconnaissance pleine, entière et universelle, réelle, des droits de l'enfant.
En m'adressant ce soir à vous, qui oeuvrez dans une grande diversité au service de cette cause majeure, je tiens à souligner, comme secrétaire national du Parti communiste, combien votre action mérite non seulement d'être saluée, encouragée mais surtout aidée concrètement par tous ceux qui en ont le pouvoir et la responsabilité.
De ce point de vue, le texte adopté par l'assemblée générale de l'ONU il y a dix ans a représenté un progrès significatif. D'autres résolutions l'avaient précédé : la déclaration de Genève en 1924, puis la charte de l'ONU de 1959. Mais la grande nouveauté de la Convention internationale du 20 novembre 1989, c'est l'affirmation de droits imprescriptibles. Elle reconnaît dans l'enfant un sujet à part entière. En affirmant son droit à une véritable liberté de conscience et d'opinion, d'association et d'expression, elle lui confère, comme le dit le texte lui-même, une citoyenneté.
On mesure le saut accompli quand on se souvient de l'origine latine du mot " enfant " : " celui qui ne parle pas ". Oui, en quelque sorte, la Convention formalise la reconnaissance de ce droit essentiel pour tout être humain : le droit à la parole, et l'exigence d'être entendu.
C'est ce contenu ambitieux qui a fait de la Convention un point d'appui remarquable pour toutes celles et tous ceux qui sont engagés dans la défense et la promotion de la cause des enfants.
Sans doute faut-il voir dans cette hauteur de vue le fruit de la passion et du dévouement qu'ils y ont investi, pendant des décennies, jusqu'à en faire un grand dessein commun à l'humanité. Il est significatif que pour la première fois -la seule jusqu'à ce jour à ma connaissance- un engagement international de ce type ait été directement inspiré par des organisations non gouvernementales. Ce sont elles, en effet, qui en ont arraché le principe, puis qui l'ont écrit, et fait adopter par la communauté internationale, en s'appuyant sur la sensibilisation des opinions publiques.
Sans entrer ici dans le détail du texte adopté par l'ONU, je dirai simplement que les droits qu'il définit dessinent les contours d'un monde bien différent de celui que nous connaissons. Je remarque, d'ailleurs, qu'à chaque occasion qui leur est donnée -comme au parlement mondial des enfants cette année- ou qu'ils se donnent -comme avec la marche mondiale contre le travail des enfants- les enfants expriment avec force et esprit de responsabilité cette exigence.
Pour ma part j'y vois un appel pressant à transformer ce monde. C'est en tout cas ainsi que nous, communistes, nous l'entendons. Avec la volonté de faire tout ce qui peut dépendre de nous pour que les exigences qu'il contient prennent corps dans la réalité.
Je l'ai dit il y a un instant : évoquer le sort fait aux enfants, c'est, inséparablement, réfléchir aux grandes avancées nécessaires à un développement humain, fraternel, de la civilisation. C'est réfléchir aux moyens de faire en sorte que la modernité se conjugue au progrès social, à la justice, à l'égalité, à la libération humaine.
Permettez-moi une référence à l'actualité immédiate. Elle ne nous éloignera pas -au contraire je pense- du sujet qui nous réunit ce soir.
A quelques jours du sommet de l'OMC, à Seattle, m'est revenu en tête ce jugement d'un responsable des organisations de défense de l'enfance, lors d'une audition au Sénat. Il évoquait la misère, la précarité, les violences subies par les enfants. Je le cite : " la cause de cette situation réside dans le développement de l'extrême pauvreté provoquée par le fonctionnement de plus en plus injuste du système économique mondial ". On se souvient peut-être qu'à la rencontre d'Oslo sur le travail des enfants, en 1997, a été avancée l'idée que la mondialisation dans sa réalité d'aujourd'hui, synonyme de concurrence sauvage, de compétition acharnée, a pour conséquence de plonger des millions d'enfants dans les affres de l'exploitation, alors que les budgets consacrés à la formation et à l'aide sociale tendent à diminuer. Il y a là une logique que nous n'acceptons pas.
Il ne s'agit pas de récuser la " mondialisation " par principe. L'ouverture au monde, la révolution dans le domaine des communications, les progrès des systèmes d'information, rapprochent les continents, jusqu'à " abolir ", d'une certaine façon, les distances qui les séparent. C'est positif, bien sûr.
Pourtant, ces bouleversements ne contribuent pas à rapprocher les peuples eux-mêmes comme ils pourraient le faire, par l'échange des cultures et des connaissances, par la mise en commun des savoirs et des technologies. L'interdépendance des sociétés à l'échelle de la planète, le sentiment d'une communauté de destin qu'éprouvent les citoyens ne trouvent pas de réponse à la hauteur de leurs attentes et de leurs espoirs quand la mondialisation est commandée par les seules exigences de l'économie ou, plus précisément, de la financiarisation de l'économie.
Au fond ce sont bien deux types de mondialisation, deux chemins pour l'avenir du monde qui sont proposés à l'humanité.
Il y a une mondialisation des marchés financiers, de l'argent pour l'argent, génératrice d'aggravation des inégalités, de sous-développement, de mise en concurrence ravageuse des peuples. Nous récusons l'idée selon laquelle elle serait le passage obligé pour aller vers du mieux dans le futur. Et cette conviction, je le constate chaque jour, est de plus en plus partagée, à la lumière de l'expérience.
Ainsi, parce que nous sommes intraitables dans notre critique de cette logique, tous nos efforts sont tendus vers tout ce qui peut rassembler en faveur d'une mondialisation de co-développement et de coopération, de développement durable pour la planète, de valorisation de la personne humaine et de ses droits.
Dire cela ce n'est pas renvoyer à un horizon insaisissable les indispensables mesures à prendre pour faire reculer, partout et chaque fois que possible, les logiques financières qui perpétuent et aggravent la détresse de milliards d'êtres humains.
J'ai, au contraire, la conviction que la question cruciale du développement inégal de l'humanité est en train de dépasser le stade du constat, pour devenir l'objet d'une action immédiate et résolue. La conviction également que l'on peut lui donner la profondeur d'un débat de civilisation par l'action de toutes celles et tous ceux qui ne veulent pas se résoudre à l'état des choses existant et aspirent, dans la diversité de leurs engagements, à construire un monde meilleur. Tout ce qui se construit autour du sommet de l'OMC, autour de questions comme la taxation des capitaux, de la sécurité alimentaire, de l'emploi, en est, me semble-t-il, la démonstration.
J'ai voulu, chers amis, faire ces quelques remarques devant vous parce qu'elles éclairent les raisons profondes et le sens de notre participation au combat que vous menez en faveur de tous les enfants du monde.
La situation des enfants de notre pays n'a rien à voir avec celle qui leur est infligée dans des dizaines de pays à travers le monde.
Cela ne veut pas dire que dans la France de cette fin de millénaire, dans une des nations les plus riches du monde, nous ne soyons encore largement redevables aux enfants d'une prise en compte plus conséquente de leurs besoins.
La commission d'enquête parlementaire de 1998, " droits de l'enfant : de nouveaux espaces à conquérir ", faisait un certain nombre de propositions. Plusieurs sont sur le point d'aboutir. Ainsi avec la création du médiateur des enfants ; ou encore avec la disparition annoncée de la distinction entre enfants " naturels " et enfants " légitimes ". On progresse, ainsi, dans le sens de ce que la Convention envisage pour assurer une réelle égalité entre tous les enfants. Mais il reste beaucoup à faire.
J'en prendrai pour exemple les 30 000 signatures, et plus même, qui appuient la pétition demandant qu'une infirmière soit affectée à chaque groupe scolaire. Mon ami Bernard Birsinger relaie cette initiative à l'Assemblée nationale. Et il n'est pas indifférent que 600 postes aient été créés ces trois dernières années. Mais le compte n'y est pas, loin s'en faut. Pas plus qu'en ce qui concerne la médecine scolaire. Il n'y a actuellement, qu'un médecin pour 7000 élèves. De la même façon, peut-on affirmer que l'accès égal de tous les enfants à la culture et aux loisirs est aujourd'hui garanti? Certainement pas. La société française demeure, malheureusement trop inégalitaire, meurtrie par le chômage, la précarité et par l'exclusion.
C'est pourquoi je souhaite profiter de notre rencontre pour reprendre la proposition d'un véritable " état des lieux " de la situation des enfants dans notre pays.
Nous avons les moyens de la concrétiser, département par département. Au besoin : ville par ville. Il s'agirait d'établir un diagnostic rigoureux, permettant de décider d'objectifs audacieux, de projets à mettre en oeuvre immédiatement. Les élus communistes sont prêts, dès à présent, à porter cette proposition partout où ils sont présents, et en particulier à l'Assemblée nationale.
Je le répète : nous le devons aux enfants. Plus qu'à tout autre peut-être, nous leur devons de ne pas les décevoir par des promesses non suivies d'effets.
Mesdames et Messieurs, chers amis,
L'organisation d'une journée nationale des droits de l'enfant le 20 novembre de chaque année, est là pour nous rappeler ce qui reste encore à accomplir. J'ai dit l'importance que nous lui accordons.
Ne devrait-on pas proposer la même démarche à l'échelle de l'Europe et aussi, comme l'ont suggéré un certain nombre d'organisations, à l'Organisation des Nations unies? C'est le souhait que je forme au nom du Parti communiste.
Il nous faut, je pense, réfléchir aux initiatives pour mieux utiliser les possibilités qu'offre la Convention internationale des droits de l'enfant. Elle a déjà permis de réelles avancées. Elle constitue un point d'appui solide, d'autant qu'elle a été ratifiée par la quasi-totalité des états, à quelques exceptions près, dont celle des Etats-Unis, ce qu'on ne peut que déplorer.
Oui, parce que tout ce qui touche à l'enfance est un révélateur et des injustices et des progrès de l'humanité, c'est un devoir impératif pour les gouvernements, tous les responsables politiques d'accorder, comme le précisait un sommet des chefs d'états et de gouvernements en 1990, " une haute priorité aux droits des enfants, à leur survie, leur protection et développement, ce qui permettra également de garantir le bien-être de toute la société ".
L'exposition que nous accueillons cite un proverbe africain : " Le monde ne nous a pas été légué par nos parents, il nous a été prêté par nos enfants ". Beau sujet de réflexion qui nous renvoie à notre responsabilité comme citoyens, et comme responsables politiques, pour la part qui nous revient.
Encore merci pour avoir répondu à notre invitation. Elle était aussi pour nous la reconnaissance du travail accompli par des dizaines d'associations et d'organisations, d'ONG. Elle a été l'occasion de réaffirmer que par-delà les anniversaires, c'est au quotidien que le Parti communiste tient à prendre sa part dans ce qu'il faut bien appeler un combat, pour donner vie aux principes de la Convention internationale des droits de l'enfant.
(Source http://www.pcf.fr, le 29 janvier 2003)