Texte intégral
Monsieur l'ambassadeur,
madame la doyenne,
mesdames et messieurs,
mes chers compatriotes,
Je suis sincèrement très heureux d'être avec vous. D'abord, pour vous saluer et exprimer la conscience qu'a la République du rôle qui est le vôtre. Même si, au Luxembourg, on est dans un pays particulièrement ami. Vous êtes de ceux qui représentez la France, de ceux qui portez en vous-mêmes ce que notre pays doit porter au monde. Pour tout cela, je voudrais vous dire la profonde gratitude et la conscience que les pouvoirs publics ont en France du rôle essentiel que jouent les Français de l'étranger.
Notre Sénat a reconnu l'exigence de représentation - je salue le sénateur Cointat, ici présent -, mais au-delà de cette représentation au Sénat, le président de la République lui-même tient à souligner combien il est important aujourd'hui que la France fasse entendre sa voix, exprime sa vision dans le monde. Et comment le faire mieux qu'avec tous ceux qui vivent, partagent la vie des pays où ils résident et qui, ainsi, sont des témoins vivants et permanents de ce que la France fait et dit au monde aujourd'hui ?
C'est donc avec beaucoup de gratitude et de compréhension que je suis parmi vous aujourd'hui, à un moment passionnant de notre histoire, même si ce moment n'est pas sans difficulté.
Le moment est passionnant parce que nous construisons une Europe nouvelle. Vous vivez au coeur même de cette nouvelle Europe et vous vivez dans un pays qui a la science de l'Europe, qui a la connaissance de l'Europe, dans un pays qui a souffert de ce que l'Europe a eu de plus monstrueux. Parce que cette Europe que nous voulons, ni la géographie, ni l'Histoire ne l'ont imposée. La géographie nous a fait souvent tourner le dos les uns aux autres, et l'Histoire nous a conduits à nous entre-tuer. Ce qui nous rassemble, c'est cette volonté commune d'assumer ensemble notre destin, notamment le Luxembourg, plus que beaucoup d'autres pays, parce qu'il a été occupé mais aussi parce que les plus grands intellectuels ont été ici présents ; parce que les grands fondateurs de l'Europe sont venus ici, quelquefois y sont nés - je pense évidemment à Robert Schuman -; je pense à tous ceux qui ont pu porter, à un moment ou à un autre, ce message de l'avenir. Ce qu'E. Morin appelle la communauté de destins", qui répond à ce mot terrible : "L'Europe est un mensonge." L'Europe, qui portait les divisions, doit demain porter l'Union. Et cette Europe, a un sens particulier, ici, au Luxembourg.
Tout à l'heure, un des ministres du Gouvernement, me disait : "Mais comment est-ce qu'on pourrait promouvoir le Luxembourg aux yeux des Français ?" Je lui ai dit : dites aux Français, que l'Europe est vivante au Luxembourg, que si on veut toucher l'Europe, si on veut la connaître, elle n'est pas théorique, elle n'est pas dans les livres, elle n'est pas dans les traités. L'Europe, est au contraire dans un pays qui est habitué à la vivre. Dites aux Français que, comme on dit qu'avec les Québécois on reconnaît l'Amérique, on connaît l'Europe avec le Luxembourg. Je pense que cette expérience que vous vivez est importante pour la France. Je souhaite qu'elle soit riche pour vous, et je souhaite vraiment que vous vous sentiez bien dans notre communauté nationale, dispersée partout dans le monde, mais réunie par son Histoire et son ambition.
Notre Histoire aujourd'hui est forte des valeurs que le président de la République a pu porter dans des circonstances internationales difficiles. Notre volonté de paix, notre capacité aujourd'hui, à défendre un monde multipolaire, à défendre cette diversité de la pensée qui est consubstantielle avec la liberté des femmes et des hommes. C'est cette valeur qui nous vient de l'Histoire de France aujourd'hui que nous défendons et que le président de la République défend quand il défend la paix. Nous ne sommes pas un pays pacifiste, nous sommes un pays qui défend le droit et qui veut que la guerre soit l'ultime décision, mais que le processus du droit soit respecté. C'est pour cela que nous sommes attachés à l'ONU, source du droit. C'est pour cela que nous avons défendu la paix. C'est pour cela que nous continuerons à défendre ces idées de gouvernance mondiale, fondées sur les principes du droit, du respect des peuples et de leur diversité.
C'est un élément très important de notre conviction aujourd'hui pour défendre une gouvernance mondiale, nécessaire. Ce que nous faisons pour la paix avec l'ONU, nous le faisons pour le développement avec l'OMC, et nous le faisons aussi en appelant une organisation mondiale de l'environnement, pour que nous prenions conscience aujourd'hui, que la planète, les femmes et les hommes que nous sommes, nous avons entre nos mains la possibilité de détruire notre planète. Il nous faut donc nous rassembler pour avoir cette conscience mondiale de la protection de la planète. Cela veut dire que la gouvernance mondiale doit se protéger, doit s'accélérer pour faire en sorte que nous ayons cette capacité de surmonter nos défis du monde.
Mais pendant très longtemps, l'Europe a donné le sentiment qu'elle prenait son temps, de sommets en comités, de conseils en assemblées. Prenant son temps de définir son avenir. Et progressivement, la gouvernance mondiale avance. Et aujourd'hui, il ne faudrait pas que la gouvernance européenne, que l'organisation européenne prenne du retard. Parce que cela voudrait dire que l'Europe serait dispersée dans le monde, comme elle l'a été dans certains événements. Et ce n'est pas notre ambition. Il nous faut donc accélérer cette croissance de la gouvernance européenne, cette nouvelle définition de l'Europe qui verra ses contours politiques et géographiques définis avec cette échéance de 2004. 2004, où le nouveau périmètre de l'Europe sera défini et aussi la nouvelle Constitution, préparée brillamment par les conventionnels, avec leur tête, V. Giscard d'Estaing, qui ont éclairé le choix - et je souhaite vraiment que la Convention puisse trouver dans la Conférence intergouvernementale son travail préservé, amélioré, en tout cas pas détruit.
C'est cette perspective qui est la nôtre, une Europe forte, une Europe que vous, au Luxembourg, vous vivez quotidiennement et que les Français doivent vivre, parce que c'est leur espace de destin. C'est grâce à l'Europe, multiplicateur d'influence, que nous pourrons faire exister nos idées et nos convictions sur l'ensemble de la planète. C'est pour cela que cette perspective-là d'une France à l'aise en Europe, à l'aise dans le monde, à l'aise, en fait, dans son siècle, c'est la perspective que défend le président de la République et pour laquelle le Gouvernement est complètement engagé. Cette perspective-là donne un rôle, une place aux Luxembourg, spécifique, un pays qui d'abord a la connaissance de l'Europe ; il a aussi la connaissance et la proximité de la France ; il a aussi la connaissance des relations franco-allemandes. Ce pays est stratégiquement très important dans la construction européenne, parce qu'il a tout ce rôle finalement de témoin du progrès européen. C'est un élément très important pour nous - alors que de nouveaux pays arrivent, ne connaissent pas notre Histoire, et des nouvelles générations arrivent et ne connaissent pas, elles aussi, nos douleurs -, il est bon qu'un pays connaisse tout cela et soit le témoin de tout cela. Et c'est pour cela qu'avec le Luxembourg, nous avons besoin de cette proximité.
Je dois dire que nous voulons renforcer cette proximité, non seulement par des positions communes sur le terrain international et multilatéral, mais aussi sur des positions communes sur le terrain bilatéral. Avec le gouvernement luxembourgeois, nous avons travaillé ce matin sur des dossiers importants, notamment pour essayer de mobiliser l'Union européenne sur un objectif de croissance. Je crois que c'est bien de faire des Constitutions, c'est bien de proposer l'élargissement, c'est bien de proposer l'approfondissement ; il faut aussi penser à l'emploi, à la cohésion économique et sociale et donc nous engager pour cette initiative de croissance dont l'Europe a besoin. Parce que les Européens ont besoin d'emploi, ont besoin de solidarité sociale, et que c'est par la croissance qu'on obtient, et l'emploi et la solidarité sociale. Le gouvernement, que j'ai rencontré ce matin, est bien dans cette orientation-là, notamment en donnant la priorité à des dossiers très importants ; je pense à la recherche, qui me paraît être une priorité du combat européen. Parce qu'en mettant tous nos efforts, on peut avoir, sur des grands objectifs, sur lesquels nous sommes mobilisés en France... Je pense au cancer, je pense à des grandes maladies, je pense aussi à des grands progrès scientifiques pour lesquels il nous faut nous mobiliser tous ensemble, mais aussi les infrastructures de communications pour que les peuples soient mieux rassemblés et mieux connectés les uns aux autres.
Dans cette coopération bilatérale, une place tout importante doit être faite à la Grande région, à cette Grande région qui, avec la Lorraine, pour les territoires français, avec l'ensemble des départements et des villes qui la constituent, appartient à cette dynamique inter-régionale et transnationale, qui est une dynamique très importante pour l'avenir. L'Europe sera tellement grande qu'il faudra savoir faire vivre des petites Europes, des espaces européens authentiquement européens mais capables de porter des projets : des projets culturels, des projets économiques, des projets sociaux. C'est ce dont nous avons parlé ; le président du Conseil régional de lorraine est ici, de nombreux élus lorrains sont présents, je salue les présidents de département, je salue les députés, les parlementaires qui sont ici. Nous devons, Lorraine et l'ensemble des territoires, être capables, dans la Grande région, d'avoir là un espace européen qui portera les projets, qui portera les capacités de développement et qui montrera un exemple de ce qu'est un projet qui ne devient pas progressivement européen au fur et à mesure qu'il grandit. Un projet ne devient pas européen ; il faut que nos projets soient européens dès leur naissance. Et c'est pour cela que je crois à la Grande région parce qu'elle peut concevoir des projets qui naissent européens. C'est pour cela que dans cette dynamique-là, l'Etat sera au rendez-vous des projets de la lorraine et de la grande Région. 2007, rendez-vous culturel important pour le Luxembourg et la Grande région ; 2007, rendez-vous très important pour le TGV ; 2007, rendez-vous très important pour les infrastructures et la communication entre les citoyens de cette Grande région. Nous mobiliserons les moyens pour respecter les engagements de l'Etat, pour faire en sorte que l'Etat puisse assumer toutes ses responsabilités, financières mais aussi stratégiques, pour permettre à ce que ce rendez-vous de la Grande région au sein de la grande Europe puisse être réussi. C'est un engagement que je prends ici, que j'ai pris déjà auprès des élus de Lorraine. Et je tiens à vous dire que pour moi, il s'agit vraiment d'un sujet de conviction.
La nouvelle géographie européenne impose à la France de se brancher, de manière systématique et déterminée, sur tous les espaces européens. Il n'y a rien à gagner au repli sur soi ; il n'y a rien à gagner [d'un] esprit de fermeture qui considérerait que nous trouverions nous-mêmes nos solutions dans la nostalgie. Nous trouverons nos solutions dans l'ouverture et dans l'aventure européenne ; c'est la conviction qui nous anime. C'est pour cela que, avec le Luxembourg, nous avons de nombreuses causes communes, parmi lesquelles la cause de la culture, qui est une cause essentielle, d'abord parce que c'est la cause francophone et que le français que nous avons en partage, c'est une langue, c'est une histoire, c'est une sémantique ; c'est aussi, bien au-delà, des valeurs qui nous dépassent, parce que notre langue a porté des messages, notre langue est un véhicule, dont les messages sont quelquefois plus grands que nous-mêmes. C''est pour cela que dans le monde entier, il faut défendre notre langue, défendre notre culture, parce que derrière notre langue et nos cultures, il y a nos valeurs, notre identité, il y a les messages de la France. Cette démarche-là est essentielle et nous devons avoir des alliés. Je suis très heureux qu'avec nos amis Luxembourgeois et quelques autres, nous ayons pu obtenir de la Convention, que la règle de l'unanimité soit la règle acceptée pour tous les traités internationaux de l'Union européenne, pour faire en sorte que vraiment, on reconnaisse la diversité culturelle comme un bien identitaire et non pas comme une marchandise capable d'être négociée comme les autres à la majorité qualifiée. Quand il s'agit de l'identité des femmes et des hommes, il faut que chacun puisse s'y retrouver. C'est pour cela que nous nous sommes battus jusqu'au bout, dans les dernières heures de la Convention, pour faire reconnaître cette diversité culturelle qui est si importante pour chacune et chacun d'entre nous, mais aussi pour que l'espace francophone et forcément la culture française puisse continuer à jouer son rôle et à porter son message dans le monde. Cet apport-là, nous le devons en partie à nos amis Luxembourgeois, auxquels je voudrais adresser des messages de gratitude. Nous le devons à tous les conventionnels qui se sont motivés sur ce sujet, et pour lesquels, évidemment, nous avons beaucoup de reconnaissance.
Nous avons, dans cette bataille pour la culture européenne, beaucoup d'autres frontières à franchir, puisque la culture est fondatrice de la création européenne. Cette culture, nous la voulons populaire ; non pas une culture qui serait la propriété des uns ou des autres, mais une culture partagée. La culture, c'est une flamme qui est au coeur de chaque personne. C'est ce qui peut faire aujourd'hui que l'Europe rayonne pour ce faire, il faut que la culture soit populaire. C'est pour cela que nous voulons, avec nos amis Luxembourgeois et beaucoup d'autres, faire en sorte par exemple que le taux de TVA sur les biens culturels - je pense aux disques - puisse être abaissé, de manière à ce qu'on puisse avoir un accès populaire à la culture. C'est un élément très important de la construction européenne. [...] En réponse à monsieur Juncker qui me citait Pascal avec les "Pensées", je lui répondais Mozart avec la musique. Mozart dit : "Je ne fais que de mettre ensemble des notes qui s'aiment." La culture, c'est de faire en sorte que les peuples, ensemble dans l'Europe, puissent s'aimer. C'est pour cela que nous sommes très engagés sur ce sujet. Je voudrais dire ici, avec tous les ministres qui m'accompagnent, notamment le ministre de la Culture, combien la France est engagée sur cette stratégie de la culture comme lien européen.
Je sais que je dis cela, à un moment où la France, en ses festivals, est blessée. Je connais l'importance des festivals en France, je connais l'importance pour les femmes et les hommes de culture, pour les créateurs, pour les techniciens. Je connais l'importance qu'a le festival pour exprimer ce qu'est le long travail d'expression et de préparation culturelle. Je connais ce que le festival a de capacité de rayonnement pour la culture mais aussi pour le territoire. C'est pour cela que j'ai une profonde tristesse au coeur quand je vois qu'à un moment ou à un autre, on prive des jeunes, on prive les publics les plus populaires de cette expression culturelle. Je souhaite vraiment que nous gardions en France cette terre de festivals. J'appelle les uns et les autres à prendre conscience combien un pays comme la France, a besoin de sa diversité culturelle. Il est normal que chacun s'exprime, il est normal que chacun puisse dire ses convictions et faire part de ses projets. Il est aussi normal que l'on puisse respecter le dialogue social et que l'on puisse faire en sorte que dans notre pays, des règles de débat social puissent être respectées. On ne pourra pas avancer, dans la culture comme dans d'autres sujets, si n'avons le choix qu'entre l'immobilisme et le blocage. La culture, au contraire, appartient à tous et doit être partagée par tous. Je suis conscient des difficultés, je mesure combien les créateurs peuvent être déçus, je mesure combien le public peut se sentir blessé par l'annulation de ce qui est souvent l'expression de vie pour un territoire. C'est pour cela qu'avec le ministre de la Culture, nous voulons tout faire pour pouvoir répondre à cette crise, sans faiblesse, mais avec ouverture avec attention. C'est pour cela que nous souhaitons vraiment, d'abord faire en sorte qu'on puisse assurer la pérennité des festivals, et nous mettrons en place un programme national pour la pérennité des festivals, pour que, quelles que soient les difficultés d'une année, il ne puisse être question de mettre en cause l'avenir des festivals. Avec J.-J. Aillagon, nous mettrons en place un programme pour assurer la pérennité de ces festivals.
D'autre part, parce que j'ai entendu les inquiétudes des créateurs, parce que j'ai entendu les inquiétudes des techniciens, parce que j'ai entendu les inquiétudes du monde culturel et que je sais bien que la France ne peut pas avancer sans son intelligence, sous toutes ses formes, nous mettrons en place le Conseil national de l'emploi culturel. Parce que les emplois culturels dans notre pays, c'est un sujet qui n'a pas été traité pendant trop longtemps. Voilà seulement un an que mon Gouvernement est aux responsabilités et nous trouvons beaucoup de dossiers à traiter, nous ne pouvons pas tout traiter en une seule année. Le statut de l'emploi culturel est un problème difficile qui n'a pas été traité jusqu'à ce jour. Je souhaite qu'un Conseil national de l'emploi culturel puisse travailler sur ces questions et puisse permettre aux créateurs de trouver les solutions, dans un esprit de réconciliation de la nation et d'apaisement social. Nous avons besoin de cela pour faire en sorte que chacun trouve sa place. Et qu'on fasse tout cela, non pas au nom d'une catégorie professionnelle, non pas seulement même au nom d'un territoire, mais qu'on fasse tout cela pour la France, et qu'on fasse cela pour la Nation. Parce que, ce dont la Nation a besoin, c'est de sentir forte pour affronter le XXIe siècle. Et je ne crois pas qu'on affrontera le XXIe siècle avec des logiques de concentration, avec des logiques du gigantisme, avec des logiques de la banalisation et de la standardisation. Nous affronterons le XXIe siècle, avec les logiques de l'innovation, avec les logiques du talent, avec les logiques de la création, avec tout ce qui peut être, au plan économique comme au plan culturel, ou plan social, finalement de la valeur ajoutée ; je dirais : de l'humain ajouté.
C'est pour cela que la culture a toute sa place dans le projet que nous défendons pour la République et pour la France. C'est pour cela que nous sommes engagés dans toute cette action, dans l'intérêt de notre pays. Je voudrais vous dire, à vous toutes et tous, qui vivez hors de France, même si vous vivez proche de la France, que la République est mobilisé sur ces projets. Car ce qui compte aujourd'hui, c'est qu'ensemble, notre pays, regardant son Histoire, regardant ce qu'il a pu surmonter par le passé, soit capable d'affronter l'avenir avec confiance. Nous avons tous les atouts pour faire face à l'avenir, pour peu que nous sachions respecter le pacte qui est le nôtre, le pacte républicain, cette capacité de vivre ensemble, cette capacité d'être heureux, d'être français.
Vive la République et vive la France !"
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 31 juillet 2003)
madame la doyenne,
mesdames et messieurs,
mes chers compatriotes,
Je suis sincèrement très heureux d'être avec vous. D'abord, pour vous saluer et exprimer la conscience qu'a la République du rôle qui est le vôtre. Même si, au Luxembourg, on est dans un pays particulièrement ami. Vous êtes de ceux qui représentez la France, de ceux qui portez en vous-mêmes ce que notre pays doit porter au monde. Pour tout cela, je voudrais vous dire la profonde gratitude et la conscience que les pouvoirs publics ont en France du rôle essentiel que jouent les Français de l'étranger.
Notre Sénat a reconnu l'exigence de représentation - je salue le sénateur Cointat, ici présent -, mais au-delà de cette représentation au Sénat, le président de la République lui-même tient à souligner combien il est important aujourd'hui que la France fasse entendre sa voix, exprime sa vision dans le monde. Et comment le faire mieux qu'avec tous ceux qui vivent, partagent la vie des pays où ils résident et qui, ainsi, sont des témoins vivants et permanents de ce que la France fait et dit au monde aujourd'hui ?
C'est donc avec beaucoup de gratitude et de compréhension que je suis parmi vous aujourd'hui, à un moment passionnant de notre histoire, même si ce moment n'est pas sans difficulté.
Le moment est passionnant parce que nous construisons une Europe nouvelle. Vous vivez au coeur même de cette nouvelle Europe et vous vivez dans un pays qui a la science de l'Europe, qui a la connaissance de l'Europe, dans un pays qui a souffert de ce que l'Europe a eu de plus monstrueux. Parce que cette Europe que nous voulons, ni la géographie, ni l'Histoire ne l'ont imposée. La géographie nous a fait souvent tourner le dos les uns aux autres, et l'Histoire nous a conduits à nous entre-tuer. Ce qui nous rassemble, c'est cette volonté commune d'assumer ensemble notre destin, notamment le Luxembourg, plus que beaucoup d'autres pays, parce qu'il a été occupé mais aussi parce que les plus grands intellectuels ont été ici présents ; parce que les grands fondateurs de l'Europe sont venus ici, quelquefois y sont nés - je pense évidemment à Robert Schuman -; je pense à tous ceux qui ont pu porter, à un moment ou à un autre, ce message de l'avenir. Ce qu'E. Morin appelle la communauté de destins", qui répond à ce mot terrible : "L'Europe est un mensonge." L'Europe, qui portait les divisions, doit demain porter l'Union. Et cette Europe, a un sens particulier, ici, au Luxembourg.
Tout à l'heure, un des ministres du Gouvernement, me disait : "Mais comment est-ce qu'on pourrait promouvoir le Luxembourg aux yeux des Français ?" Je lui ai dit : dites aux Français, que l'Europe est vivante au Luxembourg, que si on veut toucher l'Europe, si on veut la connaître, elle n'est pas théorique, elle n'est pas dans les livres, elle n'est pas dans les traités. L'Europe, est au contraire dans un pays qui est habitué à la vivre. Dites aux Français que, comme on dit qu'avec les Québécois on reconnaît l'Amérique, on connaît l'Europe avec le Luxembourg. Je pense que cette expérience que vous vivez est importante pour la France. Je souhaite qu'elle soit riche pour vous, et je souhaite vraiment que vous vous sentiez bien dans notre communauté nationale, dispersée partout dans le monde, mais réunie par son Histoire et son ambition.
Notre Histoire aujourd'hui est forte des valeurs que le président de la République a pu porter dans des circonstances internationales difficiles. Notre volonté de paix, notre capacité aujourd'hui, à défendre un monde multipolaire, à défendre cette diversité de la pensée qui est consubstantielle avec la liberté des femmes et des hommes. C'est cette valeur qui nous vient de l'Histoire de France aujourd'hui que nous défendons et que le président de la République défend quand il défend la paix. Nous ne sommes pas un pays pacifiste, nous sommes un pays qui défend le droit et qui veut que la guerre soit l'ultime décision, mais que le processus du droit soit respecté. C'est pour cela que nous sommes attachés à l'ONU, source du droit. C'est pour cela que nous avons défendu la paix. C'est pour cela que nous continuerons à défendre ces idées de gouvernance mondiale, fondées sur les principes du droit, du respect des peuples et de leur diversité.
C'est un élément très important de notre conviction aujourd'hui pour défendre une gouvernance mondiale, nécessaire. Ce que nous faisons pour la paix avec l'ONU, nous le faisons pour le développement avec l'OMC, et nous le faisons aussi en appelant une organisation mondiale de l'environnement, pour que nous prenions conscience aujourd'hui, que la planète, les femmes et les hommes que nous sommes, nous avons entre nos mains la possibilité de détruire notre planète. Il nous faut donc nous rassembler pour avoir cette conscience mondiale de la protection de la planète. Cela veut dire que la gouvernance mondiale doit se protéger, doit s'accélérer pour faire en sorte que nous ayons cette capacité de surmonter nos défis du monde.
Mais pendant très longtemps, l'Europe a donné le sentiment qu'elle prenait son temps, de sommets en comités, de conseils en assemblées. Prenant son temps de définir son avenir. Et progressivement, la gouvernance mondiale avance. Et aujourd'hui, il ne faudrait pas que la gouvernance européenne, que l'organisation européenne prenne du retard. Parce que cela voudrait dire que l'Europe serait dispersée dans le monde, comme elle l'a été dans certains événements. Et ce n'est pas notre ambition. Il nous faut donc accélérer cette croissance de la gouvernance européenne, cette nouvelle définition de l'Europe qui verra ses contours politiques et géographiques définis avec cette échéance de 2004. 2004, où le nouveau périmètre de l'Europe sera défini et aussi la nouvelle Constitution, préparée brillamment par les conventionnels, avec leur tête, V. Giscard d'Estaing, qui ont éclairé le choix - et je souhaite vraiment que la Convention puisse trouver dans la Conférence intergouvernementale son travail préservé, amélioré, en tout cas pas détruit.
C'est cette perspective qui est la nôtre, une Europe forte, une Europe que vous, au Luxembourg, vous vivez quotidiennement et que les Français doivent vivre, parce que c'est leur espace de destin. C'est grâce à l'Europe, multiplicateur d'influence, que nous pourrons faire exister nos idées et nos convictions sur l'ensemble de la planète. C'est pour cela que cette perspective-là d'une France à l'aise en Europe, à l'aise dans le monde, à l'aise, en fait, dans son siècle, c'est la perspective que défend le président de la République et pour laquelle le Gouvernement est complètement engagé. Cette perspective-là donne un rôle, une place aux Luxembourg, spécifique, un pays qui d'abord a la connaissance de l'Europe ; il a aussi la connaissance et la proximité de la France ; il a aussi la connaissance des relations franco-allemandes. Ce pays est stratégiquement très important dans la construction européenne, parce qu'il a tout ce rôle finalement de témoin du progrès européen. C'est un élément très important pour nous - alors que de nouveaux pays arrivent, ne connaissent pas notre Histoire, et des nouvelles générations arrivent et ne connaissent pas, elles aussi, nos douleurs -, il est bon qu'un pays connaisse tout cela et soit le témoin de tout cela. Et c'est pour cela qu'avec le Luxembourg, nous avons besoin de cette proximité.
Je dois dire que nous voulons renforcer cette proximité, non seulement par des positions communes sur le terrain international et multilatéral, mais aussi sur des positions communes sur le terrain bilatéral. Avec le gouvernement luxembourgeois, nous avons travaillé ce matin sur des dossiers importants, notamment pour essayer de mobiliser l'Union européenne sur un objectif de croissance. Je crois que c'est bien de faire des Constitutions, c'est bien de proposer l'élargissement, c'est bien de proposer l'approfondissement ; il faut aussi penser à l'emploi, à la cohésion économique et sociale et donc nous engager pour cette initiative de croissance dont l'Europe a besoin. Parce que les Européens ont besoin d'emploi, ont besoin de solidarité sociale, et que c'est par la croissance qu'on obtient, et l'emploi et la solidarité sociale. Le gouvernement, que j'ai rencontré ce matin, est bien dans cette orientation-là, notamment en donnant la priorité à des dossiers très importants ; je pense à la recherche, qui me paraît être une priorité du combat européen. Parce qu'en mettant tous nos efforts, on peut avoir, sur des grands objectifs, sur lesquels nous sommes mobilisés en France... Je pense au cancer, je pense à des grandes maladies, je pense aussi à des grands progrès scientifiques pour lesquels il nous faut nous mobiliser tous ensemble, mais aussi les infrastructures de communications pour que les peuples soient mieux rassemblés et mieux connectés les uns aux autres.
Dans cette coopération bilatérale, une place tout importante doit être faite à la Grande région, à cette Grande région qui, avec la Lorraine, pour les territoires français, avec l'ensemble des départements et des villes qui la constituent, appartient à cette dynamique inter-régionale et transnationale, qui est une dynamique très importante pour l'avenir. L'Europe sera tellement grande qu'il faudra savoir faire vivre des petites Europes, des espaces européens authentiquement européens mais capables de porter des projets : des projets culturels, des projets économiques, des projets sociaux. C'est ce dont nous avons parlé ; le président du Conseil régional de lorraine est ici, de nombreux élus lorrains sont présents, je salue les présidents de département, je salue les députés, les parlementaires qui sont ici. Nous devons, Lorraine et l'ensemble des territoires, être capables, dans la Grande région, d'avoir là un espace européen qui portera les projets, qui portera les capacités de développement et qui montrera un exemple de ce qu'est un projet qui ne devient pas progressivement européen au fur et à mesure qu'il grandit. Un projet ne devient pas européen ; il faut que nos projets soient européens dès leur naissance. Et c'est pour cela que je crois à la Grande région parce qu'elle peut concevoir des projets qui naissent européens. C'est pour cela que dans cette dynamique-là, l'Etat sera au rendez-vous des projets de la lorraine et de la grande Région. 2007, rendez-vous culturel important pour le Luxembourg et la Grande région ; 2007, rendez-vous très important pour le TGV ; 2007, rendez-vous très important pour les infrastructures et la communication entre les citoyens de cette Grande région. Nous mobiliserons les moyens pour respecter les engagements de l'Etat, pour faire en sorte que l'Etat puisse assumer toutes ses responsabilités, financières mais aussi stratégiques, pour permettre à ce que ce rendez-vous de la Grande région au sein de la grande Europe puisse être réussi. C'est un engagement que je prends ici, que j'ai pris déjà auprès des élus de Lorraine. Et je tiens à vous dire que pour moi, il s'agit vraiment d'un sujet de conviction.
La nouvelle géographie européenne impose à la France de se brancher, de manière systématique et déterminée, sur tous les espaces européens. Il n'y a rien à gagner au repli sur soi ; il n'y a rien à gagner [d'un] esprit de fermeture qui considérerait que nous trouverions nous-mêmes nos solutions dans la nostalgie. Nous trouverons nos solutions dans l'ouverture et dans l'aventure européenne ; c'est la conviction qui nous anime. C'est pour cela que, avec le Luxembourg, nous avons de nombreuses causes communes, parmi lesquelles la cause de la culture, qui est une cause essentielle, d'abord parce que c'est la cause francophone et que le français que nous avons en partage, c'est une langue, c'est une histoire, c'est une sémantique ; c'est aussi, bien au-delà, des valeurs qui nous dépassent, parce que notre langue a porté des messages, notre langue est un véhicule, dont les messages sont quelquefois plus grands que nous-mêmes. C''est pour cela que dans le monde entier, il faut défendre notre langue, défendre notre culture, parce que derrière notre langue et nos cultures, il y a nos valeurs, notre identité, il y a les messages de la France. Cette démarche-là est essentielle et nous devons avoir des alliés. Je suis très heureux qu'avec nos amis Luxembourgeois et quelques autres, nous ayons pu obtenir de la Convention, que la règle de l'unanimité soit la règle acceptée pour tous les traités internationaux de l'Union européenne, pour faire en sorte que vraiment, on reconnaisse la diversité culturelle comme un bien identitaire et non pas comme une marchandise capable d'être négociée comme les autres à la majorité qualifiée. Quand il s'agit de l'identité des femmes et des hommes, il faut que chacun puisse s'y retrouver. C'est pour cela que nous nous sommes battus jusqu'au bout, dans les dernières heures de la Convention, pour faire reconnaître cette diversité culturelle qui est si importante pour chacune et chacun d'entre nous, mais aussi pour que l'espace francophone et forcément la culture française puisse continuer à jouer son rôle et à porter son message dans le monde. Cet apport-là, nous le devons en partie à nos amis Luxembourgeois, auxquels je voudrais adresser des messages de gratitude. Nous le devons à tous les conventionnels qui se sont motivés sur ce sujet, et pour lesquels, évidemment, nous avons beaucoup de reconnaissance.
Nous avons, dans cette bataille pour la culture européenne, beaucoup d'autres frontières à franchir, puisque la culture est fondatrice de la création européenne. Cette culture, nous la voulons populaire ; non pas une culture qui serait la propriété des uns ou des autres, mais une culture partagée. La culture, c'est une flamme qui est au coeur de chaque personne. C'est ce qui peut faire aujourd'hui que l'Europe rayonne pour ce faire, il faut que la culture soit populaire. C'est pour cela que nous voulons, avec nos amis Luxembourgeois et beaucoup d'autres, faire en sorte par exemple que le taux de TVA sur les biens culturels - je pense aux disques - puisse être abaissé, de manière à ce qu'on puisse avoir un accès populaire à la culture. C'est un élément très important de la construction européenne. [...] En réponse à monsieur Juncker qui me citait Pascal avec les "Pensées", je lui répondais Mozart avec la musique. Mozart dit : "Je ne fais que de mettre ensemble des notes qui s'aiment." La culture, c'est de faire en sorte que les peuples, ensemble dans l'Europe, puissent s'aimer. C'est pour cela que nous sommes très engagés sur ce sujet. Je voudrais dire ici, avec tous les ministres qui m'accompagnent, notamment le ministre de la Culture, combien la France est engagée sur cette stratégie de la culture comme lien européen.
Je sais que je dis cela, à un moment où la France, en ses festivals, est blessée. Je connais l'importance des festivals en France, je connais l'importance pour les femmes et les hommes de culture, pour les créateurs, pour les techniciens. Je connais l'importance qu'a le festival pour exprimer ce qu'est le long travail d'expression et de préparation culturelle. Je connais ce que le festival a de capacité de rayonnement pour la culture mais aussi pour le territoire. C'est pour cela que j'ai une profonde tristesse au coeur quand je vois qu'à un moment ou à un autre, on prive des jeunes, on prive les publics les plus populaires de cette expression culturelle. Je souhaite vraiment que nous gardions en France cette terre de festivals. J'appelle les uns et les autres à prendre conscience combien un pays comme la France, a besoin de sa diversité culturelle. Il est normal que chacun s'exprime, il est normal que chacun puisse dire ses convictions et faire part de ses projets. Il est aussi normal que l'on puisse respecter le dialogue social et que l'on puisse faire en sorte que dans notre pays, des règles de débat social puissent être respectées. On ne pourra pas avancer, dans la culture comme dans d'autres sujets, si n'avons le choix qu'entre l'immobilisme et le blocage. La culture, au contraire, appartient à tous et doit être partagée par tous. Je suis conscient des difficultés, je mesure combien les créateurs peuvent être déçus, je mesure combien le public peut se sentir blessé par l'annulation de ce qui est souvent l'expression de vie pour un territoire. C'est pour cela qu'avec le ministre de la Culture, nous voulons tout faire pour pouvoir répondre à cette crise, sans faiblesse, mais avec ouverture avec attention. C'est pour cela que nous souhaitons vraiment, d'abord faire en sorte qu'on puisse assurer la pérennité des festivals, et nous mettrons en place un programme national pour la pérennité des festivals, pour que, quelles que soient les difficultés d'une année, il ne puisse être question de mettre en cause l'avenir des festivals. Avec J.-J. Aillagon, nous mettrons en place un programme pour assurer la pérennité de ces festivals.
D'autre part, parce que j'ai entendu les inquiétudes des créateurs, parce que j'ai entendu les inquiétudes des techniciens, parce que j'ai entendu les inquiétudes du monde culturel et que je sais bien que la France ne peut pas avancer sans son intelligence, sous toutes ses formes, nous mettrons en place le Conseil national de l'emploi culturel. Parce que les emplois culturels dans notre pays, c'est un sujet qui n'a pas été traité pendant trop longtemps. Voilà seulement un an que mon Gouvernement est aux responsabilités et nous trouvons beaucoup de dossiers à traiter, nous ne pouvons pas tout traiter en une seule année. Le statut de l'emploi culturel est un problème difficile qui n'a pas été traité jusqu'à ce jour. Je souhaite qu'un Conseil national de l'emploi culturel puisse travailler sur ces questions et puisse permettre aux créateurs de trouver les solutions, dans un esprit de réconciliation de la nation et d'apaisement social. Nous avons besoin de cela pour faire en sorte que chacun trouve sa place. Et qu'on fasse tout cela, non pas au nom d'une catégorie professionnelle, non pas seulement même au nom d'un territoire, mais qu'on fasse tout cela pour la France, et qu'on fasse cela pour la Nation. Parce que, ce dont la Nation a besoin, c'est de sentir forte pour affronter le XXIe siècle. Et je ne crois pas qu'on affrontera le XXIe siècle avec des logiques de concentration, avec des logiques du gigantisme, avec des logiques de la banalisation et de la standardisation. Nous affronterons le XXIe siècle, avec les logiques de l'innovation, avec les logiques du talent, avec les logiques de la création, avec tout ce qui peut être, au plan économique comme au plan culturel, ou plan social, finalement de la valeur ajoutée ; je dirais : de l'humain ajouté.
C'est pour cela que la culture a toute sa place dans le projet que nous défendons pour la République et pour la France. C'est pour cela que nous sommes engagés dans toute cette action, dans l'intérêt de notre pays. Je voudrais vous dire, à vous toutes et tous, qui vivez hors de France, même si vous vivez proche de la France, que la République est mobilisé sur ces projets. Car ce qui compte aujourd'hui, c'est qu'ensemble, notre pays, regardant son Histoire, regardant ce qu'il a pu surmonter par le passé, soit capable d'affronter l'avenir avec confiance. Nous avons tous les atouts pour faire face à l'avenir, pour peu que nous sachions respecter le pacte qui est le nôtre, le pacte républicain, cette capacité de vivre ensemble, cette capacité d'être heureux, d'être français.
Vive la République et vive la France !"
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 31 juillet 2003)