Texte intégral
R - Je me suis arrêté au Vatican aujourd'hui après un voyage au Proche-Orient, mais ce sont deux choses distinctes. J'avais été invité par le Cardinal Sodano et par Mgr Tauran à venir ici, pour avoir des conversations avec eux. Je les avais rencontrés en 1997 et cela me paraissait tout à fait naturel de poursuivre ce dialogue, cet échange. Cela me parait très naturel et intéressant, utile, entre la diplomatie français et la diplomatie du Vatican. J'ai saisi l'occasion de ce retour du Proche-Orient - il est vrai que le Proche-Orient a fait partie des conversations mais ce n'était pas le seul sujet. Au cours de ce tour d'horizon, nous avons également parlé Balkans, Russie, Afrique, Europe... Nous avons parlé de beaucoup de sujets. Pour le reste je viens de passer deux jours au Proche-Orient, l'idée générale étant de s'inscrire dans cette situation nouvelle créée par l'arrivée au pouvoir d'Ehud Barak, de mieux analyser la situation, de mieux mesurer ce qui a vraiment changé et ce qui fait encore problème. Naturellement, c'est le remplacement de Netanyahou par Ehud Barak qui a changé la donne. Un des premiers résultats a été la signature du mémorandum de Charm el-Cheikh. C'est une grande différence d'avoir de la part des protagonistes un accord pour mettre en oeuvre les engagements pris, ou avoir au contraire l'inverse, c'est-à-dire un blocage complet. Mais une fois qu'on a dit cela, il ne faut pas voir les choses de façon trop ingénue parce que les difficultés sont considérables. Ce qui saute aux yeux, d'abord, ce sont les difficultés sur les questions de fond, c'est-à-dire ce qu'on appelle le statut final ou sur chaque point, les positions sont très éloignées, apparemment inconciliables. Si l'on raisonne en termes simplement statiques, si l'on prend les positions aujourd'hui et qu'ont les met les unes en face des autres, on ne voit pas de compromis possible. Si, en revanche, on se rappelle ce qui s'est passé depuis une quinzaine d'années, l'évolution des uns et des autres, et qu'on raisonne en termes historiques et dynamiques, on peut se dire qu'il y aura un mouvement, mais il n'a pas encore eu lieu. Sur le statut final, la discussion proprement dite n'a même pas encore commencée. Celle sur l'accord-cadre, les Palestiniens ont constitué leur délégation, les Israéliens pas encore. Cela, c'est pour le statut final. Mais on voit même que l'application du mémorandum de Charm el-Cheikh pose problème, notamment sur la question des prisonniers. Il est vrai que les choses ne sont jamais appliquées le jour dit, et des discussions sont toujours nécessaires. Alors je crois que cela sera surmonté mais cela montre la difficulté de chaque pas. Et puis il y a la question des mesures de colonisation qui se poursuivent et qui créent un climat qui est quand même mauvais. La perception de M. Barak et de sa politique par les Palestiniens, n'est pas du tout celle que l'on observe en Europe ou en Occident : il y a là un décalage. C'est donc un contexte intéressant, cela n'est pas le contexte totalement désespérant et décourageant que nous observions il y a encore quelques mois. On peut recommencer à espérer dans le processus de paix, mais cela reste très très très difficile. J'ai comparé avec le Cardinal Sodano et avec Mgr Tauran nos points de vue sur toutes ces questions naturellement, mais pas seulement sur ce sujet.
Q - Récemment le chef de l'Etat, Jacques Chirac, a abordé la question de Jérusalem, la place propre de Jérusalem dans l'ensemble du Proche Orient. Est-ce que ce problème a été abordé dans vos conversations, aussi bien avec le Président de l'Autorité palestinienne qu'avec les autorités israéliennes ?
R - Nous n'avons pas été dans le détail. Nous avons évidemment évoqué aussi bien avec M. Barak qu'avec M. Levy et M. Arafat les différents points de la discussion du statut final, mais il y avait tellement de sujets à discuter qu'on n'est pas entré dans le détail de chacun. On a mentionné un peu Jérusalem, les réfugiés, les colonies, les frontières, l'eau, bref tous les grands sujets de difficultés. J'ai fait préciser leurs positions sur chaque point. Certaines positions sont clairement et complètement contradictoires sur ces sujets. Cela a donc été un peu évoqué. Pas plus. Mais nous aurons d'autres occasions, le moment venu, au fur et à mesure du déroulement des négociations, de dire ce que nous pourrons avoir à dire d'utile et de faire des propositions ou des suggestions. L'analyse que je viens de faire avait essentiellement pour but d'évaluer la réalité, la portée du changement, et de mesurer à quelle point la situation est nouvelle. Nous en avons parlé ici aussi. Nous avons des positions qui sur certains points se rejoignent. Au Vatican, certains considèrent qu'il faut distinguer la question de la souveraineté de la question religieuse et de culte proprement dite. La question de la souveraineté, c'est clair, est quelque chose qui doit faire l'objet d'une négociation entre Israéliens et Palestiniens, et qui, à notre avis, ne peut pas être tranché par des mesures unilatérales. Ca, c'est la question de la souveraineté. Nous ajoutons à cela que la communauté internationale ne peut pas être indifférente à la solution qui sera trouvée dans la négociation israélo-palestinienne. Et puis il y a la question de la liberté de culte, mais au sens large du terme. Et tout ce qui va autour de la vie religieuse pour les trois religions dans la vieille ville de Jérusalem. La seconde question c'est jusqu'où aller, et sous quelle forme, pour donner une vraie garantie définitive à cela. Alors voilà les deux points dont il est légitime de s'occuper de l'extérieur quand on est pas les protagonistes directs. Dans l'affaire du Proche-Orient je répète constamment qu'il faut bien distinguer les protagonistes qui négocient, des autres. Mais les autres ont aussi des intérêts à faire valoir, des idées, des points de vue, des principes à rappeler, etc.
Q - Sur l'Iraq, vous avez évoqué le projet de visite du Saint-Père en Iraq ? Quelle est la position de la France ?
R - Le Pape est libre d'aller où il veut...
Q - Oui, mais il y a certains Etats qui lui recommandent de ne pas y aller...
R - Cela n'est pas notre cas.
Q - Justement le président de la République a pris un peu ses distances par rapport à la persistance des bombardements americano-britanniques sur l'Iraq.
R - C'est plutôt moi qui les ai prises. Je ne sais pas à quoi vous faites allusion. C'est moi qui l'ai fait.
Q - C'est vous qui avez pris ces distances ?
R - C'est le Quai d'Orsay au nom des autorités françaises. Quand le Quai d'Orsay parle au nom des autorités françaises, cela veut dire le président plus le gouvernement. En effet, cela fait un certain temps que nous avons exprimé notre malaise, notre incompréhension et notre préoccupation, progressivement, par rapport à cette politique de bombardement.
Q - Par rapport à cela, est-ce-que cela peut donner à la France un rôle particulier à jouer, peut-être de médiateur entre l'Iraq et d'autres parties qui seraient opposées à la visite du Pape, opposées à un tel déplacement ?
R - Non. Cela sont deux choses distinctes. Le voyage du Pape, nous, nous n'avons aucune raison d'être contre. C'est à lui de se déterminer. Il le fait sous sa responsabilité. Nous, nous sommes tout à fait convaincus que s'il le fait, il saura très bien ne pas se faire utiliser. Nous n'avons aucun souci par rapport à cela. Et puis il y a la question iraquienne proprement dite. Cette question iraquienne, nous y avons un rôle très direct puisque cela se décide entre membres permanents du Conseil de sécurité. Et là, cela fait des mois que la discussion a lieu autour des propositions que j'ai faites, en janvier, sur l'élaboration d'un nouveau contrôle vraiment efficace alors que c'est la politique américaine, en réalité, qui a abouti à ce qu'il n'y ait plus de contrôle du tout. Un nouveau contrôle véritablement efficace permettrait, à notre avis, de suspendre l'embargo, pendant des périodes limitées pendant lesquelles on vérifierait la coopération des Iraquiens.
Enfin, il y a tout un ensemble de propositions sur lesquelles on discute au sein du Conseil de sécurité avec les Britanniques, même avec les Américains et, en réalité, les positions se sont beaucoup rapprochées. Ce sont deux choses distinctes. Mais on n'a pas d'inquiétude sur le voyage du Pape et on ne pense pas qu'il ait besoin de qui que ce soit pour l'organiser...
Q - Vous avez rencontré le Pape ce matin. Comment l'avez-vous trouvé ?
R - Je crois que l'usage est de ne pas commenter sa rencontre avec le Pape.
Q - Vous avez eu un entretien d'environ combien de temps ?
R - Environ une demi-heure. Je n'ai pas minuté exactement.
Q - Est ce que cela n'est pas une caution pour le régime de Saddam Hussein si le Pape va en Iraq ?
R - Je ne le pense pas. Je pense que les voyages du Pape ont une légitimité en soi. C'est à lui de l'apprécier. Il a voyagé énormément dans des situations très différentes, certaines très complexes. Il ne me semble pas qu'il ait jamais été utilisé, en fait, par tel ou tel régime contestable. Encore une fois, je ne peut pas vous dire mieux : cela ne nous pose pas de problème. Ce n'est pas à nous de l'autoriser et encore moins de le décourager, et nous n'avons aucune raison d'être contre.
Q - On vous a sans doute dit si ce voyage pouvait se faire en décembre ou plus tard.
R - Je pense qu'ils espèrent le faire aux dates prévues mais cela n'est pas conclu non plus.
Q - Est-ce que vous pensez que le déplacement de Jean-Paul II à Bagdad pourrait influencer la discussion sur l'embargo au sein du Conseil de sécurité ? Cela remettrait quand même le projecteur de l'actualité sur Bagdad ?
R - Sur le Conseil de sécurité, il n'y a pas besoin de remettre le projecteur puisqu'on en parle quasiment tous les jours. Nous discutons depuis janvier à peu près. D'après ce que j'ai compris du projet, il n'irait pas à Bagdad spécialement. Il irait à Ur, puisque ce voyage se fait autour d'Abraham.
Q - Est-ce que le Pape en Iraq, cela peut amener les américains à se rapprocher de notre schéma ?
R - C'est un détour un peu compliqué. Tant mieux si cela produit cet effet.
Q - Est-ce que le Saint-Père lui-même vous a parlé de ce projet, puisqu'il compte aller au Proche-Orient et vous, vous revenez du Proche-Orient ? Il compte d'ailleurs aller, pas seulement en Iraq, mais aussi à Jérusalem, ce qui pose au moins autant de questions semble-t-il ?
R - Je ne veux pas rentrer dans le détail On a parlé du Proche et du Moyen-Orient.
Q - L'entretien a eu lieu en français ?
R - Oui.
Q - Sur les problèmes politiques, en dehors du Vatican, comment voit-on dans cette région les accords possibles entre Israël et la Syrie ? Est-ce que cela avance ? Que serait le rôle du Liban au terme de cette opération et dans cette opération ?
R - Ce serait plutôt le sort du Liban que le rôle du Liban en fait. Il faut donc distinguer. Est-ce qu'il y a un changement par rapport à Netanyahou ? Oui. Le changement se marque par la décision d'appliquer les engagements antérieurs notamment le mémorandum de Charm el-Cheikh. C'est positif. Est-ce que cela se passe sans difficultés ? Non. La preuve, il y a des controverses, il y a des retards. Il y en a eu sur la mise en oeuvre des évacuations. Il y en a eu sur la conclusion de la négociation sur le passage entre Gaza et la Cisjordanie, il y en a maintenant sur certains prisonniers, donc cela ne se fait pas sans difficultés mais cela se fait. Il y a donc là un vrai changement. D'autre part, il y a une intention exprimée par M. Barak de trouver une solution, aussi bien d'un côté que de l'autre. Et nous le créditons de cette volonté. Nous pensons qu'il est sincère dans sa volonté de trouver une solution. Le problème, c'est qu'à ce stade, la solution qu'il veut trouver n'est pas celle que veulent les autres, évidemment. Et ce n'est même pas une solution que les autres puissent accepter à ce stade. Du côté israelo-palestinien, c'était facile de reprendre le dialogue parce que les Palestiniens ne demandaient que ca. Mais dès qu'ils vont avancer, ils vont se heurter à des questions d'une extraordinaire difficulté, je le disais en commençant : sur Jérusalem; sur le sort des implantations; sur la façon de traiter les réfugiés; sur la question de l'eau; sur le contenu réel la capitale, la compétence, les attributions, les moyens du futur Etat palestinien... Sur chacun de ces points - et c'est là où je disais que si on prend simplement au pied de la lettre les positions affichées aujourd'hui, on ne voit pas la conciliation -, il faut faire un effort en se rappelant tout ce qui s'est passé depuis quinze à vingt ans pour se dire que la dynamique historique va sans doute continuer et que des concessions seront faites. Mais là, on n'est pas du tout dans la phase des concessions. On est exactement dans l'inverse. On est avant le démarrage des négociations et chaque camp s'exprime de la façon la plus intransigeante possible. C'est cela la phase aujourd'hui. Du côté syrien c'est l'inverse. La question du Golan est compliquée, naturellement, mais elle parait moins compliquée, au total, que les questions que je viens d'énumérer qui font partie du statut final. Ce qui fait paradoxalement que ce qui parait le plus compliqué avec les Syriens c'est de recommencer. Cela sera sans doute plus facile de conclure que de recommencer. Avec les Palestiniens c'est l'inverse. Enfin c'est quand même une différence énorme avec la situation de blocage complet d'il y a quatre ou cinq mois.
Q - (Inaudible)
R - La différence c'est la volonté exprimée par M. Barak de trouver une solution. C'est l'analyse que nous faisons, bien que je ne puisse pas vous le démontrer de façon arithmétique, que le président Assad est également intéressé par une solution. Cela n'est pas encore prouvé. Ce n'est pas évident, mais c'est plutôt notre analyse. Et à ce moment-là, cela peut déboucher - et je rejoins le point de la question précédente à laquelle je n'avais pas répondu - cela peut déboucher aussi sur un arrangement concernant le Liban. Ensuite, on sait que M. Barak a annoncé son intention de quitter le Sud-Liban en juillet prochain, quoi qu'il arrive, mais en même temps, il préférerait que ce soit dans le cadre d'un accord. Si c'est dans le cadre d'un accord, cela laisse une situation plus stable, plus sûre, donc évidemment meilleure pour les Libanais et les Israéliens. Et on peut penser que le déclenchement de la négociation avec les Syriens favoriserait tout cela. Cela forme un tout. C'est lié. On n'a jamais cru qu'on puisse régler les problèmes séparément. Il vaudrait mieux pour tout le monde que les Israéliens n'aient pas à se retirer sans qu'il n'y ait un arrangement. En plus, s'il y a un arrangement, nous pourrions, conformément à ce qu'avait dit le président Chirac il y a quelques années déjà, envisager de participer concrètement par des garanties à cet accord sur le Sud-Liban.
Q - Est-ce que vous avez parlé de cela au Vatican qui traditionnellement suit beaucoup le Liban.
R - Non. On en a dit un mot. Mais d'abord, on a va avoir un déjeuner de travail où on va continuer à discuter sur plusieurs des points sur lesquels vous m'interrogez. Et là, on en a dit un mot, mais on n'a pas approfondi car il n'y a pas d'élément nouveau sur le Sud-Liban. Je connais leur position. Ils connaissent nos positions. Il n'y avait donc pas des choses tout à fait neuves à se dire.
Q - Sur la question de Jérusalem, j'ai cru comprendre tout à l'heure que vous disiez que les positions entre le Saint-Siège et le Quai d'Orsay - enfin les autorités françaises - étaient très proches. Est-ce qu'il y a néanmoins des points sur lesquels il y aurait des divergences d'analyse ?
Par exemple lorsque le Saint-Siège demande une garantie internationale pour la liberté de culte au sens large comme vous le disiez tout à l'heure, est-ce une position qui est partagée par la France ?
R - Sur le premier point dont je parlais je crois que les positions sont à peu près les mêmes : le fait que la question de la souveraineté doive être tranchée par la négociation entre Israéliens et Palestiniens et que, pour autant, la communauté internationale ne puisse pas être indifférente et sera attentive. Mais tout est dans le lien entre cela et le second point. Le second point, c'est-à-dire quelles sont les garanties réelles qu'on apporte à la question de la liberté religieuse, mais pas au sens étroit de la liberté de culte. Cela suppose quand même l'existence dans la vieille ville d'un certain nombre de choses, d'institutions, de liberté de fonctionnement. Jusqu'où peut-on aller entre la liberté de culte proprement dite qui est une exigence absolue, c'est le minimum minorum; de là, jusqu'où va-t-on, vers une sorte de statut particulier ? Il y a un éventail de solutions qui n'est pas établi en réalité. Mais, à un moment ou a un autre, quand la négociation israélo-palestinienne aura repris - ce qui n'est pas encore le cas - et que cette question de Jérusalem sera à l'ordre du jour, nous nous exprimerons de façon coordonnée.
Q - Est-ce-que ce matin il a été question de la mosquée de Nazareth ?
R - Non. Je peux vous répondre non.
Q - On a dit en Israël, si bien compris les informations, que votre visite pouvait préparer celle de Monsieur le Premier ministre, Lionel Jospin. Est-ce qu'il y a le même souhait exprimé ici que le Premier ministre vienne au Saint-Siège ?
R - C'est totalement différent !
Q - Est-ce qu'il serait question d'une visite ?
R - Je ne sais pas. A ma connaissance, il n'en a pas été question jusqu'ici. Ce que j'ai fait est plus classique. C'est un échange, comme l'on fait tous mes prédécesseurs d'ailleurs, un dialogue entre diplomatie française et diplomatie vaticane. Au Proche-Orient et en Israël en particulier, en effet il est question d'une visite du Premier ministre, dont la date n'est pas arrêtée. Il irait à un moment indéterminé l'an prochain, et en Israël, et dans les Territoires palestiniens, mais cela n'est pas fixé.
Q - Vous avez parlé d'échanges de travail. Vous revoyez Mgr Tauran ?
R - Oui.
Q - Est-ce que vous avez une réaction par rapport à la décision britannique sur l'extradition du général Pinochet ?
R - J'ai la même réaction sobre que le Premier ministre, précisément, qui consiste à dire que nous sommes satisfaits du déroulement des mécanismes et ce qui va dans le sens de la lutte contre l'impunité mais que, par ailleurs, on se garde d'ajouter quoi que ce soit puisque ce sont des décisions de justice dans tous les cas. Et on ne commente pas plus les décisions de justice britanniques ou espagnoles ou françaises ou n'importe quelles autres.
Q - Ce n'est pas un sujet que vous avez abordé ce matin ?
R - Non.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 octobre 1999)
Q - A propos de l'Europe, est-ce que vous avez parlé de l'Europe avec le Cardinal Sodano ?
R - Oui. J'ai parlé de l'Europe parce que j'en profité, en réalité, pour expliquer au Cardinal Sodano les raisons de notre position sur l'élargissement. Le Vatican a une expression assez généreuse sur l'élargissement, en général. Ils sont assez favorables à un élargissement de l'Europe qui est un devoir moral, ce qu'on ne nie pas bien sûr. Mais j'ai essayé d'expliquer que, pour nous, il était fondamental de concilier l'élargissement et la poursuite de l'approfondissement, la poursuite du renforcement de l'Europe, la poursuite de la création d'une puissance européenne qui puisse être un pôle dans le monde de demain, un pôle de stabilité, un pôle de paix, et que, si on élargit trop vite, où si - ce n'est pas une question de vitesse en réalité - on élargit dans des conditions mal préparées, mal négociées, on va arriver à une Europe de 20, 25 ou 30 membres mais qui sera devenue impotente.
Q - Le Vatican a une vision gaulliste de l'élargissement ?
R - Non. Cela n'a rien à voir parce que la formule de de Gaulle n'avait rien à voir avec le débat sur l'élargissement. L'Europe de l'Atlantique à l'Oural, c'était une formule liée à un moment donné de sa politique soviétique. Ce n'était pas du tout un schéma sur l'Europe. En réalité, cela n'a jamais correspondu à aucun projet d'organisation qu'ait pu avoir de Gaulle sur ce point. Le débat d'aujourd'hui, qui est différent, c'est de savoir comment on concilie les deux. Alors le Vatican relaye les arguments. Et il n'est pas seul, d'ailleurs. Il y a beaucoup d'hommes politiques en Europe qui ne parlent que de la nécessité urgente d'élargir, avec une sorte d'approche généreuse. Mais l'enfer est pavé de bonnes intentions comme on sait. Nous insistons sur le fait qu'il faut concilier les deux. Alors j'ai saisi l'occasion pour montrer que, de notre part, ce n'était pas une absence de générosité - on est aussi généreux que n'importe qui d'autre -, mais qu'on a pas le droit de mettre en péril cette Europe que nous avons élaborée en 30 ou 40 ans. Et ce n'est l'intérêt de personne, par un élargissement qui serait mal fait, d'arriver, comme je le disais, à une Europe impotente ou qui se dissoudrait dans une espèce de magma économique, une zone de libre-échange ou il y aurait théoriquement des politiques communes mais qu'on n'arriverait même plus à décider parce que les institutions n'ayant pas été réformées, cela deviendrait impossible de se mettre d'accord à 30 pays, ou impossible de financer. Quand on regarde les négociations en cours, par exemple, on voit qu'elles progressent très bien avec certains pays mais que certains pays posent des problèmes quasiment insolubles. Soit ils entrent dans l'Europe avec des exceptions pendant 20 ans dans tel ou tel secteur de leur économie, et ils y seront sans y être ce qui serait un peu absurde. Ou alors on leur applique les règles de l'Europe d'aujourd'hui et leur économie est ruinée. Parce que c'est un vrai choc. C'est pas simplement l'association des amis de la démocratie, l'Europe.
Q - A quels pays pensez-vous ...
R - En réalité, à part la Hongrie, avec laquelle les négociations se passent aisément, les négociations avec tous les autres pays sont quand même difficiles. C'est normal d'ailleurs. Ce sont des négociations sérieuses. C'est pour cela que nous disons qu'on ne peut pas annoncer de date. Et on n'est pas d'accord avec les déclarations de Prodi au Parlement européen pour plaire à une partie du Parlement européen qui dit qu'il faut fixer des dates. Si on annonce des dates, ce sont des négociations qui ne sont pas sérieuses. Si elles sont sérieuses, on ne peut pas annoncer de date. On dit simplement on fait le mieux possible, le plus vite possible et le plus tôt sera le mieux. Mais le plus tôt, c'est quand on a réglé les problèmes.
Q - Au synode, l'évêque d'Istanbul a évoqué la question de l'entrée de la Turquie. quelle est la position de la France ?
R - La Turquie est un tout autre problème. Nous n'en avons pas parlé ce matin. C'est encore un sujet différent de celui de l'élargissement en général. L'élargissement en général c'est comment faire en sorte que l'élargissement ne détruise pas les acquis de l'Europe. Quand les pays veulent entrer dans l'Europe c'est parce que l'Europe est forte et riche, qu'elle est puissante et qu'elle a des politiques communes. Si parce que tout le monde rentre, elle devient impuissante ou paralysée et qu'elle n'arrive même plus à se mettre d'accord sur son budget, c'est un gigantesque marché de dupes. Donc, notre intérêt et celui des candidats devraient se rejoindre dans l'idée d'un élargissement bien contrôlé et bien négocié. L'affaire de la Turquie c'est un problème encore différent parce qu'il est clair que la Turquie est dans un cas tout à fait particulier. On peut discuter sur son caractère européen. Mais il se trouve que les accords entre elle et l'Europe lui reconnaisse une vocation européenne depuis 1963. Du coup, toutes les forces modernistes en Turquie sont tournées vers cette promesse. Mais si l'on prend les faits objectifs concernant la Turquie, les fameux critères de Copenhague, on voit très bien que la Turquie n'en remplit aucun. C'est cela la contradiction qu'on aura a trancher à Helsinki.
Q - Est-ce que la guerre en Tchétchénie préoccupe la France et la communauté internationale ?
R - Toutes les guerres préoccupent, par définition. La question est de savoir ce qu'on peut faire. Il n'y a jamais deux situations semblables. La guerre en Tchétchénie est préoccupante, forcément, parce qu'elle a, comme toutes les guerres, des conséquences pour les populations civiles. Elle est inquiétante parce qu'elle est dans le Caucase, qui est dans une situation d'extrême instabilité et au Nord et au Sud, parce qu'au Nord il y a la question nationaliste de la Tchétchénie, il y a la question islamique du Dagustan qui est une question transversale, au Sud il y a la question d'Arménie-Azerbaïdjan. C'est une zone explosive en soi. Qu'est-ce qu'on peut faire au delà des nobles déclarations ? Qu'est-ce qu'on peut faire précisément pour faire converger des pressions de pays qui ont de l'influence sur les protagonistes pour qu'ils acceptent les compromis nécessaires ? Et puis il y a la dimension russe, naturellement, parce que c'est à la fois un révélateur et un facteur aggravant de la situation russe. Mais nous ne contestons pas, personne ne conteste, l'intégrité territoriale de la Russie. Personne ne sous-estime non plus la réalité de la question terroriste. Par contre, il y a une discussion sur les moyens. Il est clair que les moyens de pure répression avec l'escalade, avec les conséquences que cela entraîne ne nous convainquent pas.
(...).
Q - Comment qualifier aujourd'hui l'état des relations de la France avec la Libye ?
R - Je ne fais pas de commentaires sur les décisions de justice. Donc, je n'ai pas de commentaires à faire sur le juge Bruguière. En ce qui concerne les relations avec la Libye, elles doivent s'inscrire dans un cadre légal et international, donc cela dépend de la façon dont le Conseil de sécurité adapte les sanctions qui ont dû être prises contre la Libye après l'affaire de l'attentat aérien. Nous ne pouvons développer - redévelopper - nos relations avec la Libye sur un plan politique, diplomatique ou économique, que dans la mesure ou les sanctions sont suspendues puis levées. (...). Il y a eu un jugement par contumace, mais il y a une procédure judiciaire dont on ne sait pas à quoi elle aboutira. Les sanctions ont été, non pas levées, mais suspendues. (...)
Q - Pour l'entrée des pays de l'Est en Europe, est-ce que vous avez parlé spécifiquement de la Pologne ?
R - Non. C'est un raisonnement général. J'ai essayé, comme je suis soucieux que notre position soit bien comprise, que cela ne soit pas compris comme une position de fermeture alors qu'au contraire il me semble que nous défendons mieux les intérêts des pays candidats que ceux qui leur mentent en leur disant qu'ils peuvent entrer demain matin sans problème. Je pense qu'on est plus sérieux qu'on nous respecte plus et qu'on prépare mieux l'avenir avec la politique que j'ai résumée. J'ai rappelé cela de façon globale. Ca ne s'appliquait pas à un pays en particulier.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 octobre 1999)
Q - Récemment le chef de l'Etat, Jacques Chirac, a abordé la question de Jérusalem, la place propre de Jérusalem dans l'ensemble du Proche Orient. Est-ce que ce problème a été abordé dans vos conversations, aussi bien avec le Président de l'Autorité palestinienne qu'avec les autorités israéliennes ?
R - Nous n'avons pas été dans le détail. Nous avons évidemment évoqué aussi bien avec M. Barak qu'avec M. Levy et M. Arafat les différents points de la discussion du statut final, mais il y avait tellement de sujets à discuter qu'on n'est pas entré dans le détail de chacun. On a mentionné un peu Jérusalem, les réfugiés, les colonies, les frontières, l'eau, bref tous les grands sujets de difficultés. J'ai fait préciser leurs positions sur chaque point. Certaines positions sont clairement et complètement contradictoires sur ces sujets. Cela a donc été un peu évoqué. Pas plus. Mais nous aurons d'autres occasions, le moment venu, au fur et à mesure du déroulement des négociations, de dire ce que nous pourrons avoir à dire d'utile et de faire des propositions ou des suggestions. L'analyse que je viens de faire avait essentiellement pour but d'évaluer la réalité, la portée du changement, et de mesurer à quelle point la situation est nouvelle. Nous en avons parlé ici aussi. Nous avons des positions qui sur certains points se rejoignent. Au Vatican, certains considèrent qu'il faut distinguer la question de la souveraineté de la question religieuse et de culte proprement dite. La question de la souveraineté, c'est clair, est quelque chose qui doit faire l'objet d'une négociation entre Israéliens et Palestiniens, et qui, à notre avis, ne peut pas être tranché par des mesures unilatérales. Ca, c'est la question de la souveraineté. Nous ajoutons à cela que la communauté internationale ne peut pas être indifférente à la solution qui sera trouvée dans la négociation israélo-palestinienne. Et puis il y a la question de la liberté de culte, mais au sens large du terme. Et tout ce qui va autour de la vie religieuse pour les trois religions dans la vieille ville de Jérusalem. La seconde question c'est jusqu'où aller, et sous quelle forme, pour donner une vraie garantie définitive à cela. Alors voilà les deux points dont il est légitime de s'occuper de l'extérieur quand on est pas les protagonistes directs. Dans l'affaire du Proche-Orient je répète constamment qu'il faut bien distinguer les protagonistes qui négocient, des autres. Mais les autres ont aussi des intérêts à faire valoir, des idées, des points de vue, des principes à rappeler, etc.
Q - Sur l'Iraq, vous avez évoqué le projet de visite du Saint-Père en Iraq ? Quelle est la position de la France ?
R - Le Pape est libre d'aller où il veut...
Q - Oui, mais il y a certains Etats qui lui recommandent de ne pas y aller...
R - Cela n'est pas notre cas.
Q - Justement le président de la République a pris un peu ses distances par rapport à la persistance des bombardements americano-britanniques sur l'Iraq.
R - C'est plutôt moi qui les ai prises. Je ne sais pas à quoi vous faites allusion. C'est moi qui l'ai fait.
Q - C'est vous qui avez pris ces distances ?
R - C'est le Quai d'Orsay au nom des autorités françaises. Quand le Quai d'Orsay parle au nom des autorités françaises, cela veut dire le président plus le gouvernement. En effet, cela fait un certain temps que nous avons exprimé notre malaise, notre incompréhension et notre préoccupation, progressivement, par rapport à cette politique de bombardement.
Q - Par rapport à cela, est-ce-que cela peut donner à la France un rôle particulier à jouer, peut-être de médiateur entre l'Iraq et d'autres parties qui seraient opposées à la visite du Pape, opposées à un tel déplacement ?
R - Non. Cela sont deux choses distinctes. Le voyage du Pape, nous, nous n'avons aucune raison d'être contre. C'est à lui de se déterminer. Il le fait sous sa responsabilité. Nous, nous sommes tout à fait convaincus que s'il le fait, il saura très bien ne pas se faire utiliser. Nous n'avons aucun souci par rapport à cela. Et puis il y a la question iraquienne proprement dite. Cette question iraquienne, nous y avons un rôle très direct puisque cela se décide entre membres permanents du Conseil de sécurité. Et là, cela fait des mois que la discussion a lieu autour des propositions que j'ai faites, en janvier, sur l'élaboration d'un nouveau contrôle vraiment efficace alors que c'est la politique américaine, en réalité, qui a abouti à ce qu'il n'y ait plus de contrôle du tout. Un nouveau contrôle véritablement efficace permettrait, à notre avis, de suspendre l'embargo, pendant des périodes limitées pendant lesquelles on vérifierait la coopération des Iraquiens.
Enfin, il y a tout un ensemble de propositions sur lesquelles on discute au sein du Conseil de sécurité avec les Britanniques, même avec les Américains et, en réalité, les positions se sont beaucoup rapprochées. Ce sont deux choses distinctes. Mais on n'a pas d'inquiétude sur le voyage du Pape et on ne pense pas qu'il ait besoin de qui que ce soit pour l'organiser...
Q - Vous avez rencontré le Pape ce matin. Comment l'avez-vous trouvé ?
R - Je crois que l'usage est de ne pas commenter sa rencontre avec le Pape.
Q - Vous avez eu un entretien d'environ combien de temps ?
R - Environ une demi-heure. Je n'ai pas minuté exactement.
Q - Est ce que cela n'est pas une caution pour le régime de Saddam Hussein si le Pape va en Iraq ?
R - Je ne le pense pas. Je pense que les voyages du Pape ont une légitimité en soi. C'est à lui de l'apprécier. Il a voyagé énormément dans des situations très différentes, certaines très complexes. Il ne me semble pas qu'il ait jamais été utilisé, en fait, par tel ou tel régime contestable. Encore une fois, je ne peut pas vous dire mieux : cela ne nous pose pas de problème. Ce n'est pas à nous de l'autoriser et encore moins de le décourager, et nous n'avons aucune raison d'être contre.
Q - On vous a sans doute dit si ce voyage pouvait se faire en décembre ou plus tard.
R - Je pense qu'ils espèrent le faire aux dates prévues mais cela n'est pas conclu non plus.
Q - Est-ce que vous pensez que le déplacement de Jean-Paul II à Bagdad pourrait influencer la discussion sur l'embargo au sein du Conseil de sécurité ? Cela remettrait quand même le projecteur de l'actualité sur Bagdad ?
R - Sur le Conseil de sécurité, il n'y a pas besoin de remettre le projecteur puisqu'on en parle quasiment tous les jours. Nous discutons depuis janvier à peu près. D'après ce que j'ai compris du projet, il n'irait pas à Bagdad spécialement. Il irait à Ur, puisque ce voyage se fait autour d'Abraham.
Q - Est-ce que le Pape en Iraq, cela peut amener les américains à se rapprocher de notre schéma ?
R - C'est un détour un peu compliqué. Tant mieux si cela produit cet effet.
Q - Est-ce que le Saint-Père lui-même vous a parlé de ce projet, puisqu'il compte aller au Proche-Orient et vous, vous revenez du Proche-Orient ? Il compte d'ailleurs aller, pas seulement en Iraq, mais aussi à Jérusalem, ce qui pose au moins autant de questions semble-t-il ?
R - Je ne veux pas rentrer dans le détail On a parlé du Proche et du Moyen-Orient.
Q - L'entretien a eu lieu en français ?
R - Oui.
Q - Sur les problèmes politiques, en dehors du Vatican, comment voit-on dans cette région les accords possibles entre Israël et la Syrie ? Est-ce que cela avance ? Que serait le rôle du Liban au terme de cette opération et dans cette opération ?
R - Ce serait plutôt le sort du Liban que le rôle du Liban en fait. Il faut donc distinguer. Est-ce qu'il y a un changement par rapport à Netanyahou ? Oui. Le changement se marque par la décision d'appliquer les engagements antérieurs notamment le mémorandum de Charm el-Cheikh. C'est positif. Est-ce que cela se passe sans difficultés ? Non. La preuve, il y a des controverses, il y a des retards. Il y en a eu sur la mise en oeuvre des évacuations. Il y en a eu sur la conclusion de la négociation sur le passage entre Gaza et la Cisjordanie, il y en a maintenant sur certains prisonniers, donc cela ne se fait pas sans difficultés mais cela se fait. Il y a donc là un vrai changement. D'autre part, il y a une intention exprimée par M. Barak de trouver une solution, aussi bien d'un côté que de l'autre. Et nous le créditons de cette volonté. Nous pensons qu'il est sincère dans sa volonté de trouver une solution. Le problème, c'est qu'à ce stade, la solution qu'il veut trouver n'est pas celle que veulent les autres, évidemment. Et ce n'est même pas une solution que les autres puissent accepter à ce stade. Du côté israelo-palestinien, c'était facile de reprendre le dialogue parce que les Palestiniens ne demandaient que ca. Mais dès qu'ils vont avancer, ils vont se heurter à des questions d'une extraordinaire difficulté, je le disais en commençant : sur Jérusalem; sur le sort des implantations; sur la façon de traiter les réfugiés; sur la question de l'eau; sur le contenu réel la capitale, la compétence, les attributions, les moyens du futur Etat palestinien... Sur chacun de ces points - et c'est là où je disais que si on prend simplement au pied de la lettre les positions affichées aujourd'hui, on ne voit pas la conciliation -, il faut faire un effort en se rappelant tout ce qui s'est passé depuis quinze à vingt ans pour se dire que la dynamique historique va sans doute continuer et que des concessions seront faites. Mais là, on n'est pas du tout dans la phase des concessions. On est exactement dans l'inverse. On est avant le démarrage des négociations et chaque camp s'exprime de la façon la plus intransigeante possible. C'est cela la phase aujourd'hui. Du côté syrien c'est l'inverse. La question du Golan est compliquée, naturellement, mais elle parait moins compliquée, au total, que les questions que je viens d'énumérer qui font partie du statut final. Ce qui fait paradoxalement que ce qui parait le plus compliqué avec les Syriens c'est de recommencer. Cela sera sans doute plus facile de conclure que de recommencer. Avec les Palestiniens c'est l'inverse. Enfin c'est quand même une différence énorme avec la situation de blocage complet d'il y a quatre ou cinq mois.
Q - (Inaudible)
R - La différence c'est la volonté exprimée par M. Barak de trouver une solution. C'est l'analyse que nous faisons, bien que je ne puisse pas vous le démontrer de façon arithmétique, que le président Assad est également intéressé par une solution. Cela n'est pas encore prouvé. Ce n'est pas évident, mais c'est plutôt notre analyse. Et à ce moment-là, cela peut déboucher - et je rejoins le point de la question précédente à laquelle je n'avais pas répondu - cela peut déboucher aussi sur un arrangement concernant le Liban. Ensuite, on sait que M. Barak a annoncé son intention de quitter le Sud-Liban en juillet prochain, quoi qu'il arrive, mais en même temps, il préférerait que ce soit dans le cadre d'un accord. Si c'est dans le cadre d'un accord, cela laisse une situation plus stable, plus sûre, donc évidemment meilleure pour les Libanais et les Israéliens. Et on peut penser que le déclenchement de la négociation avec les Syriens favoriserait tout cela. Cela forme un tout. C'est lié. On n'a jamais cru qu'on puisse régler les problèmes séparément. Il vaudrait mieux pour tout le monde que les Israéliens n'aient pas à se retirer sans qu'il n'y ait un arrangement. En plus, s'il y a un arrangement, nous pourrions, conformément à ce qu'avait dit le président Chirac il y a quelques années déjà, envisager de participer concrètement par des garanties à cet accord sur le Sud-Liban.
Q - Est-ce que vous avez parlé de cela au Vatican qui traditionnellement suit beaucoup le Liban.
R - Non. On en a dit un mot. Mais d'abord, on a va avoir un déjeuner de travail où on va continuer à discuter sur plusieurs des points sur lesquels vous m'interrogez. Et là, on en a dit un mot, mais on n'a pas approfondi car il n'y a pas d'élément nouveau sur le Sud-Liban. Je connais leur position. Ils connaissent nos positions. Il n'y avait donc pas des choses tout à fait neuves à se dire.
Q - Sur la question de Jérusalem, j'ai cru comprendre tout à l'heure que vous disiez que les positions entre le Saint-Siège et le Quai d'Orsay - enfin les autorités françaises - étaient très proches. Est-ce qu'il y a néanmoins des points sur lesquels il y aurait des divergences d'analyse ?
Par exemple lorsque le Saint-Siège demande une garantie internationale pour la liberté de culte au sens large comme vous le disiez tout à l'heure, est-ce une position qui est partagée par la France ?
R - Sur le premier point dont je parlais je crois que les positions sont à peu près les mêmes : le fait que la question de la souveraineté doive être tranchée par la négociation entre Israéliens et Palestiniens et que, pour autant, la communauté internationale ne puisse pas être indifférente et sera attentive. Mais tout est dans le lien entre cela et le second point. Le second point, c'est-à-dire quelles sont les garanties réelles qu'on apporte à la question de la liberté religieuse, mais pas au sens étroit de la liberté de culte. Cela suppose quand même l'existence dans la vieille ville d'un certain nombre de choses, d'institutions, de liberté de fonctionnement. Jusqu'où peut-on aller entre la liberté de culte proprement dite qui est une exigence absolue, c'est le minimum minorum; de là, jusqu'où va-t-on, vers une sorte de statut particulier ? Il y a un éventail de solutions qui n'est pas établi en réalité. Mais, à un moment ou a un autre, quand la négociation israélo-palestinienne aura repris - ce qui n'est pas encore le cas - et que cette question de Jérusalem sera à l'ordre du jour, nous nous exprimerons de façon coordonnée.
Q - Est-ce-que ce matin il a été question de la mosquée de Nazareth ?
R - Non. Je peux vous répondre non.
Q - On a dit en Israël, si bien compris les informations, que votre visite pouvait préparer celle de Monsieur le Premier ministre, Lionel Jospin. Est-ce qu'il y a le même souhait exprimé ici que le Premier ministre vienne au Saint-Siège ?
R - C'est totalement différent !
Q - Est-ce qu'il serait question d'une visite ?
R - Je ne sais pas. A ma connaissance, il n'en a pas été question jusqu'ici. Ce que j'ai fait est plus classique. C'est un échange, comme l'on fait tous mes prédécesseurs d'ailleurs, un dialogue entre diplomatie française et diplomatie vaticane. Au Proche-Orient et en Israël en particulier, en effet il est question d'une visite du Premier ministre, dont la date n'est pas arrêtée. Il irait à un moment indéterminé l'an prochain, et en Israël, et dans les Territoires palestiniens, mais cela n'est pas fixé.
Q - Vous avez parlé d'échanges de travail. Vous revoyez Mgr Tauran ?
R - Oui.
Q - Est-ce que vous avez une réaction par rapport à la décision britannique sur l'extradition du général Pinochet ?
R - J'ai la même réaction sobre que le Premier ministre, précisément, qui consiste à dire que nous sommes satisfaits du déroulement des mécanismes et ce qui va dans le sens de la lutte contre l'impunité mais que, par ailleurs, on se garde d'ajouter quoi que ce soit puisque ce sont des décisions de justice dans tous les cas. Et on ne commente pas plus les décisions de justice britanniques ou espagnoles ou françaises ou n'importe quelles autres.
Q - Ce n'est pas un sujet que vous avez abordé ce matin ?
R - Non.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 octobre 1999)
Q - A propos de l'Europe, est-ce que vous avez parlé de l'Europe avec le Cardinal Sodano ?
R - Oui. J'ai parlé de l'Europe parce que j'en profité, en réalité, pour expliquer au Cardinal Sodano les raisons de notre position sur l'élargissement. Le Vatican a une expression assez généreuse sur l'élargissement, en général. Ils sont assez favorables à un élargissement de l'Europe qui est un devoir moral, ce qu'on ne nie pas bien sûr. Mais j'ai essayé d'expliquer que, pour nous, il était fondamental de concilier l'élargissement et la poursuite de l'approfondissement, la poursuite du renforcement de l'Europe, la poursuite de la création d'une puissance européenne qui puisse être un pôle dans le monde de demain, un pôle de stabilité, un pôle de paix, et que, si on élargit trop vite, où si - ce n'est pas une question de vitesse en réalité - on élargit dans des conditions mal préparées, mal négociées, on va arriver à une Europe de 20, 25 ou 30 membres mais qui sera devenue impotente.
Q - Le Vatican a une vision gaulliste de l'élargissement ?
R - Non. Cela n'a rien à voir parce que la formule de de Gaulle n'avait rien à voir avec le débat sur l'élargissement. L'Europe de l'Atlantique à l'Oural, c'était une formule liée à un moment donné de sa politique soviétique. Ce n'était pas du tout un schéma sur l'Europe. En réalité, cela n'a jamais correspondu à aucun projet d'organisation qu'ait pu avoir de Gaulle sur ce point. Le débat d'aujourd'hui, qui est différent, c'est de savoir comment on concilie les deux. Alors le Vatican relaye les arguments. Et il n'est pas seul, d'ailleurs. Il y a beaucoup d'hommes politiques en Europe qui ne parlent que de la nécessité urgente d'élargir, avec une sorte d'approche généreuse. Mais l'enfer est pavé de bonnes intentions comme on sait. Nous insistons sur le fait qu'il faut concilier les deux. Alors j'ai saisi l'occasion pour montrer que, de notre part, ce n'était pas une absence de générosité - on est aussi généreux que n'importe qui d'autre -, mais qu'on a pas le droit de mettre en péril cette Europe que nous avons élaborée en 30 ou 40 ans. Et ce n'est l'intérêt de personne, par un élargissement qui serait mal fait, d'arriver, comme je le disais, à une Europe impotente ou qui se dissoudrait dans une espèce de magma économique, une zone de libre-échange ou il y aurait théoriquement des politiques communes mais qu'on n'arriverait même plus à décider parce que les institutions n'ayant pas été réformées, cela deviendrait impossible de se mettre d'accord à 30 pays, ou impossible de financer. Quand on regarde les négociations en cours, par exemple, on voit qu'elles progressent très bien avec certains pays mais que certains pays posent des problèmes quasiment insolubles. Soit ils entrent dans l'Europe avec des exceptions pendant 20 ans dans tel ou tel secteur de leur économie, et ils y seront sans y être ce qui serait un peu absurde. Ou alors on leur applique les règles de l'Europe d'aujourd'hui et leur économie est ruinée. Parce que c'est un vrai choc. C'est pas simplement l'association des amis de la démocratie, l'Europe.
Q - A quels pays pensez-vous ...
R - En réalité, à part la Hongrie, avec laquelle les négociations se passent aisément, les négociations avec tous les autres pays sont quand même difficiles. C'est normal d'ailleurs. Ce sont des négociations sérieuses. C'est pour cela que nous disons qu'on ne peut pas annoncer de date. Et on n'est pas d'accord avec les déclarations de Prodi au Parlement européen pour plaire à une partie du Parlement européen qui dit qu'il faut fixer des dates. Si on annonce des dates, ce sont des négociations qui ne sont pas sérieuses. Si elles sont sérieuses, on ne peut pas annoncer de date. On dit simplement on fait le mieux possible, le plus vite possible et le plus tôt sera le mieux. Mais le plus tôt, c'est quand on a réglé les problèmes.
Q - Au synode, l'évêque d'Istanbul a évoqué la question de l'entrée de la Turquie. quelle est la position de la France ?
R - La Turquie est un tout autre problème. Nous n'en avons pas parlé ce matin. C'est encore un sujet différent de celui de l'élargissement en général. L'élargissement en général c'est comment faire en sorte que l'élargissement ne détruise pas les acquis de l'Europe. Quand les pays veulent entrer dans l'Europe c'est parce que l'Europe est forte et riche, qu'elle est puissante et qu'elle a des politiques communes. Si parce que tout le monde rentre, elle devient impuissante ou paralysée et qu'elle n'arrive même plus à se mettre d'accord sur son budget, c'est un gigantesque marché de dupes. Donc, notre intérêt et celui des candidats devraient se rejoindre dans l'idée d'un élargissement bien contrôlé et bien négocié. L'affaire de la Turquie c'est un problème encore différent parce qu'il est clair que la Turquie est dans un cas tout à fait particulier. On peut discuter sur son caractère européen. Mais il se trouve que les accords entre elle et l'Europe lui reconnaisse une vocation européenne depuis 1963. Du coup, toutes les forces modernistes en Turquie sont tournées vers cette promesse. Mais si l'on prend les faits objectifs concernant la Turquie, les fameux critères de Copenhague, on voit très bien que la Turquie n'en remplit aucun. C'est cela la contradiction qu'on aura a trancher à Helsinki.
Q - Est-ce que la guerre en Tchétchénie préoccupe la France et la communauté internationale ?
R - Toutes les guerres préoccupent, par définition. La question est de savoir ce qu'on peut faire. Il n'y a jamais deux situations semblables. La guerre en Tchétchénie est préoccupante, forcément, parce qu'elle a, comme toutes les guerres, des conséquences pour les populations civiles. Elle est inquiétante parce qu'elle est dans le Caucase, qui est dans une situation d'extrême instabilité et au Nord et au Sud, parce qu'au Nord il y a la question nationaliste de la Tchétchénie, il y a la question islamique du Dagustan qui est une question transversale, au Sud il y a la question d'Arménie-Azerbaïdjan. C'est une zone explosive en soi. Qu'est-ce qu'on peut faire au delà des nobles déclarations ? Qu'est-ce qu'on peut faire précisément pour faire converger des pressions de pays qui ont de l'influence sur les protagonistes pour qu'ils acceptent les compromis nécessaires ? Et puis il y a la dimension russe, naturellement, parce que c'est à la fois un révélateur et un facteur aggravant de la situation russe. Mais nous ne contestons pas, personne ne conteste, l'intégrité territoriale de la Russie. Personne ne sous-estime non plus la réalité de la question terroriste. Par contre, il y a une discussion sur les moyens. Il est clair que les moyens de pure répression avec l'escalade, avec les conséquences que cela entraîne ne nous convainquent pas.
(...).
Q - Comment qualifier aujourd'hui l'état des relations de la France avec la Libye ?
R - Je ne fais pas de commentaires sur les décisions de justice. Donc, je n'ai pas de commentaires à faire sur le juge Bruguière. En ce qui concerne les relations avec la Libye, elles doivent s'inscrire dans un cadre légal et international, donc cela dépend de la façon dont le Conseil de sécurité adapte les sanctions qui ont dû être prises contre la Libye après l'affaire de l'attentat aérien. Nous ne pouvons développer - redévelopper - nos relations avec la Libye sur un plan politique, diplomatique ou économique, que dans la mesure ou les sanctions sont suspendues puis levées. (...). Il y a eu un jugement par contumace, mais il y a une procédure judiciaire dont on ne sait pas à quoi elle aboutira. Les sanctions ont été, non pas levées, mais suspendues. (...)
Q - Pour l'entrée des pays de l'Est en Europe, est-ce que vous avez parlé spécifiquement de la Pologne ?
R - Non. C'est un raisonnement général. J'ai essayé, comme je suis soucieux que notre position soit bien comprise, que cela ne soit pas compris comme une position de fermeture alors qu'au contraire il me semble que nous défendons mieux les intérêts des pays candidats que ceux qui leur mentent en leur disant qu'ils peuvent entrer demain matin sans problème. Je pense qu'on est plus sérieux qu'on nous respecte plus et qu'on prépare mieux l'avenir avec la politique que j'ai résumée. J'ai rappelé cela de façon globale. Ca ne s'appliquait pas à un pays en particulier.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 octobre 1999)