Texte intégral
Ce Forum " Perspectives Amérique du Sud " organisé par le MEDEF international et le Comité national des conseillers du commerce extérieur avec l'appui efficace et déterminé du ministère des Affaires étrangères et de la direction des relations économiques extérieures, est une première dans cette région du monde. Je voudrais saluer et remercier chaleureusement tous ceux qui ont permis l'organisation de cette manifestation. Je vous dirais aussi pourquoi le thème de votre Forum m'intéresse et quelles réflexions il m'inspire avant d'évoquer, de façon générale, le rôle que la France et vous-mêmes pouvaient et devaient jouer, à mon avis dans cette zone.
"Perspectives Amérique du Sud", il y a dans ce titre même un choix implicite qui me paraît particulièrement pertinent et qui en soi est déjà un enseignement majeur. Il y a quatre ou cinq ans, on aurait peut-être envisagé un forum "Perspectives Amérique latine".
En faisant le choix de l'ALENA, je crois que le Mexique a opéré une rupture majeure au sein de l'ensemble latino-américain, qui se traduit dès à présent dans les évolutions économiques et posent aux pays de la région une question stratégique pour leur avenir. Cette évolution économique divergente apparaît clairement dans les chiffres de croissance dans ces deux années. Le fait que la croissance du PIB de l'Amérique latine dans son ensemble était de 2% en 1998 et nulle en 1999 ne doit pas cacher que le Mexique a cru de plus de 5% en 1998 et 4% en 1999 alors que l'Amérique du Sud pour sa part connaissait une croissance inférieure à 1% en 98 et une récession en 99, certes inégale entre les pays mais proche de 1% cependant. Plus largement, cette adhésion à l'ALENA conduit les pays du cône sud à devoir prendre partie entre un rattachement plus étroit à l'ensemble nord-américain, entraîné par les USA, ou une tentative d'autonomie comme acteurs indépendants dans le cadre de la mondialisation. C'est tout l'enjeu que vous connaissez des négociations autour de l'ASLEA, du MERCOSUR et de la Communauté andine des nations et de leurs liens avec l'Union européenne. C'est aussi dans cette perspective que doit être compris, me semble-t-il, le sommet des chefs d'Etat sud-américains invités à Brasilia prochainement par le président Cardoso.
Cependant les divergences entre les différents pays sud-américains demeurent. Je me limiterais à en donner deux ou trois exemples : tout d'abord, une appréciation du risque - pays par la communauté internationale très dispersée comme en témoignent les notes 2 et 7, accordées par l'OCDE respectivement au Chili et à l'Equateur, malgré une orientation générale plutôt libérale des politiques économiques bien différentes entre le Chili toujours et le Venezuela par exemple, y compris dans les pays réputés plus proches comme le Brésil et l'Argentine ; ensuite des différences du coût de main d'uvre, en particulier qualifiée pouvant aller de un à deux. Je crois cependant que, ces réserves faites, un certain nombre de points communs permettent de dresser un tableau à peu près homogène du potentiel de développement de la zone dans son ensemble. Je voudrais simplement, en me plaçant sur le moyen - long terme vous faire partager mon appréciation d'ensemble.
Au passif, je ferais trois observations :
premièrement des structures sociales encore trop instables parce que sans doute encore trop inégalitaires qui expliquent largement le caractère très volatil de la croissance observée dans la zone ces vingt dernières années ; la comparaison avec l'Asie du Sud-est vient tout de suite à l'esprit ;
deuxièmement la grande difficulté à dégager et à mobiliser une épargne interne suffisante pour assurer durablement une croissance économique équilibrée, enfin et surtout peut-être, car les politiques seront longues à produire leurs effets dans ce domaine, un niveau d'éducation secondaire et supérieure assez largement inférieur à la moyenne des autres pays émergents, même si je note que la Malaisie, par exemple, guère mieux lotie à ce titre, ne semble pas en pâtir particulièrement aujourd'hui.
S'agissant de l'actif, je mentionnerai deux points qui, par leur importance, sont de nature à contrebalancer nettement le passif. D'abord des efforts de restructuration de l'Etat et de l'économie, et d'insertion dans le marché mondial tout à fait remarquables sont à souligner et je suis convaincu qu'ils ne commencent qu'à peine à porter tous leurs fruits, même si en matière d'exportation le positionnement sur de nombreux secteurs en régression reste préoccupant. Enfin, comme vous le savez : "il n'est de richesse que d'hommes". La zone vient de rentrer pleinement dans la transition démographique et je crois que cet afflux de population active en parallèle avec l'allégement relatif des charges d'éducation et des retraits de santé sera sa grande chance et une des clés par exemple du redémarrage de l'épargne interne. En résumé, je dirais qu'une approche mesurée et rationnelle est nécessaire et que l'Amérique du sud est un enjeu essentiel pour nos entreprises.
J'aborde donc maintenant les objectifs que notre pays se fixe dans cette zone avant de vous dire à votre égard mes attentes et mes souhaits. Le bilan est d'abord économique mais il serait incomplet sans dire un mot de la qualité des liens humains, politiques, sociaux et culturels qui nous unissent aux pays d'Amérique du Sud. Vous les connaissez, vous en savez la valeur y compris dans les relations économiques et commerciales et je crois qu'il y a un atout considérable entre nos mains même s'il faut veiller au renouvellement et à la modernisation de notre image ainsi qu'au maintien voire au développement de la Francophonie et de notre proximité culturelle dans les jeunes générations en particulier.
Sur le plan commercial, la situation est par certains côtés ambivalente. D'un côté, on pourra souligner que nos exportations vers l'Amérique du Sud ne représentent que 1,5% environ de nos exportations totales, soit la moitié de ce que nous faisons par exemple avec les PECO et quatre fois moins de ce que nous faisons avec l'Asie au développement rapide. En revanche, on notera aussi notre part de marché, proche de 4%, ce qui est de loin notre meilleure pénétration dans les marchés émergents lointains. J'ajouterai la faible place que tiennent nos petites et moyennes entreprises dans ces échanges. En effet, partout, sauf pour des raisons marginales au Venezuela, elles sont en moyenne moins présentes dans cette zone que dans le reste du monde. Il s'agit là d'une faiblesse de notre commerce extérieur général à tous les marchés lointains et de façon souvent grave dans d'autres endroits. Cette présence commerciale française est donc globalement forte. Elle a d'ailleurs conduit, en dix ans, à un mouvement tout à fait extraordinaire, et qu'il faut garder en mémoire, puisque la vigoureuse croissance de nos exportations jointe à la stabilité de nos importations a produit une inversion du solde commercial en notre faveur avec un déficit de l'ordre de 10 milliards de francs transformé sur la période en un excédent du même ordre. Sur le plan des investissements, par contre, la situation est toute autre, au point d'entraîner des responsabilités nouvelles et particulières pour nous. Depuis 1996, nos investissements directs sur l'Amérique du Sud se sont accélérés au points de représenter près de 6% des flux annuels d'IDE français à l'étranger. Ainsi notre stock dans la zone est-il aujourd'hui deux fois celui existant en Asie en développement rapide et quatre fois celui présent dans les PECO. On notera d'ailleurs que les PME elles-mêmes prennent une part importante à ce mouvement quelquefois dans l'accompagnement de certains grands groupes comme dans l'automobile. Nous sommes donc les seconds investisseurs européens en Argentine et au Brésil. Au total, les 850 filiales d'entreprises françaises présentes ici emploient plus de 250 000 personnes.
Au delà des chiffres et d'appréciation globales, permettez moi de vous donner quelques exemples de belles réussites françaises. Nous connaissons celles dans la distribution, l'automobile, l'eau, l'électricité. Il faut aussi rappeler les réussites d'Accor au Brésil, ce groupe, en à peine vingt ans, s'est hissé à la première place dans de nombreux métiers avec 20 000 employés et avec des projets de développement en Argentine et en Uruguay. Total-Austral, filiale de Totalfina, est également à donner en exemple par l'audace mesurée mais prémonitoire de son implantation en Argentine qui en fait aujourd'hui le deuxième opérateur d'hydrocarbures de ce pays. Moins connu mais je n'hésite pas à citer le remarquable développement d'e/Bazar Brésil qui, en moins d'un an, est devenu leader brésilien de la vente aux enchères en ligne entre particuliers avec une communauté de plus de 200 000 internautes.
Devant un tel bilan, globalement très positif, vous comprendrez que les objectifs de notre pays ne peuvent qu'être ambitieux. Nous souhaitons tout d'abord bien entendu renforcer notre position de partenaires importants de la zone ainsi que le disait, il y a peu, Hubert Védrine : "le retour de la France est devenu une donnée permanente de notre politique extérieure, facilité par la généralisation de la démocratie et d'une gestion économique et financière rigoureuse sur l'ensemble du continent américain". Nous souhaitons, à ce titre, jouer un rôle important dans l'accompagnement de l'ajustement qu'opèrent les organisations financières internationales pour favoriser en Amérique du Sud un développement équilibré. Le Premier ministre, Lionel Jospin a décrit ce modèle comme celui où la croissance de l'économie et le progrès de la société vont de pair avec le respect de l'environnement et où le secteur privé est le moteur de l'économie et où l'Etat assure pleinement son rôle de régulation et de protection des plus faibles. C'est le message que j'ai pu personnellement reprendre à la dernière assemblée générale de la Banque interaméricaine de développement, à La Nouvelle Orléans, en avril dernier où je représentais la France. Ces interventions doivent en effet viser les objectifs suivants : le soutien d'une croissante économique forte, l'intégration des classes pauvres dans l'économie, l'amélioration de la capacité de tous les acteurs de la société à gérer leurs problèmes économiques et sociaux et, enfin, la promotion des intégrations économiques régionales. C'est d'ailleurs dans cet esprit que notre pays apporte sa contribution à l'action de l'Union européenne dans ce continent.
Je souhaiterais faire maintenant à cet égard deux observations pour faire justice peut-être de quelques procès mal intentionnés. Oui, la France appuie pleinement et sans arrières pensées la constitution d'un Mercosur fort et dynamique. C'est dans l'intérêt de ses membres et de l'ensemble de la région et cette organisation a montré déjà son pouvoir de stabilisateur tant sur le plan politique qu'économique. C'est donc aussi sans réserves que nous appuyons le processus de négociation engagé entre l'Union européenne et le Mercosur mais nous croyons cet engagement trop important pour ne pas procéder sûrement et par étapes successives afin de bâtir un édifice solide. Nous croyons fermement que les structures régionales sont utiles à l'équilibre du monde et à sa multipolarité. Autrement, s'il appartient aux pays de la région de se déterminer en toute indépendance et liberté, nous pensons donc qu'une intégration active dans une zone de libre échange américaine ne serait pas forcément en effet une bonne chose et il est clair que nous prendrons en compte cet élément dans les positions de négociations de l'Union européenne. Non, la France, que ce soit dans ce cadre régional ou dans les négociations multilatérales à l'OMC, n'est pas figée dans une défense réputée protectionniste des intérêts de ses agriculteurs. Nous avons dit sur ce plan notre volonté de continuer à avancer dans une démarche politique responsable. Mais nous croyons aussi que les enjeux agricoles ne se limitent pas aux problèmes d'accès aux marchés et soutiens à l'exportation et que seule une négociation globale tenant compte par exemple des problèmes de bio-diversité, de sécurité alimentaire, de protection de l'environnement, de l'habitat, de l'emploi rural pour ne parler que de cela, permettra d'apporter des solutions équilibrées et une contribution réelle au développement durable que nous souhaitons tous.
Il me reste à vous indiquer ce que m'inspire votre présence dans ce Forum. D'abord, je vous dirais ma satisfaction et ma joie de vous voir tous ici rassemblés au service d'un même objectif : le développement de la présence économique et commerciale françaises dans cette zone. Cette coopération me semble exemplaire, d'autant plus que je suis certain que nous ne sommes pas devant une action sans lendemain mais devant le résultat d'habitudes désormais enracinées.
S'agissant de l'esprit dans lequel vous devez envisager votre présence ici et vos possibilités, l'Amérique du sud est une région qui en vaut la peine. Notre ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, a pris les moyens qu'il fallait pour aider les entreprises françaises mais je crois qu'ici comme ailleurs votre démarche doit être sélective, assez fine pour dépasser une analyse macro-économique certes valable mais trop globale, et s'appuyer sur une étude très sectorielle. C'est dans ce sens que la direction des relations économiques extérieures et les postes d'Expansion économique orientent leurs études. Ainsi, il y a, ici où là, des niches de croissances ou de marchés qu'il faut savoir identifier. D'une façon générale, il faut que les projets que vous menez à bien aient non seulement toujours une pleine rentabilité économique, indépendamment de l'évolution possible du contexte général, mais également une véritable utilité économique et sociale. C'est dans ces conditions que la présence française ici sera solide et durable, si vos entreprises sont reconnues comme contribuant véritablement au bien commun et au développement équilibré des pays qui vous accueillent. Il faut que nous évitions de donner prise à toute velléité de rejet de l'étranger, certes critiquable mais qui pourrait se comprendre dans la situation très tendue que traverse cette zone, dans sa phase d'ajustement à une économie mondialisée. On a pu parler en France d'entreprises citoyennes, cette formule vaut aussi pour notre présence à l'étranger.
Dans le contexte des négociations commerciales multilatérales, le gouvernement attend de vous que vous continuiez de vous faire les avocats de la position française et européenne sur ces sujets auprès de l'opinion publique et des entreprises de vos pays de résidence. Vous devez toujours mieux comprendre la position de vos interlocuteurs et les intérêts qui les meuvent et aussi les intérêts des entreprises françaises travaillant ou souhaitant travailler davantage en Amérique latine. Notre position est inspirée par un soucis d'équilibre entre une vision globale et humaniste de l'avenir et la prise en compte légitime de nos intérêts économiques, culturels ou sociaux. Vous avez donc tous un rôle à jouer pour que les arbitrages pris à Paris le soient toujours dans une vision juste et équilibrée des enjeux.
Je me réjouis donc, tout particulièrement, du dialogue que j'ai eu avec les ambassadeurs de France en Amérique du Sud sur ces sujets. Comme membre du gouvernement français, je redis à tous les participants à ce Forum mes félicitations, mes encouragements et ma confiance.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 juin 2000)
"Perspectives Amérique du Sud", il y a dans ce titre même un choix implicite qui me paraît particulièrement pertinent et qui en soi est déjà un enseignement majeur. Il y a quatre ou cinq ans, on aurait peut-être envisagé un forum "Perspectives Amérique latine".
En faisant le choix de l'ALENA, je crois que le Mexique a opéré une rupture majeure au sein de l'ensemble latino-américain, qui se traduit dès à présent dans les évolutions économiques et posent aux pays de la région une question stratégique pour leur avenir. Cette évolution économique divergente apparaît clairement dans les chiffres de croissance dans ces deux années. Le fait que la croissance du PIB de l'Amérique latine dans son ensemble était de 2% en 1998 et nulle en 1999 ne doit pas cacher que le Mexique a cru de plus de 5% en 1998 et 4% en 1999 alors que l'Amérique du Sud pour sa part connaissait une croissance inférieure à 1% en 98 et une récession en 99, certes inégale entre les pays mais proche de 1% cependant. Plus largement, cette adhésion à l'ALENA conduit les pays du cône sud à devoir prendre partie entre un rattachement plus étroit à l'ensemble nord-américain, entraîné par les USA, ou une tentative d'autonomie comme acteurs indépendants dans le cadre de la mondialisation. C'est tout l'enjeu que vous connaissez des négociations autour de l'ASLEA, du MERCOSUR et de la Communauté andine des nations et de leurs liens avec l'Union européenne. C'est aussi dans cette perspective que doit être compris, me semble-t-il, le sommet des chefs d'Etat sud-américains invités à Brasilia prochainement par le président Cardoso.
Cependant les divergences entre les différents pays sud-américains demeurent. Je me limiterais à en donner deux ou trois exemples : tout d'abord, une appréciation du risque - pays par la communauté internationale très dispersée comme en témoignent les notes 2 et 7, accordées par l'OCDE respectivement au Chili et à l'Equateur, malgré une orientation générale plutôt libérale des politiques économiques bien différentes entre le Chili toujours et le Venezuela par exemple, y compris dans les pays réputés plus proches comme le Brésil et l'Argentine ; ensuite des différences du coût de main d'uvre, en particulier qualifiée pouvant aller de un à deux. Je crois cependant que, ces réserves faites, un certain nombre de points communs permettent de dresser un tableau à peu près homogène du potentiel de développement de la zone dans son ensemble. Je voudrais simplement, en me plaçant sur le moyen - long terme vous faire partager mon appréciation d'ensemble.
Au passif, je ferais trois observations :
premièrement des structures sociales encore trop instables parce que sans doute encore trop inégalitaires qui expliquent largement le caractère très volatil de la croissance observée dans la zone ces vingt dernières années ; la comparaison avec l'Asie du Sud-est vient tout de suite à l'esprit ;
deuxièmement la grande difficulté à dégager et à mobiliser une épargne interne suffisante pour assurer durablement une croissance économique équilibrée, enfin et surtout peut-être, car les politiques seront longues à produire leurs effets dans ce domaine, un niveau d'éducation secondaire et supérieure assez largement inférieur à la moyenne des autres pays émergents, même si je note que la Malaisie, par exemple, guère mieux lotie à ce titre, ne semble pas en pâtir particulièrement aujourd'hui.
S'agissant de l'actif, je mentionnerai deux points qui, par leur importance, sont de nature à contrebalancer nettement le passif. D'abord des efforts de restructuration de l'Etat et de l'économie, et d'insertion dans le marché mondial tout à fait remarquables sont à souligner et je suis convaincu qu'ils ne commencent qu'à peine à porter tous leurs fruits, même si en matière d'exportation le positionnement sur de nombreux secteurs en régression reste préoccupant. Enfin, comme vous le savez : "il n'est de richesse que d'hommes". La zone vient de rentrer pleinement dans la transition démographique et je crois que cet afflux de population active en parallèle avec l'allégement relatif des charges d'éducation et des retraits de santé sera sa grande chance et une des clés par exemple du redémarrage de l'épargne interne. En résumé, je dirais qu'une approche mesurée et rationnelle est nécessaire et que l'Amérique du sud est un enjeu essentiel pour nos entreprises.
J'aborde donc maintenant les objectifs que notre pays se fixe dans cette zone avant de vous dire à votre égard mes attentes et mes souhaits. Le bilan est d'abord économique mais il serait incomplet sans dire un mot de la qualité des liens humains, politiques, sociaux et culturels qui nous unissent aux pays d'Amérique du Sud. Vous les connaissez, vous en savez la valeur y compris dans les relations économiques et commerciales et je crois qu'il y a un atout considérable entre nos mains même s'il faut veiller au renouvellement et à la modernisation de notre image ainsi qu'au maintien voire au développement de la Francophonie et de notre proximité culturelle dans les jeunes générations en particulier.
Sur le plan commercial, la situation est par certains côtés ambivalente. D'un côté, on pourra souligner que nos exportations vers l'Amérique du Sud ne représentent que 1,5% environ de nos exportations totales, soit la moitié de ce que nous faisons par exemple avec les PECO et quatre fois moins de ce que nous faisons avec l'Asie au développement rapide. En revanche, on notera aussi notre part de marché, proche de 4%, ce qui est de loin notre meilleure pénétration dans les marchés émergents lointains. J'ajouterai la faible place que tiennent nos petites et moyennes entreprises dans ces échanges. En effet, partout, sauf pour des raisons marginales au Venezuela, elles sont en moyenne moins présentes dans cette zone que dans le reste du monde. Il s'agit là d'une faiblesse de notre commerce extérieur général à tous les marchés lointains et de façon souvent grave dans d'autres endroits. Cette présence commerciale française est donc globalement forte. Elle a d'ailleurs conduit, en dix ans, à un mouvement tout à fait extraordinaire, et qu'il faut garder en mémoire, puisque la vigoureuse croissance de nos exportations jointe à la stabilité de nos importations a produit une inversion du solde commercial en notre faveur avec un déficit de l'ordre de 10 milliards de francs transformé sur la période en un excédent du même ordre. Sur le plan des investissements, par contre, la situation est toute autre, au point d'entraîner des responsabilités nouvelles et particulières pour nous. Depuis 1996, nos investissements directs sur l'Amérique du Sud se sont accélérés au points de représenter près de 6% des flux annuels d'IDE français à l'étranger. Ainsi notre stock dans la zone est-il aujourd'hui deux fois celui existant en Asie en développement rapide et quatre fois celui présent dans les PECO. On notera d'ailleurs que les PME elles-mêmes prennent une part importante à ce mouvement quelquefois dans l'accompagnement de certains grands groupes comme dans l'automobile. Nous sommes donc les seconds investisseurs européens en Argentine et au Brésil. Au total, les 850 filiales d'entreprises françaises présentes ici emploient plus de 250 000 personnes.
Au delà des chiffres et d'appréciation globales, permettez moi de vous donner quelques exemples de belles réussites françaises. Nous connaissons celles dans la distribution, l'automobile, l'eau, l'électricité. Il faut aussi rappeler les réussites d'Accor au Brésil, ce groupe, en à peine vingt ans, s'est hissé à la première place dans de nombreux métiers avec 20 000 employés et avec des projets de développement en Argentine et en Uruguay. Total-Austral, filiale de Totalfina, est également à donner en exemple par l'audace mesurée mais prémonitoire de son implantation en Argentine qui en fait aujourd'hui le deuxième opérateur d'hydrocarbures de ce pays. Moins connu mais je n'hésite pas à citer le remarquable développement d'e/Bazar Brésil qui, en moins d'un an, est devenu leader brésilien de la vente aux enchères en ligne entre particuliers avec une communauté de plus de 200 000 internautes.
Devant un tel bilan, globalement très positif, vous comprendrez que les objectifs de notre pays ne peuvent qu'être ambitieux. Nous souhaitons tout d'abord bien entendu renforcer notre position de partenaires importants de la zone ainsi que le disait, il y a peu, Hubert Védrine : "le retour de la France est devenu une donnée permanente de notre politique extérieure, facilité par la généralisation de la démocratie et d'une gestion économique et financière rigoureuse sur l'ensemble du continent américain". Nous souhaitons, à ce titre, jouer un rôle important dans l'accompagnement de l'ajustement qu'opèrent les organisations financières internationales pour favoriser en Amérique du Sud un développement équilibré. Le Premier ministre, Lionel Jospin a décrit ce modèle comme celui où la croissance de l'économie et le progrès de la société vont de pair avec le respect de l'environnement et où le secteur privé est le moteur de l'économie et où l'Etat assure pleinement son rôle de régulation et de protection des plus faibles. C'est le message que j'ai pu personnellement reprendre à la dernière assemblée générale de la Banque interaméricaine de développement, à La Nouvelle Orléans, en avril dernier où je représentais la France. Ces interventions doivent en effet viser les objectifs suivants : le soutien d'une croissante économique forte, l'intégration des classes pauvres dans l'économie, l'amélioration de la capacité de tous les acteurs de la société à gérer leurs problèmes économiques et sociaux et, enfin, la promotion des intégrations économiques régionales. C'est d'ailleurs dans cet esprit que notre pays apporte sa contribution à l'action de l'Union européenne dans ce continent.
Je souhaiterais faire maintenant à cet égard deux observations pour faire justice peut-être de quelques procès mal intentionnés. Oui, la France appuie pleinement et sans arrières pensées la constitution d'un Mercosur fort et dynamique. C'est dans l'intérêt de ses membres et de l'ensemble de la région et cette organisation a montré déjà son pouvoir de stabilisateur tant sur le plan politique qu'économique. C'est donc aussi sans réserves que nous appuyons le processus de négociation engagé entre l'Union européenne et le Mercosur mais nous croyons cet engagement trop important pour ne pas procéder sûrement et par étapes successives afin de bâtir un édifice solide. Nous croyons fermement que les structures régionales sont utiles à l'équilibre du monde et à sa multipolarité. Autrement, s'il appartient aux pays de la région de se déterminer en toute indépendance et liberté, nous pensons donc qu'une intégration active dans une zone de libre échange américaine ne serait pas forcément en effet une bonne chose et il est clair que nous prendrons en compte cet élément dans les positions de négociations de l'Union européenne. Non, la France, que ce soit dans ce cadre régional ou dans les négociations multilatérales à l'OMC, n'est pas figée dans une défense réputée protectionniste des intérêts de ses agriculteurs. Nous avons dit sur ce plan notre volonté de continuer à avancer dans une démarche politique responsable. Mais nous croyons aussi que les enjeux agricoles ne se limitent pas aux problèmes d'accès aux marchés et soutiens à l'exportation et que seule une négociation globale tenant compte par exemple des problèmes de bio-diversité, de sécurité alimentaire, de protection de l'environnement, de l'habitat, de l'emploi rural pour ne parler que de cela, permettra d'apporter des solutions équilibrées et une contribution réelle au développement durable que nous souhaitons tous.
Il me reste à vous indiquer ce que m'inspire votre présence dans ce Forum. D'abord, je vous dirais ma satisfaction et ma joie de vous voir tous ici rassemblés au service d'un même objectif : le développement de la présence économique et commerciale françaises dans cette zone. Cette coopération me semble exemplaire, d'autant plus que je suis certain que nous ne sommes pas devant une action sans lendemain mais devant le résultat d'habitudes désormais enracinées.
S'agissant de l'esprit dans lequel vous devez envisager votre présence ici et vos possibilités, l'Amérique du sud est une région qui en vaut la peine. Notre ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, a pris les moyens qu'il fallait pour aider les entreprises françaises mais je crois qu'ici comme ailleurs votre démarche doit être sélective, assez fine pour dépasser une analyse macro-économique certes valable mais trop globale, et s'appuyer sur une étude très sectorielle. C'est dans ce sens que la direction des relations économiques extérieures et les postes d'Expansion économique orientent leurs études. Ainsi, il y a, ici où là, des niches de croissances ou de marchés qu'il faut savoir identifier. D'une façon générale, il faut que les projets que vous menez à bien aient non seulement toujours une pleine rentabilité économique, indépendamment de l'évolution possible du contexte général, mais également une véritable utilité économique et sociale. C'est dans ces conditions que la présence française ici sera solide et durable, si vos entreprises sont reconnues comme contribuant véritablement au bien commun et au développement équilibré des pays qui vous accueillent. Il faut que nous évitions de donner prise à toute velléité de rejet de l'étranger, certes critiquable mais qui pourrait se comprendre dans la situation très tendue que traverse cette zone, dans sa phase d'ajustement à une économie mondialisée. On a pu parler en France d'entreprises citoyennes, cette formule vaut aussi pour notre présence à l'étranger.
Dans le contexte des négociations commerciales multilatérales, le gouvernement attend de vous que vous continuiez de vous faire les avocats de la position française et européenne sur ces sujets auprès de l'opinion publique et des entreprises de vos pays de résidence. Vous devez toujours mieux comprendre la position de vos interlocuteurs et les intérêts qui les meuvent et aussi les intérêts des entreprises françaises travaillant ou souhaitant travailler davantage en Amérique latine. Notre position est inspirée par un soucis d'équilibre entre une vision globale et humaniste de l'avenir et la prise en compte légitime de nos intérêts économiques, culturels ou sociaux. Vous avez donc tous un rôle à jouer pour que les arbitrages pris à Paris le soient toujours dans une vision juste et équilibrée des enjeux.
Je me réjouis donc, tout particulièrement, du dialogue que j'ai eu avec les ambassadeurs de France en Amérique du Sud sur ces sujets. Comme membre du gouvernement français, je redis à tous les participants à ce Forum mes félicitations, mes encouragements et ma confiance.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 juin 2000)