Interview de M. Jean-François Copé, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement et porte-parole du gouvernement, à France 2 le 2 mai 2003, sur la réforme des retraites, la situation économique et la politique gouvernementale.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

R. Sicard.- Le Gouvernement va fêter, dans quelques jours, son premier anniversaire. Et si j'ose dire, malgré ça, il n'est pas vraiment à la fête : montée du chômage, baisse de la croissance, et puis, peut-être surtout, le mécontentement social à propos de la réforme des retraites. Hie, 1er mai, il y avait des manifestations sur ce sujet et les syndicats se préparent à une grande journée pour le 13 mai. Est-ce que la France risque d'être bloquée, comme elle l'avait été en 1995 ?
- "Je crois que personne ne peut raisonnablement le souhaiter. Aujourd'hui, on est engagé dans une des réformes les plus importantes qui soient. Depuis de nombreuses années, les Gouvernements successifs ont reporté - notamment le dernier - une des décisions sans doute les plus difficiles, mais aussi les plus importantes à prendre avec les Français : la réforme des retraites. Le moment est venu maintenant de le faire. On est au moment où vraiment il n'y a plus de quoi hésiter sur l'exigence de la réforme."
Beaucoup de Français qui ne comprennent pas vraiment ce qui va se passer, dans la mesure où ils disent que leurs employeurs après 50 ans ne veulent plus d'eux, et on va leur demander de travailler jusqu'à 65 ou plus.
- "Vous avez raison, c'est un des points très importants de cette réforme. Il est absolument indispensable, dès lors que l'on fait le choix pour réformer les retraites et préserver la retraite par répartition, de maintenir un niveau élevé de pension pour les retraités, en contrepartie d'un allongement de la durée de cotisation, il est absolument indispensable de repenser, si je puis dire, la capacité, dans notre pays, d'employer nos concitoyens, y compris au-delà de 50 ans. Et ça, c'est un des grands enjeux aussi pour nos entreprises. Le Gouvernement va, bien entendu, beaucoup travailler cette question avec l'ensemble des partenaires sociaux, et en particulier les entrepreneurs."
Mais qu'est-ce que le Gouvernement peut faire pour les convaincre de garder les employés au-delà de 50 ans ?
- "Je crois qu'il y a beaucoup de choses qui doivent entrer en ligne de compte. D'abord, vous l'avez vu, il y a une mesure qui, depuis une vingtaine d'année, a servi d'outil quotidien pour réduire des effectifs, c'est les fameuses préretraites financées sur fonds publics, pour une bonne partie d'entre elles. Celles-ci ont vocation à être réduites, naturellement. Mais ça va beaucoup plus loin. En fait, on est engagé dans une réforme en profondeur : c'est la formation, l'apprentissage de nos plus jeunes concitoyens, et aussi la formation tout au long de la vie. Cela, c'est capital. Ce que chacun doit comprendre, c'est que quand il y a des plans sociaux, on réagit dans l'urgence aujourd'hui. On essaie d'organiser, par exemple, des zones franches sur un territoire où il y a une fermeture d'usine. Cela permet un peu d'équilibrer en réagissant à peu près aussi vite que possible. Mais il faut aller beaucoup plus loin, il faut une réforme en profondeur de notre appareil de formation, pour que chaque salarié, dès qu'il entre dans une entreprise, commence aussi à se former, à élargir ses qualifications pour la suite de sa carrière. Et ça, je crois que c'est absolument capital. Cela s'ajoute à l'autre point qui c'est la baisse des charges sociales, la baisse du coût du travail pour nos concitoyens. C'est un élément majeur, et ça stimule la création d'emplois, la création d'entreprises, l'activité et in fine, la croissance."
Les syndicats, pour la plupart, reconnaissent qu'il faut faire une réforme, mais ils disent que la méthode qui est employée n'est pas la bonne. Ils disent notamment que l'on devrait davantage taxer les revenus du capital, plutôt que de demander aux gens de cotiser plus longtemps.
- "Je crois qu'il faut qu'on essaie, dans ce pays, de se guérir, si on peut, de deux réflexes qui ne sont pas toujours très constructifs. Le premier, c'est de sans cesse chercher à augmenter les impôts, l'idée qu'il faut faire payer les autres. Il y a un moment où il faut bien comprendre que c'est l'ensemble de notre nation qui doit voir ses prélèvements obligatoires, ses impôts et ses charges diminuer. Cela fait plus de pouvoir d'achat et cela fait plus de possibilités de consommer, d'épargner, d'investir. Arrêtons d'augmenter sans cesse les impôts ! Nous, on s'est engagés plutôt vers une baisse. Puis, il y a une deuxième chose : il faut arrêter d'opposer les Français entre eux. Cela c'est quelque chose qui fait beaucoup de mal à notre nation. Donc, l'objectif n'est pas celui-là, ce n'est pas de chercher les boucs émissaires, c'est d'essayer ensemble de faire des réformes qui donnent du positif. Et donc, la réforme des retraites constitue, à travers le choix de l'allongement de la durée de cotisation - parce qu'il y a un allongement d'espérance de vie -, et en même temps le maintien du niveau des pensions, ce choix-là, c'est, nous semble-t-il, un choix qui, sans doute, qui exige du courage, mais qui, aussi, appel aux responsabilités pour chacun."
Un sondage intéressant montrait en fait que les Français ne souhaitaient pas travailler plus longtemps, mais qu'ils étaient prêts à accepter des retraites moins élevées. Est-ce que là, il y a une négociation possible ?
- "Il y a dans l'esprit même de cette réforme, le maintien de la retraite par répartition, la solidarité entre les générations, et il y a aussi le libre choix. C'est-à-dire qu'effectivement, on peut choisir de partir un peu avant ou un peu après, l'âge légal et la durée de cotisations acquise. Et dans ce cas-là, si on part un peu plus tard, on peut gagner un petit peu plus, et puis on peut gagner un petit peu moins si on part plus tôt. Donc, le libre choix, il existe. Mais ce qui est important, et le grand message que l'on entend des Français, y compris dans les sondages d'ailleurs, c'est l'inquiétude vis-à-vis de leurs enfants, de leurs petits-enfants, vis-à-vis de l'avenir.
Et cette réforme est une réponse, justement, parce que nous nous préoccupons de préserver les systèmes de retraite, et donc, ainsi, de préserver l'avenir des générations. C'est cela qui est capital. Et aujourd'hui, la première préoccupation des Français qui s'est exprimée, c'est celle de l'avenir des enfants et des petits-enfants. Chacun doit bien avoir à l'esprit, en termes de responsabilité, que c'est ça l'objet de la réforme."
Globalement, est-ce qu'il reste une marge de négociation possible avec les syndicats, ou est-ce que les manifestations ne changeront rien ?
- "Les grands principes de la réforme ont été précisés par F. Fillon sur votre antenne ; l'architecture est maintenant connue dans ses grandes lignes..."
Cela ne bougera plus ?
- "... Elle est connue, elle est équilibrée. Il peut y avoir, ici ou là, des éléments qui peuvent modifier ou améliorer les choses. Mais tout cela doit se faire en conservant l'équilibre global. J'appelle votre attention sur le fait que beaucoup d'éléments ont été introduits dans cette réforme à la suite des discussions entre les uns et les autres. Par exemple, la réflexion sur un régime complémentaire pour les fonctionnaires pour intégrer une partie de leurs primes par exemple, la préoccupation sur les petites retraites... Tous ces éléments ont été intégrés à la suite des discussions avec les partenaires sociaux. Donc, un gros travail de discussions a déjà été fait et, bien entendu, on va rentrer ensuite dans la phase parlementaire. Mais c'est un régime équilibré, une réforme équilibrée. Je crois que c'est important de conserver cet équilibre."
Alors l'autre préoccupation, c'est la montée du chômage et la baisse de la croissance. La gauche dit que si on n'avait pas touché aux 35 heures, et que si on n'avait pas supprimé les emplois jeunes, on n'en serait pas là.
- "Une des grandes responsabilités du gouvernement Jospin, c'est d'avoir fait croire aux Français qu'on pouvait préserver notre modèle social en réduisant le temps de travail. Ce que l'on constate aujourd'hui, c'est que l'une des grandes difficultés que nous avons dans notre économie, c'est que cette réduction de travail autoritaire a plutôt amené les Français à se serrer la ceinture"
Le fait est que le chômage avait baissé...
- "Alors que nous, on veut plutôt les inviter à se retrousser les manches. Le chômage il est lié - malheureusement, toutes les études le montrent, toutes les observations le montrent - à la croissance. La meilleure preuve, c'est que le chômage a commencé d'augmenter quand la croissance a commencé de diminuer, c'est-à-dire à partir du début de l'année 2001. D'ailleurs, le clin d'il de l'histoire, si je puis dire, c'est que c'était exactement le moment où les 35 heures commençaient à entrer en application, début 2001. Donc, vous voyez, en réalité les 35 heures ont plutôt figé l'économie. C'est pour cela que nous avons commencé de les assouplir en proposant aux Français qui le souhaitent, de pouvoir travailler plus pour gagner plus, s'ils le souhaitent ou s'ils le doivent. C'est un premier élément important. Mais ce qui compte surtout, c'est qu'on aille le plus vite possible dans l'idée de créer les conditions dans notre pays pour que notre économie puisse rebondir dès que la croissance mondiale le permettra."
Il n'y a pas que la gauche qui critique, il y a aussi J.-L. Debré, le président de l'Assemblée nationale, qui a l'air d'estimer que la politique du Gouvernement n'est pas très lisible. On dit que J.-P. Raffarin l'a rappelé à l'ordre, mercredi dernier, à une réunion de l'UMP, c'est vrai ?
- "Je crois qu'on est surtout dans une période où on a lancé beaucoup de réformes, où on a ouvert la quasi-totalité des chantiers sur lesquels le Président de la République s'était engagé vis-à-vis des Français. Et donc, quand il y a beaucoup de réformes engagées en même temps, il y a un vrai travail d'explications à faire. Je crois qu'on a tous intérêt, à la fois au Gouvernement, bien sûr, mais aussi dans la majorité, de contribuer à bien expliquer ces différentes réformes. Elles ont pour mots-clés le courage, l'esprit de responsabilité et l'obligation de résultat. Sur ces trois points, on a beaucoup de choses à faire."
Et un seul résultat, justement, celui de la baisse des impôts : on a l'impression qu'il va falloir attendre un petit peu.
- "Mais pourquoi dites-vous ça ? Sur la première année, on a honoré nos engagements ; on avait prévu 6 points de baisse d'impôts, on les a faits..."
Mais là, ça a l'air d'être stoppé.
- "Rendez-vous à la fin de l'été, quand nous présenterons notre projet de budget au Parlement. Pour l'instant, je ne peux que vous confirmer ce qui a déjà été dit à plusieurs reprises, y compris par le Premier ministre : le programme de baisse des impôts et des charges se poursuivra sur 5 ans, parce que c'est l'intérêt de la France."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 2 mai 2003)