Déclaration de M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, sur la nécessité de renforcer les autorités de régulation des marchés financiers et d'avoir des règles comptables pertinentes sans perdre de vue l'intégration européenne et la mondialisation, Paris le 15 janvier 2003

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Circonstance : Participation au débat sur le projet d'avis et le rapport : "Des autorités de régulation financières et de concurrence : pour quoi, comment ?" au Conseil économique et social le 15 janvier 2003

Texte intégral

M. le Président, Mmes et MM. les Conseillers, vous êtes réunis aujourd'hui pour examiner le fruit de plus d'un an de réflexions sur un thème particulièrement important. Dans un monde en évolution rapide, de plus en plus complexe, la régulation joue en effet un rôle croissant.
Je vous le dis d'emblée : je partage pour l'essentiel les conclusions de votre rapporteur, qui me semblent décrire justement les grands enjeux de la régulation. Le Conseil économique et social joue ici pleinement son rôle : instance de concertation, de réflexion et d'information qui permet de sensibiliser tous les acteurs aux principaux enjeux de notre temps, il nous aide à définir des voies de progrès. Aussi suis-je heureux de participer aujourd'hui à vos travaux, avant que vous ne vous prononciez sur le projet d'avis qui vous est soumis et dont vous avez déjà débattu hier.
Quelques mots d'abord sur le concept de régulation. La réglementation économique, héritage colbertiste par excellence, a volé en éclats avec le développement des activités privées, l'intégration européenne et la mondialisation. Dans cette nouvelle situation est né un besoin de règles du jeu permettant de rejeter à la fois la réglementation et le laisser-faire. Exercée le plus souvent par des autorités indépendantes, la régulation a plusieurs visages : elle vise à édicter des règles, mais se traduit également par des orientations, des conseils ou l'exercice d'un pouvoir de sanction, en associant les professionnels et les experts aux décisions. Partout, la régulation s'impose désormais comme une nécessité, nécessité dont les événements des quinze derniers mois ont démontré plus que jamais le caractère impérieux. Les risques des marchés financiers et, partant, l'importance de la régulation tendant à les prévenir, les corriger ou les sanctionner, n'ont en effet cessé de se manifester, de manière de plus en plus criante. Pour faire face à ces risques, notre système de régulation doit être réactif. Mais il doit aussi contribuer à la compétitivité de notre économie, par une surveillance efficace et crédible des opérateurs et par une adaptation permanente à l'innovation.
Au vu de vos travaux, je concentrerai mon propos sur deux points : comment renforcer nos autorités de régulation et comment mieux encadrer et responsabiliser les acteurs soumis à ces autorités.
Par-delà la diversité de leurs statuts et de leurs attributions, ces autorités contribuent à un nouveau mode d'exercice de la puissance publique, plus proche du terrain, plus efficace. Leur légitimité procède du pouvoir politique qui les crée et les contrôle. Vous avez justement identifié ce qu'elles apportent aux nouvelles formes d'intervention du pouvoir exécutif : souplesse, légitimité tenant à la présence de professionnels qui ont une connaissance concrète des réalités, rapidité de réaction. C'est le sens de leur développement, comme votre rapport le montre avec justesse.
Mon objectif est de renforcer leur rôle en veillant à ce que celui-ci soit bien compris et bénéficie d'une légitimité incontestée. Je ne pense pas que des autorités administratives indépendantes dotées de prérogatives fortes traduisent une forme de démission de l'Etat qui renoncerait à assumer ses responsabilités. Je suis au contraire convaincu que c'est dans sa capacité à confier à des structures efficaces des missions d'intérêt général, et en les encadrant, que l'Etat trouvera la source d'une légitimité renouvelée, le contrôle du Parlement et du juge marquant bien ici qu'il ne s'agit pas d'un transfert sans contrôle.
Renforcer leur rôle, c'est notamment rationaliser notre organisation. Vous avez rappelé que 34 autorités administratives indépendantes ont été recensées par le Conseil d'Etat en 2001, particulièrement nombreuses dans le secteur économique. Regrouper leurs forces pour en accroître l'efficacité et le poids est l'un des objectifs de la loi de sécurité financière dont le projet, vous le savez, a été transmis pour examen au Conseil d'Etat. C'est un texte important, qui comprend 90 articles et autant de pages. C'est sans doute beaucoup, et à trop légiférer on risque de manquer son but. Mais nous avons pris un retard certain au cours des dernières années et la sécurité de notre système financier requiert cette modernisation profonde. Le projet de loi sera soumis au Conseil des ministres le 5 février, puis au Parlement en mars.
Vous vous êtes interrogés dans votre rapport sur l'architecture institutionnelle de la régulation, car différents modèles coexistent dans la sphère financière. Je pense qu'il faut être pragmatique. Il n'y a pas à mon sens une organisation optimale qui s'imposerait à tous les pays, mais il y a en revanche une organisation qui correspond le mieux à chaque configuration nationale dans un temps et un contexte donné.
On oppose ainsi souvent deux modèles types, bien décrits dans votre rapport : celui de l'autorité unique, sur le modèle de la FSA britannique, et celui qui distingue des autorités chargées respectivement du pôle marchés et du pôle prudentiel. C'est le choix de la loi de sécurité financière, car il me paraît aujourd'hui le mieux à même de renforcer la sécurité et l'efficacité de notre dispositif, ceci pour deux raisons principales.
D'abord, rassembler au sein d'une même entité le contrôle des acteurs et celui des produits présente l'inconvénient de mêler deux logiques de contrôle différentes et deux métiers dont les finalités sont opposées. La surveillance prudentielle vise, à partir d'une information confidentielle, à détecter le plus tôt possible les difficultés avant qu'elles ne soient rendues publiques. Ceci afin d'éviter les contagions de nature systémique et de préserver, tant qu'elle peut l'être, la confiance des assurés et déposants dans une institution traversant des difficultés qui peuvent n'être que passagères. La régulation des marchés vise au contraire à ce que tout ce qui doit être rendu public le soit. Les deux piliers de la régulation doivent s'équilibrer publiquement, voire se confronter. La réunion en une même instance des deux types de contrôle pose donc le problème de la gestion interne de l'équilibre entre ces deux catégories de préoccupations.
L'idée séduisante d'un " guichet unique " pose d'autre part des difficultés pratiques importantes pour des structures lourdes à gérer, alors que l'objectif de limiter les formalités auxquelles sont tenus les professionnels peut bien passer par une coopération renforcée entre les autorités. Les difficultés de la FSA ou celles de mise en place de l'autorité unique allemande, qui doit simultanément gérer une montée en puissance de ses missions et une intégration d'équipes aux cultures très différentes, sont une illustration des limites de ce modèle.
Pour ces différentes raisons, je propose donc d'une part de regrouper les autorités de supervision des marchés au sein de l'Autorité des marchés financiers, et d'autre part de rationaliser nos structures dans le champ prudentiel.
Quelques mots sur cette nouvelle AMF, qui résultera de la fusion de la COB, du CMF et du CDGF. Avec elle, la France se dotera d'un régulateur à la mesure des enjeux nouveaux des marchés financiers et à même de tenir son rang face à ses homologues étrangers. Ce sera une autorité forte, collégiale, dotée de moyens de fonctionnement importants et de pouvoirs de sanction renforcés. L'intervention équilibrée des professionnels et des représentants des grands corps de l'Etat lui donnera toute sa légitimité. L'organisation de la procédure de sanctions permettra, avec une commission spécialisée, de répondre aux exigences légitimes de la préservation des droits de la défense. Vous avez noté que le gouvernement propose que cette autorité soit dotée de la personnalité morale. Il est en effet indispensable qu'une autorité de cette taille puisse recruter ses collaborateurs librement, en bénéficiant directement des ressources prélevées sur les opérateurs et sans devoir dépendre de contributions budgétaires toujours difficiles à négocier. C'est aussi le moyen de responsabiliser l'autorité vis-à-vis des juridictions. La question des moyens, vous l'avez souligné dans votre rapport, est une question-clé : il ne servirait à rien de créer des autorités qui ne disposeraient pas des moyens d'agir.
Concernant le volet prudentiel, la fusion de la commission de contrôle des assurances et de son institution soeur en matière de mutuelles et d'institutions de prévoyance, dont vous avez relevé qu'elle répondait logiquement à l'évolution des activités d'assurance, permettra une plus grande cohérence et une plus grande efficacité. C'est aussi une réforme importante. Le rapprochement des collèges de la Commission bancaire et de la nouvelle Commission de contrôle des assurances, mutuelles et institutions de prévoyance, ainsi que des échanges de compétences au niveau technique, permettront également de renforcer l'efficacité de deux instances. Pour autant, la spécificité des secteurs concernés justifie le maintien de deux autorités prudentielles.
Enfin, votre projet d'avis s'inquiète de la suppression du Conseil national du crédit et du titre et rappelle l'importance de préserver une instance de concertation et de dialogue pour le secteur financier : votre souci est entendu, puisque ce sera précisément le rôle du futur Comité consultatif du secteur financier.
La régulation ne s'exerce pas en vase clos, mais dans un environnement européen de plus en plus intégré. Dans le passé récent, la France a mené une action décisive. La constitution du comité des sages présidé par M. Lamfalussy a permis d'institutionnaliser la coopération entre régulateurs boursiers nationaux au sein du comité des régulateurs, et d'instaurer des liens entre ces derniers et les institutions communautaires. Ce système nouveau, de type fédéral, effectue un travail considérable, à tous les niveaux. Il est clair que ce processus a vocation à être étendu, pour une plus grande cohésion dans un marché financier en voie d'intégration.
De même, la stabilité et la gouvernance des marchés constitueront un axe majeur de la présidence française du G7, qui a débuté en janvier. Afin de la préparer, j'ai demandé à Michel Prada de dresser un état des lieux et de réfléchir aux propositions que la France pourrait avancer auprès de ses partenaires. Sur ces bases, je rencontrerai mes collègues à Paris le mois prochain. Nous évoquerons plusieurs autres questions-clés pour la stabilité du secteur financier.
La prise en considération de l'environnement européen n'est pas une simple clause de style. Elle s'impose aussi bien pour la régulation prudentielle que pour le contrôle concurrentiel. Votre choix de traiter ensemble ces deux questions dans le rapport que vous examinez aujourd'hui le montre bien. L'enjeu essentiel de la régulation concurrentielle, au plan européen et donc au plan national, est aujourd'hui celui de l'adaptation du contrôle des concentrations aux enjeux de la réalité économique.
Il ne s'agit pas dans l'esprit du gouvernement, pas plus bien sûr que pour la Commission, de faire céder les exigences du droit de la concurrence devant les exigences d'une politique industrielle, que cette dernière soit définie au niveau national ou européen. Présenter l'enjeu en ces termes reviendrait à s'exposer à coup sûr à un échec aussi bien technique que politique. Non, l'objectif de la France, dans le contexte de la nécessaire adaptation des principes et des modalités de contrôle des concentrations, est d'aboutir à un droit de la concurrence plus clair, plus stable et plus efficace, ce qui suppose la recherche d'un point d'équilibre entre les intérêts généraux et particuliers en présence. C'est cet objectif qui inspire nos positions dans le contexte de la révision en cours du règlement communautaire sur les concentrations, dont votre rapport rappelle à juste titre l'importance. Cette révision doit en effet conforter le contrôle communautaire des concentrations, dont la légitimité est réelle mais dont la mise en uvre a fait l'objet de critiques, notamment de la part des juridictions communautaires. Il convient maintenant d'en tirer les leçons.
Le gouvernement français souhaite ainsi, dans les travaux qui s'engagent, mettre tout d'abord l'accent sur la nécessité du renforcement des contre-pouvoirs, au sens positif du terme, dans le cadre de la procédure et dès la prise de décision. Sans alourdir davantage la procédure, il serait raisonnable de reconnaître aux Etats rapporteurs, dans le cadre du comité consultatif, un pouvoir de proposition qui conduirait la Commission à devoir se prononcer non seulement sur les propositions de ses services, mais aussi sur celles des Etats, formulées dans le cadre du comité.
Le gouvernement insiste ensuite sur le maintien et le renforcement des mécanismes de renvoi entre la Commission et les autorités nationales. L'objectif de ces procédures est bien d'assurer une meilleure application du droit et non une façon de contourner les autorités compétentes. Il convient de préserver la souplesse et la simplicité nécessaires à la qualité de ces procédures, en veillant aux aménagements indispensables.
La garantie de délais de décision et de recours raisonnables, c'est-à-dire conformes aux impératifs de la vie des entreprises, est également nécessaire. Quelles que soient les questions de droit ou de fait posées par une affaire de concentration, il n'est pas normal que, les délais d'instruction s'ajoutant aux recours, un dossier reste ouvert plusieurs années sans égard pour les atteintes ainsi portées aux intérêts fondamentaux des entreprises, de leurs salariés et de leurs partenaires.
Autre point important : il faut lancer une réflexion approfondie sur la mise en uvre des critères de fond, pour une bonne prise en compte des gains d'efficacité et de progrès économique, dont le consommateur est un des bénéficiaires. Il ne faut pas s'interdire de modifier le règlement sur ce point si cela s'avère nécessaire, même si c'est d'abord une question de pratique.
Ces orientations mériteront d'être confortées ou adaptées par une consultation de la communauté des affaires et des instances de consultation et de concertation compétentes. A cet égard, vos travaux apportent une contribution précieuse.
S'il faut des régulateurs forts, il faut aussi que le champ de la régulation soit complet et les acteurs solides sur tous les maillons de la chaîne de la transparence financière, comme vos travaux l'ont clairement montré. Or, au-delà du champ de la régulation, il demeure des entités non régulées, dont l'activité est régulièrement considérée comme un facteur de déstabilisation des marchés financiers ou, au moins, d'amplification de leurs évolutions. Une réflexion doit s'engager, au niveau international, sur les obligations de transparence de ces entités et sur les techniques qui leur permettent de prendre des positions parfois massives. L'AMF devra jouer tout son rôle pour que notre cadre juridique soit adapté sans cesse à des métiers en constante mutation, et j'attends des recommandations d'action des régulateurs sur ces questions importantes.
Par ailleurs, certains acteurs produisent sur les entreprises de l'information indépendante, qui prend aux yeux du marché une valeur particulière, presque d'intérêt général. Ces " auxiliaires de la transparence " méritent une attention spécifique. S'agissant des commissaires aux comptes, notre cadre juridique et nos pratiques sont d'ores et déjà bien souvent en avance par rapport à ce que l'on trouve ailleurs en Europe et outre-Atlantique : nous devons maintenir cette exemplarité dans un contexte difficile, ce à quoi le projet de loi de sécurité financière s'attache, vous le savez, en posant plusieurs principes clairs. S'agissant des analystes financiers et des agences de notation, les réflexions sont en cours. Ce sont des sujets majeurs qui requièrent une étroite concertation internationale. J'y veillerai lors de la présidence du G7.
Bien entendu, tous ces éléments externes de contrôle ne remplaceront jamais la bonne gouvernance des entreprises, qui est à la source d'une bonne maîtrise des risques. Vous savez quelle est ma conception du rôle de l'Etat dans ce domaine : les entreprises doivent s'engager résolument à mettre en uvre les meilleures pratiques et l'Etat poursuivra, quant à lui, la modernisation du cadre législatif pour garantir mieux encore l'exercice des contrepouvoirs, notamment par l'assemblée générale des actionnaires. L'Etat mène également sa propre réflexion pour ce qui concerne les entreprises dont il est actionnaire : j'ai demandé à René Barbier de la Serre de dresser un bilan de la manière dont l'Etat assume son rôle d'actionnaire et de faire des propositions concrètes d'évolution.
Tout ceci nous amène bien sûr aux normes comptables, car il n'y a pas de régulation efficace sans règle comptable pertinente, ces normes devant permettre de mesurer les risques de manière lisible et sans effet pervers. C'est une question austère mais vitale : votre rapport en souligne à juste titre l'importance. La France soutient le choix européen des normes IAS pour les comptes consolidés des sociétés cotées, mais celui-ci n'implique pas pour autant une adoption aveugle. Les normes retenues ne doivent pas accroître l'instabilité financière, ni pénaliser indûment la situation compétitive des entreprises européennes. C'est le message que j'ai passé au Commissaire Bolkestein et le débat est ouvert. Les normes comptables doivent aussi permettre de mieux encadrer les montages dits déconsolidants. Les règles de consolidation seront ainsi renforcées dans la loi de sécurité financière, pour éviter que ne puissent subsister des risques qui ne seraient consolidés par aucune entité.
Pour conclure, je dirai que les autorités françaises de régulation ont jusqu'à présent bien rempli leur rôle, mais que leur architecture est trop complexe et peu lisible pour les consommateurs et les épargnants, ainsi que pour les professionnels français et étrangers. La multiplicité des autorités peut par ailleurs constituer un handicap du point de vue européen et diluer notre action auprès de nos partenaires. Il faut donc renforcer le contrôle des marchés, avec la création d'autorités plus fortes, efficaces, indépendantes, responsables devant les juridictions et devant le législateur qui est la source de leur légitimité. Il faut aussi des règles du jeu claires pour une régulation plus efficace de nos systèmes complexes. Vos réflexions arrivent donc à point nommé et soyez sûrs que j'en ferai bon usage.
Je vous remercie de votre attention ".
(source http://www.conseil-economique-et-social.fr, le 24 mars 2003)