Interview de M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, à "Europe 1" le 22 août 2003, sur les conséquences de la canicule dans tous les secteurs agricoles et l'aide du gouvernement aux agriculteurs, et sur le prochain sommet de Cancun.

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Média : Europe 1

Texte intégral

E. Martichoux - Merci H. Gaymard de faire votre rentrée, ce matin. Le Conseil de l'Agriculture, qui se tient cet après-midi à Matignon avec vous, les syndicats et donc le Premier ministre, est évidemment très attendu, vous le savez, puisque le monde agricole est très très fortement frappé par la canicule, on va en parler. Mais d'abord, si vous voulez bien, un petit flash back sur le Conseil des ministres qui s'est tenu hier matin. A lire la plupart des éditoriaux ce matin, des journaux régionaux, des journaux de province, le malaise n'a pas été dissipé par le Président Chirac, après la crise sur la canicule bien sûr.
- "Ecoutez, c'était un Conseil des ministres recueilli, compte tenu du drame que nous avons vécu cet été, et tourné vers l'action pour apporter dans tous les domaines, les réponses qui s'imposent. Nous avons fait face cet été, à une canicule et à une sécheresse exceptionnelle, le Gouvernement a fait face, il fait face et il fera face pour apporter les bonnes réponses. Et je crois dans mon secteur, avoir commencé de le prouver."
Alors, justement, vous avez été assez présent, cet été, auprès des agriculteurs, les syndicats d'ailleurs le reconnaissent. Vous avez effectué beaucoup de déplacements et de visites, vous avez bien communiqué. Si J.-F. Mattei avait fait la même chose que vous, finalement, mais lui aux services des urgences, est-ce qu'il n'y aurait pas eu moins d'interrogations ?
- "Les deux domaines ne sont pas comparables. J'ai été il y a quelques années, secrétaire d'Etat à la Santé. J.-F. Mattei est un excellent ministre de la Santé, on ne peut pas comparer les problèmes qui se sont posés en matière de santé publique cet été, notamment pour les personnes âgées, au problème de l'agriculture. C'est vrai que dans le domaine de l'agriculture, moi j'ai vu les choses venir depuis le mois de juin, l'apparition de la sécheresse, sa confirmation au mois de juillet, son aggravation au mois d'août, ce qui fait que, depuis la mi-juin, j'ai été pleinement mobilisé sur ce dossier. Mais j'imagine que sur les questions touchant à la santé publique, la brusque montée de température à la fin du mois de juillet, surtout dans la première dizaine du mois d'août, a fait que les choses se sont passées autrement."
Mais il y aura des leçons naturellement à tirer de cette tragédie, de cette crise terrible. On connaîtra plus tard le nombre exact des victimes, mais enfin c'est considérable. Au-delà de ça, au-delà de l'organisation des soins, est-ce que quand même, les ministres ne doivent pas tirer aussi une leçon de communication ? Ca paraît dérisoire, mais c'est important aujourd'hui.
- "Je crois que dans toutes les circonstances, et notamment les circonstances difficiles, le rôle du politique c'est d'être sur le terrain, et je crois que c'est depuis maintenant plus d'un an, ce que fait ce gouvernement. Nous avons été confrontés à de grosses difficultés : la pollution, les inondations dans le Sud-Est, l'année dernière, les feux de forêt, le gel que j'ai subi également au printemps, la sécheresse maintenant, je crois pouvoir dire que sur tous ces sujets, les ministres de J.-P. Raffarin et J.-P. Raffarin lui-même, ont été en permanence sur le terrain."
Le Conseil agricole se tient cet après-midi, présidé par J.-P. Raffarin. C'est un Conseil qui était prévu d'ailleurs de longue date, mais son ordre du jour est évidemment commandé par l'extrême difficulté du monde agricole. Quelle est la facture, H. Gaymard ? Ces derniers jours un chiffre circulait : un milliard d'euros. Ce matin, dans La Tribune, le président de la FNSEA avance le chiffre de 4 milliards d'euros. Le vôtre ?
- "Je crois que tout le monde sait que le coût est élevé pour les agriculteurs, et que la solidarité nationale doit jouer. Je ne suis pas en mesure aujourd'hui, de vous donner un chiffre précis des dommages économiques, mais je dirais plusieurs milliards d'euros..."
Plusieurs milliards d'euros... Entre 1 et 4 ?
- "Oui entre 1 et 4."
Ce sera une facture qui est attendue quand même, parce que c'est important pour les agriculteurs. Cet après-midi, votre estimation sera donnée, plusieurs milliards d'euros, entre 1 et 4.
- "Plusieurs milliards d'euros, oui."
Les syndicats précisent évidemment, d'ailleurs, que les dégâts vont être à retardement. Vous êtes allé sur le terrain. Par exemple, ils ont dû puiser dans leurs réserves de fourrage. Qu'est-ce qu'il leur restera pour cet hiver ?
- "Ce qui est très frappant dans cette sécheresse, c'est qu'on a vu, semaine après semaine, des problèmes nouveaux arriver. Le premier problème qui est arrivé, ça a été le manque de fourrage pour les éleveurs, ensuite ça a été la baisse des rendements pour les productions céréalières, plus de 15 à 25 % selon les régions et les productions. Nous avons vu ensuite les problèmes de surmortalité dans les élevages de poulet, où je me suis rendu cet été dans les départements..."
Les images étaient tout à fait...
- "... du Finistère et du Morbihan. Nous avons maintenant le problème des fruits d'automne..."
Tous les secteurs sont touchés, toutes les filières agricoles ?
- "Tous les secteurs sont touchés. En matière laitière, on aura sûrement une baisse de rendement, donc c'est vraiment une sécheresse qui affecte toutes les régions françaises et toutes les filières, et il faut faire du cousu main pour apporter des réponses aux problèmes de chacune de ces filières."
Et donc une sécheresse qui n'a pas fini de se faire sentir, encore une fois, ses effets au cours de l'année qui va venir. La première chose que réclament les syndicats, c'est une année blanche sur les charges sociales, c'est le minimum, disent-ils. Vous leur direz oui, c'est jouable ?
- "Ce que je voudrais dire, c'est que depuis le début, nous avons donné déjà beaucoup de réponses. La première ça a été l'autorisation de pâturer les jachères, obtenue de Bruxelles dès le début juillet, ensuite nous avons mis en place une aide financière pour l'achat et le transport de foin pour nourrir le bétail, nous avons ensuite décalé la perception des cotisations sociales au 15 décembre et obtenu de Bruxelles, d'anticiper le versement des aides européennes, pour soulager la trésorerie des agriculteurs. Et maintenant, avec cette réunion de cet après-midi, avec la réunion des calamités agricoles vendredi prochain, nous avons à décider un certain nombre de choses."
Alors l'année blanche, vous le savez, c'est très attendu. C'est jouable ?
- "Il faut que l'on trouve le moyen de donner satisfaction à cette demande, il n'est pas sûr que techniquement, ce soit possible, je ne veux pas rentrer dans les détails. Moi, ce que je souhaite, c'est qu'on apporte les bonnes réponses qui permettent de répondre au problème de trésorerie des agriculteurs, et nous y arriverons."
Mais enfin, c'est un dossier qui a été soigneusement étudié ces derniers jours, ces dernières heures, avec beaucoup de navettes, entre vous, le Budget, Matignon...
- "Ecoutez, je ne veux pas rentrer dans le détail, pour vos auditeurs... Mais il y a un problème européen aussi par rapport aux contraintes bruxelloises, donc je ne veux pas rentrer dans le détail, mais je crois que ce qui compte c'est le résultat et comment on soulage la trésorerie des agriculteurs."
Et là-dessus, en tout cas vous, vous êtes favorable à cette année blanche ?
- "Je suis favorable à ce qu'on ait des mesures qui répondent au problème de trésorerie des agriculteurs. Je ne peux pas vous dire, aujourd'hui, que l'année blanche demandée est possible, parce qu'on a de gros problèmes de compatibilité avec Bruxelles. Enfin je ne veux pas rentrer dans le détail, je crois que ce qui compte, c'est le résultat et l'effet sur la trésorerie des agriculteurs, quels moyens on utilise ? Je crois que c'est relativement secondaire par rapport au résultat."
Il y a aussi le Fonds National de Garantie des Calamités Agricoles, FNGCA, on lit beaucoup ce sigle ces derniers jours dans la presse. D'ailleurs tous les agriculteurs ne peuvent pas y prétendre, mais quoi qu'il en soit, c'est un fonds qui n'est pas ruiné mais qui n'a pas énormément de fonds précisément. Il a été très peu, même sous-alimenté par l'Etat ces dernières années. C'est illogique, c'est immoral, disent les syndicats...
- "Oui, mais il sera abondé..."
Il sera abondé ?
- "Il sera abondé bien évidemment. Vous savez, quand on a préparé le budget pour 2003, on ne pouvait pas savoir qu'il y aurait cette sécheresse. On a dû faire face, l'année dernière, aux inondations du Sud-Est, au printemps au gel dans la vallée du Rhône, dans le Val de Loire et dans l'Est, pour mettre en place des indemnisations. Nous avons maintenant une sécheresse centenaire, puisque c'est bien de cela dont il s'agit, ce n'était pas prévisible en décembre 2002, quand on a voté le budget. Donc le Fonds des Calamités Agricoles sera abondé budgétairement, et le Premier ministre dira cet après-midi, à quelle hauteur."
Je ne sais pas si vous avez entendu tout à l'heure, sur Europe 1, il y avait un reportage à 7 heures, d'un agriculteur du Tarn et Garonne qui, avec son fort accent, se demandait si la France voulait garder ses agriculteurs, il mettait l'accent évidemment sur l'installation des jeunes, des prêts bonifiés. Est-ce que vous allez les aider ? Il y en a beaucoup qui disent " il n'y en a que la moitié qui vont pouvoir surmonter cette crise, les autres vont jeter l'éponge ".
- "Deux remarques : la première, je comprends le désarroi d'un agriculteur qui est dans la difficulté, puisque cette crise de la sécheresse fait suite à beaucoup de crises - la vache folle, j'en passe et des meilleures, des mises en cause permanentes et répétées. Mais moi, je voudrais dire que comme ministre français de l'Agriculture, quand je suis à Bruxelles, quand on défend l'agriculture devant l'Organisation Mondiale du Commerce à Genève, on dit toujours que la France défend trop ses agriculteurs, et moi je suis fier de les défendre. Nous avons maintenant un énorme problème avec cette sécheresse, nous avons déjà apporté des réponses, nous apporterons d'autres réponses. S'agissant de l'installation des jeunes, s'agissant des problèmes des jeunes, il est vrai qu'il y a un problème général d'installation, je ne rentre pas dans le détail, mais nous y travaillons et nous avons déjà apporté des réponses, et notamment la prolongation du principe des prêts bonifiés, ça c'est une chose. La deuxième chose, c'est s'agissant de la sécheresse elle-même, il est clair que cette sécheresse fragilise plus les jeunes qui viennent de s'installer que des exploitations qui fonctionnent déjà depuis une décennie ou plus, et nous aurons des réponses spécifiques pour les jeunes."
Une petite question pour cet après-midi, [sur] la composition de votre réunion. J. Bové n'est pas là, la Confédération n'était pas invitée ?
- "Le Premier ministre reçoit le Conseil de l'agriculture française..."
Qui comprend les principales composantes, mais pas les minoritaires ?
- "Qui comprend le syndicaliste majoritaire, la Coopération Agricole, le Crédit Agricole, la Mutualité Sociale Agricole. Donc c'est une instance officielle qui existe, qui s'appelle le Conseil de l'agriculture française. Pour ce qui me concerne, comme ministre de l'Agriculture, ma porte est ouverte à tout le monde, et je reçois toujours toutes les organisations syndicales, qu'il s'agisse de la Confédération Paysanne, de la Coordination Rurale ou du MODEF, bien évidemment."
Il avait d'ailleurs annoncé, au Larzac 2003 qu'il serait reçu au ministère de l'Agriculture, vous l'avez vu ?
- "Non pas encore, mais il n'y a pas de problème. Vous savez, moi je vois tout le monde et j'ai vu J. Bové à de nombreuses reprises, on a toujours des conversations intéressantes."
Donc il le sait, il est invité, justement il voulait vous parler de Cancùn évidemment, l'agriculture est un des dossiers les plus épineux de ce sommet sur le commerce mondial. Les pays pauvres attendent que les pays riches finalement, baissent leurs aides à l'agriculture, à leurs subventions à leurs agriculteurs, ce qui panique les Français, notamment.
- "Sur Cancùn, il y a beaucoup de démagogie de la part de J. Bové, parce qu'il dit " il faut faire échouer Cancùn et il qu'il n'y ait pas d'Organisation Mondiale du Commerce ", moi je pense exactement le contraire. De la même manière qu'on a une ONU dans le domaine politique, il faut une ONU commerciale et il faut une Organisation Mondiale du Commerce. Mais ceci étant, moi je n'accepte pas un certain nombre de règles de l'Organisation Mondiale du Commerce. C'est pourquoi il faut que l'Europe parle d'une seule voix, pour défendre notre modèle agricole européen, qui respecte l'homme et l'aménagement de nos territoires ruraux. Nous allons avoir un combat extrêmement difficile. Moi, je pense, pour résumer, qu'il faut des politiques agricoles actives, tant dans les pays du Sud que dans les pays du Nord et que ce qui compte, pour le résultat de Cancùn, c'est qu'au total on ait amélioré la situation agricole des pays en voie de développement, et que l'on n'ait pas favorisé les intérêts commerciaux des grandes puissances agro-exportatrices, notamment anglo-saxonnes. "
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 22 août 2003)