Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, à BFM le 1er septembre 2003, sur la politique budgétaire, la rentrée scolaire, la politique en faveur des personnes âgées et les relations entre l'UDF et l'UMP dans la perspective des élections régionales de 2004.

Prononcé le 1er septembre 2003

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Média : Radio BFM

Texte intégral

Question de Valérie Lecable sur les chiffres de l'économie française.
Cela fait des mois qu'on sent venir ces chiffres. Ces chiffres sur la table nous imposent un devoir qui est simple c'est ne pas accepter et réagir. Les déficits lorsqu'ils sont, comme en France, chroniques, entraînent des montagnes de dettes qui s'accumulent. Cette dette-là va nous handicaper pour des générations. Je veux dire que les jeunes Français qui ne travaillent pas encore, vons voir leur niveau de vie, quand ils travailleront, écroulé et voir le nombre d'emplois baisser en France simplement parce qu'on n'aura pas su avoir des finances publiques saines. Et bien, c'est une situation qu'il ne faut pas accepter. Le sentiment très réservé que j'ai eu devant la décision du gouvernement de demander à Bruxelles, l'autorisation de faire plus de déficit alors que nous sommes déjà la lanterne rouge de l'Europe, comme vous venez de le rappeler : c'est pour cette raison qu'on ne peut pas laisser faire. Si l'on est responsable, on doit dire que cette situation est inacceptable pour un grand pays comme le nôtre.
Si nous sommes la lanterne rouge de l'Europe est ce que c'est parce que nous faisons moins bien que les autres ? Le gouvernement parle toujours du déficit de croissance en Europe pour justifier ces difficultés, mais est ce qu'en réalité, la politique économique du gouvernement est moins bonne que celle de ses voisins ?
Oui, pas seulement du gouvernement. Les gouvernements précédents portent une lourde responsabilité. Le gouvernement socialiste a été aux affaires pendant le temps de la croissance et naturellement c'est plus facile de rééquilibrer les comptes publics pendant le temps de la croissance que pendant les temps, comment dirais-je, plus difficiles ou plus durs que nous vivons. Donc, il y a une responsabilité très importante des gouvernements précédents mais nous ne pouvons pas nous inscrire dans la même ligne. Nous devons avoir le courage, la volonté de nous inscrire dans la ligne d'un rééquilibrage progressif des comptes publics et de ne pas raconter d'histoire aux Français. Ou plus exactement, de nous inscrire dans la ligne du rééquilibrage des comptes publics en ne racontant pas d'histoire aux Français. Or, quand on dit aux Français on va continuer à baisser vos impôts, d'abord je ne crois pas que ce soit faisable, et si on le faisait ça voudrait dire que l'on fait des transferts, et que par exemple en baissant les impôts nationaux on augmenterait les impôts locaux, ce qui est au fond prendre dans une poche pour mettre dans une autre. Mais c'est surtout une présentation qui ne dit pas la vérité. On peut baisser les impôts quand on baisse la dépense publique. Ça, c'est une baisse d'impôt vertueuse. On peut en discuter, il y a des gens qui sont pour, il y a des gens qui sont contre, on a des débats sur ce sujet, mais au moins c'est une baisse d'impôt réelle. La baisse d'impôt que nous aurions là, c'est une baisse d'impôt qui va se faire en accroissant le déficit déjà abyssal de la France. Et cela n'est pas, selon moi, un choix de gouvernement dans le bon sens.
On est à quelques jours des arbitrages budgétaires pour le budget de l'année prochaine. Est-ce que vous craignez que la réduction de la dépense publique ne soit pas suffisamment importante à cette occasion-là. Est-ce vous souhaiteriez que le gouvernement Raffarin aille plus vite, plus fort, plus rapidement ?
Il y a deux aspects dans cette affaire, il y a la réduction de la dépense. La réduction de la dépense, elle ne peut résulter que d'une stratégie qui dira où sont les secteurs prioritaires et cela il faut les sanctuariser.
Ça fait un an que le gouvernement est en place, il a défini le secteur prioritaire, la défense, selon lui
Avec des hésitations quelques fois. Mais s'il le fait, c'est bien. Pour moi, je n'y vois pas clair. Moi j'ai souvent dit l'administration de papier. Secteur administratif très lourd en France, sur lequel il faut faire des économies. Et puis les secteurs qui sont des secteurs de terrain, sur lesquels il faut protéger les moyens. Alors je ne dis pas que tout ça soit facile, mon inquiétude, elle est sur l'orientation : on va laisser filer le déficit parce que cela alimente la croissance ; d'abord je n'y crois pas, en tout cas pas sous cette forme, et elle m'inquiète étant donné les déficits déjà abyssaux qu'il faudra bien payer un jour parce que tout ça, c'est reculer pour mieux sauter.
61 % la dette de la France, c'est aussi la plus importante d'Europe
Vous savez, on dit 4 % de déficit, alors il se peut, non pas vos auditeurs qui sont très avertis, mais qu'un grand nombre de Français se disent que 4 % après tout c'est pas grand-chose. La vérité c'est que c'est un déficit de 20 %. L'Etat, en France, les pouvoirs publics, les organismes publics dépensent chaque année 20 % de plus qu'il ne rentre dans les caisses.
Vous le calculez comment ce chiffre ?
C'est très simple, 4 % du PIB c'est 20 % des dépenses. Est-ce que vous connaissez une famille ou une personne simplement qui puisse garder le front serein quand elle dépense entre 15 et 20 % de plus de ce qu'elle gagne. Et bien, c'est impossible. Il faut s'attaquer à cette situation comme un pays courageux.
Alors, prenons un exemple précis, c'est demain la rentrée des classes, vous êtes ancien ministre de l'éducation nationale, les professeurs sont en colères notamment parce qu'on leur a ponctionné sur leurs feuilles de paies ce qu'ils n'ont pas travaillé, c'est-à-dire l'argent des jours de grèves. Est-ce que vous pensez qu'il fallait le faire, est-ce vous pensez que le gouvernement est trop dur pour les professeurs ?
Les jours de grève ont toujours été sanctionnés et les journées de grèves ont toujours été prélevées, la question c'est est-ce qu'on prélève les jours qui sont entre les jours de grèves.
Les jours fériés, oui
Si on veut sortir du conflit, je crois que l'accord a été trouvé, ou est en voie d'être trouvé, si l'on veut sortir d'un conflit, il faut une ambiance de confiance réciproque C'est évident qu'il faut une sanction financière des jours de grèves, mais cette sanction ne doit pas être excessive, voilà. On n'est pas un pays dans lequel il y a une espèce de guerre civile latente, et bien que le gouvernement s'inspire de ce climat pour trouver une situation avec les organisations syndicales. Je crois d'ailleurs que c'est fait.
Sauf que l'éducation nationale est le premier budget de la France et dans la suite de ce que nous étions en train dire, il faut réduire la dépense publique. J-P. Raffarin avait demandé à son ministre de trouver des moyens d'économiser de l'argent. Et c'est donc la conséquence de ce budget en réduction
Moi je n'ai jamais cru qu'on économiserait de l'argent sur l'éducation nationale
Pourquoi
De même que je ne crois pas qu'on économisera de l'argent sur les hôpitaux, ou sur la sécurité dans la rue. Ce sont des secteurs, où les Français à juste titre, demandent qu'il y ait de l'efficacité et donc des moyens. Mais vous le savez bien, dans l'Etat en France, il y a des secteurs entiers qui sont pléthoriques, surdimensionnés, et qui méritent qu'on ait une politique courageuse de redistribution. Ce n'est pas infaisable, mais cela demande du courage, enfin une volonté politique, qui parte de la vérité de la situation d'aujourd'hui qui est inquiétante.
Le Premier Ministre va lancer un grand débat sur l'école, il va monter en première ligne sur le sujet, est-ce qu'il a raison déjà de monter en première ligne ?
Oui
Ça fait partie de sa responsabilité ?
Pour moi l'éducation, vous le savez bien, c'est le sujet le plus important de la vie publique en France. Vous m'avez demandé un jour, pendant la campagne présidentielle, qu'elles étaient mes trois priorités. Et j'avais dit, un : l'éducation, deux : l'éducation, trois : l'éducation. Parce que même la sécurité cela commence par l'éducation. Même le travail, l'efficacité des entreprises, cela commence par l'éducation. Notons au passage, que si la France résiste dans la situation internationale très difficile où nous sommes, c'est parce que nous avons un peuple formé. Et bien, l'éducation c'est le sujet le plus important d'un gouvernement.
Il y a un grand débat national qui va être lancé sur l'éducation nationale, c'est Luc Ferry donc qui s'en occupe, il vous a invité à participer à ce grand débat. Y participerez-vous F.Bayrou ?
Si c'est juste, si cela n'est pas de façade, si cela n'est pas un habillage et si cela n'est pas pour la communication, bien sûr j'y participerai. D'ailleurs je n'ai jamais cessé de participer au débat sur l'éducation. J'ai écrit des livres, j'ai participé à beaucoup de réflexions sur ce sujet. C'est légitime quand on a été ministre de l'éducation que l'on se passionne pour ce secteur.
Jack Lang aussi a été invité, il dit qu'il réserve sa réponse pour l'instant
Et bien voilà, si c'est vrai, je suis sûr que d'un bord ou de l'autre les anciens ministres de l'éducation y participeront. Mais vrai, cela veut dire que cela serve à quelque chose et que cela ne soit pas uniquement de l'habillage.
Vous avez peur que ce soit un faux débat, en fait
J'ai l'habitude en France des débats qui sont des débats d'affichage, publicitaires et qui en réalité ne débattent de rien, et ne font pas avancer les choses. Donc, pour ma part, je souhaite que cela soit vrai, de bonne foi et profond.
Vous soupçonnez J-P. Raffarin de vouloir gagner du temps, on dirait
Non, tous les gouvernements, les uns après les autres, font ça. Et donc pour ma part, je n'y participerai que si c'est utile et vrai.
Vous n'avez pas l'air de croire beaucoup aux grands débats, en France. Il y a eu le grand débat sur la décentralisation, sur l'énergie, ça vous fait sourire ?
Franchement, interrogez tous les participants les uns après les autres, s'ils ont le sentiment à cette occasion d'avoir participé à un véritable débat, où on pouvait s'exprimer, approfondir les sujets, je vous offre une boite de chocolat. Parce que personne ne peut avoir ce sentiment. Ce sont des débats de façade, faits pour faire des images de télévision uniquement, dans lesquels les temps de parole, l'organisation du débat, tout ça est, voilà, sont faits pour la publicité, la communication, pas du tout pour l'approfondissement d'un sujet. Et donc, oui, en effet, jusqu'à maintenant, le débat en France, on peut pas dire que cela soit très intéressant.
Et l'école, vous avez peur que ce soit la même chose
Je suis persuadé que c'est possible. Mais ça demande beaucoup de temps, beaucoup de travail ou beaucoup d'humilité et un investissement qui n'est pas compatible uniquement avec des images de télévision. Il faut faire les choses beaucoup plus profondes.
Vous avez peur que, pour l'école, on aille sur le même registre ?
Et bien en tout cas, je souhaite que ce ne soit pas le cas.
Il y en a un qui veut lancer un débat, apparemment c'est Jacques Barrot, et c'est sur les 35 heures
C'est vrai que tout le monde dit à satiété que les 35 heures portent une responsabilité, très importante, dans la désorganisation, par exemple des hôpitaux, des services de santé, alors j'ai dis pourquoi ne s'en occupe-t-on pas ? Alors, si on s'en occupe, on va voir quelle forme va prendre cette réflexion sur l'organisation du temps de travail, en France.
La suppression d'un jour férié, c 'est une piste ?
La suppression d'un jour férié, moi je l'avais soutenue quand cela été fait en Allemagne. Parce que, j'avais trouvé très intéressant que les partenaires sociaux, les syndicats, les organisations patronales, le gouvernement, décident ensemble que pour financer un peu mieux les programmes sociaux, notamment le programme pour les personnes âgées, on allait travailler un jour de plus. J'ai trouvé ça civique. Donc si cette idée est reprise en France, très bien, mais deux choses, un : cela ne peut se faire que par accord général, il faut en parler, et, là encore, cela n'est pas de la communication, ce sont des choses profondes.
En Allemagne, il a fallu 10ans, il parait
Et puis deuxième sujet, c'est que cela ne se fera pas du jour au lendemain, d'un coup de baguette magique. Il faut se mettre d'accord, il faut apprécier combien cela va rapporter. C'est pourquoi j'ai dit que la priorité des priorités, si l'on doit faire ce qui est notre devoir, c'est un vrai plan pour rattraper notre retard en matière de personnes âgées. On vient de vivre, combien 11500 morts officielles jusqu'à maintenant et on verra quels sont les chiffres à son terme. C'est une tâche sur la France. On a rien fait alors qu'on aurait pu faire quelque chose, je crois. Et bien, si l'on veut rattraper ce retard, il faut le faire avec un financement sérieux, c'est pourquoi j'ai dit au minimum reportons d'un an la baisse d'impôt, qui est annoncée sans qu'on sache si elle va avoir lieu et si elle va donner lieu à des transferts de charges, soyons sérieux et finançons avec ça le montant du plan nécessaire.
C'est ce que vous avez dit effectivement à votre université d'été. Alors, cette université d'été, les commentateurs politiques, en tout cas, en ont tiré une autre leçon, et bien ce serait la décrispation, entre l'UDF et l'UMP. Vous auriez donné le signal du dégel. F. Bayrou, je vous écoute depuis quelques minutes, c'est pas tout à fait le sentiment que j'en ai. Mais d'un point de vue politique, les élections régionales s'approchent.
Ma ligne est la même, ma ligne est nous disons la vérité. Et nous disons la vérité avec deux idées. Nous pensons qu'un jour il faudra des réformes beaucoup plus profondes pour la France. Le jour viendra où les Français mesureront qu'il faut vraiment un changement de leur manière de vivre la démocratie, de l'organisation de l'Etat et du pouvoir, et une clarté dans les grandes orientations du pays. Ce jour viendra, nécessairement, sans cela je craindrais qu'on aille de désillusion en désillusion. Mais il y a le court terme et dans le court terme nous nous considérerons comme co-responsables de ce qui se passe. Nous ne sommes pas au pouvoir, à proprement dit vous le savez bien, mais nous nous considérons quand même comme responsable pour dire des orientations, pour avertir ; si on nous avait écouté, on aurait peut-être évité quelques accidents. C'est une attitude positive mais cela ne peut se faire que dans un esprit de partenariat. Partenaire, cela veut dire, je reconnais un, naturellement que vous existez, deux que vous êtes légitime, trois que vous avez votre différence, quatre que nous pouvons travailler ensemble. Si c'est, si c'était l'esprit, alors cela serait positif, si cela n'est pas l'esprit, naturellement rien ne se passera.
Ce mot partenariat sort à quelques semaines du lancement de la campagne pour les élections régionales ; Rhône-Alpes, Picardie, Aquitaine sont les trois régions où c'est sûr que vous serez tête de liste. Vous en voulez d'autres
Ne comptez pas sur moi pour entrer dans ces comptes d'apothicaire. Et quant à l'Aquitaine ma décision n'est pas prise, et je me réserve le temps nécessaire pour prendre cette décision. Cela n'est pas le sujet, le sujet c'est pas des partis qui vont faire des dosages entre eux. Le sujet c'est, comment on peut être utile à notre pays, la France, aujourd'hui en situation de crise. Vous venez d'en donner des détails chiffrés. En situation de crise profonde, comment on peut l'en sortir. Nous sommes persuadés, à l'UDF, que on peut l'en sortir à condition d'avoir l'oeil assez attentif pour voir les causes des problèmes et la volonté pour les traduire devant le pays en terme d'action. Et que c'est par la liberté que cela se fait et pas par la contrainte, voilà. C'est très simple.

(Source http://www.udf.org, le 5 septembre 2003)