Texte intégral
S. Paoli - Quelle France rurale pour 2020 ? S'inspirant d'une enquête de la DATAR, un projet de loi rurale sera présentée tout à l'heure en Conseil des ministres. Quelles formes l'émigration rurale prend-elle déjà ? Mais aussi, l'urgence de cette autre question : quand sera-t-il possible d'évaluer les conséquences de la sécheresse, qui continue, affectant les récoltes ? 49 départements ont déjà été classés en zone de calamité agricole, une aide est annoncée aussi aux filières non indemnisables, au titre des calamités, notamment le secteur de la volaille. Le président de la FNSEA, J.-M. Lemétayer, estime à environ 4 milliards d'euros les préjudices causés par la sécheresse. Il demande une "année blanche" en matière de charges sociales.
Pour commencer, cette autre question, qui est peut-être à la limite de vos compétences, encore que... Libération et Le Parisien, ce matin, posent une question : qui brûle les Maures ? Et ils ajoutent : peut-on envisager une action concertée ? Est-ce que c'est une question que vous vous posez aussi ?
- "Ce ne sont pas des sujets qui sont directement de ma responsabilité, mais je sais que D. Perben et N. Sarkozy, sur ce sujet, travaillent beaucoup. Il faut trouver les coupables, il faut les punir, puisque l'on sait bien que la plupart de ces incendies ont une origine criminelle. Mais étant ministre de la forêt, je suis évidemment bouleversé par ce qui se passe depuis plusieurs mois et j'aurai l'occasion, dans les jours qui viennent, avec ma collègue R. Bachelot, qui s'occupe également de la forêt avec moi, d'annoncer un certain nombre de mesures d'urgence et à plus long terme, pour la forêt. Il y a des mesures d'urgence à prendre, parce que, si on ne fait rien dans les prochaines semaines, on risque d'avoir, en cas de précipitations, des drames humains et écologiques qui vont se sur-ajouter à l'incendie. Et si on n'a pas une politique de très long terme pour reconstituer cette forêt, on le regrettera amèrement. C'est donc vraiment pour nous un été épouvantable : la sécheresse, la forêt... Mais il faut faire face."
Mais peut-on imaginer que, pour des raisons de spéculation foncière, des gens décident de supprimer toute une zone, en l'occurrence une partie du massif des Maures ? C'est une question que vous vous êtes posée ?
- "C'est une question que l'on se pose. Tout est possible et on ne sait pas ce qui se passe dans la tête des gens. Mais le rôle des pouvoirs publics est bien évidemment, s'il y a de telles mauvaises intentions derrière, d'abord de les réprimer, de les punir, et ensuite, de ne pas construire là où la forêt a été brûlée, mais de reconstituer la forêt. C'est la meilleure réponse."
Vous avez déjà beaucoup à faire avec la réalité d'aujourd'hui. 49 départements déjà classés en zone de calamité agricole. Y en aura-t-il d'autres ?
- "Oui, il y en aura d'autres, puisque la Commission des calamités agricoles s'est réunie une première fois le 29 août pour cette sécheresse. Elle va se réunir autant de fois qu'il le faudra dans les semaines et les mois qui viennent. Et les départements qui n'ont pas encore été retenus et qui devront l'être, le seront bien évidemment..."
Mais à quel moment pourrez-vous commencer à faire une estimation réelle sur ce qui s'est passé ? Parce qu'encore une fois, les récoltes ne sont pas terminées, la sécheresse non plus d'ailleurs. Quand pourra-t-on évaluer et quantifier tout cela ?
- "Je pense que d'ici la fin de l'année, nous pourrons le faire. Depuis que ce dossier est apparu, c'est-à-dire depuis le mois de juin en réalité - on a vu cette sécheresse s'insinuer au mois de mai ; ensuite, il a plu un peu et on s'est dit "ouf !" ; malheureusement, au mois de juin, elle est réapparue, elle s'est confirmée en juillet, aggravée au mois d'août -, on a essayé de coller aux problèmes des paysans, d'apporter des réponses concrètes. Cela a été, début juillet, l'autorisation de pâturer les jachères. Ensuite, nous avons donné une première aide pour le transport du foin. Nous avons ensuite obtenu de Bruxelles l'anticipation du versement des aides, qui pourra intervenir en septembre, pour la trésorerie. On a décidé le décalage des cotisations sociales. Le 22 août, nous avons mis en place le dispositif à la fois de calamité agricole et de prêt préférentiel. Bref, je ne rentre pas dans le détail... On a donc essayé de rester réactif tout du long. Et nous continuerons à l'être dans les semaines et les mois qui viennent, puisqu'il est vrai qu'on a vu - je l'ai vu presque en direct avec les paysans, depuis le mois de juin - d'abord l'élevage qui a été touché, parce qu'il y avait un déficit fourrager et qu'il fallait nourrir les bêtes. Ensuite, on a vu les moindres récoltes sur les céréales, le maïs et les oléoprotéagineux. Ensuite, on a vu apparaître le problème - je suis allé en Bretagne au mois d'août - dans les élevages de volailles, avec une surmortalité dans certains élevages de volailles et de porcs. Maintenant, nous avons des problèmes sur les fruits d'automne, en tout cas certains fruits d'automne. Donc, on voit bien que l'ensemble des productions sont touchées. Et on parlait de la forêt tout à l'heure : les incidences sur la forêt seront à plus long terme, parce qu'il y a une incidence visible, c'est le feu, mais il y a aussi la fragilisation des arbres... On voit bien à l'oeil nu, nous-même, même si on n'est pas tous des spécialistes, que les arbres sont secs, sont gris et cassent comme des allumettes."
Il y a coût effrayant de tout cela. 4 milliards, c'est l'évaluation que fait le président de la FNSEA. Est-ce que vous avez les moyens d'encaisser tout cela ? Comment allez-vous faire ?
- "Il est difficile de dire quel sera le coût total, mais sûrement sera-t-il quelque part entre plus d'un milliard d'euros et 4 milliards d'euros, on est donc dans des ordres de grandeur énormes. Il faut savoir que l'on a un dispositif, qui s'appelle les calamités agricoles, qui existe depuis 1964, qui est cofinancé..."
Tout le monde n'y a pas le droit...
- "J'allais le dire... Les calamités agricoles, qui concernent un certain nombre de productions, sont cofinancées par les paysans qui payent une contribution et par l'Etat. Donc, le mécanisme jouera à plein... Mais comme vous le dites très justement, il y a d'autres productions qui ne sont pas concernées, la volaille notamment. Et là, nous ferons du cousu-main..."
Qu'est-ce que cela veut dire, du "cousu-main" ? C'est une jolie formule, mais...
- "Cela veut dire que là où les calamités ne jouent pas, il faut utiliser d'autres instruments que nous avons. Nous avons des procédures dites "agriculteur en difficulté", fonds d'allégement des charges... Je ne rentre pas dans la technique, mais nous avons les moyens techniques de le faire. Et pour l'avenir, il faut améliorer notre système d'indemnisation et de prise en charge. Nous avions d'ailleurs un peu précédé le mouvement, puisque le Premier ministre, à la fin du premier semestre, avait nommé un parlementaire, M. Ménard, qui est député du Finistère, pour réfléchir et faire des propositions sur l'assurance récolte."
Qu'est-ce que c'est ? Faudra-t-il le faire avec des assurances privées ?
- "L'assurance récolte est un mécanisme qui existe déjà à titre expérimental en France, qui est très développé en Espagne par exemple, et qui consiste à faire davantage jouer le mécanisme assurantiel, pour assurer des risques qui ne le sont pas aujourd'hui. Mais évidemment, au début, il faut une mise de fonds de la puissance publique, compte tenu de la spécificité de ces risques assurables. C'est donc un travail sur lequel il faut progresser, à la fois sur le plan français, et aussi sur le plan européen, puisque, compte tenu du fait que la politique est très largement commune, même très largement commune, il faut que ces dispositifs de gestion de crise soient européanisés. C'est d'ailleurs ce que j'ai obtenu dans le compromis final du Luxembourg du 26 juin, où il y a un paragraphe spécifique consacré à ces questions de gestion des crises agricoles, parce qu'il est vrai qu'il faut améliorer notre système."
Agricole, agriculteur, "paysan" qui est un mot magnifique... Il en restera à l'horizon 2020 ?
- "Pays, paysage, paysan... D'ailleurs, ce n'est que dans la langue française... Je suis allé chez les Britanniques, il y a quelques mois, faire une conférence à Oxford sur les questions agricoles - vous savez qu'avec les Britanniques, on n'a pas tout à fait la même perception... Et je leur disais que tout se trouve dans les mots, parce que pour nous, "pays, paysage, paysan", c'est la même racine dans notre langue, alors qu'eux, pour dire les mêmes choses, ont "farmer" et "country", ils n'ont pas la même racine. C'est donc très français."
C'est pour que ces mots, précisément, gardent leur sens, que vous présentez un projet de loi aujourd'hui. Les paysans, en restera-t-il en 2020, dans ce pays, ou ne commence-t-on pas à voir des citadins qui décident d'aller vivre à la campagne et qui, petit à petit, peut-être pas toujours en le voulant d'ailleurs, sont en train de modifier l'aspect de la campagne ?
- "Aujourd'hui, on a vraiment des ruralités au pluriel. Globalement, ce que l'on appelle le monde rural, a plutôt retrouvé le niveau d'habitants qu'il y avait il y a une vingtaine d'années. On a donc eu un déclin de la population ; maintenant, nous avons un regain de la population, mais évidemment, ce n'est pas la même population qu'avant. Et dans ces territoires ruraux, on a en gros trois types de territoires : on a la campagne des villes, c'est toute la ruralité péri-urbaine ; on a ensuite une ruralité très désertifiée, où les emplois sont supprimés, où il y a un exode rural, d'ailleurs où le taux de chômage n'est pas forcément élevé parce qu'il ne reste plus grand monde et où on voit la déprise agricole ; et enfin, vous avez une ruralité qui n'est pas à la proximité des villes, mais qui fonctionne bien, pour des raisons diverses - le tourisme, avec une bonne desserte routière -, on a aussi une ruralité dynamique. Ce que nous avons essayé de faire dans cette loi, dans les mesures qui seront arrêtées cet après-midi par le Premier ministre à l'occasion d'un Conseil interministériel à Matignon, c'est, avec évidemment les collectivités locales qui jouent déjà un rôle très important, avec toutes les associations qui travaillent dans ce domaine-là, de faire en quelque sorte une boîte à outils pour prendre en compte cette nouvelle ruralité."
L'OMC et Cancun, vous allez y aller ?
- "Oui, je pars lundi, avec F. Loos."
Vous dites que cela ne va pas être facile ?
- "Non, cela ne va pas être facile."
Vous signerez ou pas ? J. Bové dit qu'il ne faut pas signer un accord là-bas.
- "Il y a le fond et la forme. Sur la forme d'abord, la méthode de négociation est la suivante, s'agissant des pays européens : c'est depuis 1957 que c'est la Commission européenne, donc en l'occurrence M. Lamy, qui négocie au nom des Etats-membres. Le commissaire européen a donc un mandat de négociation qui a été défini par les Etats-membres en 2000, et c'est sur la base de ce mandat de négociation qu'il doit négocier. Les ministres des Etats-membres seront donc là pour travailler avec le commissaire, pour défendre nos positions dans l'OMC. Les décisions à l'OMC se prennent selon la méthode du consensus, il n'y a pas de vote formel. Mais il n'y a pas de majorité qualifiée en quelque sorte. C'est donc une négociation qui est lente, qui est longue, qui dure des années, et d'ailleurs, Cancun, c'est très important, mais ce n'est pas la fin du cycle de négociation. Parce que l'on croit que Cancun c'est la fin... Pas du tout. La fin du cycle, c'est le 31 décembre de l'année prochaine. Cancun est donc une étape majeure, mais ce n'est pas la dernière étape du cycle en tout cas. Ca, c'est sur la forme. Sur le fond, il faut être clair : il y a, dans le domaine agricole, deux visions du monde. Il y a une vision qui est véhiculée par les grands pays anglo-saxons plus le Brésil - c'est curieux, compte tenu en plus de l'arrivée de Lula au pouvoir, mais en tout cas, il y a une sorte d'alliance objective sur une vision très libérale des échanges agricoles -, qui consiste en gros à dire que les pays qui sont dotées de grandes plaines et de grands territoires, avec des facteurs de production peu coûteux - je pense à la main-d'oeuvre, qui est sous-payée dans certains pays -, ont vocation à nourrir le reste du monde. Donc, partout ailleurs - c'est ce que l'on appelle la "théorie de l'avantage comparatif" chez les vieux économistes -, on n'aurait qu'à acheter les produits qui seraient produits dans une dizaine de grands pays au monde. Nous, nous avons une vision complètement inverse, parce que nous pensons que l'agriculture, ce n'est pas seulement la production de biens alimentaires. C'est évidemment cela d'abord, mais ce sont aussi les terroirs, les territoires, ce que l'on appelle, dans un mot qui n'est pas très joli mais qui veut bien dire ce qu'il veut dire, la "multifonctionnalité". C'est une vision qui est défendue par l'Europe, qui est défendue par un pays comme la Norvège qui n'est pas dans l'Europe, qui est défendue par le Japon, un certain nombre de pays en voie de développement qui travaillent avec nous. On a là une vraie confrontation politique, au meilleur sens du terme."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 3 septembre 2003)