Texte intégral
Monsieur le Directeur de Cabinet du Ministre délégué à la Recherche et aux Nouvelles Technologies, cher Bernard BIGOT,
Monsieur le Président du Palais de la découverte, cher Jean AUDOUZE,
Monsieur le Président de l'INRA, cher Bertrand HERVIEU,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
" Un aliment doit être non seulement bon à manger, mais aussi bon à penser ", écrivait Edgar MORIN. L'intérêt de l'exposition qu'il me revient d'inaugurer avec vous ce soir tient, avant tout, à la compréhension qu'elle nous offre de l'alimentation et du rôle essentiel qu'y jouent la recherche et l'innovation.
Je voudrais, à cet égard, adresser mes plus sincères félicitations aux équipes du Palais de la découverte et de l'INRA, qui y ont contribué, et leur dire le plaisir que j'ai éprouvé à la visiter. Que mange-t-on ? Mange-t-on de façon équilibrée ? Que mangera-t-on demain ? A travers ces quelques questions, ils ont porté leur attention sur l'essentiel, et présenté l'état des connaissances scientifiques dans ces domaines, suivant une mise en scène ludique et imagée, dont les salles Dans le corps, le goût et la planète nourricière sont parmi les meilleurs exemples.
Le mérite de cette exposition tient précisément à la variété de ses questionnements.
Ces dernières années, l'accroissement de la productivité, l'industrialisation des productions alimentaires, la diversification de l'offre de produits alimentaires, et l'évolution des modes de consommation ont, en effet, profondément modifié notre rapport à l'alimentation. Si la quête de nourriture a cessé d'être, pour le plus grand nombre, un problème de tous les instants, le paradoxe de l'abondance touche désormais nombre de consommateurs plongés dans l'incertitude des choix.
Dans le même temps, plusieurs crises sanitaires sont venues progressivement affecter la confiance que les consommateurs placent dans notre alimentation. Et ce n'est qu'à cette occasion que ces changements ont fait l'objet d'une prise de conscience collective. Cette situation est d'autant plus paradoxale que nous disposons d'une alimentation de plus en plus sûre.
Insensiblement, les préoccupations de nos compatriotes ont alors glissé du domaine quantitatif au domaine qualitatif. Ce basculement du " produire plus " vers le " produire mieux " est une tendance qui s'inscrira probablement dans le temps, et pèsera à la fois sur les orientations et les métiers de la recherche, le contenu des politiques publiques et la concurrence entre opérateurs économiques.
Aussi importantes soient-elles, ces modifications n'ont toutefois pas touché le cur de notre culture et de notre mode de vie, dont l'alimentation est un symbole fort, qui repose sur la diversité des produits et des usages, la richesse des savoir-faire, et la variété des techniques de conservation et de transformation de nos produits vivants.
L'innovation, et plus largement la recherche, à l'honneur dans cette exposition, contribuent largement à améliorer notre alimentation.
Le service public de recherche - et tout particulièrement l'INRA - doit préserver sa position d'excellence. L'Etat s'engagera de plus en plus sous forme de contrats pluriannuels et facilitera la coopération avec l'enseignement supérieur. Pour sa part, l'INRA apportera au Gouvernement son expertise dans l'élaboration des réglementations et dans les négociations internationales sur les questions émergentes, l'épidémiologie, l'évaluation et le suivi de l'innovation et des risques. Je l'invite également à travailler étroitement avec les entreprises européennes, notamment dans le domaine des sélections animales et végétales, de façon à les éclairer dans le domaine de la stratégie et sur les questions de propriété intellectuelle.
Au cours de ces derniers mois d'action, j'ai acquis la conviction que nous devons aborder ensemble les questions de la sécurité sanitaire, de la qualité de notre alimentation, de l'implication des consommateurs et de la préservation de notre modèle alimentaire. Ce sont là quatre orientations que j'entends poursuivre conjointement, et ce sont également celles auxquelles doit s'attacher notre outil de recherche.
Garantir la sécurité alimentaire, tout d'abord. En toute circonstance, le consommateur doit avoir accès à une production alimentaire saine, sûre et qualitativement optimale, tant du point du vue organoleptique que nutritionnel. La sécurité concerne tous les maillons de la chaîne alimentaire depuis le consommateur jusqu'à l'agriculteur, dans leurs choix et leurs responsabilités. Cet objectif doit être l'affaire de tous, pouvoirs publics, professionnels et chercheurs. La participation des industries agroalimentaires à l'organisation de cette exposition montre leur ambition à cet égard, et je veux les en remercier.
Nous devons également accomplir des efforts importants en matière d'éducation et d'information, dans le domaine de la biologie, de la génétique et de l'agriculture, afin que l'opinion publique en comprenne mieux les enjeux. Votre exposition y contribue fortement, et je tiens à vous en féliciter.
Le développement des Organismes Génétiquement Modifiés (OGM) suscite de profondes interrogations chez nos concitoyens, tant sur leurs risques sanitaires et environnementaux, que sur leur pertinence et leur utilité. Le moratoire, en vigueur depuis 1999, répond au souhait d'assurer, avant toute nouvelle autorisation, un étiquetage et une traçabilité adaptés, de façon à garantir le libre choix des consommateurs. Les projets de règlements portant sur les denrées alimentaires, les aliments pour animaux, l'étiquetage et la traçabilité des OGM, désormais en deuxième lecture au Parlement, constituent, dans ce domaine, une avancée très importante pour rétablir la confiance des consommateurs. Dans le même temps, nous devons veiller à ce que la recherche dans ce domaine puisse se poursuivre sereinement en Europe.
Sur la période 2001-2004, le Ministère de l'Agriculture, de l'Alimentation, de la Pêche et des Affaires rurales et le Ministère délégué à la Recherche et aux Nouvelles Technologies accompliront un effort important en faveur de la recherche sur l'alimentation. Les ressources consacrées par l'INRA aux questions de l'alimentation, de la nutrition humaine et de la sécurité sanitaire des aliments - les relations entre l'alimentation et la santé de l'homme, la microbiologie et l'hygiène et les comportements alimentaires - feront l'objet d'une attention particulière.
Je souhaite que ces programmes permettent l'élaboration de nouveaux outils de diagnostic, la poursuite de travaux sur l'impact des faibles doses de contaminants, et l'identification des risques émergents et des facteurs de virulence des nouveaux pathogènes. J'attends également de la recherche qu'elle veille à optimiser la valeur nutritionnelle de tout aliment, quel qu'en soit le prix. Je souhaite enfin que les pays les plus pauvres aient la possibilité d'accéder à nos compétences et à nos ressources scientifiques et puissent disposer de licences gratuites pour les technologies essentielles à leur développement alimentaire.
Encourager la qualité, ensuite. Les consommateurs attendent des produits d'une qualité accrue. Ils aspirent à en connaître l'histoire et les conditions de production. La demande de produits issus du terroir n'a, d'ailleurs, jamais été aussi forte.
Les signes officiels de la qualité et de l'origine - auxquels je suis très attaché - consacrent des productions au savoir-faire parfois ancestral et entretenant un lien fort avec nos terroirs. J'observe qu'ils tendent, d'ailleurs, à se développer. Ces démarches reçoivent mon total soutien, mais je souhaite qu'une cohérence soit recherchée entre ces différents sigles et appellations, afin que le consommateur dispose d'une information intelligible pour le guider dans ses choix.
" Faire de la nourriture un bonheur pour les hommes ", telle est la vocation selon Theodore ZELDIN, de l'alimentation et de la gastronomie. Cette dimension du plaisir de la table a sans doute été trop oubliée ces dernières années, et j'entends lui rendre toute sa place dans notre politique de l'alimentation. Les prescriptions sanitaires - dont nous comprenons tous la nécessité et qui sont débattues dans les instances internationales - ne doivent pas nous priver demain de plaisirs aussi simples qu'un bon camembert goûteux, un foie gras frais et savoureux ou un vin de qualité.
La recherche est appelée à jouer un rôle important dans ce domaine. Car tradition et produit de terroir ne signifient pas alimentation du passé et ne s'opposent pas à la volonté de comprendre, qui est le propre de la recherche. A cet égard, nous devons nous efforcer d'appréhender les stratégies de production, les choix de technologies industrielles ou artisanales, les recettes et les savoir-faire à la lumière de leur implication sur la qualité des aliments.
Impliquer, par ailleurs, les consommateurs. J'entends favoriser l'implication des consommateurs le plus en amont possible dans la définition et la conduite des orientations de la recherche et de l'innovation. Une telle association permettrait de mieux répondre aux besoins, et renforcerait la relation de confiance entre les producteurs, les transformateurs et les consommateurs, que je veux contribuer à renouer.
Préserver, enfin, la diversité de notre modèle alimentaire. Vous le savez mieux que quiconque, la France dispose d'une culture alimentaire spécifique, car cette question touche dans notre pays à ce qui fait nos valeurs et notre identité. Plus que d'autres, nous sommes attachés à la diversité et à l'originalité de notre alimentation.
BRILLAT-SAVARIN, dont le nom résume notre idée de la gastronomie, écrivait que " la destinée des nations dépend de la façon dont elles se nourrissent ". Dans le mouvement de mondialisation, dont chacun perçoit chaque jour combien il transforme nos vies, nous devons préserver notre modèle alimentaire des risques de l'uniformisation, et je suis heureux qu'une exposition comme la vôtre puisse sensibiliser les plus jeunes générations à cette nécessité.
Nous n'y parviendrons, toutefois, que si nous savons comprendre et expliquer la richesse de nos productions. La richesse nutritionnelle, la composition particulière de certains aliments sont, en effet, des informations utiles à l'esprit critique que nous voulons maintenir à l'égard du marketing des aliments santé ou des aliments fonctionnels. C'est pourquoi, je souhaite que, parmi les orientations de recherche, soient privilégiées la perception des aliments par les consommateurs, la construction de leurs préférences et la compréhension de leurs comportements. Je souhaite enfin que nous puissions nous attacher à l'impact de la diversité alimentaire sur notre physiologie et sur la prévention des pathologies.
Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs,
Le Palais de la Découverte dispose d'une trop longue expérience dans l'organisation d'expositions et la diffusion du savoir scientifique auprès des jeunes générations pour que cette exposition ne soit pas ce qu'elle est : avant tout, une réussite et l'occasion d'une réflexion conviviale sur notre alimentation.
Vous le savez peut-être, " savoir " dérive étymologiquement de " saveur ". Or, si savourer c'est savoir, il est alors urgent, comme l'écrit Claude FISCHLER, d'accroître nos connaissances dans ce domaine. Car, ce faisant, " nous découvrirons à la fois ce que nous mangeons et ce que nous sommes ". C'est la vertu de cette exposition, et je veux, Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, vous en remercier.
(Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 4 avril 2003)