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Hollande dénonce " la vacance du gouvernement "
-Vous avez été un des premiers, il y a huit jours, à tirer la sonnette d'alarme devant la situation sanitaire provoquée par la canicule. Le recours au Plan blanc, décidé jeudi, vous satisfait-il ?
Il a fallu attendre le 14 août pour que le gouvernement, et tout particulièrement le Premier ministre, prenne la mesure du drame sanitaire, en déclenchant enfin le Plan blanc que réclamaient depuis plus d'une semaine les médecins urgentissimes. Le moins que l'on puisse dire est qu'il a régi avec retard et qu'il a fait apparaître, dans la gestion de cette crise, trois défauts majeurs : un défaut d'anticipation -chacun savait que la canicule durerait-, un défaut de vigilance -les alertes lancées n'ont pas été prises au sérieux- et un défaut de réaction.
Le gouvernement, après plusieurs jours de silence total, n'est sorti de sa torpeur que lundi dernier, par une conférence de presse improvisée de la ministre de l'Ecologie sur les méfaits de la climatisation et une intervention dérisoire du ministre de la Santé annonçant la création d'un numéro vert quand certains praticiens hospitaliers évoquaient déjà une " hécatombe " et qu'en conséquence, et sans esprit polémique, j'alertais au nom du Parti socialiste les pouvoirs publics sur la gravité de la situation. Il y a donc eu cinq ou six jours de retard. Or, en matière de santé publique, la rapidité de décision est essentielle.
-Comme l'ont fait Yves Contassot (Verts) t Arnaud Montebourg (PS), faut-il réclamer la démission du ministre de la Santé ?
Il serait trop simple de limiter la responsabilité de ce qui s'est passé à la recherche d'un bouc émissaire. C'est le gouvernement tout entier qui est mis en cause dans ce que j'appellerais, pour reprendre un mot de Jean-Pierre Raffarin, un grave problème de gouvernance. Il n'y a pas eu, durant la crise, de commandement interministériel pour prendre en compte toutes ses dimensions (écologique, énergétique, agricole et bien sûr sanitaire), pas davantage de communication forte et précoce sur des mesures de prévention simple. Pas de mobilisation non plus de tous les moyens concernés. Et guère de compassion à l'égard des souffrances et des peines. Il s'est établi une distance insupportable entre la réalité du drame vécu par les victimes et leurs familles -je n'ose pas dire la France d'en bas- et la perception qu'en a eue le sommet de l'Etat, qui n'est jamais apparu aussi lointain que ces derniers jours.
-Vous réclamez donc une commission d'enquête parlementaire ?
Lorsque la crise sera achevée -ce n'est pas le cas aujourd'hui-, il faudra en tirer toutes les conclusions. Et d'abord connaître le nombre exact de victimes de la catastrophe : savoir si " beaucoup de vies auraient pu être sauvées ", comme l'affirme le président des urgentistes, le Dr Pelloux ; comparer avec ce qui s'est produit dans les autres pays européens ; comprendre pourquoi les dispositifs de veille sanitaire n'ont pas marché. Avec Jean-Marc Ayrault, j'ai proposé la constitution d'enquête parlementaire pour mettre en lumière les dysfonctionnements qui sont apparus. Les Français ont le droit de savoir ce qui s'est produit, et qui ne doit plus se reproduire.
-Jean-François Copé met en cause les 35 heures qui " posent à nos hôpitaux des difficultés insurmontables ".
La polémique sur les 35 heures lancée par le gouvernement Raffarin pour excuser son impéritie est particulièrement indécente au moment où les hospitaliers ne comptent plus leurs heures et sont revenus de vacances pour répondre aux besoins. Et dois-je rappeler que ce gouvernement est en place depuis dix-huit mois ? La canicule, qui n'est sans doute pas la dernière que vivra notre pays à brève échéance, a mis en évidence les défauts de notre système de prévention, le manque criant de moyens des services d'urgence comme les insuffisantes relations entre la médecine de ville et les hôpitaux. Nous ne pouvons pas nous targuer d'avoir le meilleur système de santé du monde et ne pouvoir empêcher de telles catastrophes. D'où la nécessité de mettre en place une véritable politique de prévention nationale comme locale et d'accorder une priorité au service public et à ses personnels.
-Pour autant, peut-on rendre un gouvernement responsable de la canicule ?
Il ne saurait être reproché au gouvernement Raffarin d'être responsable de la chaleur, comme il ne pouvait être reproché à ses prédécesseurs d'avoir connu des inondations ou des matées noires. Ce qui est en cause, ce n'est pas le phénomène lui-même, qui s'impose à tous, mais la façon avec laquelle il est traité, géré et appréhendé. L'opposition a fait son travail : elle a interpellé en temps utile les pouvoirs publics, proposé des mesures fortes, écouté les professionnels de santé (). J'ai mobilisé notre réseau d'élus ; notamment pour l'accueil des personnes les plus fragiles. Car, une nouvelle fois, ce sont les plus Modestes qui ont subi les conséquences de la canicule.
-Des responsables de gauche comme de droite n'ont pas interrompu leurs vacances. Le maire de Paris non plus, alors que le bilan semble très lourd dans la capitale.
Les responsables publics ont parfaitement le droit d'être en vacances. Cela vaut pour le président de la République, les ministres ou les maires. L'essentiel est qu'il n'y ait pas de vacance du pouvoir, que les décisions soient prises au bon moment et que la chaîne de commandement soit identifiée. Tel n'a pas été le cas ces derniers jours au sein même de l'appareil d'Etat. Ce ne sont pas les vacances des ministres qui sont en cause mais la vacance du gouvernement. Ce qui s'est produit révèle aussi les lacunes de la politique menée depuis dix-huit mois : retard dans l'application de l'Allocation Personnalisée pour les personnes dépendantes, réduction des moyens des maisons de retraite, diminution du nombre de lits dans les hôpitaux, relâchement des règles en matière de précaution écologique, mise en cause de l'idée même de service public. Un tel événement nous rappelle aussi l'existence de solidarité au niveau individuel comme au plan national.
-Etes-vous inquiet pour l'avenir de l'assurance maladie ?
Je suis très inquiet du risque de privatisation de notre système de santé. Fin 2003, le déficit de l'assurance maladie devrait atteindre 16 milliards d'euros. C'est considérable, historique même. Mais est-ce une solution, comme je l'ai lu ici ou là, de faire payer aux malades 1 euro par feuille de soins et par boîte de médicaments ? Au prétexte de déficits qu'il a lui-même creusé, le gouvernement prépare un recul de la protection sociale et une aggravation des inégalités.
-Comment jugez-vous la confirmation récente des baisses d'impôts ?
Comme sur d'autres sujets, le gouvernement ne prend visiblement pas la mesure de la situation économique et financière. Cette obstination finit par coûter cher : dérive des comptes publics et sociaux, croissance en berne, consommation au ralenti Autant de signaux de détresse qui devraient conduire à un changement de politique.
-Il s'agit cependant de tenir une promesse.
Ce ne sera pas la première promesse que Jacques Chirac ne tiendra pas. Il avait parlé de 30% sur toute la durée du quinquennat. On est loin du compte : à peine 6 ou 7%. En outre, tout cela est non seulement injuste mais inutile économiquement. Ces baisses d'impôts n'ont aucun impact sur l'activité tout en plaçant nos services publics dans une situation impossible. Dois-je reparler de la santé ?
Interview Virginie Le Guay
(Source http://www.parti-socialiste.fr, le 29 août 2003)