Interview de M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, à "Europe 1" le 5 septembre 2003, sur les mesures de relance de la consommation et de la croissance, la politique de réforme budgétaire, le respect du pacte de stabilité, le processus de privatisation des entreprises publiques, les conséquences des plans sociaux sur l'emploi.

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Média : Europe 1

Texte intégral

A. Chabot - Etes-vous vraiment sincèrement convaincu que la baisse de l'impôt sur le revenu, et puis aussi que l'augmentation de la prime pour l'emploi vont vraiment relancer la consommation et la croissance ?
- "Tout est une affaire de confiance et de choc psychologique. Nous sommes tous convaincus que, dans le monde d'aujourd'hui, c'est par la baisse des prélèvements, donc par la baisse de l'impôt sur le revenu de ceux qui gagnent de l'argent, qui payent des impôts, que nous pouvons créer des meilleures conditions pour que le système économique fonctionne vers la croissance et donc vers l'emploi."
Donc, vous n'avez pas de doute ?
- "Je n'ai aucun doute. Cela a été affiché politiquement au sens conviction. Et nous devons assurer la continuité de cette politique."
Mais on vous répond, à chaque fois : regardez ce qui s'est passé les dernières années. Les baisses d'impôts, ça c'est traduit comment ? Par de l'épargne et c'est le niveau, en France, le plus élevé d'Europe.
- "Il est exact qu'actuellement les Français épargnent beaucoup, épargnent plus. Ce qui veut dire qu'ils n'ont pas encore tout à fait confiance en la politique qui est menée. Notre objectif est, psychologiquement, de leur dire que nous, nous avons confiance et de les convaincre."
Sur la prime pour l'emploi, il y a un jugement du Conseil des impôts hier, qui dit : au fond, ce n'est pas si bien que ça, car cela doit encourager théoriquement, notamment, les Français au chômage à retravailler ; ce n'est pas très efficace. Au fond, on aurait peut-être mieux fait de baisser les charges, par exemple, sur les bas salaires.
- "Le Conseil des impôts a le droit d'émettre ses avis. C'est aux politiques d'apporter leur vision, et notre vision, c'est que la prime pour l'emploi, qui consiste à payer plus d'argent au moment où les gens retrouvent un job, notre avis, et que cette prime pour l'emploi est très positive, y compris d'ailleurs pour la consommation."
Mais, vous l'ancien chef d'entreprise, vous avez peut-être pensé qu'on aurait pu faire un peu plus en directement justement des entreprises, non ?
- "Du côté des entreprises, nous avons émis des signaux qui sont très bien reçus par l'entreprise, en disant : nous baissons vos charges, nous incitons les entreprises à faire plus de recherche. Vous savez que nous sommes tous convaincus que c'est l'entreprise qui est à la base de la croissance, en termes d'offres, et donc, en termes de créations d'emplois. Donc, je crois que les entreprises sont tout à fait satisfaites de notre stratégie."
Vous me disiez tout à l'heure : "je n'ai pas de doute", mais pourtant on a dit : oh !, là, là, le Premier ministre a dû convaincre Bercy qu'il fallait absolument baisser l'impôt de 3 %. F. Mer, n'était vraiment pas convaincu !
- "D'abord, on a dit, on a dit... Mais moi je ne me suis jamais exprimé si ce n'est maintenant. Deuxièmement, il est toujours exact qu'une politique, c'est un choix entre différentes mesures et que la pondération de ces mesures a besoin d'être travaillée. Mais la direction est parfaitement claire, je l'assume totalement."
Quand vous entendez, des gels de crédits de l'Education, indemnisations en direction des agriculteurs après la sécheresse, un plan solidarité-vieillesse, de temps en temps vous devez dire : stop ! là, on ne va pas y arriver, c'est trop !!
- "Non, mais on a dit stop !, ne serait-ce que parce que, en 2004, comme vous le savez, nous le savons tous, globalement, les dépenses de l'Etat n'augmenteront pas en volume, c'est-à-dire qu'on répercutera l'inflation qui va être modeste, avec 1,5 %, mais la base de notre politique budgétaire à court terme, c'est de bloquer la somme des dépenses. A nous, à l'intérieur de cette enveloppe qui est très importante quand même, de faire face à certaines priorités au détriment d'autres priorités."
Cela veut dire qu'il va falloir sérieusement faire des économies dans certains ministères ?
- "C'est clair."

Et vous savez déjà lesquels, vous avez donné des indications en disant : là, là, là...?
- "Nous savons à peu près, où les dépenses vont continuer un petit peu à augmenter, y compris dans le domaine des priorités qui ont été fixées : la défense, la justice et la sécurité. Et nous savons aussi, nous allons savoir ensemble, avec les ministres, où baisser nos dépenses."
Donc, pas question, par exemple, de financer les baisses d'impôts par un déficit qu'on laisserait filer encore, ni par la dette ?
- "Le déficit et la dette c'est la même chose, soyons clairs. Non. Notre objectif est de maîtriser en 2004 le niveau du déficit qui, je ne le conteste pas, est élevé, qui est trop élevé pour être soutenable à long terme. Mais notre problème, c'est d'inscrire l'année 2004 dans une stratégie à plus long terme, que le Premier ministre a commencé à esquisser l'Agenda 2006, qui va, je le répète, assurer la continuité de l'effort, à travers surtout des réformes. Il faudrait absolument sortir quand même de l'idée que, l'exercice budgétaire est la base de la politique d'un gouvernement. C'est une stratégie de réformes qui est cette base, et la sanction annuelle consiste simplement à concrétiser, année après année, un certain nombre de décisions. Mais il n'y a aucune importance particulière à la notion de budget. Ce qui compte, c'est une politique, nous avons une politique, nous la mettons en oeuvre, c'est une politique de réformes. C'est à travers la réforme de la retraite, que nous avons réussi correctement à mener à bien, que nous jetons le début des bases du redressement de notre pays et donc de sa croissance. Nous savons que nous avons, cette année 2004, un sujet important à traiter, qui est celui de la santé. D'où le plan santé de J.-P. Raffarin, qui sera mis en place avant la fin de l'année 2004 et qui assurera, pour les années à venir, le rééquilibrage structurel d'un élément majeur de notre politique, c'est-à-dire la Sécurité sociale."
Et pour l'instant, en termes de déficit de la Sécurité sociale, le premier objectif, c'est juste de le maintenir au niveau auquel il est aujourd'hui, ce n'est pas terrible quand même ?
- "C'est pas terrible, peut-être, mais d'abord c'est mieux que rien. Deuxièmement, nous allons le faire. Et troisièmement, nous ne voulons pas préempter à travers les mesures actuelles, à court terme, ce qui sera la base d'une refonte du système de santé, qui a besoin d'être discuté avec beaucoup de gens, pour que ça soit une réforme acceptée et non pas subie par les Français."
4 % de déficit, l'année suivante. Il faudra faire combien, à votre avis, pour se rapprocher de plus en plus des 3 % imposés par le Pacte de stabilité ?
- "Le Pacte de stabilité, est un acte de discipline commune, et loin de moi l'idée de refuser l'idée de cette discipline commune. A partir du moment où nous partageons une monnaie commune, nous avons le devoir, vis-à-vis de nos collègues, d'être interdépendants et solidaires dans la mise en oeuvre d'une certaine politique. Ce Pacte de stabilité, il faut le vivre dans la durée, autour de l'idée de base que, effectivement, nous ne pouvons pas prendre le risque à très long terme d'avoir un endettement de l'Etat qui s'envole, car ceci serait faire injure aux générations à venir, et que la meilleure manière de mettre en oeuvre cette stratégie à long terme, c'est, année après année, et on le fera en 2004, de baisser ce que l'on appelle "le déficit structurel", c'est-à-dire celui qui n'est pas lié à la conjoncture économique. En supposant une conjoncture économique normale, qui, en Europe, consiste, en gros, à dire : taux de croissance 2,5 %, il faut, et nous allons le démontrer en 2004, que nous puissions, quelle que soit la conjoncture réelle, démontrer que nous savons baisser progressivement, en pourcentage de la production française - c'est-à-dire du PIB - ce déficit structurel. Et nous allons essayer, en 2004, tout en bloquant les dépenses, de montrer que le déficit structurel baisse d'environ 0,5 point de PIB."
Engagement pris par la France ?
- "C'est un engagement de la France, et c'est clairement celui sur lequel nous voulons montrer à nos collègues la crédibilité de notre stratégie à long terme."
2004 : moins 0,5 de déficit structurel. Objectif de F. Mer ?
- "Aux alentours, exact."
Vous faisiez allusion à la croissance, on la voit revenir aux Etats-Unis. Il faudra combien de temps pour que, chez nous, on revoit la croissance ?
- "En général, il faut six mois que ça traverse l'Atlantique. Apparemment, ca a déjà commencé à traverser puisque vous avez noté, et nous avons tous noté avec plaisir, une certaine amélioration des indicateurs avancés, y compris en Allemagne. C'est cela qui nous amène à dire que, projeter 1,7 % de croissance l'année prochaine n'est pas un pari."
Ce n'est pas un pari, vous y croyez vraiment. Vous ne serez pas obligé, comme vous l'avez fait cette année, de réviser à la baisse ?
- "Il est clair que cette année, nous avions anticipés trop rapidement les conséquences positives des événements irakiens, etc. Entre temps, les taux d'intérêt ont continué à baisser. Nous savons qu'en Europe, la réactivité à cette baisse des taux est plus lente, plus faible qu'aux Etats-Unis. Mais cela finit par se faire. Et d'ailleurs, dans un certain nombre de secteurs, y compris l'investissement-logement, logement locatif etc., il y a une très bonne conjoncture aujourd'hui."
Vous dites : il faut faire des économies, il faut aussi trouver de nouvelles recettes. Vous êtes champion de la cession d'actifs de l'Etat dans de bonnes conditions, vous avez réussi un bon coup, ça avait commencé par le Crédit Lyonnais. On dit : il faut trouver de l'argent. Vous allez accélérer le processus de privatisation ?
- "Vendre des participations de l'Etat dans les meilleures conditions possibles, comme on essaye de le faire, consiste à gérer finalement, consiste à gérer finalement l'endettement de l'Etat. Cela n'a pas de relation directe avec le déficit d'exploitation, dont on parle à travers un budget."
Par exemple, vous avez renfloué Réseau Ferré de France avec la privatisation de Dassault Système ?
- "Vous savez qu'il y a beaucoup d'endettement dans un certain nombre de secteurs et que si on peut, de manière organisée et professionnelle, vendre un certain nombre de participations pour permettre de désendetter, par exemple, le Réseau Ferroviaire de France, qui croule sous les dettes depuis 20 ans, pourquoi pas."
Air France, donc, Aéroports de Paris, les autoroutes, ça sera assez vite ?
- "Cela se fera dans un contexte professionnel, lié au marché, lié à des stratégies de chacune de ces entreprises. Car mon objectif n'est pas de faire de l'argent en vendant les bijoux de famille, mais d'essayer d'en profiter pour bâtir une politique industrielle concernant nos entreprises publiques, qui les aide dans leur marché, qui est le marché européen, à croître."
On peut aussi gratter du côté des fameuses niches fiscales, ces exonérations. On dit : 50 milliards d'euros. On peut économiser combien là-dessus à votre avis ?
- "Je ne sais pas, parce que j'ai vu effectivement avec intérêt ce rapport, je ne l'ai pas encore étudié ou fait étudier. Mais il y a certainement à l'intérieur de cette analyse très professionnelle, quelques idées intéressantes que nous allons approfondir."
Si les Français épargnent, c'est parce qu'ils sont inquiets pour l'emploi ?
- "Non, ce n'est pas uniquement pour cela. Tout est dans la psychologie du consommateur et de l'investisseur. Il y a des moments où vous voyez l'avenir un peu plus rose qu'à d'autres moments...."
Les plans sociaux, ça n'aide pas...
- "Non, mais les plans sociaux... Les plans sociaux il y en a toujours eus. Sachez qu'il y en a eus quand même moins en 2003, non pas forcément en nombre mais en tout cas en conséquences en matière de perte d'emploi, que dans les années précédentes. C'est vrai que les médias montent toujours en épingle à cheveux la moindre réduction d'emplois - 100 personnes à droite, 200 personnes à gauche -..."
Les chiffres du chômage montent aussi, on dit : 10 % à la fin de l'année quand même ?!
- "Non. Il est clair que le chômage va monter un petit peu. Il a monté mais lentement d'ailleurs en 2003 par rapport aux expériences passées. Il monte, c'est vrai. Je pense que, y compris au travers les mesures qu'on a prises, pour ce qui concerne la loi sur les retraites, qui consiste à retirer du marché ceux qui ont démarré leur vie professionnelle à 14, 15, 16 ans, il est clair que ceci va nous permettre, en fin de cette année et surtout en début de l'année prochaine, d'avoir une certaine baisse de ce taux de chômage. Et puis la croissance revenant, je pense que méthodiquement, le taux de chômage, au cours de l'année prochaine, rebaissera."
C'est pour sauver des emplois que vous avez "donné de l'argent", ou pris des participations dans la société Alstom. Aujourd'hui, il y a une mise en garde du commissaire européen. Ca sera un bras de fer entre la France et M. Monti ?
- "Il est clair que la décision Alstom a été une décision très difficile à prendre, dans la mesure où ça n'est pas notre politique de vouloir, y compris partiellement, injecter de l'argent de l'Etat dans des entreprises. Ceci étant dit, l'enjeu était suffisamment important pour que je décide, avec l'accord total du Premier ministre, à situation exceptionnelle mesure exceptionnelle. Face à cela, il est clair que la Commission a ses propres responsabilités, elle a un Traité à respecter ou à faire respecter. Et nous allons, y compris lundi prochain, en discuter avec M. Monti, pour trouver les conditions pour que tout le monde soit raisonnablement satisfait."
Ce matin, vous êtes optimiste ?
- "Je suis toujours optimiste, rassurez-vous. Je vois toujours la bouteille plutôt à moitié pleine qu'à moitié vide."
Pourtant on a dit, il y a quelques jours : F. Mer a voulu démissionner, il en a assez, il n'en peut plus, il veut quitter le Gouvernement. C'est vrai ou c'est faux ?
- "On a dit", je ne sais qui est "on". En tout cas ce n'est pas moi. Car, personnellement, je me sens très à l'aise dans ce Gouvernement, j'ai une excellente relation avec le président de la République et le Premier ministre. Je sais qu'il y a beaucoup de choses à faire, dans beaucoup de domaines. Et je suis tout à fait déterminé à continuer à apporter ma contribution."
"J'y suis, j'y reste" ?
- "Ce n'est pas cela, non. Je pense que je suis utile tant qu'on me dit que d'autres seront plus utiles que moi."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 5 septembre 2003)