Texte intégral
Point de presse :
La délégation est formée, en dehors de mes collaborateurs, de M. Lemière, député de Normandie (département de la Manche), vice-président du groupe d'amitié France-Portugal et membre de la commission de la Défense. Sa double qualité n'est pas indifférente à notre délégation commune. Alors que l'élargissement est déjà un peu derrière nous, les sujets que nous avons traités avec les différents interlocuteurs concernent le contexte économique, les grands défis économiques, essentiellement avec la ministre des Finances, Mme Ferreira Leite. Puis avec mon correspondant habituel, M. Costa Neves, nous avons parlé de la Convention, de la politique étrangère et de la politique de la défense, du dialogue euro-méditerranéen et de l'avenir des politiques communes en général et plus particulièrement de la politique agricole commune et des fonds structurels et enfin de certaines questions bilatérales. Et je viens d'avoir un grand débat avec l'ancienne secrétaire d'Etat aux Affaires européennes, Mme Teresa Moura, qui est venue avec un groupe représentant la société civile, le directeur de l'Institut des Etudes stratégiques, le directeur de la communication de l'Association des industriels portugais et un commentateur de presse. Nous avons eu un large débat et une discussion sur la perception par la classe politique portugaise et les opinions publiques au Portugal de l'Europe aujourd'hui : quelles sont les questions qui sont posées au niveau politique par rapport à ce qui est ressenti au niveau des opinions publiques, au regard évidemment de ce qui se passe actuellement, de la crise internationale et des enjeux de politique étrangère, notamment, et comment sont ressentis les débats à la Convention, qu'il s'agisse des débats institutionnels ou des débats sur d'autres sujets comme le modèle social européen ? Nous avons aussi été reçus par le président de la Commission des Affaires étrangères et des Affaires européennes, M. Gama, avec des représentants des différents partis politiques, les deux partis de la majorité gouvernementale et le parti socialiste. Et là nous avons eu un débat essentiellement sur les institutions, sur la politique étrangère et sur la politique de défense. Voilà les thèmes.
Nous avons pris aujourd'hui une décision de concertation à la suite du débat que nous avons eu avec mon homologue, c'est de travailler en franco-portugais au niveau des services techniques, des cabinets et services du ministère, sur le fonctionnement institutionnel dans le détail, essentiellement le futur Conseil européen à vingt-cinq, étant entendu qu'on sent qu'il y a à la fois un besoin de renforcer l'efficacité de ce Conseil afin que des positions communes puissent se dégager et que les conseils européens puissent être bien préparés, et de tenir compte aussi de l'attachement des pays en règle générale à ce que leur participation, voire leur "leadership" au sein de ce Conseil, puisse apparaître de façon suffisamment visible pour renforcer le sentiment d'adhésion à l'Europe des citoyens. C'est tout le problème des débats sur notre position d'un président stable qui puisse assurer une bonne cohésion au sein du Conseil européen et le souci d'autres pays, comme le Portugal, de pouvoir assurer une forme de rotation. Nous essayons de travailler sur les mécanismes différents qui puissent concilier les deux propositions ou au moins de débattre, non plus entre pays qui sont d'accord sur tout, mais entre pays qui ont à rechercher, puisque in fine il faudra bien trouver un accord sur tout, quels sont les arguments des uns et des autres qu'on peut mettre sur la table pour essayer de préparer l'avenir, au moins les débats qui auront lieu au sein de la Conférence intergouvernementale sur ce point. Parce que nous avons constaté quand même tout au long de la journée qu'il y a un accord sur la majorité des questions évoquées au sein de la Convention, l'intégration de la Charte, les droits fondamentaux dans le traité. M. de Villepin a été signataire avec le ministre portugais, M. Martins da Cruz, d'une déclaration de 1990, avec les conventionnels portugais, demandant l'intégration de la Charte des droits fondamentaux des citoyens dans le traité. Nous sommes d'accord autour de l'idée qu'il faut renforcer le Parlement, son mécanisme de décision, la co-décision ; nous sommes d'accord sur le renforcement de la commission et finalement nous sommes d'accord, nous Français, bien que nous soyons encore, d'un point de vue d'efficacité, attentifs à ce que pourra devenir cette commission dans l'Europe élargie, au moins nous avons été à l'écoute des demandes des Etats qu'il y ait au moins un commissaire par Etat. Mais nous sommes tous d'accord d'une manière générale pour renforcer l'efficacité de la Commission, pour en renforcer l'impact, pour étendre le champ de la majorité qualifiée autant que faire se peut et pour renforcer le Conseil européen. Donc ce qui reste essentiellement à faire c'est de décider comment est-ce que finalement ce conseil va fonctionner. Et là nous avons décidé, compte tenu de nos liens culturels, historiques, d'amitié, de mettre sur la table les arguments des uns et des autres, non pour faire une contribution, mais pour discuter, pour essayer de faire avancer la réflexion.
Q - Sur le sommet du 29 avril et le problème de la défense, est-ce que vous avez le sentiment que la France et le Portugal ont des vues convergentes ou différentes sur la manière de construire la PESD ?
R - Le sommet du 29 avril est une rencontre entre pays qui font des propositions, mais qui est totalement ouverte. Il ne s'agit pas de constituer un groupe de pays qui absorberont la problématique de l'Europe de la défense. Le Premier ministre belge a demandé cette rencontre qui est simplement une rencontre de discussions, éventuellement de propositions, mais qui ne préfigure aucun schéma du futur sur l'Europe de la défense.
Nos interlocuteurs ont convenu que l'Europe de la défense avait un sens aujourd'hui. Nous avons discuté des capacités militaires de l'Europe, nous avons rappelé très fermement que nous pensions que l'Europe de la défense veut dire aussi capacité militaire, armement, industrie de l'armement et recherche dans les domaines de haute technologie militaire, ne serait-ce que parce que ces capacités sont l'élément de crédibilisation d'une politique étrangère. Là il y a eu évidemment un échange de vues sur la place de l'OTAN, les rapports UE-OTAN, la relation transatlantique et nous avons évidemment évoqué les accords permanents qui viennent d'être adoptés entre l'UE et l'OTAN pour se féliciter les uns et les autres de ce que l'Europe de la défense commence à se concrétiser en Macédoine, avec quelques forces présentes sur le terrain pour des opérations de maintien de la paix, de surveillance. Nous avons parlé aussi de la position britannique, de la position française. Nous avons une approche complètement identique à celle des Britanniques qui ont joué un grand rôle comme vous le savez dans cette avancée, comme nous. Donc, sur ce plan, nous sommes convenus que l'Europe de la défense était un des nouveaux défis. Il y aura certainement à rediscuter mais nous n'avons pas approfondi la réflexion de la notion d'objectif de capacité militaire.
Nous avons redit que la relation UE-OTAN était effectivement tout à fait importante et nous avons fait observer conjointement qu'il n'y avait pas d'objection au niveau des pays européens à ce que l'OTAN prenne la relève des forces qui interviennent actuellement en Afghanistan.
En résumé ce qui est ressorti de tous ces entretiens, le fil directeur de tous ces entretiens, c'est que le sujet central, c'est l'Europe politique dans ses différentes dimensions. C'est-à-dire d'abord la citoyenneté : comment les citoyens vivent l'Europe, qu'est ce qu'ils attendent de l'Europe, comment leur expliquer l'Europe, comment leur faire prendre conscience qu'ils ont prise sur l'Europe ? Le deuxième sujet, c'est la gouvernance politique de l'Europe. Cela a été aussi au centre des discussions, le Conseil, la Commission, etc Là tout le monde est d'accord pour dire qu'il faut renforcer les institutions, que plus la maison s'agrandit, plus il faut que les fondations soient solides. Troisièmement, la politique étrangère. Tout le monde est d'accord pour dire qu'il faut que cette politique qui est en construction soit de plus en plus visible en tant que politique commune. Et quatrièmement, sur la défense. Là il y a une prise de conscience de ce que la problématique de l'Europe de la défense est le complément obligé de la volonté de faire avancer une politique étrangère et de sécurité commune.
A part cela, sur cette base, il y a des débats, des sensibilités, mais le fil conducteur c'est vraiment le questionnement sur la nature politique de l'Europe qu'on veut construire ou qu'on veut consolider. Nous avons également rappelé notre "credo" euro-méditerranéen qui nous est totalement commun et qui est pour nous partie intégrante de ce qu'on appelle les voisins de l'Europe. C'est une problématique qui prend de plus en plus d'importance avec l'arrivée des nouveaux pays qui, eux, ont à intégrer leur nouvelle relation avec la Russie en tant que nouvelle frontière et il y a des pays qui sont d'ailleurs des pays candidats comme Chypre et Malte qui ont aussi à intégrer dans l'Europe et hors de l'Europe leur relation euro-méditerranéenne. Nous n'en avons pas beaucoup discuté parce que nous sommes d'accord sur tout et c'est une des dimensions du bilatéral franco-portugais qui est très forte puisque mon collègue Renaud Muselier est venu précédemment pour préparer le dialogue "5 + 5" qui s'est tenu le 9 avril à Sainte-Maxime
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 avril 2003)
Interview à l'AFP :
Q - Que pouvez-vous nous dire sur votre rencontre de ce matin avec Mme Ferreira Leite, ministre des Finances du Portugal ?
R - Nous avons évoqué évidemment la question de la crise économique internationale et de ses répercussions sur tous les Etats européens, notamment ceux qui éprouvent des difficultés financières et économiques plus marquées que les autres. Elle a très largement évoqué les problèmes structurels du Portugal, notamment la grande dépendance vis-à-vis des investissements étrangers, vis-à-vis du commerce extérieur.
Nous nous sommes accordées sur un point essentiel, qui est la validité du Pacte de stabilité et de croissance comme objectif incontournable lié à la nécessité d'assurer le plein succès de l'Euro et de pérenniser ce succès. Nous nous sommes aussi accordées autour de l'idée que la ligne actuelle qui tend à fixer les critères du Pacte, c'est-à-dire de ne pas dépasser les 3 % du déficit budgétaire, était convenable dans la mesure où on ne fixe plus de "deadline", d'année-butoir où on doit absolument approcher de l'équilibre. On ne remet pas en cause les critères de stabilité et de croissance, mais on permet aux Etats de s'adapter progressivement, et dès que le clignotant s'allume, c'est-à-dire s'ils sont en passe de dépasser les 3 % ou s'ils dépassent les 3 %, à ce moment-là des mesures doivent être mises en uvre progressivement. Nous nous sommes accordées aussi sur la validité de cette approche. Enfin nous avons évoqué le problème de l'endettement de certains pays et, là aussi, bien que cela ne soit pas complètement attaché à la notion de Pacte de stabilité et de croissance, nous sommes convenus que c'était un problème européen pour certains pays, peut être davantage pour l'Italie et la Belgique d'ailleurs que pour d'autres, qui devait aussi être traité. L'idée c'est un large accord sur la validité du Pacte de stabilité et de croissance, et la démarche maintenant retenue, qui est d'ailleurs assez récente, est de poursuivre cet objectif en écartant plus ou moins l'idée d'une date-butoir. Cela a été le premier sujet lors de notre entretien. Mme Ferreira Leite a alors évidemment évoqué le fait qu'il y avait une interdépendance très grande entre l'économie portugaise et l'économie française puisque nous sommes de forts investisseurs au Portugal.
Par ailleurs, j'ai évoqué un dossier qui tient particulièrement à cur au gouvernement français, au président de la République et au Parlement, celui de la baisse du taux de TVA de la restauration. Comme vous le savez, la France souhaite pouvoir appliquer le taux réduit de TVA restauration alors que nous avons en ce moment le taux maximal qui est de 19,6 %. Pour obtenir ce taux réduit, il faut d'abord que la Commission européenne soit d'accord et qu'ensuite les Etats à l'unanimité en soient aussi d'accord, puisque les décisions en matière fiscale sont en l'état actuel prises toujours à l'unanimité, bien que la France souhaite et plaide depuis longtemps pour qu'elles soient prises désormais, au moins dans certains secteurs, à la majorité qualifiée. La France a adressé un mémorandum à la Commission, où le commissaire en charge est d'accord pour appuyer nos positions, pour présenter les arguments qui plaident effectivement en faveur de l'application du taux réduit de TVA, notamment les arguments en termes de création d'emplois et de relance d'un secteur qui pâtit de la crise internationale et de la baisse du tourisme, y compris en France, et notamment du tourisme venant d'outre-Atlantique. Je vais faire remettre à mon interlocutrice de ce matin la copie du mémorandum que nous avons adressé à la Commission et le Portugal, qui applique déjà un taux intermédiaire, semble avoir une position plutôt ouverte par rapport à notre demande. Donc l'entretien a été positif.
Ensuite nous avons évoqué le grand sujet européen du jour, au moins au titre des politiques internes, qui est la réforme des retraites, une réforme qui a été mise en oeuvre ou qui est en passe d'être mise en uvre dans tous les pays européens, c'est-à-dire non seulement les 15 mais les 25. Des réformes très importantes ont été déjà appliquées en Hongrie, en Pologne et pas seulement dans les pays de l'Europe des 15. Il y a eu aussi cette prise en considération d'un rapport actif-inactif qui est de plus en plus défavorable. Il y a eu un échange de vues qui s'inscrit dans ce qu'on appelle le système de la méthode ouverte de coordination, puisque les retraites restent un sujet de compétence strictement nationale, et il y a des échanges d'informations qui s'effectuent au plan européen, en général sous l'égide de la Commission, une sorte de "benchmarking", mais aussi dans les entretiens bilatéraux, et cela a été le cas ce matin.
Et enfin j'ai abordé deux autres sujets, l'un que j'évoquerai de façon précise avec le secrétaire d'Etat aux Affaires européennes, c'est celui de la Convention. J'ai indiqué que sur l'aspect de la gouvernance économique, la France avait fait des propositions, soit en franco-allemand, soit en franco-hollandais, qui tendent à renforcer les pouvoirs de la Commission pour qu'elle puisse jouer son rôle de surveillance des évolutions économiques et budgétaires des différents Etats membres de l'Union. Puis on a parlé un peu de l'Ecofin, mais surtout j'ai évoqué - et cela a été l'objet aussi des entretiens de M. le Député Lemière -, la question de notre proposition de vente de deux sous-marins Scorpène qui sont le résultat d'un projet de construction franco-espagnol.
On a donc évoqué l'Europe en général, l'avenir de l'Europe, l'avenir économique de l'Europe, les problèmes ponctuels qui sont ceux de la France avec la TVA restauration et puis des questions d'ordre bilatéral.
Q - Sur les sous-marins, quels signaux a-t-elle donnés ?
R - Bien évidemment nous sommes convenus que la décision relevait davantage des propositions et des choix du ministère de la Défense que des choix en première ligne du ministère des Finances, mais elle a bien noté que ce projet revêtait pour nous une importance, non seulement économique, mais politique et symbolique extrêmement forte, dans la mesure où ces matériels sont de très haute technologie, avec des conditions de vente intéressantes, et surtout qu'il ne s'agit pas d'un prototype, c'est-à-dire qu'on a déjà passé des marchés. Donc c'est un matériel qu'on connaît, qu'on perfectionne, pour lequel on a un fort savoir-faire.
Q - Sur la Convention, quelles sont les propositions de la France pour rassurer les petits Etats ?
R - Le premier message que je suis venu porter, comme d'autres délégations françaises, c'est que prendre comme postulat de départ l'idée qu'il y a une approche différente de ce qu'on appelle les petits pays et les grands pays n'est pas bon. Pourquoi ? Premièrement parce que, dans l'histoire de l'Europe, depuis sa fondation à Six jusqu'à aujourd'hui, cette distinction n'a jamais correspondu à quoi que ce soit. Il n'y a pas de privilèges accordés aux grands pays et d'ailleurs, quand l'Europe était à Six, il y avait trois petits pays, dont l'un assez petit, le Luxembourg, et trois plus grands ; il n'y a jamais eu cette problématique. Second point : dans les propositions que nous faisons, la France a versé des contributions à la Convention qui ont une cohérence absolue, dont le maître mot est que l'Europe avance. Pour qu'elle avance, il faut renforcer de façon parallèle ces trois, je dirais même ces quatre institutions, qui sont le Parlement comme législateur, la Commission qui fait jouer sa force de proposition, qui est une force unique en son genre puisqu'elle a le monopole de l'initiative législative et que pour déroger à une proposition de la Commission il faut l'unanimité des Etats au Conseil des ministres, le Conseil européen qui est devenu l'assemblée des chefs d'Etat et de gouvernement incontournable pour donner l'impulsion politique à la construction européenne, sur un plan strictement politique, ce n'est pas du normatif, c'est du politique, et enfin la Cour de Justice qu'on avait un peu oubliée et que la France remet sur le devant de la scène dans le cas des travaux institutionnels, parce qu'on sait très bien que sans la primauté du droit communautaire tout risque de se défaire. Donc nous avons une position totalement cohérente : il faut absolument faire un bond un avant parce que l'Europe agrandit son espace et donc le nombre des parties prenantes aux décisions européennes. Ce bond doit se faire en parallèle par les quatre institutions, et cela, ni pour les grands ni pour les petits, mais pour l'Europe.
Le deuxième point c'est que la France a fait des propositions communes avec d'autres Etats à la Convention. Elle a fait des propositions avec les Espagnols, les Britanniques et les Allemands, certes qui sont des pays plus grands, mais elle a fait aussi des propositions avec des pays plus petits, la dernière en date étant une proposition franco-hollandaise sur le renforcement du rôle de la Commission. On prépare par ailleurs, peut-être, une contribution ou au moins une déclaration commune avec la Grèce, qui n'est pas non plus le plus grand pays, sur les aspects de l'Europe sociale. Et l'on travaille de façon très approfondie avec les pays candidats, la Lituanie, la Lettonie, la Pologne, qui est un plus grand pays, mais aussi la République tchèque. Donc il n'y a pas dans notre esprit de propositions qui soient celles des grands et des propositions qui soient celles des petits, puisqu'on travaille dans des contextes différents avec, selon le cas, tel ou tel pays, sans distinction de sa taille et de son poids démographique.
Troisième élément, c'est vrai que les propositions que la France a faites, conjointement avec d'autres pays, rencontrent un assez large consensus, que ce soit pour ce qui concerne le rôle de la Commission ou que ce soit pour ce qui concerne l'amélioration de la prise de décision en étendant le champ de la majorité qualifiée, en renforçant le pouvoir de co-décision du Parlement européen, ou encore que ce soit en matière de politique étrangère où chacun s'accorde à considérer qu'il faut aller de l'avant. L'idée d'un ministre européen des Affaires étrangères ou d'une personnalité qui, sur mandat des chefs d'Etat et de gouvernement, puisse mettre un uvre et proposer des mesures de politique étrangère en ayant par ailleurs un pied à la Commission européenne pour introduire une cohérence entre la politique étrangère stricto sensu et l'action extérieure par ailleurs, ceci rencontre finalement un très large écho.
Il y a un seul point où une proposition française fait débat, mais un débat qui évolue, c'est de doter le Conseil européen d'un président ou d'une présidente stable et à temps plein, très vraisemblablement, suivant notre souhait, désigné pour deux ans et demi renouvelable une fois, pour coller au mandat de la Commission et du Parlement qui est de cinq ans. Pourquoi ? Parce que 25 pays vont se réunir en Conseil européen au minimum deux fois par an, une fois tous les trimestres, cela veut dire que le président, s'il est en même temps chef de gouvernement, Premier ministre ou président de la République de son Etat, va devoir faire cinquante voyages, avec des impératifs de négociations qui n'auront plus rien à voir avec ceux qui valaient actuellement parce que l'on voit une montée en puissance des nouveaux thèmes de l'Europe - la justice, la politique étrangère, la politique de défense -, des thèmes qui sont au premier plan des politiques européennes parce que cela répond à des impératifs nouveaux de la mondialisation. Donc vous allez avoir tous les thèmes économiques et sociaux, plus un approfondissement des thèmes sociaux, plus les nouveaux chantiers qui ont augmenté considérablement le rôle d'impulsion politique du Conseil européen. Il faut donc quelqu'un qui soit en mesure d'assurer la cohésion. Et ce n'est pas du tout contre les petits pays, bien que les petits pays, c'est vrai, en l'état actuel, semblent éprouver une certaine réticence, encore qu'avec beaucoup on discute très bien. C'est au contraire pour nous un élément de stabilisation du rôle du Conseil européen de cadrer les compétences du Conseil européen dans ce qui est sa vocation, à savoir donner l'impulsion politique à la construction européenne et non pas remplacer les conseils de ministres en énumérant toute une série de propositions un peu disparates. Et troisièmement, surtout, le Conseil européen est le lieu par excellence du respect du principe sacro-saint de l'égalité entre Etats parce qu'au Conseil européen on dégage des consensus et la voix d'un Etat plus petit, Malte ou le Luxembourg ou le Portugal équivaut à la voix d'un Etat plus grand comme l'Allemagne ; c'est une enceinte dans laquelle les Etats s'expriment en tant qu'Etats, il n'y a pas de pondération puisque ce n'est pas une enceinte où on vote véritablement.
Q - Mais comment concilier cela avec l'opinion des petits pays qui sont très attachés à la présidence tournante ?
R - Nous sommes extrêmement sensibilisés au souhait de tous les Etats - d'ailleurs c'est vrai autant pour nous que pour les autres -, d'être directement partie prenante au fonctionnement d'une institution européenne. On a fort bien compris que les Etats souhaitent avoir le maximum de députés au Parlement européen. On est assez sensibilisé aussi, plus pour des raisons politiques que d'efficacité, au souhait des Etats d'avoir chacun un commissaire, bien que cela n'ait pas été d'emblée notre position parce qu'on avait plutôt dans l'idée de renforcer l'efficacité et donc de resserrer la Commission. Mais maintenant on est tout à fait à l'écoute de ces demandes et on est tout à fait à l'écoute des aspirations des Etats d'avoir un rôle de "leadership" à un moment donné dans le cadre du Conseil européen. C'est pourquoi on réfléchit à des présidences tournantes pour des Conseils des ministres, on réfléchit même aux lieux où peuvent avoir lieu ces Conseils européens, bien qu'on ait plutôt maintenant accepté que cela se déroule plus à Bruxelles, encore que l'on soit tout à fait à l'écoute de cela. Et pour vous donner un exemple qui est un peu un "scoop", on travaille sur cette question, notamment avec certains pays candidats - et je pense à la Pologne -, mais avec d'autres aussi, sur ce qu'on appelle la "job description" du Conseil européen. L'idée forte de la France c'est qu'il faut avancer et que pour avancer il faut consolider des institutions qui devront, non pas tirer derrière elles, mais entraîner vers l'avant 25 représentants de 25 identités nationales représentant différents intérêts qu'il faut conjuguer. Et pour conjuguer les intérêts entre les Etats, il faut des règles de droit, des processus de décision et des mécanismes institutionnels qui soient renforcés. Le maître mot, c'est renforcer les institutions, toutes les institutions, pour que l'Europe continue d'avancer.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 avril 2003)
Interview à "Publico"
Q - On peut peut-être commencer par la Convention qui va entrer maintenant dans une période très importante et très décisive. Il y a cette question de la présidence du Conseil européen qui préoccupe les petits pays. Je sais, en ayant lu vos précédents entretiens, que vous n'aimez guère cette séparation entre les grands et les petits. Mais est-ce qu'un compromis sera possible entre les positions de ceux qui, comme la France et les autres grands pays, défendent la présidence d'un conseil européen, et celle des petits pays qui veulent maintenir les présidences tournantes ?
R - De toute façon il faudra arriver à une position commune dans la mesure où la future constitution européenne sera le fruit d'un vote à l'unanimité de tous les Etats membres de l'Union. Deuxièmement il y a déjà pour partie des positions qui sont semblables et par ailleurs il y a des objectifs qui sont les mêmes de la part de l'ensemble des Etats de l'Union européenne. Aucun Etat, pas plus le Portugal que la France, ne veut affaiblir l'Europe. Tous les Etats veulent renforcer toutes les institutions, qu'il s'agisse du Parlement européen, de la Cour de justice, de la Commission ou du Conseil européen. Tout le monde est d'accord pour dire que, parce que l'Europe va rassembler une famille plus nombreuse, il faut que les règles, que les institutions, soient renforcées, que le mode de décision soit allégé et que les procédures soient simplifiées. On a exactement les mêmes objectifs. Sur la majorité des sujets on est d'accord.
Si on reprend les institutions, en mettant peut-être à part la Cour de justice, on n'en a pas encore beaucoup discuté, nous, Français, voulons permettre à cette Cour de faire face à un accroissement des contentieux et par ailleurs peut-être une certaine ouverture pour que le citoyen puisse dans certaines conditions saisir la Cour de justice, ce qu'il ne peut pas faire actuellement. Mettons à part cette institution un peu particulière. Sur tous les autres thèmes institutionnels il y a un accord, comme sur le renforcement du Parlement européen et la procédure de codécision, sur le renforcement de la Commission européenne et l'extension de la majorité qualifiée, qui donnera plus de poids aux propositions de la Commission. Il y a un accord autour de l'idée que le Conseil européen, qui donne les grandes orientations politiques qui permettent à la construction européenne de franchir de nouvelles étapes, doit lui-même être renforcé au sens où, à vingt-cinq, il faut trouver les moyens d'assurer sa cohésion.
A partir de là il y a des solutions qui ont été proposées par les uns et par les autres. Avec certains autres Etats, nous pensons qu'il faut aller vers un président du Conseil qui anime les travaux du Conseil européen et qui surtout permette de préparer les réunions du Conseil européen de manière à ce que celui-ci ne reflète pas les divisions des Etats, mais au contraire puisse décider sur les bases les plus consensuelles possibles. D'où notre proposition, avec d'autres pays, dont l'Allemagne, qui est pour une intégration communautaire très forte, d'un président du Conseil stable.
Mais nous comprenons ce que nous demandent aussi d'autres pays autour de l'idée du maintien de la rotation, idée que nous ne pensons pas adaptée à la nouvelle donne européenne. Nous comprenons que chaque pays a besoin de s'approprier, pour donner plus de visibilité à son intégration dans l'Europe, les institutions, dont le Conseil européen. On peut s'approprier le Parlement européen puisqu'on a tous des députés européens élus au suffrage universel. On peut s'approprier la Commission puisque, en fait, dans les années qui viennent il y aura un commissaire par Etat. On s'approprie d'une certaine manière le Conseil européen, puisqu'il y a un chef d'Etat et de gouvernement par Etat, mais le Conseil européen se réunit sous les feux de la rampe. Les médias suivent les Conseils européens et ce que nous voulons c'est que le Conseil européen qui est le moteur des avancées de la construction européenne, qui définit les grandes orientations, se déroule d'une façon qui ne soit pas conflictuelle mais consensuelle.
Q - Vous connaissez les objections des petits pays : d'abord sur la structure de direction double de l'Union européenne, avec un président de la Commission et un président du Conseil et ensuite sur le fait que le président du Conseil européen, c'est une façon, pour les grands pays, de maintenir le contrôle politique de l'Union européenne. Comment est-ce que vous répondez à cela ?
R - Premièrement, sur la double présidence. En fait il y a trois présidences, il y a le président du Parlement, il y le président de la Commission et le président du Conseil. D'abord je fais observer que le président de la Commission siège au Conseil européen. Il n'y a pas de double présidence, il y a une fonctionnalité qui est complètement différente. Le Conseil européen se réunit deux jours tous les trois mois. La Commission se réunit une fois par semaine et même plus souvent si nécessaire, donc ce n'est pas du tout le même exercice. Ensuite, les missions ne sont pas du tout les mêmes, la Commission a un pouvoir normatif de propositions, de normes qui sont les directives, les règlements, et elle a un pouvoir exécutif.
Le Conseil européen définit les grandes orientations stratégiques de l'Union européenne. Donc les modes de fonctionnement et les missions sont complètement différents et d'autre part, pour ce qui est des grands et des petits, il est évident qu'il n'y a pas de pouvoir d'influence supérieur des Etats qui ont un poids démographique plus grand par rapport aux Etats qui ont un poids démographique moins grand. Il y a un ensemble de pays qui comptent chacun à égalité, à parité, non pas au niveau des votes qu'ils représentent évidemment comme c'est le cas d'ailleurs dans toutes les assemblées parlementaires où vous avez des représentants des différentes circonscriptions, leur poids est démographique, mais au niveau de l'institution qui représente les Etats au travers de leur chef d'Etat et de gouvernement il y a égalité totale. Et je peux vous dire que dans les discussions, ce ne sont pas les grands Etats qui gagnent sur les petits, car tous se sont mis d'accord pour que la stratégie de Lisbonne aille plus loin, pour que l'on prenne en compte beaucoup mieux les problèmes de sécurité maritime, pour qu'on énonce des positions communes sur l'Irak, tout cela s'est fait au Conseil de Bruxelles du 21 mars et il n'y a pas eu un poids supérieur des grands Etats et des petits Etats, d'ailleurs parce que certains, les grands Etats, sur certaines questions, n'étaient pas tout à fait d'accord. Donc, chacun a fait des concessions réciproques.
Q - M. Giscard d'Estaing a dit à Athènes, en répondant justement aux critiques des petits pays contre l'idée du président européen, que les petits étaient dix-neuf mais qu'ils représentaient 30% seulement de la population européenne, et que l'idée du président du Conseil était soutenue par 70% de la population, parce que les cinq grands Etats représentent 70%. Comment réagissez-vous à cela ?
R - Je ne vais pas rentrer dans des calculs de pondération démographique. Ce que je peux vous dire, et c'est un peu un "scoop", c'est que, parce que nous sommes sensibilisés à une discussion qui a été très consensuelle pour la majorité des Etats mais où il y a peut-être des malentendus sur certains aspects, nous avons décidé tout à l'heure avec nos amis portugais d'aller plus loin dans la réflexion sur le fonctionnement du Conseil européen dans cette nouvelle configuration d'une Europe à vingt-cinq et demain à vingt-sept. Donc on va travailler en étudiant ensemble, non pas pour faire une contribution mais simplement en réfléchissant, quelles sont les formules, les arguments pour, les arguments contre, parce qu'on pense que sur ces sujets il faut discuter, parce qu'on a exactement les mêmes objectifs et que, en réalité, à l'expérience, on voit très bien qu'il n'y a pas prédominance des grands sur les petits, que chacun avance ses propositions et que, in fine, les décisions sont prises en commun sans distinguer les petits et les grands. On sent très bien qu'il y a une bonne base de départ et qu'on arrive à certains blocages et on souhaite discuter des blocages de façon très ouverte. Comme on a un lien très privilégié avec votre pays, nous allons discuter de façon très ouverte et très approfondie sur ces sujets en franco-portugais.
Q - Il y a aussi un autre argument selon lequel un président du Conseil européen aurait une fonction de représentation de l'Europe. Mais pourquoi avoir un président du Conseil européen comme représentant international de l'Europe si la proposition de la France, qui est, je crois, acceptée par tout le monde, c'est aussi d'avoir un ministre des Affaires étrangères de l'Europe ?
R - Parce que le ministre des Affaires étrangères aura aussi des missions ponctuelles. Par exemple on a donné à M. Solana une mission dans les Balkans pour favoriser l'adoption d'une Charte constitutionnelle, d'une Constitution, en Serbie Monténégro. On lui a donné des missions liées au problème de la Corée du Nord, la mission d'aller discuter en Asie de la non-prolifération des armes de destruction massive, on lui a donné toutes sortes de missions distinctes. On souhaite distinguer le rôle d'animation du Conseil européen avec quelqu'un qui soit le président du Conseil, qui représente à un moment donné le Conseil européen, qui peut très bien, comme c'est le cas actuel, aller discuter dans différentes instances avec le président de la Commission, et puis avoir un ministre des Affaires étrangères qui soit un "Solana plus".
Q - Ce "plus", c'est quoi exactement ?
R - "Plus", ce sont des mécanismes qui ne sont pas encore déterminés parce qu'ils sont encore très largement en débat, des mécanismes plus intégrés, plus forts en matière de définition de la politique étrangère et des positions communes.
Q - Il y a l'autre question très importante de la Convention, qui n'est pas encore résolue du point de vue politique, même si du point de vue institutionnel ça a l'air de marcher, c'est la question de la politique étrangère commune et de la politique de défense. La crise internationale a profondément divisé l'Europe. Comment est-il possible pour les Européens, pour les différents Etats membres, de faire avancer la PESC et la PESD à partir d'une fracture tellement forte entre différents pays de l'Union.
R - Tout d'abord, la politique étrangère c'est une idée neuve. On n'avait pas imaginé, jusqu'en 1992, Traité de Maastricht, que ce qui est constitutif de l'identité nationale, de la souveraineté nationale, c'est-à-dire le positionnement sur la scène mondiale, puisse devenir une politique européenne. Cela a été décidé il y a dix ans et on progresse pas à pas. On n'était pas très bien parti sur les Balkans, on s'est rétabli maintenant avec un accord unanime sur la politique européenne dans les Balkans qui a conduit à la première concrétisation de l'Europe de la défense en Macédoine.
Selon que vous regardez "la bouteille à moitié vide" ou "la bouteille à moitié pleine" ; la bouteille à moitié vide c'est vrai que les Européens n'ont pas encore la même vision de la justification d'une guerre en Irak, puisque nous nous étions pour que les inspections se poursuivent, qu'on aille jusqu'au bout de la logique de la résolution 1441, et d'autres Européens ont suivi les Américains, mais en revanche quand vous regardez ce que cette crise, qui est aussi une crise de croissance, une crise de mutation de l'Europe, a généré comme prise de conscience par les opinions publiques de la légitimité d'une politique étrangère de l'Europe et comme exigence nouvelle du citoyen de voir l'Europe se présenter de manière unie pour faire face aux grandes crises mondiales, exigence qui n'a jamais été formulée à ce point ces dernières années, même sur la crise du Proche-Orient et le conflit israélo-palestinien à propos duquel les Européens sont totalement unanimes et ont pris des positions communes. En revanche, à travers cette crise irakienne, il y a maintenant une légitimation de l'idée même de la politique étrangère et de sécurité commune par les citoyens, par les opinions publiques.
Deuxièmement, malgré ces différences ou ces divergences entre Européens sur la guerre elle-même, sur les principes mêmes de la politique étrangère, il n'y a eu de cesse d'avoir des déclarations communes des Quinze auxquelles d'ailleurs se sont ralliés les pays candidats au Conseil du 21 mars : primauté du droit international, il y a eu une interprétation différente sur la résolution, mais primauté du droit international, rôle des Nations unies, primauté du rôle des Nations unies, et maintenant urgence humanitaire et rôle immédiat de l'Union européenne face à l'urgence humanitaire également dans la déclaration récente, plus principe du droit international, du respect de la souveraineté, du rétablissement de la souveraineté de l'Irak, de l'intégrité territoriale, etc. Donc sur les grands principes, sur les grands objectifs, il n'y a pas eu l'ombre d'une discussion.
Q - Mais il y a quand même une question sans laquelle il est impossible, je crois, de construire une PESC ou une PESD : comment évaluer l'importance de la relation transatlantique ?
R - C'est aussi un point très important, de manière sous-jacente. Le problème de la relation transatlantique se pose parce que cette relation doit être renouvelée à l'aune d'une Europe qui n'a pas du tout la même physionomie que ce qu'était l'Europe avant la chute du mur de Berlin. La vocation de l'Europe a changé, donc la vocation de la relation transatlantique doit aussi être repensée. Lors de chaque Conseil européen - cela a été le cas à Athènes le 17 avril, au Conseil européen du 21 mars à Bruxelles et à tous les Conseils des ministres des Affaires étrangères, les Conseils Affaires générales, depuis ces derniers mois -, l'un des problèmes, l'un des sujets qui est prioritaire dans les discussions, c'est les nouveaux voisins, la Russie, les pays du processus euroméditerranéen, les équilibres mondiaux, comment se situer politiquement, géostratégiquement. Tout cela se discute comme jamais on avait imaginé de discuter des positionnements politiques de l'Europe dans le monde, dans des conditions qui sont celles d'une crise internationale mais qui a de multiples facteurs, et cela montre bien qu'on est en train d'avancer.
Q - Mais dans la proposition que les Français et les Allemands ont présentée pour la réforme institutionnelle à la Convention, il y avait l'idée qu'on peut utiliser la majorité qualifiée dans les questions PESC. Après cette crise la France soutient-elle encore cette proposition ?
R - Il faut observer que d'ores et déjà dans le Traité, depuis Amsterdam et cela a été encore consacré par le Traité de Nice, il y a déjà une possibilité de prendre les décisions à la majorité qualifiée pour les actions communes. Cela n'a jamais été mis en place, mis en uvre, mais il y a déjà cet axe. Nous souhaitons aller plus loin, donc on fait cette proposition qui se fera maintenant ou plus tard, il faut maintenir une progressivité, il ne s'agit pas, dans un domaine qui est le plus sensible, le plus lié à la souveraineté nationale, d'anticiper les étapes de l'intégration européenne de la politique étrangère. Mais ce qui est sûr en tout cas - on reste fermement attaché à cela comme le président de la République et Dominique de Villepin le disent à tous leurs interlocuteurs européens -, c'est qu'il faut aller de l'avant en matière de politique étrangère. Il faut aller de l'avant non seulement au niveau des institutions et des procédures, mais en crédibilisant la politique étrangère grâce à la mise en place d'un vraie Europe de la défense qui est encore naissante. Parce que la politique étrangère, ce sont les objectifs, mais pour atteindre ces objectifs il faut des moyens et le président de la République a indiqué récemment à Athènes lors de la conférence de presse qu'il a donnée après la signature du traité d'adhésion, que peut-être puisqu'il faut avancer il serait opportun d'avancer déjà d'emblée sur la politique de défense et puis après de discuter d'une façon la plus ample possible des mécanismes de la politique étrangère ; mais déjà notre détermination c'est l'Europe de la défense.
Q - Qu'est-ce que la France envisage exactement pour ce sommet du 29 avril avec le Luxembourg et l'Allemagne ?
R - C'est un espace de discussion. Ce sont nos amis belges qui l'avaient proposé depuis très longtemps. Cela a été fixé au 29 avril. Il y a toutes les bonnes raisons de penser que plus on parlera d'un sujet qui se pose aujourd'hui, c'est à dire la politique de la défense et la politique étrangère, mieux ce sera. On nous a proposé ce format qui est intéressant et on souhaite que cela ajoute aux contributions qui ont été faites déjà et qu'on retient d'ailleurs, qu'on reprend à notre compte, par exemple comme le fait le groupe Défense de la Convention.
Q - Mais pensez-vous qu'après cette crise internationale, avec une Europe à vingt-cinq pays, la défense est un domaine parfait pour une coopération renforcée ?
R - C'est vrai que la coopération renforcée peut s'appliquer à la défense. On ne peut pas obliger les Etats qui sont neutres comme par exemple Malte, la Suède, l'Irlande ou l'Autriche. C'est évident que l'Union européenne respecte totalement la volonté des Etats d'adhérer à la politique de défense européenne. Au sein de la politique de défense européenne, il y a des Etats qui peuvent aller plus loin, qui peuvent vouloir aller plus loin ou moins loin, ne serait ce que parce qu'il y a un principe fondamental, au moins en l'état actuel des choses, c'est que les forces militaires européennes ce sont des forces nationales mises au service d'une politique européenne de défense.
Q - Vous croyez qu'il sera possible d'avoir une défense européenne sans le Royaume-Uni ?
R - Non, il faut le Royaume-Uni. Ce sommet n'est pas un organe décisionnaire. On a déjà fait une contribution franco-allemande sur la défense, même avant la contribution franco-britannique sur la défense, et à cet égard il faut vivre avec l'idée - de même qu'on va travailler avec les Portugais sur tel sujet, de même qu'on a apporté une contribution avec les Hollandais sur la Commission - il faut vivre avec l'idée que l'Europe sera maintenant un espace de discussions, au départ entre certains Etats qui vont discuter entre eux et puis qui vont faire des propositions ouvertes.
Q - Mais l'idée d'une avant-garde européenne c'est une idée qui a déjà deux ou trois ans. C'était une idée très chère au Président Chirac et très chère à l'idée que la France se faisait de l'Europe
R - Il n'y a pas d'avant-garde intangible.
Q - Mais croyez-vous que cette idée peut être renouvelée maintenant face à la situation que la crise internationale a imposée à l'Europe, face à l'imminence de l'élargissement à vingt-cinq pays ? Les dix pays qui vont rentrer, il leur faut du temps pour s'adapter à la façon de vivre de l'Europe.
R - Je crois qu'il faut distinguer deux choses. Il y a d'abord des Etats qui vont représenter une certaine force de propositions à un moment donné et cela peut être n'importe quel Etat, de même qu'il y a eu des prises de position à sept ou à seize, etc. Nous avons apporté des contributions franco-allemandes, franco-néerlandaises et maintenant peut être franco-grecques, donc il y a certains Etats qui ne sont pas des noyaux durs ni des avant-gardes, mais ce sont des Etats qui vont se réunir, qui vont faire des propositions ouvertes aux autres. C'est le sens de tout ce qui est fait. Il y a eu une proposition Espagne-Grande-Bretagne sur les institutions, il y a des Etats qui discutent entre eux et qui font des propositions, sans exclusivité, simplement parce qu'on est obligé de prendre ce format, et puis il y a, pour la mise en uvre de certaines politiques qui ont été décidées au niveau de l'Union, il peut y avoir des formes de coopération renforcée. La défense est sans doute le terrain privilégié parce qu'il y a à la fois qui veut consacrer de l'argent à son budget de la défense et qui veut intervenir ou ne pas intervenir, etc... ; mais en dehors même du secteur de la défense il peut y avoir peut-être des Etats qui voudront aller un petit peu plus vite, mais ceux-là ne seront pas toujours les mêmes. Par exemple l'espace de justice européen, c'est totalement un exercice libre, il peut y avoir des Etats qui sont d'accord avant les autres pour aller un petit peu plus loin par exemple pour, à cinq ou six, faire un parquet européen puis donner aux autres le temps d'adapter leur système judiciaire et puis se joindre à cet espace judiciaire commun. Il peut y avoir des cas où cela paraîtra préférable d'aller plus vite à moins de vingt-cinq plutôt que d'attendre un consensus qui serait retardé d'une dizaine d'années.
Q - Vous avez écrit justement que la justice, la politique étrangère et la défense étaient les prochains chantiers de l'Europe et vous avez dit aussi dans ce même article qu'il nous faut maintenant avancer dans le sens d'un gouvernance politique de l'Europe. Qu'est-ce que cela veut dire ?
R - Cela veut dire que les opinions publiques sont maintenant conscientes de la dimension politique de l'Europe. Elles en sont conscientes comme c'est souvent le cas à travers les débats, les crises, etc. et il faut que cette conscience publique européenne se traduise dans les institutions, dans la gouvernance. Il faut donc plus d'accessibilité aux institutions, c'est pour cela que nous, en France, avons réformé les élections au Parlement européen ; elles ont été régionalisées pour que les députés européens soient plus proches de leurs électeurs, qu'ils puissent "rendre des comptes" à leurs électeurs, pour qu'ils ne soient pas des représentants élus qu'on ne peut appréhender individuellement. Il faut que cela soit plus visible donc grâce à la simplification des procédures, nous sommes très proches ou même exactement sur le même terrain que les Portugais, c'est-à-dire que nous trouvons qu'il faudrait plus distinguer le législatif et l'exécutif et qu'il ne faudrait peut-être pas, selon ce principe de subsidiarité, que l'Europe traite de tout dans les moindres détails ; de même que nous, en France, avons décentralisé, il faut peut-être "dégonfler" un petit peu certains domaines de compétence ; il faut aussi, et cela va dans le sens de cette prise de conscience politique, que les politiques communes, les politiques de solidarité comme la politique agricole, les fonds structurels, peut-être demain la recherche - mettre ensemble nos moyens technologiques, notre capital scientifique - et peut-être aussi l'aménagement du territoire, le désenclavement, les réseaux trans-européens, il faut qu'à travers les politiques communes, ce qu'on met dans le "pot commun" donne du sens à l'Europe pour les citoyens. Donc c'est l'idée de l'accessibilité, de la simplification, de la lisibilité, c'est cela qui est un des grands défis de l'Europe. On sent qu'il y a maintenant une demande des opinions publiques pour une plus grande compréhension de l'Europe, donc ça c'est un grand enjeu.
Q - Une dernière question, sur les thèmes que vous avez abordés avec la ministre portugaise des Finances.
R - Nous avons évoqué les problèmes qui nous sont communs, le Pacte de stabilité et de croissance ; les deux pays sont en train de prendre des mesures. On a parlé aussi d'un sujet qui nous tient à nous beaucoup à cur, c'est celui de la TVA sur la restauration ; ici, au Portugal, vous appliquez un taux intermédiaire dont vous n'avez pas peut-être ressenti les effets économiques ; nous voudrions une mesure analogue et accompagner cette mesure de garanties pour qu'il y ait des créations d'emplois, "emplois jeunes", etc., donc nous demandons aux responsables portugais de comprendre notre préoccupation, de nous appuyer et aussi de voir comment on pouvait mettre en place cette mesure pour qu'il y ait des retombées économiques et sociales, peut-être plus qu'ici. On a parlé aussi des questions de retraite, mon collègue François Fillon, qui conduit avec Jean-Paul Delevoye cette réforme, est évidemment venu dans tous les pays européens et il est important aussi pour le ministre des Affaires européennes de se renseigner pour voir comment ici les questions sont abordées parce que dans tous nos pays qui ont atteint un certain niveau de développement on est confronté au vieillissement de la population et à un rapport actifs-inactifs qui est de plus en plus difficile à gérer économiquement et ce n'est pas sans lien avec le Pacte de stabilité. Et puis on a aussi évidemment parlé de la question de la Convention et de la gouvernance économique et de la proposition que la France a faite au gouvernement portugais d'un marché sur les sous-marins
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 avril 2003)
La délégation est formée, en dehors de mes collaborateurs, de M. Lemière, député de Normandie (département de la Manche), vice-président du groupe d'amitié France-Portugal et membre de la commission de la Défense. Sa double qualité n'est pas indifférente à notre délégation commune. Alors que l'élargissement est déjà un peu derrière nous, les sujets que nous avons traités avec les différents interlocuteurs concernent le contexte économique, les grands défis économiques, essentiellement avec la ministre des Finances, Mme Ferreira Leite. Puis avec mon correspondant habituel, M. Costa Neves, nous avons parlé de la Convention, de la politique étrangère et de la politique de la défense, du dialogue euro-méditerranéen et de l'avenir des politiques communes en général et plus particulièrement de la politique agricole commune et des fonds structurels et enfin de certaines questions bilatérales. Et je viens d'avoir un grand débat avec l'ancienne secrétaire d'Etat aux Affaires européennes, Mme Teresa Moura, qui est venue avec un groupe représentant la société civile, le directeur de l'Institut des Etudes stratégiques, le directeur de la communication de l'Association des industriels portugais et un commentateur de presse. Nous avons eu un large débat et une discussion sur la perception par la classe politique portugaise et les opinions publiques au Portugal de l'Europe aujourd'hui : quelles sont les questions qui sont posées au niveau politique par rapport à ce qui est ressenti au niveau des opinions publiques, au regard évidemment de ce qui se passe actuellement, de la crise internationale et des enjeux de politique étrangère, notamment, et comment sont ressentis les débats à la Convention, qu'il s'agisse des débats institutionnels ou des débats sur d'autres sujets comme le modèle social européen ? Nous avons aussi été reçus par le président de la Commission des Affaires étrangères et des Affaires européennes, M. Gama, avec des représentants des différents partis politiques, les deux partis de la majorité gouvernementale et le parti socialiste. Et là nous avons eu un débat essentiellement sur les institutions, sur la politique étrangère et sur la politique de défense. Voilà les thèmes.
Nous avons pris aujourd'hui une décision de concertation à la suite du débat que nous avons eu avec mon homologue, c'est de travailler en franco-portugais au niveau des services techniques, des cabinets et services du ministère, sur le fonctionnement institutionnel dans le détail, essentiellement le futur Conseil européen à vingt-cinq, étant entendu qu'on sent qu'il y a à la fois un besoin de renforcer l'efficacité de ce Conseil afin que des positions communes puissent se dégager et que les conseils européens puissent être bien préparés, et de tenir compte aussi de l'attachement des pays en règle générale à ce que leur participation, voire leur "leadership" au sein de ce Conseil, puisse apparaître de façon suffisamment visible pour renforcer le sentiment d'adhésion à l'Europe des citoyens. C'est tout le problème des débats sur notre position d'un président stable qui puisse assurer une bonne cohésion au sein du Conseil européen et le souci d'autres pays, comme le Portugal, de pouvoir assurer une forme de rotation. Nous essayons de travailler sur les mécanismes différents qui puissent concilier les deux propositions ou au moins de débattre, non plus entre pays qui sont d'accord sur tout, mais entre pays qui ont à rechercher, puisque in fine il faudra bien trouver un accord sur tout, quels sont les arguments des uns et des autres qu'on peut mettre sur la table pour essayer de préparer l'avenir, au moins les débats qui auront lieu au sein de la Conférence intergouvernementale sur ce point. Parce que nous avons constaté quand même tout au long de la journée qu'il y a un accord sur la majorité des questions évoquées au sein de la Convention, l'intégration de la Charte, les droits fondamentaux dans le traité. M. de Villepin a été signataire avec le ministre portugais, M. Martins da Cruz, d'une déclaration de 1990, avec les conventionnels portugais, demandant l'intégration de la Charte des droits fondamentaux des citoyens dans le traité. Nous sommes d'accord autour de l'idée qu'il faut renforcer le Parlement, son mécanisme de décision, la co-décision ; nous sommes d'accord sur le renforcement de la commission et finalement nous sommes d'accord, nous Français, bien que nous soyons encore, d'un point de vue d'efficacité, attentifs à ce que pourra devenir cette commission dans l'Europe élargie, au moins nous avons été à l'écoute des demandes des Etats qu'il y ait au moins un commissaire par Etat. Mais nous sommes tous d'accord d'une manière générale pour renforcer l'efficacité de la Commission, pour en renforcer l'impact, pour étendre le champ de la majorité qualifiée autant que faire se peut et pour renforcer le Conseil européen. Donc ce qui reste essentiellement à faire c'est de décider comment est-ce que finalement ce conseil va fonctionner. Et là nous avons décidé, compte tenu de nos liens culturels, historiques, d'amitié, de mettre sur la table les arguments des uns et des autres, non pour faire une contribution, mais pour discuter, pour essayer de faire avancer la réflexion.
Q - Sur le sommet du 29 avril et le problème de la défense, est-ce que vous avez le sentiment que la France et le Portugal ont des vues convergentes ou différentes sur la manière de construire la PESD ?
R - Le sommet du 29 avril est une rencontre entre pays qui font des propositions, mais qui est totalement ouverte. Il ne s'agit pas de constituer un groupe de pays qui absorberont la problématique de l'Europe de la défense. Le Premier ministre belge a demandé cette rencontre qui est simplement une rencontre de discussions, éventuellement de propositions, mais qui ne préfigure aucun schéma du futur sur l'Europe de la défense.
Nos interlocuteurs ont convenu que l'Europe de la défense avait un sens aujourd'hui. Nous avons discuté des capacités militaires de l'Europe, nous avons rappelé très fermement que nous pensions que l'Europe de la défense veut dire aussi capacité militaire, armement, industrie de l'armement et recherche dans les domaines de haute technologie militaire, ne serait-ce que parce que ces capacités sont l'élément de crédibilisation d'une politique étrangère. Là il y a eu évidemment un échange de vues sur la place de l'OTAN, les rapports UE-OTAN, la relation transatlantique et nous avons évidemment évoqué les accords permanents qui viennent d'être adoptés entre l'UE et l'OTAN pour se féliciter les uns et les autres de ce que l'Europe de la défense commence à se concrétiser en Macédoine, avec quelques forces présentes sur le terrain pour des opérations de maintien de la paix, de surveillance. Nous avons parlé aussi de la position britannique, de la position française. Nous avons une approche complètement identique à celle des Britanniques qui ont joué un grand rôle comme vous le savez dans cette avancée, comme nous. Donc, sur ce plan, nous sommes convenus que l'Europe de la défense était un des nouveaux défis. Il y aura certainement à rediscuter mais nous n'avons pas approfondi la réflexion de la notion d'objectif de capacité militaire.
Nous avons redit que la relation UE-OTAN était effectivement tout à fait importante et nous avons fait observer conjointement qu'il n'y avait pas d'objection au niveau des pays européens à ce que l'OTAN prenne la relève des forces qui interviennent actuellement en Afghanistan.
En résumé ce qui est ressorti de tous ces entretiens, le fil directeur de tous ces entretiens, c'est que le sujet central, c'est l'Europe politique dans ses différentes dimensions. C'est-à-dire d'abord la citoyenneté : comment les citoyens vivent l'Europe, qu'est ce qu'ils attendent de l'Europe, comment leur expliquer l'Europe, comment leur faire prendre conscience qu'ils ont prise sur l'Europe ? Le deuxième sujet, c'est la gouvernance politique de l'Europe. Cela a été aussi au centre des discussions, le Conseil, la Commission, etc Là tout le monde est d'accord pour dire qu'il faut renforcer les institutions, que plus la maison s'agrandit, plus il faut que les fondations soient solides. Troisièmement, la politique étrangère. Tout le monde est d'accord pour dire qu'il faut que cette politique qui est en construction soit de plus en plus visible en tant que politique commune. Et quatrièmement, sur la défense. Là il y a une prise de conscience de ce que la problématique de l'Europe de la défense est le complément obligé de la volonté de faire avancer une politique étrangère et de sécurité commune.
A part cela, sur cette base, il y a des débats, des sensibilités, mais le fil conducteur c'est vraiment le questionnement sur la nature politique de l'Europe qu'on veut construire ou qu'on veut consolider. Nous avons également rappelé notre "credo" euro-méditerranéen qui nous est totalement commun et qui est pour nous partie intégrante de ce qu'on appelle les voisins de l'Europe. C'est une problématique qui prend de plus en plus d'importance avec l'arrivée des nouveaux pays qui, eux, ont à intégrer leur nouvelle relation avec la Russie en tant que nouvelle frontière et il y a des pays qui sont d'ailleurs des pays candidats comme Chypre et Malte qui ont aussi à intégrer dans l'Europe et hors de l'Europe leur relation euro-méditerranéenne. Nous n'en avons pas beaucoup discuté parce que nous sommes d'accord sur tout et c'est une des dimensions du bilatéral franco-portugais qui est très forte puisque mon collègue Renaud Muselier est venu précédemment pour préparer le dialogue "5 + 5" qui s'est tenu le 9 avril à Sainte-Maxime
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 avril 2003)
Interview à l'AFP :
Q - Que pouvez-vous nous dire sur votre rencontre de ce matin avec Mme Ferreira Leite, ministre des Finances du Portugal ?
R - Nous avons évoqué évidemment la question de la crise économique internationale et de ses répercussions sur tous les Etats européens, notamment ceux qui éprouvent des difficultés financières et économiques plus marquées que les autres. Elle a très largement évoqué les problèmes structurels du Portugal, notamment la grande dépendance vis-à-vis des investissements étrangers, vis-à-vis du commerce extérieur.
Nous nous sommes accordées sur un point essentiel, qui est la validité du Pacte de stabilité et de croissance comme objectif incontournable lié à la nécessité d'assurer le plein succès de l'Euro et de pérenniser ce succès. Nous nous sommes aussi accordées autour de l'idée que la ligne actuelle qui tend à fixer les critères du Pacte, c'est-à-dire de ne pas dépasser les 3 % du déficit budgétaire, était convenable dans la mesure où on ne fixe plus de "deadline", d'année-butoir où on doit absolument approcher de l'équilibre. On ne remet pas en cause les critères de stabilité et de croissance, mais on permet aux Etats de s'adapter progressivement, et dès que le clignotant s'allume, c'est-à-dire s'ils sont en passe de dépasser les 3 % ou s'ils dépassent les 3 %, à ce moment-là des mesures doivent être mises en uvre progressivement. Nous nous sommes accordées aussi sur la validité de cette approche. Enfin nous avons évoqué le problème de l'endettement de certains pays et, là aussi, bien que cela ne soit pas complètement attaché à la notion de Pacte de stabilité et de croissance, nous sommes convenus que c'était un problème européen pour certains pays, peut être davantage pour l'Italie et la Belgique d'ailleurs que pour d'autres, qui devait aussi être traité. L'idée c'est un large accord sur la validité du Pacte de stabilité et de croissance, et la démarche maintenant retenue, qui est d'ailleurs assez récente, est de poursuivre cet objectif en écartant plus ou moins l'idée d'une date-butoir. Cela a été le premier sujet lors de notre entretien. Mme Ferreira Leite a alors évidemment évoqué le fait qu'il y avait une interdépendance très grande entre l'économie portugaise et l'économie française puisque nous sommes de forts investisseurs au Portugal.
Par ailleurs, j'ai évoqué un dossier qui tient particulièrement à cur au gouvernement français, au président de la République et au Parlement, celui de la baisse du taux de TVA de la restauration. Comme vous le savez, la France souhaite pouvoir appliquer le taux réduit de TVA restauration alors que nous avons en ce moment le taux maximal qui est de 19,6 %. Pour obtenir ce taux réduit, il faut d'abord que la Commission européenne soit d'accord et qu'ensuite les Etats à l'unanimité en soient aussi d'accord, puisque les décisions en matière fiscale sont en l'état actuel prises toujours à l'unanimité, bien que la France souhaite et plaide depuis longtemps pour qu'elles soient prises désormais, au moins dans certains secteurs, à la majorité qualifiée. La France a adressé un mémorandum à la Commission, où le commissaire en charge est d'accord pour appuyer nos positions, pour présenter les arguments qui plaident effectivement en faveur de l'application du taux réduit de TVA, notamment les arguments en termes de création d'emplois et de relance d'un secteur qui pâtit de la crise internationale et de la baisse du tourisme, y compris en France, et notamment du tourisme venant d'outre-Atlantique. Je vais faire remettre à mon interlocutrice de ce matin la copie du mémorandum que nous avons adressé à la Commission et le Portugal, qui applique déjà un taux intermédiaire, semble avoir une position plutôt ouverte par rapport à notre demande. Donc l'entretien a été positif.
Ensuite nous avons évoqué le grand sujet européen du jour, au moins au titre des politiques internes, qui est la réforme des retraites, une réforme qui a été mise en oeuvre ou qui est en passe d'être mise en uvre dans tous les pays européens, c'est-à-dire non seulement les 15 mais les 25. Des réformes très importantes ont été déjà appliquées en Hongrie, en Pologne et pas seulement dans les pays de l'Europe des 15. Il y a eu aussi cette prise en considération d'un rapport actif-inactif qui est de plus en plus défavorable. Il y a eu un échange de vues qui s'inscrit dans ce qu'on appelle le système de la méthode ouverte de coordination, puisque les retraites restent un sujet de compétence strictement nationale, et il y a des échanges d'informations qui s'effectuent au plan européen, en général sous l'égide de la Commission, une sorte de "benchmarking", mais aussi dans les entretiens bilatéraux, et cela a été le cas ce matin.
Et enfin j'ai abordé deux autres sujets, l'un que j'évoquerai de façon précise avec le secrétaire d'Etat aux Affaires européennes, c'est celui de la Convention. J'ai indiqué que sur l'aspect de la gouvernance économique, la France avait fait des propositions, soit en franco-allemand, soit en franco-hollandais, qui tendent à renforcer les pouvoirs de la Commission pour qu'elle puisse jouer son rôle de surveillance des évolutions économiques et budgétaires des différents Etats membres de l'Union. Puis on a parlé un peu de l'Ecofin, mais surtout j'ai évoqué - et cela a été l'objet aussi des entretiens de M. le Député Lemière -, la question de notre proposition de vente de deux sous-marins Scorpène qui sont le résultat d'un projet de construction franco-espagnol.
On a donc évoqué l'Europe en général, l'avenir de l'Europe, l'avenir économique de l'Europe, les problèmes ponctuels qui sont ceux de la France avec la TVA restauration et puis des questions d'ordre bilatéral.
Q - Sur les sous-marins, quels signaux a-t-elle donnés ?
R - Bien évidemment nous sommes convenus que la décision relevait davantage des propositions et des choix du ministère de la Défense que des choix en première ligne du ministère des Finances, mais elle a bien noté que ce projet revêtait pour nous une importance, non seulement économique, mais politique et symbolique extrêmement forte, dans la mesure où ces matériels sont de très haute technologie, avec des conditions de vente intéressantes, et surtout qu'il ne s'agit pas d'un prototype, c'est-à-dire qu'on a déjà passé des marchés. Donc c'est un matériel qu'on connaît, qu'on perfectionne, pour lequel on a un fort savoir-faire.
Q - Sur la Convention, quelles sont les propositions de la France pour rassurer les petits Etats ?
R - Le premier message que je suis venu porter, comme d'autres délégations françaises, c'est que prendre comme postulat de départ l'idée qu'il y a une approche différente de ce qu'on appelle les petits pays et les grands pays n'est pas bon. Pourquoi ? Premièrement parce que, dans l'histoire de l'Europe, depuis sa fondation à Six jusqu'à aujourd'hui, cette distinction n'a jamais correspondu à quoi que ce soit. Il n'y a pas de privilèges accordés aux grands pays et d'ailleurs, quand l'Europe était à Six, il y avait trois petits pays, dont l'un assez petit, le Luxembourg, et trois plus grands ; il n'y a jamais eu cette problématique. Second point : dans les propositions que nous faisons, la France a versé des contributions à la Convention qui ont une cohérence absolue, dont le maître mot est que l'Europe avance. Pour qu'elle avance, il faut renforcer de façon parallèle ces trois, je dirais même ces quatre institutions, qui sont le Parlement comme législateur, la Commission qui fait jouer sa force de proposition, qui est une force unique en son genre puisqu'elle a le monopole de l'initiative législative et que pour déroger à une proposition de la Commission il faut l'unanimité des Etats au Conseil des ministres, le Conseil européen qui est devenu l'assemblée des chefs d'Etat et de gouvernement incontournable pour donner l'impulsion politique à la construction européenne, sur un plan strictement politique, ce n'est pas du normatif, c'est du politique, et enfin la Cour de Justice qu'on avait un peu oubliée et que la France remet sur le devant de la scène dans le cas des travaux institutionnels, parce qu'on sait très bien que sans la primauté du droit communautaire tout risque de se défaire. Donc nous avons une position totalement cohérente : il faut absolument faire un bond un avant parce que l'Europe agrandit son espace et donc le nombre des parties prenantes aux décisions européennes. Ce bond doit se faire en parallèle par les quatre institutions, et cela, ni pour les grands ni pour les petits, mais pour l'Europe.
Le deuxième point c'est que la France a fait des propositions communes avec d'autres Etats à la Convention. Elle a fait des propositions avec les Espagnols, les Britanniques et les Allemands, certes qui sont des pays plus grands, mais elle a fait aussi des propositions avec des pays plus petits, la dernière en date étant une proposition franco-hollandaise sur le renforcement du rôle de la Commission. On prépare par ailleurs, peut-être, une contribution ou au moins une déclaration commune avec la Grèce, qui n'est pas non plus le plus grand pays, sur les aspects de l'Europe sociale. Et l'on travaille de façon très approfondie avec les pays candidats, la Lituanie, la Lettonie, la Pologne, qui est un plus grand pays, mais aussi la République tchèque. Donc il n'y a pas dans notre esprit de propositions qui soient celles des grands et des propositions qui soient celles des petits, puisqu'on travaille dans des contextes différents avec, selon le cas, tel ou tel pays, sans distinction de sa taille et de son poids démographique.
Troisième élément, c'est vrai que les propositions que la France a faites, conjointement avec d'autres pays, rencontrent un assez large consensus, que ce soit pour ce qui concerne le rôle de la Commission ou que ce soit pour ce qui concerne l'amélioration de la prise de décision en étendant le champ de la majorité qualifiée, en renforçant le pouvoir de co-décision du Parlement européen, ou encore que ce soit en matière de politique étrangère où chacun s'accorde à considérer qu'il faut aller de l'avant. L'idée d'un ministre européen des Affaires étrangères ou d'une personnalité qui, sur mandat des chefs d'Etat et de gouvernement, puisse mettre un uvre et proposer des mesures de politique étrangère en ayant par ailleurs un pied à la Commission européenne pour introduire une cohérence entre la politique étrangère stricto sensu et l'action extérieure par ailleurs, ceci rencontre finalement un très large écho.
Il y a un seul point où une proposition française fait débat, mais un débat qui évolue, c'est de doter le Conseil européen d'un président ou d'une présidente stable et à temps plein, très vraisemblablement, suivant notre souhait, désigné pour deux ans et demi renouvelable une fois, pour coller au mandat de la Commission et du Parlement qui est de cinq ans. Pourquoi ? Parce que 25 pays vont se réunir en Conseil européen au minimum deux fois par an, une fois tous les trimestres, cela veut dire que le président, s'il est en même temps chef de gouvernement, Premier ministre ou président de la République de son Etat, va devoir faire cinquante voyages, avec des impératifs de négociations qui n'auront plus rien à voir avec ceux qui valaient actuellement parce que l'on voit une montée en puissance des nouveaux thèmes de l'Europe - la justice, la politique étrangère, la politique de défense -, des thèmes qui sont au premier plan des politiques européennes parce que cela répond à des impératifs nouveaux de la mondialisation. Donc vous allez avoir tous les thèmes économiques et sociaux, plus un approfondissement des thèmes sociaux, plus les nouveaux chantiers qui ont augmenté considérablement le rôle d'impulsion politique du Conseil européen. Il faut donc quelqu'un qui soit en mesure d'assurer la cohésion. Et ce n'est pas du tout contre les petits pays, bien que les petits pays, c'est vrai, en l'état actuel, semblent éprouver une certaine réticence, encore qu'avec beaucoup on discute très bien. C'est au contraire pour nous un élément de stabilisation du rôle du Conseil européen de cadrer les compétences du Conseil européen dans ce qui est sa vocation, à savoir donner l'impulsion politique à la construction européenne et non pas remplacer les conseils de ministres en énumérant toute une série de propositions un peu disparates. Et troisièmement, surtout, le Conseil européen est le lieu par excellence du respect du principe sacro-saint de l'égalité entre Etats parce qu'au Conseil européen on dégage des consensus et la voix d'un Etat plus petit, Malte ou le Luxembourg ou le Portugal équivaut à la voix d'un Etat plus grand comme l'Allemagne ; c'est une enceinte dans laquelle les Etats s'expriment en tant qu'Etats, il n'y a pas de pondération puisque ce n'est pas une enceinte où on vote véritablement.
Q - Mais comment concilier cela avec l'opinion des petits pays qui sont très attachés à la présidence tournante ?
R - Nous sommes extrêmement sensibilisés au souhait de tous les Etats - d'ailleurs c'est vrai autant pour nous que pour les autres -, d'être directement partie prenante au fonctionnement d'une institution européenne. On a fort bien compris que les Etats souhaitent avoir le maximum de députés au Parlement européen. On est assez sensibilisé aussi, plus pour des raisons politiques que d'efficacité, au souhait des Etats d'avoir chacun un commissaire, bien que cela n'ait pas été d'emblée notre position parce qu'on avait plutôt dans l'idée de renforcer l'efficacité et donc de resserrer la Commission. Mais maintenant on est tout à fait à l'écoute de ces demandes et on est tout à fait à l'écoute des aspirations des Etats d'avoir un rôle de "leadership" à un moment donné dans le cadre du Conseil européen. C'est pourquoi on réfléchit à des présidences tournantes pour des Conseils des ministres, on réfléchit même aux lieux où peuvent avoir lieu ces Conseils européens, bien qu'on ait plutôt maintenant accepté que cela se déroule plus à Bruxelles, encore que l'on soit tout à fait à l'écoute de cela. Et pour vous donner un exemple qui est un peu un "scoop", on travaille sur cette question, notamment avec certains pays candidats - et je pense à la Pologne -, mais avec d'autres aussi, sur ce qu'on appelle la "job description" du Conseil européen. L'idée forte de la France c'est qu'il faut avancer et que pour avancer il faut consolider des institutions qui devront, non pas tirer derrière elles, mais entraîner vers l'avant 25 représentants de 25 identités nationales représentant différents intérêts qu'il faut conjuguer. Et pour conjuguer les intérêts entre les Etats, il faut des règles de droit, des processus de décision et des mécanismes institutionnels qui soient renforcés. Le maître mot, c'est renforcer les institutions, toutes les institutions, pour que l'Europe continue d'avancer.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 avril 2003)
Interview à "Publico"
Q - On peut peut-être commencer par la Convention qui va entrer maintenant dans une période très importante et très décisive. Il y a cette question de la présidence du Conseil européen qui préoccupe les petits pays. Je sais, en ayant lu vos précédents entretiens, que vous n'aimez guère cette séparation entre les grands et les petits. Mais est-ce qu'un compromis sera possible entre les positions de ceux qui, comme la France et les autres grands pays, défendent la présidence d'un conseil européen, et celle des petits pays qui veulent maintenir les présidences tournantes ?
R - De toute façon il faudra arriver à une position commune dans la mesure où la future constitution européenne sera le fruit d'un vote à l'unanimité de tous les Etats membres de l'Union. Deuxièmement il y a déjà pour partie des positions qui sont semblables et par ailleurs il y a des objectifs qui sont les mêmes de la part de l'ensemble des Etats de l'Union européenne. Aucun Etat, pas plus le Portugal que la France, ne veut affaiblir l'Europe. Tous les Etats veulent renforcer toutes les institutions, qu'il s'agisse du Parlement européen, de la Cour de justice, de la Commission ou du Conseil européen. Tout le monde est d'accord pour dire que, parce que l'Europe va rassembler une famille plus nombreuse, il faut que les règles, que les institutions, soient renforcées, que le mode de décision soit allégé et que les procédures soient simplifiées. On a exactement les mêmes objectifs. Sur la majorité des sujets on est d'accord.
Si on reprend les institutions, en mettant peut-être à part la Cour de justice, on n'en a pas encore beaucoup discuté, nous, Français, voulons permettre à cette Cour de faire face à un accroissement des contentieux et par ailleurs peut-être une certaine ouverture pour que le citoyen puisse dans certaines conditions saisir la Cour de justice, ce qu'il ne peut pas faire actuellement. Mettons à part cette institution un peu particulière. Sur tous les autres thèmes institutionnels il y a un accord, comme sur le renforcement du Parlement européen et la procédure de codécision, sur le renforcement de la Commission européenne et l'extension de la majorité qualifiée, qui donnera plus de poids aux propositions de la Commission. Il y a un accord autour de l'idée que le Conseil européen, qui donne les grandes orientations politiques qui permettent à la construction européenne de franchir de nouvelles étapes, doit lui-même être renforcé au sens où, à vingt-cinq, il faut trouver les moyens d'assurer sa cohésion.
A partir de là il y a des solutions qui ont été proposées par les uns et par les autres. Avec certains autres Etats, nous pensons qu'il faut aller vers un président du Conseil qui anime les travaux du Conseil européen et qui surtout permette de préparer les réunions du Conseil européen de manière à ce que celui-ci ne reflète pas les divisions des Etats, mais au contraire puisse décider sur les bases les plus consensuelles possibles. D'où notre proposition, avec d'autres pays, dont l'Allemagne, qui est pour une intégration communautaire très forte, d'un président du Conseil stable.
Mais nous comprenons ce que nous demandent aussi d'autres pays autour de l'idée du maintien de la rotation, idée que nous ne pensons pas adaptée à la nouvelle donne européenne. Nous comprenons que chaque pays a besoin de s'approprier, pour donner plus de visibilité à son intégration dans l'Europe, les institutions, dont le Conseil européen. On peut s'approprier le Parlement européen puisqu'on a tous des députés européens élus au suffrage universel. On peut s'approprier la Commission puisque, en fait, dans les années qui viennent il y aura un commissaire par Etat. On s'approprie d'une certaine manière le Conseil européen, puisqu'il y a un chef d'Etat et de gouvernement par Etat, mais le Conseil européen se réunit sous les feux de la rampe. Les médias suivent les Conseils européens et ce que nous voulons c'est que le Conseil européen qui est le moteur des avancées de la construction européenne, qui définit les grandes orientations, se déroule d'une façon qui ne soit pas conflictuelle mais consensuelle.
Q - Vous connaissez les objections des petits pays : d'abord sur la structure de direction double de l'Union européenne, avec un président de la Commission et un président du Conseil et ensuite sur le fait que le président du Conseil européen, c'est une façon, pour les grands pays, de maintenir le contrôle politique de l'Union européenne. Comment est-ce que vous répondez à cela ?
R - Premièrement, sur la double présidence. En fait il y a trois présidences, il y a le président du Parlement, il y le président de la Commission et le président du Conseil. D'abord je fais observer que le président de la Commission siège au Conseil européen. Il n'y a pas de double présidence, il y a une fonctionnalité qui est complètement différente. Le Conseil européen se réunit deux jours tous les trois mois. La Commission se réunit une fois par semaine et même plus souvent si nécessaire, donc ce n'est pas du tout le même exercice. Ensuite, les missions ne sont pas du tout les mêmes, la Commission a un pouvoir normatif de propositions, de normes qui sont les directives, les règlements, et elle a un pouvoir exécutif.
Le Conseil européen définit les grandes orientations stratégiques de l'Union européenne. Donc les modes de fonctionnement et les missions sont complètement différents et d'autre part, pour ce qui est des grands et des petits, il est évident qu'il n'y a pas de pouvoir d'influence supérieur des Etats qui ont un poids démographique plus grand par rapport aux Etats qui ont un poids démographique moins grand. Il y a un ensemble de pays qui comptent chacun à égalité, à parité, non pas au niveau des votes qu'ils représentent évidemment comme c'est le cas d'ailleurs dans toutes les assemblées parlementaires où vous avez des représentants des différentes circonscriptions, leur poids est démographique, mais au niveau de l'institution qui représente les Etats au travers de leur chef d'Etat et de gouvernement il y a égalité totale. Et je peux vous dire que dans les discussions, ce ne sont pas les grands Etats qui gagnent sur les petits, car tous se sont mis d'accord pour que la stratégie de Lisbonne aille plus loin, pour que l'on prenne en compte beaucoup mieux les problèmes de sécurité maritime, pour qu'on énonce des positions communes sur l'Irak, tout cela s'est fait au Conseil de Bruxelles du 21 mars et il n'y a pas eu un poids supérieur des grands Etats et des petits Etats, d'ailleurs parce que certains, les grands Etats, sur certaines questions, n'étaient pas tout à fait d'accord. Donc, chacun a fait des concessions réciproques.
Q - M. Giscard d'Estaing a dit à Athènes, en répondant justement aux critiques des petits pays contre l'idée du président européen, que les petits étaient dix-neuf mais qu'ils représentaient 30% seulement de la population européenne, et que l'idée du président du Conseil était soutenue par 70% de la population, parce que les cinq grands Etats représentent 70%. Comment réagissez-vous à cela ?
R - Je ne vais pas rentrer dans des calculs de pondération démographique. Ce que je peux vous dire, et c'est un peu un "scoop", c'est que, parce que nous sommes sensibilisés à une discussion qui a été très consensuelle pour la majorité des Etats mais où il y a peut-être des malentendus sur certains aspects, nous avons décidé tout à l'heure avec nos amis portugais d'aller plus loin dans la réflexion sur le fonctionnement du Conseil européen dans cette nouvelle configuration d'une Europe à vingt-cinq et demain à vingt-sept. Donc on va travailler en étudiant ensemble, non pas pour faire une contribution mais simplement en réfléchissant, quelles sont les formules, les arguments pour, les arguments contre, parce qu'on pense que sur ces sujets il faut discuter, parce qu'on a exactement les mêmes objectifs et que, en réalité, à l'expérience, on voit très bien qu'il n'y a pas prédominance des grands sur les petits, que chacun avance ses propositions et que, in fine, les décisions sont prises en commun sans distinguer les petits et les grands. On sent très bien qu'il y a une bonne base de départ et qu'on arrive à certains blocages et on souhaite discuter des blocages de façon très ouverte. Comme on a un lien très privilégié avec votre pays, nous allons discuter de façon très ouverte et très approfondie sur ces sujets en franco-portugais.
Q - Il y a aussi un autre argument selon lequel un président du Conseil européen aurait une fonction de représentation de l'Europe. Mais pourquoi avoir un président du Conseil européen comme représentant international de l'Europe si la proposition de la France, qui est, je crois, acceptée par tout le monde, c'est aussi d'avoir un ministre des Affaires étrangères de l'Europe ?
R - Parce que le ministre des Affaires étrangères aura aussi des missions ponctuelles. Par exemple on a donné à M. Solana une mission dans les Balkans pour favoriser l'adoption d'une Charte constitutionnelle, d'une Constitution, en Serbie Monténégro. On lui a donné des missions liées au problème de la Corée du Nord, la mission d'aller discuter en Asie de la non-prolifération des armes de destruction massive, on lui a donné toutes sortes de missions distinctes. On souhaite distinguer le rôle d'animation du Conseil européen avec quelqu'un qui soit le président du Conseil, qui représente à un moment donné le Conseil européen, qui peut très bien, comme c'est le cas actuel, aller discuter dans différentes instances avec le président de la Commission, et puis avoir un ministre des Affaires étrangères qui soit un "Solana plus".
Q - Ce "plus", c'est quoi exactement ?
R - "Plus", ce sont des mécanismes qui ne sont pas encore déterminés parce qu'ils sont encore très largement en débat, des mécanismes plus intégrés, plus forts en matière de définition de la politique étrangère et des positions communes.
Q - Il y a l'autre question très importante de la Convention, qui n'est pas encore résolue du point de vue politique, même si du point de vue institutionnel ça a l'air de marcher, c'est la question de la politique étrangère commune et de la politique de défense. La crise internationale a profondément divisé l'Europe. Comment est-il possible pour les Européens, pour les différents Etats membres, de faire avancer la PESC et la PESD à partir d'une fracture tellement forte entre différents pays de l'Union.
R - Tout d'abord, la politique étrangère c'est une idée neuve. On n'avait pas imaginé, jusqu'en 1992, Traité de Maastricht, que ce qui est constitutif de l'identité nationale, de la souveraineté nationale, c'est-à-dire le positionnement sur la scène mondiale, puisse devenir une politique européenne. Cela a été décidé il y a dix ans et on progresse pas à pas. On n'était pas très bien parti sur les Balkans, on s'est rétabli maintenant avec un accord unanime sur la politique européenne dans les Balkans qui a conduit à la première concrétisation de l'Europe de la défense en Macédoine.
Selon que vous regardez "la bouteille à moitié vide" ou "la bouteille à moitié pleine" ; la bouteille à moitié vide c'est vrai que les Européens n'ont pas encore la même vision de la justification d'une guerre en Irak, puisque nous nous étions pour que les inspections se poursuivent, qu'on aille jusqu'au bout de la logique de la résolution 1441, et d'autres Européens ont suivi les Américains, mais en revanche quand vous regardez ce que cette crise, qui est aussi une crise de croissance, une crise de mutation de l'Europe, a généré comme prise de conscience par les opinions publiques de la légitimité d'une politique étrangère de l'Europe et comme exigence nouvelle du citoyen de voir l'Europe se présenter de manière unie pour faire face aux grandes crises mondiales, exigence qui n'a jamais été formulée à ce point ces dernières années, même sur la crise du Proche-Orient et le conflit israélo-palestinien à propos duquel les Européens sont totalement unanimes et ont pris des positions communes. En revanche, à travers cette crise irakienne, il y a maintenant une légitimation de l'idée même de la politique étrangère et de sécurité commune par les citoyens, par les opinions publiques.
Deuxièmement, malgré ces différences ou ces divergences entre Européens sur la guerre elle-même, sur les principes mêmes de la politique étrangère, il n'y a eu de cesse d'avoir des déclarations communes des Quinze auxquelles d'ailleurs se sont ralliés les pays candidats au Conseil du 21 mars : primauté du droit international, il y a eu une interprétation différente sur la résolution, mais primauté du droit international, rôle des Nations unies, primauté du rôle des Nations unies, et maintenant urgence humanitaire et rôle immédiat de l'Union européenne face à l'urgence humanitaire également dans la déclaration récente, plus principe du droit international, du respect de la souveraineté, du rétablissement de la souveraineté de l'Irak, de l'intégrité territoriale, etc. Donc sur les grands principes, sur les grands objectifs, il n'y a pas eu l'ombre d'une discussion.
Q - Mais il y a quand même une question sans laquelle il est impossible, je crois, de construire une PESC ou une PESD : comment évaluer l'importance de la relation transatlantique ?
R - C'est aussi un point très important, de manière sous-jacente. Le problème de la relation transatlantique se pose parce que cette relation doit être renouvelée à l'aune d'une Europe qui n'a pas du tout la même physionomie que ce qu'était l'Europe avant la chute du mur de Berlin. La vocation de l'Europe a changé, donc la vocation de la relation transatlantique doit aussi être repensée. Lors de chaque Conseil européen - cela a été le cas à Athènes le 17 avril, au Conseil européen du 21 mars à Bruxelles et à tous les Conseils des ministres des Affaires étrangères, les Conseils Affaires générales, depuis ces derniers mois -, l'un des problèmes, l'un des sujets qui est prioritaire dans les discussions, c'est les nouveaux voisins, la Russie, les pays du processus euroméditerranéen, les équilibres mondiaux, comment se situer politiquement, géostratégiquement. Tout cela se discute comme jamais on avait imaginé de discuter des positionnements politiques de l'Europe dans le monde, dans des conditions qui sont celles d'une crise internationale mais qui a de multiples facteurs, et cela montre bien qu'on est en train d'avancer.
Q - Mais dans la proposition que les Français et les Allemands ont présentée pour la réforme institutionnelle à la Convention, il y avait l'idée qu'on peut utiliser la majorité qualifiée dans les questions PESC. Après cette crise la France soutient-elle encore cette proposition ?
R - Il faut observer que d'ores et déjà dans le Traité, depuis Amsterdam et cela a été encore consacré par le Traité de Nice, il y a déjà une possibilité de prendre les décisions à la majorité qualifiée pour les actions communes. Cela n'a jamais été mis en place, mis en uvre, mais il y a déjà cet axe. Nous souhaitons aller plus loin, donc on fait cette proposition qui se fera maintenant ou plus tard, il faut maintenir une progressivité, il ne s'agit pas, dans un domaine qui est le plus sensible, le plus lié à la souveraineté nationale, d'anticiper les étapes de l'intégration européenne de la politique étrangère. Mais ce qui est sûr en tout cas - on reste fermement attaché à cela comme le président de la République et Dominique de Villepin le disent à tous leurs interlocuteurs européens -, c'est qu'il faut aller de l'avant en matière de politique étrangère. Il faut aller de l'avant non seulement au niveau des institutions et des procédures, mais en crédibilisant la politique étrangère grâce à la mise en place d'un vraie Europe de la défense qui est encore naissante. Parce que la politique étrangère, ce sont les objectifs, mais pour atteindre ces objectifs il faut des moyens et le président de la République a indiqué récemment à Athènes lors de la conférence de presse qu'il a donnée après la signature du traité d'adhésion, que peut-être puisqu'il faut avancer il serait opportun d'avancer déjà d'emblée sur la politique de défense et puis après de discuter d'une façon la plus ample possible des mécanismes de la politique étrangère ; mais déjà notre détermination c'est l'Europe de la défense.
Q - Qu'est-ce que la France envisage exactement pour ce sommet du 29 avril avec le Luxembourg et l'Allemagne ?
R - C'est un espace de discussion. Ce sont nos amis belges qui l'avaient proposé depuis très longtemps. Cela a été fixé au 29 avril. Il y a toutes les bonnes raisons de penser que plus on parlera d'un sujet qui se pose aujourd'hui, c'est à dire la politique de la défense et la politique étrangère, mieux ce sera. On nous a proposé ce format qui est intéressant et on souhaite que cela ajoute aux contributions qui ont été faites déjà et qu'on retient d'ailleurs, qu'on reprend à notre compte, par exemple comme le fait le groupe Défense de la Convention.
Q - Mais pensez-vous qu'après cette crise internationale, avec une Europe à vingt-cinq pays, la défense est un domaine parfait pour une coopération renforcée ?
R - C'est vrai que la coopération renforcée peut s'appliquer à la défense. On ne peut pas obliger les Etats qui sont neutres comme par exemple Malte, la Suède, l'Irlande ou l'Autriche. C'est évident que l'Union européenne respecte totalement la volonté des Etats d'adhérer à la politique de défense européenne. Au sein de la politique de défense européenne, il y a des Etats qui peuvent aller plus loin, qui peuvent vouloir aller plus loin ou moins loin, ne serait ce que parce qu'il y a un principe fondamental, au moins en l'état actuel des choses, c'est que les forces militaires européennes ce sont des forces nationales mises au service d'une politique européenne de défense.
Q - Vous croyez qu'il sera possible d'avoir une défense européenne sans le Royaume-Uni ?
R - Non, il faut le Royaume-Uni. Ce sommet n'est pas un organe décisionnaire. On a déjà fait une contribution franco-allemande sur la défense, même avant la contribution franco-britannique sur la défense, et à cet égard il faut vivre avec l'idée - de même qu'on va travailler avec les Portugais sur tel sujet, de même qu'on a apporté une contribution avec les Hollandais sur la Commission - il faut vivre avec l'idée que l'Europe sera maintenant un espace de discussions, au départ entre certains Etats qui vont discuter entre eux et puis qui vont faire des propositions ouvertes.
Q - Mais l'idée d'une avant-garde européenne c'est une idée qui a déjà deux ou trois ans. C'était une idée très chère au Président Chirac et très chère à l'idée que la France se faisait de l'Europe
R - Il n'y a pas d'avant-garde intangible.
Q - Mais croyez-vous que cette idée peut être renouvelée maintenant face à la situation que la crise internationale a imposée à l'Europe, face à l'imminence de l'élargissement à vingt-cinq pays ? Les dix pays qui vont rentrer, il leur faut du temps pour s'adapter à la façon de vivre de l'Europe.
R - Je crois qu'il faut distinguer deux choses. Il y a d'abord des Etats qui vont représenter une certaine force de propositions à un moment donné et cela peut être n'importe quel Etat, de même qu'il y a eu des prises de position à sept ou à seize, etc. Nous avons apporté des contributions franco-allemandes, franco-néerlandaises et maintenant peut être franco-grecques, donc il y a certains Etats qui ne sont pas des noyaux durs ni des avant-gardes, mais ce sont des Etats qui vont se réunir, qui vont faire des propositions ouvertes aux autres. C'est le sens de tout ce qui est fait. Il y a eu une proposition Espagne-Grande-Bretagne sur les institutions, il y a des Etats qui discutent entre eux et qui font des propositions, sans exclusivité, simplement parce qu'on est obligé de prendre ce format, et puis il y a, pour la mise en uvre de certaines politiques qui ont été décidées au niveau de l'Union, il peut y avoir des formes de coopération renforcée. La défense est sans doute le terrain privilégié parce qu'il y a à la fois qui veut consacrer de l'argent à son budget de la défense et qui veut intervenir ou ne pas intervenir, etc... ; mais en dehors même du secteur de la défense il peut y avoir peut-être des Etats qui voudront aller un petit peu plus vite, mais ceux-là ne seront pas toujours les mêmes. Par exemple l'espace de justice européen, c'est totalement un exercice libre, il peut y avoir des Etats qui sont d'accord avant les autres pour aller un petit peu plus loin par exemple pour, à cinq ou six, faire un parquet européen puis donner aux autres le temps d'adapter leur système judiciaire et puis se joindre à cet espace judiciaire commun. Il peut y avoir des cas où cela paraîtra préférable d'aller plus vite à moins de vingt-cinq plutôt que d'attendre un consensus qui serait retardé d'une dizaine d'années.
Q - Vous avez écrit justement que la justice, la politique étrangère et la défense étaient les prochains chantiers de l'Europe et vous avez dit aussi dans ce même article qu'il nous faut maintenant avancer dans le sens d'un gouvernance politique de l'Europe. Qu'est-ce que cela veut dire ?
R - Cela veut dire que les opinions publiques sont maintenant conscientes de la dimension politique de l'Europe. Elles en sont conscientes comme c'est souvent le cas à travers les débats, les crises, etc. et il faut que cette conscience publique européenne se traduise dans les institutions, dans la gouvernance. Il faut donc plus d'accessibilité aux institutions, c'est pour cela que nous, en France, avons réformé les élections au Parlement européen ; elles ont été régionalisées pour que les députés européens soient plus proches de leurs électeurs, qu'ils puissent "rendre des comptes" à leurs électeurs, pour qu'ils ne soient pas des représentants élus qu'on ne peut appréhender individuellement. Il faut que cela soit plus visible donc grâce à la simplification des procédures, nous sommes très proches ou même exactement sur le même terrain que les Portugais, c'est-à-dire que nous trouvons qu'il faudrait plus distinguer le législatif et l'exécutif et qu'il ne faudrait peut-être pas, selon ce principe de subsidiarité, que l'Europe traite de tout dans les moindres détails ; de même que nous, en France, avons décentralisé, il faut peut-être "dégonfler" un petit peu certains domaines de compétence ; il faut aussi, et cela va dans le sens de cette prise de conscience politique, que les politiques communes, les politiques de solidarité comme la politique agricole, les fonds structurels, peut-être demain la recherche - mettre ensemble nos moyens technologiques, notre capital scientifique - et peut-être aussi l'aménagement du territoire, le désenclavement, les réseaux trans-européens, il faut qu'à travers les politiques communes, ce qu'on met dans le "pot commun" donne du sens à l'Europe pour les citoyens. Donc c'est l'idée de l'accessibilité, de la simplification, de la lisibilité, c'est cela qui est un des grands défis de l'Europe. On sent qu'il y a maintenant une demande des opinions publiques pour une plus grande compréhension de l'Europe, donc ça c'est un grand enjeu.
Q - Une dernière question, sur les thèmes que vous avez abordés avec la ministre portugaise des Finances.
R - Nous avons évoqué les problèmes qui nous sont communs, le Pacte de stabilité et de croissance ; les deux pays sont en train de prendre des mesures. On a parlé aussi d'un sujet qui nous tient à nous beaucoup à cur, c'est celui de la TVA sur la restauration ; ici, au Portugal, vous appliquez un taux intermédiaire dont vous n'avez pas peut-être ressenti les effets économiques ; nous voudrions une mesure analogue et accompagner cette mesure de garanties pour qu'il y ait des créations d'emplois, "emplois jeunes", etc., donc nous demandons aux responsables portugais de comprendre notre préoccupation, de nous appuyer et aussi de voir comment on pouvait mettre en place cette mesure pour qu'il y ait des retombées économiques et sociales, peut-être plus qu'ici. On a parlé aussi des questions de retraite, mon collègue François Fillon, qui conduit avec Jean-Paul Delevoye cette réforme, est évidemment venu dans tous les pays européens et il est important aussi pour le ministre des Affaires européennes de se renseigner pour voir comment ici les questions sont abordées parce que dans tous nos pays qui ont atteint un certain niveau de développement on est confronté au vieillissement de la population et à un rapport actifs-inactifs qui est de plus en plus difficile à gérer économiquement et ce n'est pas sans lien avec le Pacte de stabilité. Et puis on a aussi évidemment parlé de la question de la Convention et de la gouvernance économique et de la proposition que la France a faite au gouvernement portugais d'un marché sur les sous-marins
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 avril 2003)