Déclaration, point de presse et interview de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, aux télévisions françaises à New York le 19 mars 2003, sur la question de la légitimité de l'intervention britannique et américaine en Irak, le rôle des Nations unies dans la gestion future et la reconstruction du pays.

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Média : Télévision

Texte intégral

(Intervention au Conseil de sécurité de l'Onu à New York, le 19 mars 2003) :
Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire général,
Madame et Messieurs les Ministres,
Messieurs les Ambassadeurs,
Nous voici réunis aujourd'hui quelques heures avant que ne parlent les armes, pour échanger à nouveau, dans le respect de nos engagements respectifs, les convictions qui sont les nôtres, mais aussi pour dessiner ensemble les chemins qui doivent nous permettre de retrouver l'esprit d'unité.
Je veux redire ici que, pour la France, la guerre ne peut être que l'ultime recours et la responsabilité collective, la règle. Quelle que soit notre aversion pour le régime cruel de Saddam Hussein, cela vaut pour l'Irak comme pour l'ensemble des crises qu'il nous faudra affronter ensemble.
A M. Blix qui nous a présenté son programme de travail et à M. El Baradeï qui s'est fait représenter aujourd'hui, je veux dire merci pour les efforts poursuivis et les résultats obtenus. Leur programme rappelle qu'il existe toujours une perspective claire et crédible pour le désarmement de l'Irak par la paix. Il propose et hiérarchise les tâches prioritaires de ce désarmement et présente un calendrier réaliste pour leur mise en oeuvre.
Par là même, ce rapport confirme ce que nous savons tous ici : oui, les inspections produisent des résultats tangibles ; oui, elles offrent la perspective d'un désarmement effectif dans la paix et dans des délais resserrés.
Le chemin que nous avions tracé ensemble dans le cadre de la résolution 1441 existe toujours. En dépit de son interruption aujourd'hui, nous savons qu'il devra reprendre le plus rapidement possible.
Le Conseil a pris note il y a deux jours de la décision du Secrétaire général de retirer d'Irak les inspecteurs et l'ensemble des personnels des Nations unies. Cela entraîne une suspension de l'exécution de leurs mandats. Il faudra, le moment venu, compléter notre connaissance des programmes irakiens et achever le désarmement de l'Irak. Votre contribution, Messieurs les inspecteurs, sera alors décisive.
Ne nous y trompons pas : le choix est bien entre deux visions du monde.
A ceux qui choisissent le recours à la force et pensent pouvoir résoudre la complexité du monde par une action rapide et préventive, nous opposons l'action déterminée dans la durée. Car aujourd'hui, pour assurer notre sécurité, il faut prendre en compte à la fois la multiplicité des crises et leurs nombreuses facettes, y compris culturelles et religieuses. Rien de durable dans les relations internationales ne peut donc se bâtir sans dialogue et sans respect de l'autre, sans exigence et fidélité aux principes, et plus encore pour les démocraties qui doivent donner l'exemple. L'ignorer, c'est prendre le risque de l'incompréhension, de la radicalisation, de l'engrenage de la violence. C'est vrai plus encore au Moyen-Orient, zone de fractures et de déchirements anciens, dont la stabilité doit être pour nous un objectif majeur.
A ceux qui espèrent éliminer les dangers de la prolifération à travers l'intervention armée en Irak, je veux dire que nous regrettons qu'ils se privent d'un outil essentiel pour d'autres crises du même type. La crise irakienne nous a permis d'élaborer un instrument, à travers le régime des inspections, qui est sans précédent et peut avoir valeur d'exemple. Pourquoi, sur cette base, ne pas envisager la création d'une structure originale et permanente, d'un corps du désarmement relevant des Nations unies ?
A ceux qui pensent qu'à travers le cas de l'Irak, sera éradiqué le fléau du terrorisme, nous disons qu'ils prennent le risque de manquer leur objectif. L'irruption de la force dans cette zone si instable ne peut en outre qu'accroître les tensions, les fractures dont se nourrissent les terroristes.
Au-delà de ce qui nous divise, nous avons, face à ces menaces, une responsabilité collective, celle de retrouver l'unité de la communauté internationale. Les Nations unies doivent rester mobilisées en Irak au service de cet objectif. Nous avons ensemble des devoirs à assumer dans cette perspective.
Tout d'abord, celui de panser les blessures, les blessures de la guerre. Comme toujours, elle apporte son lot de victimes, de souffrances, de populations déplacées. L'urgence commande de se préparer dès à présent à apporter l'assistance humanitaire indispensable. Cet impératif doit prévaloir sur nos divergences. Le Secrétaire général a déjà engagé la mobilisation en ce sens des différentes agences des Nations unies. La France prendra toute sa part à l'effort collectif en faveur des populations irakiennes. Le programme "Pétrole contre nourriture" doit se poursuivre sous l'autorité du Conseil de sécurité, avec les ajustements nécessaires. Nous attendons les propositions du Secrétaire général.
Il y a ensuite la nécessité de construire la paix. Aucun pays n'a, à lui seul, les moyens de bâtir l'avenir de l'Irak. Surtout, aucun Etat ne peut revendiquer la légitimité nécessaire. C'est bien des Nations unies, et d'elles seules, que peut venir l'autorité légale et morale d'une telle entreprise. Deux principes doivent inspirer notre action : le respect de l'unité et de l'intégrité territoriale de l'Irak, la préservation de sa souveraineté.
De même, c'est aux Nations unies qu'il appartiendra de préciser le cadre dans lequel s'inscrira la reconstruction économique du pays. Un cadre qui devra affirmer les deux principes complémentaires de transparence et de développement, au profit des Irakiens eux-mêmes, des ressources du pays.
Notre mobilisation doit aussi s'étendre aux autres menaces qu'il nous faut affronter ensemble.
La nature même de ces menaces ne permet plus aujourd'hui de les aborder en ordre dispersé. Ainsi le terrorisme se nourrit des filières du crime organisé ; il épouse les contours des zones de non-droit ; il prolifère sur les crises régionales ; il prend appui sur toutes les fractures du monde ; il utilise tous les moyens à sa disposition, des plus rudimentaires aux plus sophistiqués, du couteau aux armes de destruction massive qu'il cherche à acquérir.
Pour faire face à cette réalité, nous devons agir de manière unie et sur tous les fronts à la fois.
Il faut donc se mobiliser sans relâche.
Dans cet esprit, la France renouvelle son appel pour que les chefs d'Etat et de gouvernement se réunissent ici, au Conseil de sécurité, pour répondre aux grands défis auxquels nous sommes confrontés.
Approfondissons notre combat contre le terrorisme. Luttons sans merci contre ses réseaux, avec toutes les armes économiques, juridiques et politiques dont nous disposons.
Donnons une nouvelle impulsion à la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive. La France a déjà proposé que nos chefs d'Etat et de gouvernement se réunissent en marge de la prochaine Assemblée générale pour définir les nouvelles priorités de notre action.
Reprenons l'initiative dans les conflits régionaux qui déstabilisent des régions entières. Je pense en particulier au conflit israélo-palestinien. Combien de souffrances les peuples de la région devront-ils encore endurer pour que nous forcions les portes de la paix ? Ne nous résignons pas à l'irréparable.
Dans un monde où la menace est asymétrique, où le faible défie le fort, le pouvoir de conviction, la capacité de convaincre, la faculté de faire évoluer les esprits comptent autant que le nombre de divisions militaires. Ils ne les remplacent pas. Mais ils sont les auxiliaires indispensables du rayonnement d'un Etat.
Face à ce nouveau monde, il est impératif que l'action de la communauté internationale soit guidée par des principes.
D'abord le respect du droit. Clé de voûte de l'ordre international, il doit s'appliquer en toutes circonstances, mais encore plus lorsqu'il s'agit de prendre la décision la plus grave : le recours à la force. A cette condition seulement, la force peut être légitime. A cette condition seulement, elle peut ramener l'ordre et la paix.
Ensuite, la défense de la liberté et de la justice. Nous ne devons pas transiger avec ce qui constitue le cur de nos valeurs. Nous ne serons écoutés, entendus, que si nous sommes inspirés par les idéaux mêmes des Nations unies.
Enfin, l'esprit de dialogue et de tolérance. Jamais les peuples du monde n'ont aspiré avec autant de force au respect. Nous devons entendre leur appel.

Monsieur le Président, nous le voyons bien, jamais les Nations unies n'ont été si nécessaires. Il leur revient de rassembler les volontés pour relever ces défis. Parce que les Nations unies sont le lieu où se construisent la règle et la légitimité internationales. Parce qu'elles s'expriment au nom des peuples.
Au fracas des armes doivent répondre, d'un seul et même élan, l'esprit de responsabilité, la voix et le geste de la communauté internationale rassemblée ici, à New York, au Conseil de sécurité.
C'est l'intérêt de tous : des pays engagés dans le conflit, des Etats et des peuples de la région, de la communauté internationale dans son ensemble. Face à un monde en crise, notre obligation morale et politique est de renouer les fils de l'espoir et de l'unité.
De notre capacité à relever ce grand défi dépendra le jugement des générations futures. Au service de nos valeurs, au service de notre destin commun, au service de la paix.
Je vous remercie Monsieur le Président.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 mars 2003)
(Point de presse à New York, le 19 mars 2003) :
Bonjour.
Pourquoi sommes-nous ici ? Et bien, nous sommes ici pour affirmer la responsabilité collective envers les Nations unies, envers le Conseil de sécurité en ce moment très tragique. Nous voulons manifester notre soutien pour le rôle clé du Conseil de sécurité et des Nations unies dans la crise irakienne : bien sûr, en ce qui concerne l'aspect humanitaire de la crise, mais aussi la nécessité de reconstruire l'Irak. Nous estimons que le Conseil de sécurité et les Nations unies sont des acteurs clés. Nous considérons aussi que les Nations unies ont un rôle essentiel à jouer dans toutes les autres crises, toutes les crises de prolifération, et nous savons que la crise irakienne n'en est qu'une parmi d'autres. Il y en a bien d'autres et nous devons assumer nos responsabilités, également en ce qui concerne le terrorisme. Il est à craindre que le terrorisme ne connaisse une nouvelle explosion et nous aurons besoin d'unité et de coordination pour y faire face. Une responsabilité aussi en ce qui concerne toutes les crises régionales et peut-être la première d'entre elles aujourd'hui, qui est le processus de paix au Moyen-Orient. Il nous faut être prêts à lancer des initiatives concernant toutes ces crises.
Nous sommes également ici pour entendre les rapports de M. Blix et du représentant de M. El Baradeï car nous estimons que le travail qu'ils ont accompli au cours des derniers mois est très important. Ils ont montré qu'il était possible de désarmer pacifiquement l'Irak. Cela sera très utile en Irak demain et dans d'autres crises également. Ce sont les principales raisons pour lesquelles nous sommes ici aujourd'hui et bien sûr, nous suivrons de très près la situation et nous resterons en contact avec nos collègues allemands, russes et chinois, ainsi qu'avec d'autres membres du Conseil de sécurité.
Q - Pourquoi la France n'a-t-elle pas condamné l'action américaine, ce qu'ont fait les Allemands par exemple ?
R - Il n'y a pas d'action à ce stade, donc nous attendons bien sûr que la décision soit officiellement prise. Nous avons dit néanmoins que nous pensions qu'il n'y avait pas de légitimité à cette action. Vous le voyez bien, le président de la République l'a dit tout au long des jours derniers, la position de la France est parfaitement claire.
Q - M. Fischer a déclaré qu'il n'y avait rien dans la Charte des Nations unies qui autorisait le recours à la force pour renverser un régime. Dans ce cas vous parlez de légitimité et non pas de légalité.
R - Je parle de légitimité parce que nous voyons bien ce qui est en cause en Irak. Nous sommes tous partis avec le souci de rechercher le plein désarmement de l'Irak et nous avons vu un certain nombre des objectifs affichés ici et là, évoluer, en particulier ce changement de régime. L'ultimatum qui a été donné à Saddam Hussein au cours des dernières heures marque bien que c'est le départ de Saddam Hussein. Nous sommes tous convaincus du caractère très cruel de ce régime mais nous pensons aussi que l'objectif de la communauté internationale doit être respecté. Il y a, derrière cette idée du changement de régime, un principe d'instabilité et d'incertitude qui pourrait être très dommageable pour l'ordre international.
Q - Il y a beaucoup de personnes dans le monde arabe qui se demandent si en votant pour la résolution 1441, la France n'a pas été naïve, ou si elle avait d'autres raisons qui n'ont pas été exprimées ?
R - La position de la France a été exprimée dès le début. Le président de la République française, Jacques Chirac, a dit dès septembre quelle était notre position. Il y avait deux temps dans cette résolution. Un premier temps qui était celui des inspections. Et s'il y avait blocage, il fallait que le Conseil de sécurité se réunisse à nouveau, vote une deuxième résolution et prenne ses responsabilités, y compris un éventuel recours à la force. Ce qui est apparu dans cette crise irakienne, c'est que le temps des inspections a été respecté et que nous avons fait des progrès, marqués tant par M. Blix que M. El Baradeï. Il n'y avait donc pas de blocage, donc pas de raison d'envisager un deuxième temps. C'est la conviction de la France, que nous avons exprimée tout au long.
Q - Si les Etats-Unis envahissent l'Irak, saisirez-vous le Conseil de sécurité parce qu'ils violent le droit international ?
R - Nous avons discuté avec tous nos collègues et bien sûr, nous apprécierons la situation au cours des prochains jours.
Q - En ce qui concerne la reconstruction et le volet humanitaire de la question irakienne, pensez-vous que les Etats-Unis maîtriseront trop la situation et que la France sera exclue ?
R - Je ne pense pas que ce soit le problème. Le problème, c'est la légitimité. Qui a légitimité pour agir en Irak ? Bien sûr, un pays peut gagner seul. Et nous espérons que cela se passera sans trop de victimes. Mais aucun pays ne peut reconstruire à lui seul la paix en Irak. Et c'est pourquoi nous pensons que les Nations unies doivent être l'acteur clé dans la construction de la paix en Irak. Je pense que tout le monde au Conseil est d'accord sur ce point.
Q - Le président Bush a désigné l'Irak comme un pays parmi d'autres de l'axe du mal. La France craint-elle que cette guerre ne soit que la première d'une série d'aventures en marge des Nations unies ?
R - Bien sûr, lorsqu'on recourt à la force, la question se pose de savoir quand y recourir ou ne pas y recourir. C'est un point très important pour la communauté internationale. Nous estimons qu'il ne peut être recouru à la force qu'en dernier recours. C'est ce que pense la vaste majorité des membres du Conseil de sécurité et des membres de la communauté internationale. Il y a une alternative à l'usage de la force et c'est le désarmement pacifique. Et nous estimons bien entendu que l'outil créé par les inspecteurs sera impérativement nécessaire si nous sommes éventuellement confrontés à d'autres crises en matière de prolifération. C'est pourquoi la France était si désireuse que nous collaborions tous ensemble avec les inspecteurs. Parce que nous pensons que l'Irak n'est qu'une crise de prolifération parmi d'autres et que nous allons avoir besoin de l'expérience des inspecteurs. Il nous faut examiner très attentivement ce qu'il est possible de faire dans d'autres crises. Il est évident que la force ne saurait être utilisée systématiquement dans les diverses crises mondiales.
Q - En quels termes avez-vous recommandé aux Etats-Unis de ne pas employer d'uranium appauvri comme en 1991 ?
R - Bien sûr, nous nous préoccupons beaucoup de toutes les victimes potentielles. Mais en ce qui concerne l'aspect chimique et biologique, s'il y a une attaque de ce genre, nous avons dit que nous apporterions une aide. Cela a toujours été notre politique et le président Chirac l'a précisé à de nombreuses reprises.
Q - Si la force prime en Irak, croyez-vous que cela va créer un précédent, et un précédent inquiétant ?
R - Ce précédent, c'est ce que nous refusons. C'est pour cela que nous disons que la force ne peut être qu'un dernier recours. Et la responsabilité de la communauté internationale, - cette responsabilité prise par le Conseil de sécurité en refusant une résolution qui prévoyait un recours automatique à la force -, marque clairement le cap que la communauté internationale souhaite garder. La communauté internationale est inquiète de cet engrenage possible de la force. Il est donc très important que la force n'apparaisse pas comme un moyen de règlement des crises mais bien comme un dernier recours.
Q - Le président des Etats-Unis a constamment stigmatisé la France et lui a reproché le fait que le Conseil de sécurité n'ait pas adopté de résolution. Tout d'abord, estimez-vous que c'est justifié ? Par ailleurs, j'ai remarqué que dans votre déclaration d'aujourd'hui, vous évitiez très soigneusement de mentionner tout nom de pays. Est-ce délibéré ?
R - Je pense que les critiques que nous avons entendues ces derniers jours sont tout à fait injustes. Je ne pense pas qu'il faille rechercher de bouc émissaire. Il est évident, tant au Conseil qu'en dehors du Conseil, que nous avons des positions différentes. Ce qui est très important pour nous dans la communauté internationale aujourd'hui, c'est de faire preuve de respect. Nous pouvons avoir des divergences mais nous devons être unis pour faire face aux nombreuses menaces auxquelles est confrontée la communauté internationale. Nous l'avons dit ce matin, j'ai appelé Jack Straw pour lui dire que nous avions été choqués et blessés par les propos tenus hier à Londres. Et bien entendu, nous estimons qu'une bonne partie des critiques que nous avons entendues aux Etats-Unis sont injustes. Nous l'avons dit à nos amis américains. Je ne pense pas que vous ayez entendu un seul mot de critique dans la bouche des autorités françaises. Je pense que le respect est un élément essentiel si nous voulons avoir un ordre international qui laisse une place à chacun.
Q - Pouvons-nous avoir un ordre international si un pays agit de manière unilatérale et à titre préventif, en violation de l'esprit de la diplomatie qui règne ici ? Les Nations unies survivront-elles à cet échec ?
R - Je pense que vous aurez la réponse dans les prochaines semaines. Je pense que les Nations unies sont plus importantes que jamais. Nous avons besoin d'une responsabilité collective. Nous avons besoin de légitimité. Et les Nations unies sont faites pour cela. Et si nous sommes unis au milieu de la crise, c'est parce que nous croyons en ce que les Nations unies représentent. Nous voulons, lorsque le temps sera venu, reconstruire l'Irak et nous voulons que les Nations unies soient l'acteur clé. Parce que c'est le seul acteur qui soit capable de réduire les importantes difficultés que nous pourrions rencontrer.

Q - La France est le pays dont le discours sur la paix a été le plus éloquent. Pourquoi n'emploie-t-elle pas maintenant un ton plus énergique face à l'objectif armé ?
R - Il me semble que le moment présent est d'une exceptionnelle gravité. Il est de notre responsabilité à tous de faire en sorte que les heures et les jours à venir soient le moins douloureux possible. Bien sûr, nous pourrions, et ce serait facile, entrer dans une logique de critique. Cette logique n'est pas la nôtre. Notre logique est une logique de responsabilité. Vous m'avez demandé pourquoi la France se singularisait. Nous pensons que la responsabilité collective du Conseil de sécurité et de la communauté internationale s'est exprimée très clairement. Il n'y avait pas de majorité au Conseil de sécurité. Il n'y a pas à ce jour de majorité dans le monde pour approuver une décision d'usage de la force. C'est pourquoi la position de la France est une position de principe. C'est très important. Actuellement, la gravité, la solennité du moment font qu'il nous appartient de rechercher les moyens de soulager les souffrances des jours à venir.
Q - Que comptez-vous faire en ce qui concerne les relations avec les Etats-Unis ?
R - Il me semble que les Nations unies sont le seul organisme capable de permettre à tous les pays de se réunir pour oeuvrer en faveur de la paix et de la sécurité. C'est là un point très important parce que le terrorisme, les crises régionales, la prolifération, sont des éléments très présents. Nous allons devoir nous rencontrer pour lutter ensemble, si nous voulons que les menaces considérables que nous voyons peser sur le monde ne s'aggravent pas.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 mars 2003)
(Interview avec les télévisions françaises à New York, le 19 mars 2003) :
Q - Quelle est votre réaction au fait que les ministres des Affaires étrangères anglais et américain ne soient pas venus ?
R - C'est un choix. La France, avec de nombreux partenaires, qu'il s'agisse notamment de la Russie et de l'Allemagne, nous avons décidé de venir, pour marquer notre responsabilité à un moment très important pour la communauté internationale. Pour nous tous, il y avait une autre option, celle du désarmement pacifique de l'Irak et cette option était soutenue - elle est toujours soutenue - par une très large majorité des membres du Conseil de sécurité et une très large majorité de la communauté internationale.
Q - Quel était le sens de cette réunion aujourd'hui alors que la partie diplomatique paraît terminée ?
R - Il est très important d'exprimer notre confiance dans les Nations unies, qui auront une partie très importante à jouer sur le plan humanitaire, d'abord en Irak, pour la gestion future et provisoire de l'Irak. Il est très important de dire notre confiance et nos remerciements aux inspecteurs. Car les inspecteurs reprendront leur travail. Il y a là un outil qui a été bâti au fil des différents mois. Il y a de nombreuses crises de prolifération à travers la planète et ce système des inspections doit être défendu et maintenu pour faire face aux autres crises.
Q - A vous écouter, dans votre discours, les Etats-Unis et les Britanniques ont enfreint le droit international en décidant d'utiliser la force en Irak. Est-ce que cette position change quelque chose pour vous ?
R - La position que nous avons exprimée ce matin avec la plupart de nos collègues, c'est la question de la légitimité de cette intervention dans la mesure où, je l'ai dit, il y avait une alternative. Nous pouvions faire autrement. Il y avait la possibilité de continuer d'agir à travers les inspections pour un désarmement pacifique de l'Irak.
Q - Est-ce que pour autant, justement, la gestion de ''l'après Saddam'' par les Américains, en décidant de nommer un gouverneur américain, est-ce que cela vous paraît légitime ou pas ?
R - Notre conviction est partagée par nos amis du Conseil de sécurité. Notre conviction c'est que le rôle des Nations unies est incontournable dans cette gestion de l'Irak. Les Nations unies ont la légitimité, elles ont l'expérience pour faire face à une telle situation. Nous soutenons donc, - je vois que cette idée progresse aussi aux Etats-Unis -, cette option parce qu'elle nous paraît la plus susceptible d'assurer la sécurité, y compris de ceux qui interviennent en Irak, et qu'elle est la plus conforme bien sûr au droit international.
Q - Monsieur le Ministre, vous êtes venu à de nombreuses reprises au Conseil de sécurité. Vous vous êtes exprimé plusieurs fois à cette tribune. Vous l'avez dit, les armes sont sur le point de parler. Est-ce que vous avez le sentiment d'un échec ?
R - Je crois que la communauté internationale a marqué un chemin. Ce chemin est très important parce qu'il montre qu'il était possible de faire autrement. Aujourd'hui, ce sont les armes qui vont parler mais nous ne devons pas baisser les bras. La communauté internationale doit continuer de faire face aux difficultés du monde. L'Irak ne résume pas les difficultés du monde : le terrorisme, les autres crises de prolifération, les crises régionales. Il y a là des défis très importants. Nous devons donc tous ensemble rester mobilisés et nous sommes convaincus, là encore, qu'en Irak, très vite, les Nations unies seront au coeur. Il leur appartiendra d'affirmer et d'assumer toutes leurs responsabilités. Qu'il s'agisse de l'humanitaire, qu'il s'agisse de la gestion de l'Irak, il y a là une responsabilité qui nous paraît incontournable.
Q - Et maintenant qu'allez-vous faire ?
R - Nous nous sommes, par ailleurs, réunis en marge de cette réunion du Conseil de sécurité avec nos amis Russes et Allemands ainsi que nos amis Chinois pour maintenir cette concertation très étroite que nous avons eue au cours du dernier mois et nous avons décidé de maintenir le principe de cette concertation tout au long des prochaines étapes de cette crise.
Je vous remercie.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 mars 2003)