Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames, Messieurs les Députés,
Rétablir l'égalité des chances entre les territoires et revitaliser l'économie rurale figurent parmi les priorités de la politique nouvelle en faveur des territoires ruraux que le Président de la République a assignées au Gouvernement. En avril 2002, à l'occasion d'un discours prononcé à Ussel, il avait eu l'occasion de préciser sa vision d'un développement économique des territoires ruraux. Et c'est dans cet esprit qu'il faut comprendre la décision de faire du Ministère de l'Agriculture un département également en charge des affaires rurales.
C'est aussi dans ce contexte qu'en novembre dernier, moins de six mois après mon arrivée rue de Varenne, j'ai eu l'occasion de préciser lors d'une communication en Conseil des ministres, les orientations que nous poursuivrons en ce domaine. Le Gouvernement a également annoncé sa volonté de soumettre à votre examen, dès l'automne prochain, un projet de loi d'orientation s'inscrivant dans un ensemble plus large de mesures en faveur du monde rural. Et il n'est, bien sûr, pas resté inactif dans l'intervalle.
C'est pourquoi, avant d'examiner plus précisément l'économie générale de la proposition de loi que vous soumettez à l'examen de cette Assemblée et sa pertinence, il me paraît utile de dresser un constat lucide des réalités du monde rural et des politiques successivement mises en uvre dans ce domaine.
Car, en vérité, les réalités que recouvre le monde rural sont bien souvent éloignées de l'idée que s'en font beaucoup de nos compatriotes.
De rurale, la France est, certes, devenue en moins d'un siècle, essentiellement urbaine, et chacun sait que les agglomérations urbaines concentrent désormais 80 % de la population sur le tiers du territoire métropolitain. Pour autant, le monde rural conserve une importance que ne résument pas ces seuls chiffres : diversité de nos terroirs, richesse de notre espace, rôle du monde rural dans l'équilibre de notre pays.
Le monde rural et les problèmes auxquels il est confronté sont, en outre, de plus en plus divers. " La France se nomme diversité ", écrivait déjà Fernand BRAUDEL dans L'identité de la France. Tous les vingt ou trente kilomètres, un paysage cède la place à un autre. De même, les pays conservent leur singularité, et la réalité économique et sociale des territoires n'est pas non plus homogène. A la limite des villes, une part croissante -soit environ le tiers- des terres agricoles se trouvent soumises à la pression croissante de l'urbanisme commercial et de la spéculation foncière.
A l'opposé, les communes les plus isolées, notamment celles situées en zones de montagne, continuent à perdre des habitants. Beaucoup d'entre elles voient leurs espaces agricoles progressivement abandonnés et souffrent d'une mauvaise connexion aux réseaux modernes de communication. Leurs habitants participent au progrès, mais moins que ceux des villes. A dire vrai, ces différentes facettes du monde rural ont peu de choses en commun, sinon que beaucoup de leurs habitants partagent, à des degrés divers, un certain sentiment d'abandon. Car cela fait de nombreuses années que le monde rural ne se trouve plus au cur des préoccupations et que -beaucoup me l'ont dit dans la cinquantaine de départements que j'ai visité depuis un an- la politique d'aménagement du territoire a délaissé le monde rural.
L'espace rural ne saurait donc être analysé sous un prisme unique. Mais il ne doit pas davantage être vu sous un jour misérabiliste. L'agriculture n'est, certes, plus l'activité partout dominante du monde rural. Mais par delà ses évolutions divergentes, chaque année, l'espace rural regagne globalement des habitants. Nos compatriotes sont de plus en plus nombreux à rechercher à la campagne une qualité de vie que les grandes métropoles urbaines leur refusent.
Le déclin des campagnes n'est donc pas inéluctable.
Si les réalités du monde rural sont diverses, les politiques conduites jusqu'ici en sa faveur ne sont pas moins éclatées.
C'est pourquoi le Gouvernement a souhaité, en priorité, évaluer l'efficacité des politiques de développement rural. Le retard accumulé sur ce point, en particulier au cours des cinq dernières années, ne peut, certes, être rattrapé dans un temps très court. Cependant, à la suite du CIADT de la fin de l'année dernière et sur ma proposition, un certain nombre d'études ont été engagées, et leurs premières conclusions commencent à être disponibles et sont riches d'enseignements.
Ainsi, dans un rapport récent, l'instance interministérielle d'évaluation des politiques de développement rural a souligné que les dispositifs en faveur du monde rural obéissent à des logiques encore trop sectorielles et cloisonnées en faisant souvent appel à des mécanismes nombreux et insuffisamment articulés entre eux. Suivant la définition adoptée par cette instance, au moins 71 procédures étaient ainsi en vigueur fin 1998, et la tendance a été à l'empilement des procédures et des dispositifs.
De leur côté, les collectivités locales -régions et départements- ont, mis en uvre des politiques de développement des territoires ruraux, mais sans toujours trouver les dispositifs nationaux et européens d'accompagnement souhaitables.
Ainsi, l'ensemble de ces outils se sont sédimentés au fil du temps et manquent désormais singulièrement de lisibilité. Plusieurs raisons sont fréquemment invoquées pour expliquer cette dérive :
- une coordination insuffisante entre les Administrations ;
- l'existence d'échelons de conception et de mise en oeuvre multiples ;
- la superposition des territoires et des périmètres d'intervention ;
- la multiplication de zonages qui ne se recouvrent qu'imparfaitement et de critères de définition parfois obsolètes ou inappliqués ;
- des sources de financements abondantes, mais dispersées et aux effets parfois très relatifs sur les territoires d'application ;
- enfin, une articulation rural-urbain qui paraît insuffisante dans le cadre de l'intercommunalité.
Dernier texte majeur en faveur des zones rurales, la Loi d'Orientation pour l'Aménagement et le Développement du Territoire du 4 février 1995 a institué des dispositifs d'exonération fiscale pour les activités exercées dans ces zones délimitées : les Territoires Ruraux de Développement Prioritaires (TRDP) et les Zones de Revitalisation Rurale (ZRR). Je dois souligner qu'aucune étude n'avait été conduite jusqu'ici sur l'efficacité de ces dispositifs. C'est pourquoi, avec mon collègue Jean-Paul DELEVOYE, Ministre de la Fonction Publique, de la Réforme de l'Etat et de l'Aménagement du Territoire, j'ai décidé de confier au Conseil Général du Génie Rural et des Eaux et Forêts, à l'Inspection Générale des Finances et à l'Inspection Générale des Affaires Sociales la conduite d'une mission d'étude dans trois départements : la Haute-Marne, le Tarn et la Creuse. Il ressort du rapport d'étape qui vient de m'être remis ces jours-ci que ces zonages reposent sur des données démographiques, parfois obsolètes et n'intégrant pas suffisamment la nouvelle réalité des pays et des regroupements communaux. La sédimentation progressive des dispositifs les prive, par ailleurs, d'une bonne lisibilité.
Ce rapport, dont les conclusions sont encore provisoires, suggère enfin plusieurs orientations pour la réforme de ces dispositifs :
- à court terme, il recommande de simplifier, d'actualiser les zonages, et d'étendre les dispositifs d'aide à la création d'activités à la reprise d'activités et à la pluriactivité ;
- mais à moyen terme, il invite à repenser la stratégie présidant aux zonages, à relever certains plafonds, à fusionner pour le simplifier le dispositif des ZRR et des TRDP, à conforter le rôle des régions, et à substituer aux pratiques de zonage une démarche de projet, comme le souhaite l'Union Européenne.
Voilà quelques observations qui n'épuisent pas tous les aspects du sujet. Mais ce qui nous réunit ce matin est avant tout l'examen d'une proposition de loi.
La proposition de loi socialiste soumise ce matin à votre examen tend essentiellement à créer un Périmètre d'Aménagement Rural Incitatif (PARI), assorti d'exonérations fiscales et sociales et de mécanisme de compensation pour les collectivités des zones rurales les moins dynamique ou en proie à de graves difficultés d'activité ou d'emploi, afin notamment d'y encourager la pratique du télétravail. Elle comporte, enfin, un volet sur le financement des collectivités.
J'ai peine à dire à son rapporteur, car j'estime par ailleurs son combat en faveur de l'agriculture de montagne, que cette proposition de loi appelle toutefois les plus expresses réserves de notre part.
Sans entrer dans un examen exhaustif des dispositions proposées, je me bornerai à quelques observations générales.
A- La création d'avantages fiscaux nouveaux dans le cadre d'un nouveau zonage serait privée de toute lisibilité.
La création d'un nouveau niveau de zonage, que constitue le PARI, aurait, en effet, pour principal effet d'aboutir à une complexité accrue de l'environnement fiscal des entreprises. S'il était institué, le PARI viendrait, en effet, s'ajouter au deux niveaux de zonage existants en matière d'impôts (ZRR et TRDP) et aux quatre niveaux de zonage existants en matière d'impôts locaux (zones éligibles à la Prime à l'Aménagement du Territoire pour les projets industriels et tertiaires, Territoires Ruraux de Développement Prioritaire, Zones de Revitalisation Rurale), avec leurs conséquences fiscales propres. La création d'un nouveau zonage devrait donc au moins s'accompagner de la suppression d'un zonage existant. Or, une telle substitution est difficilement envisageable en l'espèce, puisque le régime fiscal proposé en matière d'impôts directs locaux est a certains égards plus large que les exonérations existantes -il concernerait par exemple les activités de services-, mais aussi moins avantageux, car l'avantage fiscal est dégressif en fonction du nombre de salariés. Par ailleurs, le dispositif proposé serait d'une mise en oeuvre complexe et délicate, dans la mesure où il reposerait sur l'actualisation régulière de caractéristiques économiques et sociales et d'un indice synthétique, fluctuant, par ailleurs calculé à partir de critères complexes, voire non disponibles aujourd'hui, je pense notamment au PIB par habitant au niveau cantonal.
B- L'extension au PARI des exonérations fiscales actuellement applicables aux zones franches urbaines serait, nous semble-t-il, une solution hâtive et coûteuse.
La présente proposition de loi repose sur le postulat implicite qu'il existerait entre les secteurs connaissant des problèmes urbains importants une identité de diagnostic impliquant une identité de solutions. Or, sans méconnaître la gravité des conséquences de la désertification de certaines zones rurales, il ne me semble pas que les réponse apportées aux difficultés spécifiques auxquelles sont confrontées les zones urbaines en grande difficulté soient transposables aux zones rurales. Le simple décalque de la politique de la ville appliqué à la campagne n'est pas pertinent.
La mise en oeuvre de mesures dérogatoires efficaces suppose, au préalable, une analyse approfondie des caractéristiques économiques et sociales des zones concernées à partir de l'évaluation en cours des dispositifs existants.
En instituant de nouvelles exonérations compensées, le dispositif prévu en matière d'impôts locaux représenterait un coût pour l'état impossible à chiffrer, compte tenu de l'absence de visibilité sur le périmètre du PARI. Enfin, le développement nécessaire des mécanismes de compensation n'irait pas dans le sens des dispositions de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003, c'est à dire le nouvel article 73-2 de la Constitution, selon laquelle les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales doivent représenter pour chaque catégorie de collectivité une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources.
J'observe, enfin, que le principe même de telles zones franches appliquées au milieu rural est très disputé et que les clivages en la matière n'ont rien de partisan. Cette seule considération suffirait, s'il en était besoin, à refuser sur un tel sujet une urgence artificielle. Une politique rurale efficace ne peut être que globale. C'est donc dans un cadre global que je vous proposerai dans quelques mois de réexaminer cette problématique.
Monsieur le Rapporteur,
Vous me permettrez de faire une dernière série d'observations sur le calendrier de votre initiative. Et je le ferai avec la même franchise que j'ai observée de votre part et que j'apprécie. Car, pour tout dire, je peine quelque peu à comprendre le soudain empressement de votre formation, alors que le précédent gouvernement n'avait pas même jugé utile de procéder à quelque évaluation que ce soit de l'efficacité du dispositif des ZRR, dont votre initiative se rapproche.
Le Gouvernement, de son côté, a inscrit le développement rural à son programme législatif de l'automne. Et c'est là un sujet trop sérieux pour être traité dans la précipitation.
Le calendrier gouvernemental sera donc respecté. Le temps de l'action est venu, et celle-ci -je peux vous l'assurer- sera résolue.
L'ensemble des services de la DATAR sont mobilisés, et les services centraux de mon Ministère ont été réorganisés avec la création d'une nouvelle direction générale chargée des affaires rurales, afin d'être en mesure de participer plus efficacement à sa mise en oeuvre. Sans attendre, j'ai, d'ores et déjà, engagé de très nombreuses consultations avec le monde associatif, les grandes associations d'élus locaux, généralistes (Association des Maires de France, Association des Régions de France, Association des Départements de France) ou spécialisées (Conseil National de la Montagne), les organisations professionnelles et tous les partenaires institutionnels ou syndicaux que l'activité ou l'intérêt portent vers le développement rural. Beaucoup, d'ailleurs, m'ont adressé des contributions d'une très grande qualité.
A la fin de l'été, l'ensemble de ces mesures sera présenté à l'occasion d'un Comité Interministériel pour l'Aménagement et le Développement du Territoire (CIADT) présidé par le Premier Ministre. Elles seront alors examinées en Conseil des ministres puis soumises à votre examen dans le courant de l'automne.
Le calendrier du Gouvernement n'est donc pas mystérieux, et ses intentions sont claires : associer l'ensemble des partenaires dont l'implication est nécessaire au succès de cette démarche.
Pour ma part, je souhaite, avant tout, que ce projet de loi et tous les dispositifs qui vont l'accompagner s'attachent aux préoccupations les plus concrètes du monde rural : lever les obstacles économiques propres au monde rural, favoriser les partenariats, encourager le développement des territoires ruraux les plus isolés, préserver et mettre en valeur le patrimoine naturel et bâti, favoriser - au nom de l'égalité des chances - l'accès de tous aux services, tels sont les objectifs qui me guideront dans la rédaction du projet de loi que je soumettrai à votre examen. Ce projet cherchera à valoriser et à conforter les politiques mises en oeuvre par les régions et les départements. Il pourra comporter, le cas échéant, des dispositions expérimentales proposées par ces collectivités. Les zones de montagne et les départements d'outre-mer feront également l'objet de dispositions spécifiques. Bien évidemment, il faudra aussi examiner la question foncière, et je serai sur ce sujet, qui touche à l'essentiel, particulièrement attentif à vos suggestions.
C'est pour toutes ces raisons qu'il ne me paraît pas souhaitable d'adopter cette proposition de loi. J'ai, par ailleurs, entendu le choix du Président OLLIER, et celui-ci me paraît raisonnable.
Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames, Messieurs les députés,
Ce qui guide l'action du Gouvernement, c'est à la fois l'objectif d'équité territoriale et le souci d'accompagner et de fédérer les initiatives locales. L'enjeu dépasse de beaucoup des considérations techniques et financières. Car ce vers quoi tend notre ambition, c'est de restaurer l'unité française et l'égalité des chances entre ses enfants. Et c'est aussi de contribuer à sauvegarder un modèle de civilisation auquel nous sommes profondément attachés, parce qu'il touche à notre culture et notre identité. Le Gouvernement a choisi de consacrer à ce projet une partie de la session parlementaire cet automne. Je ne doute pas, Monsieur le Rapporteur, que vous prendrez alors part à ce débat avec la même foi et la même énergie, et c'est au côté de l'ensemble de la représentation nationale que nous auront alors rendez-vous avec la France des campagnes, ses préoccupations et son avenir.
(source http://www.agriculture.gouv.fr, le 16 mai 2003)