Interview de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, à France 3 le 3 avril 2003, sur le conflit en Irak, les réformes des retraites, de la Sécurité sociale et de l'Etat, la laïcité, l'antisémitisme et le racisme, la situation économique et sociale, la décision du Conseil constitutionnel au sujet de la réforme des modes de scrutin, la politique budgétaire et la baisse des impôts.

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Texte intégral

C. Ockrent : Bonsoir à tous. La guerre en Irak a beau être lointaine, elle plombe nos esprits avec ses souffrances et sa violence ; elle pèse aussi sur notre société dont elle avive les pulsions communautaires ; elle obscurcit un climat économique et social, qui déjà est difficile. On l'a vérifié encore aujourd'hui avec cette grève dans la fonction publique, dans les transports et à l'éducation nationale surtout, et puis, ces manifestations qui ont, comme à chaque fois, la grève des transports, provoqué la galère pour des milliers de citadins, et ça, bien sûr, ça n'a rien à voir avec la guerre en Irak. Autant de raisons, Monsieur le Premier Ministre, de vous accueillir ce soir, dans cette émission spéciale de France Europe Express sur France 3 et France Info. Autant de questions aussi à vous poser, parce que contrairement à ce que disent certaines des personnes interrogées par L. Cottu, on ne vous a pas tellement entendu ces derniers temps, et les Français sont inquiets. Commençons, si vous le voulez bien, par la guerre en Irak. Il y a trois jours, à Clermont-Ferrand, vous avez dit : " il faut choisir son camp et la France est carrément, franchement dans le camp américain et britannique ". Est-ce que cela veut dire que vous imprimez un nouveau cap à l'attitude française et pourquoi ?
- " Ce n'est pas un nouveau cap, c'est le cap qui a été celui de la France depuis le début de cette crise, que nous avons vu venir avec une extrême gravité. Je dois dire qu'il faut bien évidemment mesurer combien une guerre est pleine d'horreurs, et on voit aujourd'hui se multiplier les horreurs. On s'attendait à une sorte de guerre du 21ème siècle, technologique, très, finalement, rapide, sans morts, une guerre virtuelle, comme on a dans les jeux vidéo, et finalement, cette guerre ressemble aux horribles guerres du 20ème siècle, avec du corps à corps, avec des morts, avec des maternités bombardées. Donc c'est une extrême violence. Cette violence, évidemment, nous la ressentons profondément et nous la ressentons avec d'autant plus de dureté qu'on a toujours pensé qu'il y avait un autre chemin que cette guerre, et quand je dis "nous", c'est la France sous l'autorité du président de la République qui, à l'ONU, a mené ce combat auprès de l'ensemble des Nations. "
C. Ockrent : Mais en même temps, vous êtes le premier à avoir affirmé l'ancrage de la France dans l'OTAN
- " Je le dis clairement : il ne peut pas y avoir d'hésitation pour la France ; nous ne pouvons pas être dans le camp des dictatures, et donc nous le disons clairement. Nous ne sommes pas, évidemment, favorables à la victoire d'une dictature ; il est clair aussi que les erreurs ont été manifestes sur ce dossier. Et les Américains ont fait une triple erreur. D'abord, je crois vraiment une erreur morale. Il faut le dire, il y avait une autre alternative à la guerre ; on pouvait désarmer l'Irak autrement. Et d'ailleurs, ils n'ont pas réussi à rassembler une majorité sur leurs thèses parmi les Nations
Ensuite, une erreur politique, parce que nous connaissons bien les difficultés de cette région du monde. Nous voyons combien le conflit israélo-palestinien est grave, et à chaque instant, il peut embraser le monde. C'est une grave erreur politique que de jeter le trouble dans cette région. Et puis, il y a une erreur stratégique, cette idée unipolaire, cette idée qu'une nation aujourd'hui peut mener le monde. Nous croyons vraiment que le monde doit être équilibré avec plusieurs grands pôles ; c'est pour ça que je suis très européen, que nous sommes très européens, parce que l'Europe est l'un des pôles. Donc il est évident que nous ne sommes pas du tout solidaires de la dictature et du dictateur, mais nous disons clairement à nos amis américains, et on peut leur dire avec franchise, puisque ce sont des alliés : " vous avez fait une erreur grave sur ce dossier ", et la France est dans cette affaire très déterminée et a le sentiment d'avoir fait son devoir."
G. Leclerc : Monsieur le Premier Ministre, le fait que vous insistiez beaucoup, depuis le début de la semaine, sur la nécessité de choisir son camp, est-ce que cela veut dire que vous avez des inquiétudes sur l'état de l'opinion publique française sur ce sujet ? Question complémentaire - et on est vraiment dans le même sujet : que répondez-vous tout simplement aux Français, qui disent : " moi, je ne choisis pas de camp, mon camp, c'est le camp de la paix " ? Est-ce que c'est une position neutre que vous condamnez par exemple ?
- " Je pense que le camp de la paix, c'est quelque chose qui est ambigu ; nous sommes dans le camp de la paix parce que nous sommes dans le camp du droit. Nous ne sommes pas, en France, des pacifistes, le pacifisme n'est pas notre doctrine. Nous faisons une loi de programmation militaire, et nous pensons que si nous avons une place - et cela a été bien utile au Conseil de sécurité - de membre permanent, c'est parce que justement, nous savons faire les efforts de défense et mettre de la force au service du droit. Donc cette position est très claire : nous ne sommes pas des pacifistes, mais nous sommes pour le droit, et nous pensons que dans cette guerre, aujourd'hui, on est passé à côté du droit. Et c'est pour ça que le combat qui est le nôtre, c'est le combat au nom du droit. Ce qui me gêne - et c'est pour ça qu'il faut être vigilant, il faut le dire aux Français ; moi, je suis venu dire la vérité ici - donc je voudrais qu'on fasse attention à un syllogisme. Premièrement : cette guerre n'était pas forcément utile. Deuxièmement : les bombardements, les horreurs d'une guerre, les attitudes des uns et des autres, et notamment les attaques américaines, apparaissent comme très violentes. Troisièmement : le peuple irakien souffre. Quatrièmement : alors nous aurions de la tendresse pour S. Hussein, non. N'allons pas au bout de ce raisonnement, ce n'est pas parce que nous condamnons la démarche que nous avons quelque sympathie que ce soit pour S. Hussein."
G. Leclerc : Vous dites ça parce que vous sentez un trouble dans l'opinion sur ce sujet ?
-"Je dis ça parce que c'est la vérité. Je dis ça parce que nous nous sommes battus partout, avec vraiment beaucoup de conviction. Et je vais vous dire franchement que, durant ces quelques mois que j'ai passés à Matignon, si j'ai eu de temps en temps des moments de fierté - ce n'est pas un lieu où on est en général fier, on est au travail et on est malmené, on est secoué, de temps en temps -, j'ai eu ces moments quand j'ai vu combien le président de la République portait haut et fort ce message, et que des millions de gens défilaient dans le monde entier, derrière le drapeau français."
G. Leclerc : Vous n'avez jamais eu aucun doute d'ailleurs dans cette période, vous, qui avez été assez silencieux, mais c'est normal dans le jeu de la Vème République. Vous ne vous êtes pas dit un jour : mais un fond
- "Je voyais les téléspectateurs ou les gens que vous avez interrogés tout à l'heure se poser des questions : parle-t-il, ne parle-t-il pas ?"
G. Leclerc : Vous ne vous êtes pas dit : mais au fond, est-ce qu'on a forcément, nous, raison, les Français, et les Américains, tort
- "Il faut dire aussi"
G. Leclerc : Pendant le jeu diplomatique ?
- "Il faut dire aussi aux Français clairement que la cohabitation, c'est fini ; maintenant, les institutions fonctionnent à plein régime."
C. Ockrent : Donc le président de la République, la diplomatie
- "Donc le président de la République conduit la politique de la France, il est clair que j'anime le gouvernement. Il est clair que les options politiques, nous les travaillons ensemble, le président a porté haut et fort ce message. Ce que je tiens à dire simplement aux Françaises et aux Français, c'est que dans cette guerre, il faut être très vigilant, les uns et les autres, pour ne pas faire d'amalgame, pour faire en sorte que, notamment, dans notre société, à l'intérieur de la République française, on n'importe pas le conflit pour générer des tensions. Une guerre porte toujours des horreurs, elle porte toujours des drames, il n'y a pas de guerre heureuse, et c'est pour ça que cette guerre-là n'est pas, pour nous, une guerre que nous avons souhaitée, et vraiment, j'invite tout le monde à être très vigilant sur cette situation."
C. Ockrent : C'est un message qui a aussi rassuré certains de vos amis politiques, qui étaient un peu troublés par la fermeté, sinon la raideur française, vis-à-vis de ceux que le président de la République a appelés les belligérants ?
- "Nous n'avons pas d'hésitation, il y a eu des débats un peu polémiques sur le sujet, il n'y a aucune hésitation. La démocratie américaine est fille de la démocratie européenne. Donc entre démocratie et dictature, la France ne se trompe pas. Mais il va de soi que nous sommes très inquiets de voir dans cette région du monde une guerre qui produit un drame profond, qui s'attaque à un peuple de manière particulièrement violente. Et dans ce contexte-là, nous disons : la situation est dangereuse "
G. Leclerc : Alors vous dites "situation dangereuse", à l'intérieur, dans l'Hexagone. On sent aussi des Français inquiets par exemple sur leur propre sécurité. Est-ce que vous avez eu depuis le début de cette guerre, et même dans les jours qui ont précédé, des menaces ? Je sais qu'il y a un plan Vigipirate qui est appliqué, qui est maintenant gradué, est-ce que vous êtes inquiet ?
- "Nous sommes vigilants, nous n'avons pas de menace particulière, et je le dis aux Français, il n'y a pas lieu d'être fébrile. Nous n'avons pas de menace précise, et nous avons fait des efforts très importants pour renforcer nos services de renseignements. Donc nous sommes bien informés, nous n'avons pas de menace précise. Mais il faut naturellement être très vigilant. Aujourd'hui, le terrorisme est en train de changer. Avec une petite bouteille, on peut faire beaucoup de dégâts aujourd'hui. Donc, le terrorisme ne coûte pas aussi cher qu'il coûtait auparavant ; il n'est pas aussi difficile à organiser, donc il est plus difficile à détecter, c'est pour ça que nous sommes particulièrement vigilants. Mais dès que je suis arrivé, nous avons engagé la réforme du plan Vigipirate dès le mois de juillet, parce qu'on a bien vu que depuis les attentats du 11 septembre qu'il y avait un certain nombre de menaces, et nous avons été touchés, nous, la France, dans notre chair, avec l'attentat de Karachi. Donc nous avons bien senti qu'il était nécessaire de pouvoir organiser une mobilisation nationale avec un outil renforcé, avec des renseignements développés, avec un système Vigipirate gradué qui nous permet de mettre des moyens supplémentaires et une organisation particulièrement vigilante de tous les services de l'Etat. C'est pour ça que tous les dirigeants de la fonction publique, les préfets, les recteurs, l'ensemble des acteurs des services de l'Etat ont été informés des risques et sont particulièrement vigilants sur la situation."
C. Ockrent : En tous cas, la crainte d'attentat existe chez nos concitoyens. On l'a vérifié avec ce sondage qu'avec nos amis de France Info nous avons demandé à l'Institut CSA, on a demandé aux Français : quelles sont aujourd'hui vos préoccupations prioritaires ? D. Rotival nous résume les résultats.
D. Rotival : Les Français et la guerre en Irak : 74 % d'entre eux craignent que la guerre en Irak se traduise par une augmentation des prix et une baisse du pouvoir d'achat, 71 % par des tensions entre les différentes communautés religieuses en France, 57 % par des attentats sur le sol national. 56 % par une nouvelle hausse du chômage ; enfin, 40% d'entre eux craignent que cette guerre se traduise par une pause dans les réformes, dans le domaine des retraites, des impôts ou de la modernisation de l'Etat.
C. Ockrent : Monsieur le Premier Ministre, cette hiérarchie dans les préoccupations des Français vous surprend-elle ?
- "Je pense que les Français sont très lucides. Je vois qu'il y a une crainte sur les attentats, je crois qu'il faut en effet que tous soient vigilants, parce que cette vigilance-là est à la fois une affaire de pouvoirs publics, mais c'est aussi une affaire de citoyen. Donc, tout le monde doit être très attentif - je le dis et avec sérieux - même si nous n'avons pas de menace précise. Mais ce que je veux dire, c'est que nous n'avons pas peur. La France s'est organisée sur ces sujets, nous sommes vigilants, nous sommes courageux, et la France n'a pas peur dans cette situation."
C. Ockrent : Est-ce que vous pensez que la politique de la France vis-à-vis du conflit irakien la met davantage à l'abri que d'autres pays occidentaux ?
- "Je n'irais pas jusqu'à ce degré d'optimisme, puisqu'il y a aussi des intérêts étrangers en France qui eux pourraient être menacés. Donc notre vigilance est complète et totale. Mais je crois vraiment pouvoir dire aujourd'hui que nous avons une organisation et une capacité aujourd'hui de sérénité pour traiter tous les sujets qui nous sont posés. Et dès que nous avons un certain nombre d'indications, nous déclenchons des procédures très structurées qui nous permettent aujourd'hui de pouvoir dire qu'il n'y a pas de menace précise sur la France."
/// Reportage de L. A. Berrou à Garges-Lès-Gonesse sur les rapports entre les communautés///
C. Ockrent : Monsieur RAFFARIN, quand on perçoit ces tensions-là, quand on vérifie, hélas, dans quelques manifestations récentes, qu'il y a eu vraiment de la castagne, il y a eu vraiment de la violence raciste, notamment contre deux jeunes juifs à la place de la Concorde, près de l'ambassade des Etats-Unis, à Paris, est-ce qu'il ne faut pas se dire qu'en fait, le discours républicain sur l'intégration ne fonctionne pas, qu'on s'est beaucoup payé de mots et que la classe politique dans son ensemble a fait preuve, sur ces questions-là, d'une grande myopie ?
- "En tous cas, l'intégration dans la République n'a pas fonctionné comme elle aurait dû fonctionner. Donc ce n'est pas le discours sur la République qui est à mettre en cause ; au contraire, il faut le renforcer, le mettre en pratique, partager davantage la République, mais mettre en cause les échecs de l'intégration et corriger ces échecs pour permettre une meilleure intégration. Je suis très préoccupé par cette situation. Il est inacceptable que dans une démocratie comme la France on voit monter l'antisémitisme, on voit monter le racisme, et c'est vrai qu'aujourd'hui nous sommes dans une tendance qui est une tendance négative. Et c'est très préoccupant, parce qu'au fond, on le voit bien, tout le combat de la civilisation, c'est la part d'animalité contre la part d'humanité. Et la guerre fait ressortir l'animalité, et nous, nous sommes dans le camp de l'humanité, et l'humanité, c'est le respect de l'autre, quelle que soit sa religion, quelle que soit son origine. C'est ça, la France, c'est ça, la valeur républicaine. Et donc il est inacceptable qu'on ne respecte pas un Français quel qu'il soit pour des raisons d'origine, pour des raisons de couleur de peau, pour des raisons de religion. Et donc il y a une vraie colère en moi sur ces sujets-là. Je crois qu'il faut affirmer le pacte républicain. Il faut aussi qu'on redonne, je pense, de la force à la laïcité, pour qu'on puisse pratiquer sa religion dans la dignité dans notre pays, mais qu'on ne confonde pas la religion et la politique. Je vois que dans le monde aujourd'hui, on met Dieu dans tous les combats politiques, ce n'est pas le choix de la France. Dieu, chacun peut avoir son Dieu, le rencontrer comme il veut, s'y consacrer, y croire, je souhaite qu'on puisse pratiquer davantage, d'ailleurs, dans la liberté et dans l'égalité, les différentes religions de notre pays, mais la laïcité, c'est le pacte républicain, on ne confond pas ce qui doit être de l'avis personnel et de l'engagement religieux de ce qui relève de la démocratie et de la République. "
G. Leclerc : Au-delà du discours simplement, Monsieur Raffarin, quand il y a ce genre d'incident dans des manifestations, qui doit s'en occuper, ce sont les forces de l'ordre ou ce sont ceux qui organisent les manifestations ?
- "Nous mobilisons tout le monde. Ceux qui organisent doivent être vigilants - ils le sont d'ailleurs en général, nous le disons - et nous avons pris contact avec l'ensemble des organisateurs. Les forces de l'ordre doivent évidemment faire respecter le droit, et puis aussi, tous ceux qui peuvent sensibiliser l'opinion, et je pense à tous les éducateurs, à tous ceux qui, présidents d'associations hors responsables politiques participent, je dirais, au partage de la citoyenneté. Et donc il y a là une cause nationale très importante. Nous avons la chance d'avoir des valeurs républicaines qui rassemblent le pays. On l'a vu au mois d'avril. On a eu ce premier tour finalement où les Français nous ont dit : "la République, elle n'est pas si proche de ça de nous ; Liberté, Egalité, Fraternité, c'est écrit là-haut, et puis ce n'est pas vécu sur le terrain". Et les Français se sont plaints de cela. Et puis, le 1er mai et le 5 mai, ils ont manifesté pour dire : "on croit aux valeurs de la République". Mais il y a des actions engagées. C'est pour cela que nous avons organisé avec N. Sarkozy, le culte musulman pour lui donner une organisation représentative pour qu'on puisse avoir un dialogue. On [l']a avec le CRIF et les organisations juives, avec l'église catholique, avec les protestants, avec les uns, avec les autres ; il nous faut des organisations structurées. Le culte musulman n'était pas organisé depuis des années dans notre pays et il fallait le faire, et on l'a fait, je crois. Il va y avoir des élections les deux dimanches qui viennent. C'était une étape très importante ; ce sera difficile, c'est compliqué, mais il y a cinq millions de musulmans qui ont droit à pouvoir pratiquer leur religion, le tout, dans le respect de la laïcité. Mais tant qu'ils n'étaient pas organisés, avec qui dialoguaient- ils ? Et quand on a un islam qui se pratique dans les caves, dans les quartiers avec une pratique clandestine, évidemment, on s'en prend à la laïcité, comme une valeur républicaine."
C. Ockrent : Et il y a beaucoup de jeunes qui, à l'école, hélas, ne le comprennent et ne l'entendent pas. Et je voudrais vous présenter, Monsieur le Premier Ministre, L. Meliane qui est vice-présidente de SOS RACISME. Loudna, quand vous entendez la profession de foi de Monsieur Raffarin, est-ce que vous y croyez ? Est-ce que c'est un langage que les jeunes, que vous fréquentez, que vous voyez, avec lesquels vous militez aussi, peuvent comprendre ?
L. Meliane, vice-présidente de SOS Racisme : Ils peuvent comprendre, oui. Mais, en même temps, moi, je voudrais revenir en tous cas sur les valeurs de la République, parce que c'est quelque chose avec laquelle on a baigné à l'école, puisque c'est ce qu'on vous inculque tout au long de votre scolarité, mais c'est vrai que pour nous, ça reste un concept qui n'est pas palpable et qu'on ne vit pas au quotidien, c'est-à-dire que, aujourd'hui, on nous renvoie toujours à notre identité d'origine, alors qu'on est Français à part entière, qu'on ne se pose pas cette question, et à force justement de nous renvoyer à nos origines, c'est vrai que ça pose certains problèmes. Mais moi, ce que j'ai envie de dire aujourd'hui c'est que, certes, il y a des problèmes, certes, il y a des actes d'antisémitisme, il y a des actes de racisme, mais j'ai envie de dire qu'aujourd'hui, en tous cas, la nouvelle génération et ma jeunesse, ma génération en tous cas, elle ne se reconnaît pas là-dedans, on a affaire à une minorité que nous, on combat au quotidien et à qui on a envie de dire : ce n'est pas là-dedans qu'on se reconnaît, et ce n'est pas là-dedans en tous cas, que nous, on s'y voie, et j'ai envie de dire que, en tous cas, nous, on a toujours eu l'habitude de vivre ensemble, de se côtoyer quotidiennement, et ça se passe bien. Ça se passe bien, mais que, en même temps, c'est vrai que, en tous cas sur la question de l'antisémitisme, c'est quelque chose qui est très tabou, personne ose en parler, quand nous, on en parle à l'école, c'est par rapport à la Seconde guerre mondiale, mais qu'il faut parler aujourd'hui de ce qui se passe en France, actuellement, et que justement faire de l'antisémitisme une question taboue, justement, ça permet à ce qu'il y ait des dérives, et que le dialogue et moi, j'étais très contente que le reportage se termine là-dessus, le dialogue et la discussion sont importants, parce que nous, quand on anime des débats dans les lycées, et moi, j'ai l'occasion de le faire, quand on discute et quand on parle, on arrive, en tous cas, à s'entendre et à mettre les choses au clair. Mais ce n'est pas forcément simple, ce n'est pas forcément, et que moi, j'ai envie de dire, j'ai juste deux questions à vous poser. La première, c'est : il y a eu le rapport de la CNCDH, qui est sorti la semaine dernière, qui explique"
C. Ockrent : Alors il faut expliquer ce que c'est, donc la commission nationale représentative des droits de l'Homme, qui a sorti un rapport très alarmant sur l'année 2002.
L. Meliane : "Donc moi, j'ai envie de vous dire : qu'est-ce que vous proposez justement aujourd'hui concrètement, pour pouvoir lutter contre l'antisémitisme et contre le racisme ? Mais également, qu'est-ce que vous proposez aux jeunes des quartiers qui se sentent bien dans leur peau de Français, mais à chaque fois, on leur envoie leur identité d'origine ?"
- "Alors ça, je pense que ce sont des questions qui sont très importantes. Alors d'abord, un mot c'est vrai que, heureusement, tous les jeunes ne sont pas racistes, heureusement, et donc c'est très important. Mais c'est vrai que vous soulignez le danger du tabou, il y a l'autre danger aussi, c'est la banalisation, c'est-à-dire que finalement l'injure devient normale. Et souvenons-nous de notre histoire, c'est quand l'injure devient normale qu'elle devient très grave, c'est qu'à un moment, on ne se rend plus compte, et quand je regarde l'histoire, et notamment de la Seconde guerre mondiale, il y a des gens qui n'ont pas vu monter le racisme. Il y a quelqu'un comme R. Char, peut-être parce que c'était un poète, il a vu le racisme, lui, en 40, quand les autres ne le voyaient pas à ce moment-là. Donc il y a un certain nombre de gens qui doivent dire quand même : quand on voit des choses, même si elles ne sont pas majoritaires, les choses qui sont des choses de l'horreur, qui viennent de la guerre, qui viennent des tensions, il faut pouvoir le dire. Mais je suis d'accord pour considérer que dans la société française, il n'y a pas un racisme global, évidemment et il n'y a pas un racisme de masse, évidemment, et au contraire, il y a une même vocation républicaine très largement partagée. Mais il ne faut pas se taire sur ces sujets, parce que c'est comme ça qu'on banalise. Sur les questions que vous posez, d'abord, je crois qu'il est très important, en effet, que, en ce qui concerne l'antisémitisme et le racisme, on ait une action qui soit, à la fois, de prévention, mais aussi de sanction, donc nous avons une politique pour faire en sorte que les actes soient condamnés, et c'est pour ça qu'avec P. Lellouche, une proposition de loi a été votée, au Parlement, pour punir les actes de racisme et d'antisémitisme. D'une part donc, la punition, la sanction, et d'autre part, la prévention, la mobilisation de toute l'Education nationale, pour qu'on puisse aller vraiment dans une pédagogie du respect de l'autre, de la tolérance, de l'attention aux autres. Je vais même plus loin, puisque j'ai lu le rapport de R. Debray, je crois qu'il serait aussi utile d'avoir, dans l'Education nationale, une éducation du fait religieux, non pas pour une pratique religieuse, mais pour qu'on ait une"
C. Ockrent : Une terrasse (sic)
- "Culturelle, historique, artistique, pour qu'il y ait cette appréhension, que ça ne soit pas l'ignorance qui nourrisse la violence. Et puis, deuxièmement, alors ce qui est très important, c'est vrai que c'est le problème de l'intégration. L'intégration"
L. Meliane : "Par ailleurs, j'aimerais qu'on arrête de parler de l'intégration, parce que moi, à mon niveau, je suis née en France, je suis Française, et je me reconnais dans les valeurs de la République, et je considère qu'on n'a pas à parler d'intégration en ce qui concerne ma génération, puisque je suis née ici. Je ne me pose même pas la question, mais on me renvoie tout le temps à cette identité-là
- "Oui, mais c'est vrai pour vous, c'est vrai pour beaucoup de gens, vous vous êtes engagée dans la vie associative. Vous avez mené un combat récemment avec les femmes courageuses qui se sont engagées. La marche des femmes , c'était quelque chose de très fort, mais remarquez aussi qu'il y a beaucoup de gens qui sont à côté de ces organisations, qui se sentent seuls dans leurs quartiers, qui se sentent seuls, et qui eux ne se sentent pas intégrés dans la République, donc c'est vrai."
L. Meliane : "Ce n'est pas vrai, ce n'est pas vrai. Excusez-moi, je vous coupe, mais je considère que ce n'est pas vrai, parce qu'à un moment donné, on se sent Français à part entière, mais ce que j'essaie de vous expliquer, c'est qu'au quotidien, on vit la discrimination, discrimination au niveau de l'emploi, discrimination au niveau du logement, parce que je vais vous dire une chose, ce n'est pas forcément évident de relever la tête quand on vit les uns avec les autres, tous enfermés, et qu'à un moment à un autre, il n'y a plus de mixité sociale, il n'y a plus de mixité raciale, qu'on ne se mélange pas, qu'on ne se côtoie pas, et c'est normal qu'il y ait des tensions, c'est normal."
- "C'est pour ça que le contrat d'intégration - Je suis d'accord avec vous sur ce sujet, quand je dis qu'il faut que le contrat d'intégration, on l'appellera peut-être autrement si vous voulez, - mais cette idée, c'est que derrière la République, on mette justement l'égalité professionnelle, on mette l'emploi, on mette dans le contrat d'intégration, tel que le propose le président de la République, et tel que nous allons le mettre en place, et il y a un comité interministériel pour la première fois qui se réunit le 10 avril, ça n'a jamais été fait dans cette perspective-là, on met un contrat pour que, quand on est dans la République, on puisse avoir accès aux valeurs de la République, mais pas de manière théorique, c'est-à-dire : l'emploi, la promotion professionnelle, la formation, l'ensemble des dispositifs qui permet vraiment d'être dans une République, c'est-à-dire : Liberté, Egalité et Fraternité."
C. Ockrent : Je voudrais prolonger l'intervention de L. Meliane avec vous, J.-M. Blier, parce qu'il y a eu évidemment énormément de questions des auditeurs internautes de France Info ", et beaucoup sur le sujet que L. Meliane vient de soulever.
J.-M. Blier : Alors j'ai retenu deux questions ; il y a eu effectivement énormément de questions, j'en ai retenu deux. Tout à l'heure, Monsieur le Premier Ministre, vous avez parlé de la laïcité. Question récurrente, posée par nos internautes, les téléspectateurs et les auditeurs de France Info : quid du foulard, on voit de plus en plus de cas à l'école de jeunes filles qui viennent avec le foulard, on vit sur un avis du Conseil d'Etat qui date depuis dix ans, qui est relativement ambigu, qui pose problème ; est-ce que vous, vous êtes pour le statu quo, ou est-ce que vous êtes prêt, au nom de la laïcité, à interdire tous les signes religieux ?
- "Alors d'abord, voyez, quand vous dites foulard, vous prenez un mot qui n'est pas le mot employé par les personnes qui le portent, qui eux parlent de voile, c'est déjà sur ces sujets, respecter l'autre, c'est déjà prendre le mot de l'autre. Donc le problème du voile, qui est un vrai problème : moi, je pense que dans une République, on a le droit de pratiquer, mais dans l'exercice de tout ce qui est sa fonction de citoyen, on ne doit pas manifester de manière ostentatoire son action religieuse, sa participation religieuse. Donc je pense qu'il y a une règle entre la sphère privée et la sphère publique, et quand on est dans l'exercice, notamment du service public, je pense que là, on se doit d'affirmer un principe de laïcité, qui fait qu'on garde pour soi son expression religieuse. "
J.-M. Blier : Et l'école est dans la sphère publique ?
- "Absolument."
J.-M. Blier : Donc le foulard devrait être interdit ?
- "Absolument, absolument."
C. Ockrent : Le voile.
J.-M. Blier : Le voile, pardon
- "Non, mais je veux dire, c'est intéressant, parce que, le respect de l'autre, ça commence déjà par ne pas lui prendre sa culture pour en parler avec ses propres mots."
C. Ockrent : Même si dans la langue française, ça ne veut pas dire la même chose ?
J.-M. Blier : Mais pour revenir sur l'avis du Conseil d'Etat, il faudrait une loi, Monsieur le Premier Ministre ?
- "Mais nous travaillons sur ces questions-là, et notamment à l'occasion du centenaire de la loi de 1905, nous avons chargé l'Académie des sciences morales et politiques d'une réflexion très importante sur ce sujet, parce que je crois qu'il faut renforcer très sincèrement la notion de laïcité. Je pense qu'il faut une laïcité du 21ème siècle. Moi, je ne vois pas les religions comme quelque chose de négatif, je pense que les gens cherchent à savoir où est leur source de liberté, qu'on ait besoin de vie spirituelle, je crois que c'est plutôt un bien, A. Malraux avait dit que le 21ème siècle serait culturel, serait spirituel ; moi, je ne vois pas la religion comme un problème pour la société. Ce que je vois, c'est quand il y a des dérives de religion, quand on va chercher dans ce qu'on croit être une religion, mais parce qu'on n'appartient pas à la République, on va chercher une appartenance ailleurs, à une communauté, je voudrais que l'appartenance soit la République, mais que la religion puisse être pratiquée de manière tout à fait libre et égale, avec un code qui est le code de la laïcité, qui fait qu'on fait la différence entre la sphère privée et la sphère publique. Donc je suis vraiment très favorable à ce qu'on renforce l'idée de laïcité, cela positivera le fait des religions, qui n'apparaîtront pas comme quelque chose de suspect, qui apparaîtront comme quelque chose de spirituel, qui peut apporter à l'homme une recherche sur lui-même, sur son origine, sur sa dimension, et ça, je trouve que c'est plutôt bien, à condition qu'on sache séparer ce qui relève des églises et ce qui relève de l'Etat."
C. Ockrent : Venons-en, Monsieur Raffarin, à ce qui apparaît de plus en plus comme une préoccupation, je n'ose pas dire irrationnelle parce qu'hélas il y a beaucoup de raisons de se préoccuper du chômage, mais on voit bien que les Français sont de plus en plus noirs sur cette question-là. C'est vrai que les chiffres ne sont pas bons, il y a en gros 100 000 chômeurs de plus depuis la dernière élection présidentielle, les statistiques viennent de tomber, multiplication des plans sociaux.
[Reportage des N. Perez près de Lille sur un plan social]
C. Ockrent : Monsieur le Premier Ministre, en matière sociale, il y a, avec votre équipe, l'annonce quand vous arrivez au pouvoir, l'intention de réformer en profondeur, et bien sûr on va en discuter. Il y avait aussi la volonté de rompre avec ce qu'on appelle communément l'accompagnement social du chômage. Mais en fait, le principe de réalité joue. Est-ce que vous n'êtes pas contraint, et on le vérifie depuis quelques semaines, devant la multiplication des plans sociaux, de revenir à des mesures d'accompagnement social du chômage ?
- "Quand je vois les images que je viens de voir et quand je vois la douleur que produit le chômage, il est évident qu'il faut un certain nombre d'interventions sociales. Mais notre logique est une logique de développement de l'emploi dans les entreprises. Vous savez, il faut dire la vérité aux Français : on n'aura pas de l'emploi si on n'a pas plus d'entreprises, si on n'a pas plus de travail globalement. Il faut valoriser le travail et promouvoir le travail dans notre société. Autrement, nous aurons des substituts du travail, un certain nombre de contrats qui sont financés par les impôts, qui sont financés par les charges, et qui ne créent pas de la richesse. Donc il faut faire du social, mais le cap qui est le nôtre, c'est un cap de développement de l'emploi dans les entreprises."
G. Leclerc : Pardon de vous interrompre, c'était aussi votre discours quand vous avez pris les rênes à Matignon. Or, le contexte économique a complètement changé. Alors est-ce que vous n'avez pas quelques regrets de, par exemple, avoir balayé, pardon de l'expression, les emplois jeunes ? Est-ce que finalement ce traitement social du chômage - je ne sais pas si l'expression est heureuse -, vous êtes obligé d'y revenir maintenant. Est-ce que ce n'était pas plus sage, par précaution peut-être, de ne pas prendre des mesures trop précipitées ?
- "Vous faites une erreur, là. Nous avons gardé le cap. Vous savez, sur les chiffres du chômage, vous disiez tout à l'heure que depuis qu'on était au pouvoir il y avait eu 100 000 chômeurs de plus sur les dix mois. C'est vrai, c'est beaucoup trop. Mais sur les dix derniers mois de L. Jospin, il y en avait 150 000. C'est à partir de 2001 que le chômage repart dans notre pays, et la réalité elle est là. Et notre réalité aujourd'hui, elle est très claire : il faut faire en sorte que tous ceux qui créent de la richesse, tous ceux qui créent de l'emploi, aient sur leurs épaules moins de lourdeurs, moins de charges, moins d'impôts, moins de paperasses, il faut libérer toutes les énergies. Et c'est pour ça que les jeunes, vous dites les emplois jeunes, qu'est-ce qu'on a fait ? On a créé les emplois sans charges dans les entreprises. En quelques semaines, plus de 50.000 jeunes. Qu'est-ce que ça veut dire ? C'est des vrais emplois, dans de vraies entreprises, avec des vrais contrats à durée indéterminée. F. Fillon a bâti ce produit, je dirais. C'est plus efficace que les emplois jeunes, qui sont limités dans le temps."
C. Ockrent : Et c'est de l'action à long terme. donc on peut craindre que le chômage va continuer à augmenter ?
- "C'est de l'action. C'est pour ça qu'il faut une action sociale, évidemment, au plus près des gens, sur le terrain. C'est pour ça que nous avons fait en sorte qu'il y ait une capacité sociale d'intervention. Mais à côté de cela, quand vous regardez ce qui a été fait pendant un certain nombre d'années dans notre pays, il nous manque un million d'entreprises. C'est là qu'est le grand problème pour la France aujourd'hui, nous n'avons pas suffisamment d'entreprises pour avoir suffisamment d'emplois. Et donc, pour ce faire, il faut garder le cap qui est le nôtre, c'est-à-dire muscler les énergies de notre pays, alléger les charges, alléger toutes les pesanteurs, pour qu'on trouve le point de croissance qui nous manque. Quand vous regardez les vingt dernières années, c'est quand même incroyable : sur les vingt dernières années, on fait 2 % de croissance. Et les autres, ils font 3 %. Il nous manque, dans notre société française, 1 % de croissance. Et donc le cap qui est le nôtre, c'est d'aller chercher ce point de croissance."
G. Leclerc : Pardon de vous interrompre, est-ce que ce 1% de croissance que vous souhaitez, est-ce qu'on va le récupérer par la baisse des impôts, qui apparemment continue ? Est-ce qu'on peut y voir un peu plus clair en ce qui concerne la fiscalité, notamment pour les objectifs, compte tenu de ce contexte économique qui est nouveau ? Est-ce que les promesses de J. Chirac seront tenues, c'est-à-dire, je parle de l'objectif, moins 30 % en 2007 ?
- "Les engagements seront tenus. Pourquoi ? Pas seulement parce que ce sont des engagements, mais parce que c'est bon pour la France ; il faut baisser les impôts. Parce qu'on ne créera pas des emplois durables, et on n'aura pas de croissance durable"
G. Leclerc : Donc l'objectif reste le même ?
- "Il est évident que nous tiendrons les engagements, nous baisserons en 2004 les impôts. Nous le ferons parce qu'il faut le faire, dans l'intérêt du pays."
G. Leclerc : Et puis pour donner un peu de souplesse sur le timing, c'est ça ?
- "Vous parlez du déficit : nous avons deux problèmes dans la société française. Il y a un déficit qui est trop important parce que la dépense n'a pas été suffisamment maîtrisée. Il faut maîtriser les dépenses. Mais ce n'est pas en augmentant les impôts qu'on règle le problème de la France. Il faut à la fois, on en parlera avec Monsieur Solbes tout à l'heure, il faut à la fois baisser les impôts et pouvoir maîtriser la dépense."
C. Ockrent : Mais alors pourquoi est-ce que le président de la République laisse entendre l'autre jour qu'on va réviser le calendrier, parce qu'on ne pourra pas baisser les impôts ?
G. Leclerc : On va conditionner les baisses d'impôts à la croissance ?
- "Mais ça a toujours été dit, ça, y compris dans l'annonce de la campagne présidentielle."
C. Ockrent : Et votre ministre des finances dit qu'en fait, finalement, ça ne sert pas à relancer la consommation.
- "Je crois que le débat il y a un Premier ministre, et ce Premier ministre il assume la responsabilité. On baissera les impôts en 2004. Je le dis une fois pour toutes, et que ceux qui disent le contraire veuillent bien se taire à l'avenir. Nous baisserons les impôts, c'est la politique du gouvernement que je dirige. Et je le fais."
G. Leclerc : Donc la seule variable, c'est, on ne sait pas de combien, en fait ?
- "Et je le fais parce que c'est bon pour la France. Je ne le fais pas pour des raisons politiciennes, je le fais parce que nous avons besoin de créer des emplois, parce qu'il y a trop d'entreprises qui partent à l'étranger, parce que notre pays a perdu en attractivité, nous sommes descendus dans tous les classements, et je veux cette politique-là pour qu'on puisse soutenir une vraie dynamique économique. Ce qui ne veut pas dire, évidemment, ne pas être attentifs à tous ceux, comme on l'a vu tout à l'heure, qui souffrent."
G. Leclerc : Il y a un autre élément, Monsieur le Premier Ministre, qui est la CSG. Est-ce qu'effectivement, si vous continuez les baisses d'impôts, est-ce que là il n'y a pas tout de même une nécessité, probablement, demain ou après-demain, d'augmenter la CSG, qui finalement tendrait à rééquilibrer un petit peu les choses, compte tenu du déficit très fort de l'assurance maladie ?
- "Je tiens au pays le langage de la vérité et du courage, et la vérité ça ne veut pas dire : je n'augmente pas les impôts et je vais augmenter la CSG par derrière."
G. Leclerc : Donc pas d'augmentation de la CSG ?
- "Pas d'augmentation de la CSG. Nous sommes dans une situation aujourd'hui où nous avons un cap clair et net : chercher la croissance durable. Comment chercher la croissance durable ? D'abord, par le travail. Faire en sorte qu'on revalorise le travail. Dire aux Français la vérité. Il faut faire en sorte que le travail soit dans notre pays la valeur pour tous ; et donc, pour les travailleurs plus âgés, pour les jeunes, faire tout ce que l'on peut pour se battre pour l'emploi et le travail. Et il faut soutenir la consommation, il faut soutenir le pouvoir d'achat. C'est pour ça qu'on va augmenter le SMIC de 11 % dans les trois ans qui viennent. C'est pour ça que je n'ai pas voulu baisser la rémunération du Livret A. C'est pour ça par exemple que je n'ai pas voulu augmenter la redevance télé. Un certain nombre de décisions sont prises pour"
G. Leclerc : EDF : de nouveau M. Roussely demande une augmentation.
- "Je n'ai pas voulu le faire pendant l'hiver, pendant que les charges étaient lourdes
G. Leclerc : Et ça pourrait se faire, là, bientôt ?
- " Nous verrons, parce qu'il est question fortement d'avoir une dégradation des comptes. Mais je n'ai pas voulu le faire pendant l'hiver, parce que c'est pendant l'hiver qu'on dépense les notes d'électricité qui sont le plus élevées. J'ai un sens pratique qui fait que j'ai voulu attendre cette période-là. () Je connais le rythme de la consommation des ménages et de leur budget. Et je voudrais dire enfin que ce qui me paraît très important, avec le travail, avec le pouvoir d'achat, il faut aussi que l'Etat fasse des économies. Nous en reparlerons certainement, mais il est clair qu'il faut faire des économies. Il faut faire une meilleure gestion de l'Etat, parce que tout ça se générera, les bénéfices dont nous avons besoin pour l'emploi, se générera par des économies. Et vous avez parlé tout à l'heure, juste un mot sur ce point, évidemment de la situation internationale. Plus la situation internationale ralentit la croissance, nous avons un ralentissement de la croissance qui est très fort. Je lisais ce soir un grand quotidien qui disait : " La guerre étouffe la croissance ". Il y a aussi d'autres raisons, mais il y a"
C. Ockrent : Oui, elle s'était ralentie avant.
- "Elle s'était ralentie avant, mais disons qu'évidemment ça n'arrange pas la situation. Dans ce contexte-là, moins j'ai de marges de manoeuvre extérieures, plus je dois faire des réformes à l'intérieur. C'est pour ça que je dois intensifier les réformes, parce que j'ai moins de marges de croissance à l'extérieur, donc je dois intensifier les réformes à l'intérieur. C'est le cas, et c'est pour ça que dans ce cap-là, je ne change pas d'orientation."
C. Ockrent : J.-M. Blier, beaucoup de questions aussi au Premier ministre sur le chapitre social, bien évidemment.
J.-M. Blier : Oui. Par exemple, pour soutenir, comme vous le dites, la dynamique économique, Monsieur le Premier Ministre, il faut de la recherche et développement, d'accord ? Et Antoine, qui est étudiant en doctorat, dit : " La recherche publique est menacée d'une baisse d'un tiers de son budget, ce qui veut dire dans l'avenir moins d'innovation, moins de haute technologie, donc moins d'emplois.
- "Non, nous ne baisserons pas dans l'avenir, la recherche. Nous avons eu des difficultés de gestion, parce qu'on s'est trouvé avec, dans un grand organisme de recherche, 700 millions d'euros d'argent non consommé d'une année sur l'autre. Alors vous avez un grand organisme qui ne consomme pas 700 millions. Qu'est-ce que vous faites l'année suivante ? Vous lui remettez 700 millions ? Je leur ai demandé de consommer d'abord. Et donc, nous sommes en train de mettre des procédures de gestion, et c'est pour ça qu'il y a eu ces quelques difficultés. Mais je crois vraiment que la recherche est un élément stratégique pour la France. L'avenir de la France, ce n'est pas la concentration, le gigantisme, la standardisation, la banalisation, c'est la valeur ajoutée. Je dirais, c'est l'humain ajouté. C'est le brevet, c'est l'innovation, c'est tout ce qui va nous permettre de créer de la richesse. Donc par exemple il y a un très grand projet sur lequel nous nous battons, qui va concerner des milliers d'emplois, qui est le projet ITER à Cadarache, pour l'énergie post-nucléaire. Nous avons un certain nombre de grands projets de recherche pour lesquels la France est mobilisée. Je crois qu'il faut vraiment tourner l'avenir vers la recherche. C'est pour ça qu'avec le président de la République nous avons lancé le plan cancer, avec une partie recherche très importante. Je pense que là il y a des orientations à prendre. Et vous pouvez dire à Antoine que la recherche est stratégique dans l'avenir du pays. Nous avons eu des problèmes de gestion, mais stratégiquement nous réglerons ces questions-là, parce que la recherche publique en France doit pouvoir être plus fluide, et notamment les relations entre laboratoires et entreprises doivent être plus actives. Et peut-être qu'un problème que nous avons, c'est la faiblesse aussi de la recherche privée en France, par rapport à d'autres pays, et là aussi il faut faire appel aux entreprises pour qu'elles investissent davantage dans l'avenir."
J.-M. Blier : Alors vous utilisez vous-même l'expression " humain ajouté ". Alors j'ai un coup de colère, de centaines de téléspectateurs et d'auditeurs qui vous interpellent sur notre site, et je cite Brigitte, qui dit : " Comme les patrons de Metaleurop, vous agissez de la même façon : pas de négociations, rupture de contrats ; le 1er avril nous avons reçu notre lettre de licenciement de l'Education nationale ". Alors vous avez deviné, elle est conseillère d'orientation et psychologue, et elle fait partie de ces milliers de fonctionnaires de l'éducation nationale que vous avez transférés aux régions, dans le cadre de la loi de décentralisation. Ce qu'ils vous reprochent, j'interprète un peu, je vais très vite, ce qu'ils vous reprochent ce n'est pas tant la décision, encore qu'ils ne sont pas d'accord manifestement, mais c'est surtout qu'il n'y ait pas eu de dialogue et de concertation, alors que ça c'était un peu votre image de marque.
- "Rassurez-les, il y aura toutes les discussions qu'il faut. D'abord, pour la vérité, ce que vous dites là n'est pas tout à fait exact. C'est une proposition que j'ai faite. Cette proposition devra être discutée au Parlement, donc ils n'ont pas reçu de lettre de licenciement. Mais je vous le dis clairement, ils n'ont pas reçu de lettre de licenciement parce que nous sommes dans une démocratie. Quand le gouvernement propose, encore faut-il qu'il y ait un débat au Parlement. Donc nous n'en sommes qu'au stade où j'ai proposé, premièrement. Deuxièmement, il est hors de question de licencier, puisque les personnels garderont leur statut. Ils seront pour ce qui est des personnels administratifs dont vous parlez, au lieu d'être sous la tutelle directe de l'Etat, ils seront sous la tutelle d'une collectivité locale, par exemple les régions. En l'occurrence, ils seront gérés au plus près. Ils garderont leur statut, ils garderont tout ce qu'ils ont comme avantages, ils seront simplement gérés par une structure plus proche d'eux. Tous les personnels, vous croyez qu'ils sont aujourd'hui gérés par les collectivités territoriales, vous croyez qu'ils sont plus malheureux, quand on est géré au plus près ? Je pense que l'Education nationale, 1,3 million de salariés, est-ce que vous ne croyez pas qu'on pourrait gérer ça de manière un peu plus humaine ? Alors là je vois une résistance au changement. Alors à tous vos auditeurs qui ont exprimé de la colère, dites-leur que ce que nous voulons c'est une meilleure qualité de service public, et pour eux, de meilleures conditions de travail. Et ceux qui voudront choisir de rester dans l'Etat le pourront."
J.-M. Blier : Est-ce qu'il y aura un grand débat sur l'Education nationale, Monsieur le Premier Ministre ?
- "Il y aura un grand débat sur l'Education nationale au Parlement."
J.-M. Blier : Quand ça ?
- "Avant la fin de l'année. "
C. Ockrent : Merci Jean-Michel. Venons-en, Monsieur le Premier Ministre, à la colère ou l'inquiétude de beaucoup de fonctionnaires, d'agents de la fonction publique. Ils étaient dans la rue aujourd'hui à Paris, à Marseille, je crois qu'à Marseille c'est une très grande manifestation, l'une des plus importantes depuis la guerre. Il y a eu beaucoup de désordres dans les transports en commun aujourd'hui partout. Et bien évidemment le motif de cette inquiétude, tous les syndicats, à l'exception notable de la CFDT, manifestaient, le motif de cette inquiétude, c'est l'avenir des retraites.
[Reportage de K. Azzopardi sur la réforme des retraites]
C. Ockrent : Donc beaucoup de questions, on le voit bien, d'abord sur le montant des retraites.
- "Oui. Est-ce que je peux juste revenir, un mot, parce que tout à l'heure vous avez dit, vous avez comparé avec Metaleurop. Mais je ne peux pas laisser passer ça, parce que Metaleurop, j'ai beaucoup de choses à dire sur cette entreprise qui s'est mal comportée. Et donc vous disiez que l'Etat se serait comporté comme Metaleurop. Alors d'abord, un, nous n'avons pas fait de lettre de licenciement, et deux, Metaleurop c'est une entreprise qui a mis la clé sous la porte de manière inacceptable. Et qu'est-ce que nous avons fait ? Nous avons fait en sorte que le plan social qui était prévu, l'Etat se porte garant à la place de Metaleurop, et nous avons fait un procès à Metaleurop, c'est-à-dire que nous assumons les devoirs d'une entreprise défaillante, le rôle de l'Etat, parce que c'est une condition exceptionnelle. Mais c'est vraiment une histoire dramatique. J'ai rencontré les syndicats tout de suite, et je leur avais dit : "Condition exceptionnelle, traitement exceptionnel". Et c'est pour ça que nous avons mis de l'argent pour le plan social. Donc l'Etat a été à la hauteur de sa responsabilité sur ce dossier. Excusez-moi."
C. Ockrent : Je vous interromps une seconde, Monsieur le Premier Ministre, pour saluer le commissaire européen, Monsieur Solbes, qui est avec nous en duplex de Rome. Monsieur le Commissaire, merci d'être là, je sais que vous avez une réunion importante de la Banque centrale européenne ce soir, on va peut-être apprendre dans les heures qui viennent s'il va y avoir une baisse des taux. Avant d'engager la discussion avec vous, Monsieur Raffarin, s'il vous plaît, répondez à ces agents de la fonction publique qui sont inquiets sur le montant des retraites, et bien évidemment ça concerne aussi Monsieur Solbes, puisque tout ça ce sont les dépenses publiques.
- "Nous allons engager la réforme des retraites. Je tiens bon, j'irai jusqu'au bout, selon le calendrier exact que j'ai promis. J'ai fait, il y a juste deux mois, un discours au Conseil économique et social présentant les grands objectifs de la réforme, nous avons engagé des discussions, nous sommes en train de les finaliser dans le courant du mois d'avril. Le 7 mai, en conseil des ministres, nous prendrons position, et nous engagerons les dernières consultations nécessaires, juridiquement, je pense par exemple au conseil de la fonction publique, et nous aurons le débat parlementaire. "
G. Leclerc : Monsieur le Premier Ministre, quel est le bon niveau des retraites pour une personne qui va partir dans les prochaines années en retraite ? Par exemple, pour un smicard ou quelqu'un qui ne gagne pas beaucoup sa vie ?
- "Je pense qu'il faut trois choses très importantes aujourd'hui. D'abord, que tout le monde comprenne bien qu'il s'agit de sauver les retraites. Aujourd'hui, l'avenir des retraites n'est pas assuré. Il y a de moins en moins de gens qui payent et de plus en plus de gens qui touchent. A partir de 2006, nous sommes dans l'impasse. Donc premièrement, il faut harmoniser, mettre de la justice, mettre de l'équité. Donc je suis optimiste, au moment où je vous parle, sur le fait qu'on soit capable dans notre pays d'avoir, en 2008, un rendez-vous de la justice, c'est-à-dire un rendez-vous où les systèmes seront rapprochés."
G. Leclerc : En 2008, vous dites donc ce soir que ça sera une égalité pour tous ?
- "Je pense que les systèmes iront en convergeant, et que nous aurons un rendez-vous de justice
G. Leclerc : Harmonisation en 2008 ?
- "Pour ce qui est de la durée de cotisation. Je pense ensuite qu'il nous faut avancer sur la retraite personnalisée. Il faut maintenir les grands principes : la retraite par répartition, la retraite à 60 ans. Mais de part et d'autre de 60 ans, ceux qui veulent partir avant, ceux qui veulent partir après, qu'il puisse y avoir des possibilités personnalisées. Je crois que là aussi nous pouvons avancer. Enfin, je pense qu'il faut traiter la question des petites retraites dans notre pays, et notamment je pense qu'il nous faut un niveau de retraite, pour ceux qui ont travaillé, qui soit supérieur à ce qu'est aujourd'hui par exemple le minimum vieillesse. C'est-à-dire que c'est un principe général que je voudrais défendre dans notre société, c'est que les revenus du travail soient supérieurs aux revenus de l'assistance. Donc quand vous avez une retraite, que cette retraite soit supérieure au niveau de l'assistance minimum qui est donnée à ceux qui n'ont pas travaillé. Il faut que le revenu du travail soit supérieur au revenu de l'assistance, parce qu'il y a un certain nombre de gens"
G. Leclerc : Qui va payer ? Qui va payer, ça va coûter très cher, tout de même ?
- "Nous avons organisé l'ensemble de la négociation. Il y a des sujets sur lesquels nous allons pouvoir évidemment faire un certain nombre d'économies, et il y a d'autres sujets sur lesquels nous allons pouvoir améliorer la situation. C'est cela, un bon accord, et c'est pour ça que nous voulons discuter avec les syndicats, et c'est pour ça que nous sommes très attentifs aux propositions des uns et des autres. Mais qu'il soit clair, j'irai jusqu'au bout, j'ai cette mission, c'est une mission qui m'a été confiée, j'ai fait un engagement de confiance devant le Parlement pour faire la réforme des retraites. Je sens que dans le pays aujourd'hui les choses sont prêtes, je sens que dans les forces sociales aujourd'hui il y a un certain nombre de forces qui veulent aller vers cette réforme. Et je comprends que ceux qui manifestaient aujourd'hui, ils manifestaient pour une réforme des retraites. Certains manifestaient contre la réforme des retraites, et il y en a d'autres qui ne manifestaient pas et qui sont pour les retraites. Donc il faut être vigilant sur ce débat, il n'y a pas un front uni. Je crois que ce qui est très important, c'est d'engager la réforme des retraites, et qu'elle soit faite de manière, je dirais irréversible, pour qu'on puisse sauver nos retraites avant les grandes vacances."
C. Ockrent : Mais alors comment payer tout ça alors qu'en même temps, et vous le disiez tout à l'heure, vous dites, vous que - mais c'est un peu la méthode Coué - c'est que quand ça va mal, qu'il faut réformer encore davantage. R. Fauroux, ancien président de Saint-Gobain, ancien ministre de l'industrie, qui a fait un travail remarquable sur la réforme de l'Etat, on se souvient d'un ouvrage chez Robert Laffont, je crois, " Comment réformer l'Etat ". Monsieur Fauroux, le Premier Ministre est face à vous, que lui dites-vous ? Comment peut-on payer, et comment peut-on mener à bien en France la réforme de l'Etat, alors que tellement de gouvernements s'y sont cassé les dents ?
R. Fauroux : "Ce qui me frappe, Monsieur le Premier Ministre - mais vous l'avez certainement remarqué aussi -, c'est que la France a beaucoup bougé. Les entreprises se sont étendues sur l'ensemble du monde, il y a une très belle productivité, et on a l'impression que l'Etat est en panne, et ce n'est pas simplement une impression. Voyez : il y a deux secteurs de l'administration publique que je connais. Alors on va commencer par le ministère de l'Industrie, parce que j'étais moi-même à la tête de ce ministère, il y a déjà longtemps, et à l'époque nous avions de très lourdes responsabilités dans l'industrie, une bonne partie des subventions était nationalisée, et je sentais déjà que les effectifs étaient pléthoriques. Et alors aujourd'hui, où l'Etat s'est quand même très dégagé de l'industrie, l'industrie se fait en dehors du ministère de l'industrie, j'ai l'impression que ça n'a pas bougé, il y a toujours autant de monde. Ce sont d'excellents ingénieurs, mais ils seraient sûrement plus utiles ailleurs. Alors le ministère des finances, l'orgueilleuse forteresse de Bercy qui donne des leçons à tout le monde. Alors Bercy a sorti il y a deux ans une étude excellente fondée sur des comparaisons internationales, et qui montre que la collecte des impôts en France coûte beaucoup, beaucoup plus cher qu'ailleurs. Et beaucoup plus cher, ça veut dire 40 %, et 40 %, vis-à-vis de pays par rapport auxquels on a une certaine condescendance, comme l'Espagne, qui avait autrefois une fonction publique très médiocre, et puis aujourd'hui sont en avance par rapport à nous. Alors qu'est-ce que vous pouvez faire ? Si vous me permettez, Monsieur le Premier Ministre, vous avez beaucoup de malchance, beaucoup d'ennuis dans la conjoncture actuelle, vous avez au moins une chance, c'est que la démographie va vous aider, c'est-à-dire que dans les dix prochaines années, la moitié des effectifs de la fonction, des personnels de la fonction publique, vont partir en retraite. Alors est-ce que vous ne pensez pas que ça serait l'occasion de poser un challenge aux fonctionnaires de l'Etat, qui sont d'ailleurs très dévoués, enfin qui à mon avis sont de qualité au moins équivalente à celle des cadres du privé, c'est-à-dire de leur dire : en dix ans, vous améliorez votre productivité de 25 %. L'Etat est une entreprise de services, qui rend des services, mais les entreprises de services, grâce à l'informatique, grâce à de bonnes organisations."
C. Ockrent : Alors la réponse : est-ce que l'Etat peut augmenter sa productivité ?
- "Bien sûr. Et c'est naturellement, en effet, grâce à des nouvelles technologies, grâce à des nouvelles formes d'organisation, qu'on peut avoir un service public amélioré avec des effectifs mieux maîtrisés. Vous dites, Monsieur le Ministre, que je n'ai pas de chance. Mais j'ai deux atouts quand même. Un, j'ai le courage de le faire, et deux, j'ai le temps. Nous avons une majorité et des conditions politiques. Et donc, je veux m'appuyer sur ces deux forces. Alors la réforme de l'Etat, je la prends sous cinq angles différents. On va aller très vite. Je vais vite sur la réforme de la régionalisation, la décentralisation, c'est un élément très important, je pense qu'il est une réorganisation au plus près du terrain, on fait mieux et moins cher. Les régions ont fait des lycées, les départements ont fait des collèges, et ils en ont fait plus, mieux et moins cher que l'Etat. Un, la décentralisation. Deux, la simplification, par ordonnance. Je vais procéder par ordonnance, on va simplifier un grand nombre de choses. Par exemple, il y a 200 commissions administratives dans chaque département, il n'y en aura plus que 100 à partir du début de l'année prochaine. Donc on va vraiment toiletter l'ensemble du système. Trois, la loi organique budgétaire, c'est un élément technique, mais c'est très important pour pouvoir simplifier les choses. Quatre, alors là je suis sur le débat qu'est le vôtre, ministère par ministère, je pense que là nous avons une toilette à faire de toute l'organisation. Alors j'ai pris chacun de mes ministres, je suis en train de le faire actuellement, deux heures chacun, et je trouve des choses assez extraordinaires. Par exemple, avec N. Sarkozy, nous avons découvert que les compagnies de CRS avaient 270 jours de déplacement par an. Donc, on a fait en sorte que les gens ne se déplacent plus et qu'ils travaillent sur leur territoire. On a gagné ainsi 4.000 postes. Il y a un certain nombre En ce qui concerne les finances, dont vous parliez, on est en train en effet de supprimer un certain nombre de dispositifs. Par exemple, il y a 500 000 Français aujourd'hui qui font leur déclaration d'impôts par Internet. Ça représente en papier, en niveau de papier, trois fois la Tour Eiffel. Donc là, on va avoir une occasion pour profiter des départs à la retraite, pour ne pas remplacer, puisque les technologies vont pouvoir le faire. Mais il faut dire aussi les choses avec courage. J'entends ici ou là, moi, je vais vous dire quelque chose que peu d'hommes politiques ont dit, mais la Banque de France, est-ce qu'on peut garder aujourd'hui des succursales de la Banque de France dans autant de villes, alors qu'on a confié à la Banque centrale européenne des responsabilités qui ne sont plus assumées aujourd'hui par la Banque de France ? Donc il faut avoir le courage de dire qu'on ne peut pas avoir de la Banque de France dans toutes les villes."
C. Ockrent : C'est ce que le gouverneur de la Banque de France a lancé.
- "Soyons raisonnables. Alors je vois même des amis élus qui se battent, je comprends bien, quand on est élu il faut toujours se battre sur son propre territoire. D'ailleurs, je trouve qu'on ferait mieux de garder la Banque de France dans une ville moyenne plutôt que dans la grande ville. Forcément, on peut faire de l'aménagement du territoire, et quand on a touché à la Banque de France ici, ce n'est pas la peine de toucher au même endroit au tribunal d'instance."
C. Ockrent : Et alors on profite de la démographie, on ne remplace pas, en gros, un fonctionnaire sur deux dans les quinze ans qui viennent ?
- "Mais ministère par ministère, je suis en train de trouver "
G. Leclerc : Y compris dans l'éducation, Monsieur le Premier Ministre ?
- "Y compris dans l'éducation. Nous sommes en train de trouver aujourd'hui des réformes très importantes et je vous assure que, en allant au fond de chacun des ministères, on est en train de trouver des solutions pour trouver cette productivité supplémentaire. J'ajouterai un dernier point à la réforme de l'Etat, mais je sais que c'est un élément très important, c'est tout ce qui concerne la stratégie. Vous parliez de recherche tout à l'heure. Moi, ce qui m'a frappé en arrivant à Matignon, c'est que finalement je vois l'Etat chercher à être présent partout pour distribuer des petites subventions partout dans le territoire, et puis être absent sur les grands sujets, et d'être absent sur la pensée à quinze ans, la pensée à vingt ans. Si on veut construire des programmes de recherche, quelquefois des grands programmes industriels, l'Etat stratège c'est un élément très important, et je crois qu'il faut renforcer, là, la fonction stratégique de l'Etat, parce que ni les entreprises, ni les collectivités locales ne pensent à quinze ans ou à vingt ans. Or, il y a des sujets, aujourd'hui, pour lesquels il faut commencer une réflexion. C'est pour cela que nous allons rénover le Commissariat au Plan, mettre de la perspective. J'ai confié à A. Etchegoyen, qui est à la fois un penseur, philosophe, et en même temps homme d'entreprise, pour que..."
C. Ockrent : Vous aimez bien les philosophes !
- "J'aime les gens de pensée parce que je crois qu'il faut que l'Etat ait une pensée. Donc moi, la façon de voir les choses ce n'est pas de faire de la décentralisation ou de la réforme pour affaiblir l'Etat, mais c'est un Etat plus performant, qui a un meilleur coût/efficacité et qui répond mieux à ce que demande l'usager, c'est-à-dire le citoyen. "
C. Ockrent : Cure d'amaigrissement, on l'a bien compris. C'est une nouvelle qui doit faire plaisir au commissaire européen Solbes qui nous écoute. On change de thème, monsieur Raffarin. Nous passons à la dimension communautaire de votre politique. On a vu que la Commission de Bruxelles, hier, a rendu son analyse assez sévère de la politique que vous menez en matière de déficit public, on sait que c'est en juin que la Commission doit adresser à la France ses recommandations pour que la France rentre à nouveau dans ce fameux Pacte de stabilité, il faut rappeler que c'est la France et l'Allemagne, à l'époque, qui l'avaient exigé.
[Reportage de L. Cottu sur le plan de rigueur allemand]
C. Ockrent : Monsieur Solbes, bonsoir. Vous êtes le commissaire européen en charge des affaires économiques et monétaires. Il y a beaucoup de gens en France qui se demandent au fond pourquoi est-ce qu'il faudrait obéir à Bruxelles, pourquoi est-ce qu'il faudrait vous obéir ? Pourquoi est-il tellement important de coordonner les politiques monétaires ? Est-ce que vous ne pouvez pas laisser, face aux difficultés des uns et des autres, tel ou tel gouvernement mener sa politique comme il l'entend ?
P. Solbes : "Bonsoir. Pour commencer, je crois qu'il faut distinguer deux choses. Premier point, le déficit public qui augmente, c'est bon pour la croissance oui ou non ? L'expérience que nous avons maintenant, c'est que les pays qui ont plus de croissance, ce sont les pays qui ont des surplus. Cela se trouve en Europe, mais c'est aussi le cas, par exemple, du Canada ; si on compare avec le Japon, malgré le déficit public japonais, la situation n'est pas bonne. Mais le problème du point de vue européen, c'est un peu différent, on a décidé de mettre en commun une monnaie, c'est la monnaie de la France, mais c'est la monnaie de nous tous. Et pour ce faire, on a décidé d'avoir une politique monétaire unique, mais des politiques économiques nationales. Nationales, mais coordonnées. Et la coordination, c'est l'aspect budgétaire qui est fait sur la base du pacte de stabilité et de croissance. Qu'est-ce qu'il nous dit, le pacte de stabilité et de croissance ? Il ne faut pas dépasser les 3 % de déficit public. Et si on dépasse les 3 %, il faudra arriver à un certain mécanisme qu'il faut appliquer. La responsabilité de l'application correspondant dans la Commission, c'est cela que nous sommes en train de faire. Je voudrais vous corriger, à mon avis, la France n'est pas en dehors du pacte, la France est absolument dans le pacte, comme l'Allemagne, et la France, l'Allemagne, le Portugal sont des pays qui ont dépassé les 3 %. Alors, il a fallu réagir."
C. Ockrent : Donc, monsieur Raffarin, on a quand même dépassé les 3 %. Et à bien lire l'analyse rendue hier par monsieur Solbes et ses services, on voit que ce qui est en cause quand même, c'est l'année 2002 et l'année 2003. F. Mer, votre ministre dit qu'en 2004, on sera formidable, on fera un effort exceptionnel pour réduire les dépenses publiques, mais vous venez de nous dire tout au long de cette émission en fait que les dépenses publiques, vous allez continuer.
- "Non, non, non. Je ne vous ai pas dit ça. J'ai dit que je maîtrisais les dépenses publiques. Nous allons maîtriser les dépenses publiques. Et quand je vous parle d'allongement de la durée de cotisation pour la retraite, c'est là le moyen pour nous de faire des économies publiques. Donc, il y a un certain nombre de mesures de réformes qui sont des mesures qui vont générer des économies. Je salue monsieur Solbes. Je veux dire d'abord que je ne remets pas du tout en cause le pacte de stabilité et de croissance, on n'est pas tellement dans la stabilité internationale, on n'est pas tellement dans la croissance non plus. Mais, disons que c'est le règlement de copropriété, comme dit M. Barnier, notre commissaire européen, c'est le règlement de copropriété de l'euro. Donc, ce faisant"
C. Ockrent : Donc, c'est important pour tout le monde.
- "Donc, c'est important, il ne faut prendre les choses à la légère. Il est clair que, ce que dit aussi le rapport de monsieur Solbes, c'est que la France qui, il y a quelques années, il n'y a pas longtemps, à l'an 2000, elle était à 4 % de croissance, et qu'on n'a pas fait les réformes pendant qu'on était à 4 % de croissance. Alors, je dis seulement à monsieur Solbes, c'est difficile que moi, avec 1,3 % de croissance, je rattrape tout le retard de ceux qui n'ont pas fait des réformes quand ils avaient 4 % de croissance. C'est pour ça que j'ai demandé un peu de temps. Mais, je pense que, et nous sommes d'accord avec la Commission européenne, il faut faire des réformes, maîtriser nos dépenses, c'est pour ça que nous avons fait cette réserve de précaution et c'est pour ça que pour la première fois, j'ai déjà fait 1,4 milliard d'euros d'économies dès le premier trimestre de l'année pour faire des économies sur l'Etat, donc pour me mettre d'ores et déjà dans une situation de maîtrise des déficits."
C. Ockrent : Mais en même temps, monsieur Raffarin, vous venez de le dire avec force, vous continuerez à baisser les impôts. Et ça, monsieur Solbes, ça ne vous plaît pas, les baisses d'impôts, vous n'aimez pas ça.
P. Solbes : "Pas exactement. Je crois qu'il faut être un peu plus nuancé. Non, non. La Commission est en faveur des baisses d'impôts qui soient ciblées, qui permettent d'augmenter la croissance en Europe et qui permettent d'augmenter l'emploi. C'est vrai qu'en même temps, les réductions d'impôts doivent être financées et ça implique qu'il faut faire les économies nécessaires pour être capable de financer ces réductions d'impôts. Si on tient compte de tous ces éléments, alors, nous sommes absolument en faveur des réductions d'impôts."
- "Réforme plus économie égalent baisse d'impôts, c'est ce que nous voulons faire. Et suivant la croissance, nous ciblerons plus ou moins nos baisses d'impôts. Par exemple, nous avons, avec la Commission, une discussion sur la baisse de la TVA dans la restauration, voilà une baisse d'impôt qui est ciblée sur l'emploi. Ce sont des actions que nous pouvons engager directement pour l'emploi. Mais en effet, et je suis tout à fait d'accord sur ce sujet, il faut financer par des économies, il faut financer par des réformes. C'est pour ça que je dis que plus la conjoncture est mauvaise, plus il faut intensifier les réformes."
C. Ockrent : Monsieur Solbes, vu de Bruxelles, quelles devraient être pour vous les priorités dans l'action de monsieur Raffarin ?
P. Solbes : "Les définitions de politique économique nationale correspondent à chaque gouvernement. Ca, c'est clair. Nous définissons certains éléments clés, comme par exemple l'évolution des déficits publics. C'est vrai que nous croyons que le défi essentiel que nous avons tous pour le futur, c'est comment augmenter la croissance ? Pour augmenter la croissance, il faut être plus productif, dans ce sens, il faut, entre autres, réduire les déficits publics. Des éléments de nature structurelle qui nous permettent de réduire les déficits publics, qui nous permettent d'améliorer la productivité et qui nous permettent d'augmenter l'emploi sont des éléments essentiels. A partir de là, on sait que le programme français n'est pas seulement, sur la situation du déficit, ce n'est pas seulement un programme décroissant aujourd'hui. Il y a eu aussi certains éléments, que monsieur Raffarin connaît très bien, certains dérapages de déficits publics, l'assurance maladie, c'est un exemple. Il y a, j'ai écouté ce qu'il vient de dire sur les pensions, il y a aussi un problème important à moyen terme de vieillissement de la population. il faut commencer à y travailler parce que, sinon, finalement, on aura des problèmes. Ces types de réformes structurelles, à mon avis, sont essentiels pour augmenter la capacité de croissance, c'est l'élément essentiel pour résoudre le problème."
C. Ockrent : Est-ce que pour vous, la guerre en Irak peut être un facteur d'appréciation entre maintenant et le mois de juin pour juger de la situation de tel ou tel pays, et en l'occurrence, du nôtre, Monsieur Solbes ?
P. Solbes : "En ce qui concerne la guerre, il y a deux types d'effets. Les effets de durée, de dépenses militaires. Ça, on pourrait considérer que c'est un événement extraordinaire. Mais ça touche les pays qui sont affectés par la guerre ; la majorité des pays en Europe ne sont pas affectés par cet élément. Mais, c'est vrai que la guerre peut avoir un effet sur la croissance. L'effet sur la croissance sera considéré, comme on l'a fait toujours, quand on fait l'évaluation sur les déviations qui peuvent se produire par rapport à ce qu'on avait accepté entre nous dans les programmes de stabilité. Mais, ça ne veut pas dire qu'il y aura une espèce d'autorisation exempte pour avoir plus de déficit public. A mon avis, s'il y a plus de déficit public à la suite de l'évolution de l'économie, c'est un élément dont il faudra tenir compte. Mais, ça n'empêchera pas non plus, si nécessaire, disons, de mettre en fonctionnement les procédures du traité, c'est-à-dire les procédures de déficit excessif."
- "Nous comprenons tout à fait ce langage. Nous, pour faire face au pacte de stabilité, nous avons dans l'urgence trois réformes structurelles à mener en France, je m'y suis engagé, je tiendrai : la réforme des retraites, la réforme de l'assurance maladie en effet et la réforme de l'Etat avant la fin de l'année 2003. C'est ces trois réformes structurelles qui sont au coeur de la politique de réforme que nous devons intensifier."
G. Leclerc : Monsieur Raffarin, il y a un autre critère dont on parle un peu moins, mais qui cause problème également à Bruxelles, c'est le problème de la dette qui augmente énormément. La dette aujourd'hui, c'est 15 800 euros par Français. Comment faire pour essayer là aussi de réduire ce qu'on peut appeler également un déficit ?
- "Il faut dire les choses clairement. Moi, je suis évidemment pour qu'on maîtrise la dette et nous faisons tous les efforts nécessaires, notamment en maîtrisant..."
G. Leclerc : Là aussi, on dépasse les critères...
- "Pourquoi ? Là, je dois dire quand même la vérité, moi, je ne suis pas un polémiste de nature, mais les socialistes sont partis sans payer la note. Parce que quand il faut sortir 9 milliards d'euros pour payer l'augmentation de capital de France Télécom, quand vous voyez la situation aujourd'hui de RFF sur le plan financier, quand vous voyez La Poste, La Poste, je suis obligé d'augmenter le timbre, de le porter à 0,50 euro parce qu'autrement, La Poste nous sortait 300 millions d'euros de déficit cette année, alors qu'on a besoin de services publics. Nous étions en déficit dans tout le secteur public de manière massive. Donc, la dette a été extraordinairement chargée. Quand vous pensez que l'ensemble de la charge de la dette des entreprises publiques était en 2001 de 100 milliards d'euros et en 2002 de 150 milliards d'euros, donc il est évident qu'il y a un poids, là, considérable que je suis obligé d'assumer. En dix mois, je ne peux pas tout faire. J'essaye de maîtriser les dépenses, d'engager les réformes, mais, je le disais tout à l'heure, j'ai le courage d'aller jusqu'au bout, je tiendrais bon. Et puis, j'ai le temps puisque nous avons une législature pour le faire."
C. Ockrent : Je crois que le moment est venu de remercier monsieur Solbes, en espérant que les paroles du Premier ministre le rassurent sur la discipline de la France dans les mois et les années qui viennent. Et il est vrai, monsieur Solbes, bien sûr, que la dette est l'un des critères d'appréciation du bon ou du mauvais comportement des Etats membres. Merci en tout cas de nous avoir rejoint. Monsieur Raffarin, si on élargit maintenant l'analyse de l'Europe au-delà des problèmes économiques et monétaires, on voit à quel point l'Europe est fracturée à cause du conflit irakien. Jusqu'à quel point, est-ce qu'il n'y va pas de la responsabilité de la France et de l'Allemagne qui, d'une certaine manière, ont ensemble, et avec la Belgique, pris une posture très ferme sans consulter les autres et on a maintenant une vraie division au sein de l'Europe ?
- "Nous avons eu de multiples discussions, il y a eu des conseils européens, le président CHIRAC a eu l'ensemble de ses homologues en permanence au téléphone sur les positions de la France. Mais, il va de soi que les positions de la France, c'est des positions morales, des positions mondiales pour une vision du monde, je le disais tout à l'heure, multipolaire. C'est pour ça que les choses sont cohérentes, nous sommes pour une organisation européenne parce que nous voulons un monde qui ne soit pas seulement unipolaire."
C. Ockrent : "Enfin, l'Europe, vous en conviendrez, l'Europe a explosé sur cette histoire.
- "Non, elle n'a pas explosé. Elle a connu des difficultés, je le reconnais."
C. Ockrent : Elle a explosé, elle s'est désunie fortement.
- "Evidemment. Mais, nous avons toujours fait en sorte qu'on garde des contacts. Moi, je suis resté en contact en permanence avec J.-M. Aznar, avec T. Blair, avec S. Berlusconi."
C. Ockrent : C'est vous qui avez le rouleau de chatterton pour recoller les morceaux ?
- "Nous avons tous fait en sorte que le projet européen reste vivace. Il est évident que l'Europe ne s'est construite que sur des difficultés. L'Europe, elle ne s'est pas faite naturellement. Ni l'histoire avec les violences, les terres ensanglantées de l'Europe, ni la géographie ne nous a rassemblés d'évidence. Ce qui rassemble l'Europe, c'est la volonté, la communauté de destin, faire face ensemble à l'avenir. Et je dirais qu'aujourd'hui, nous avons beaucoup plus besoin d'Europe qu'on ne pouvait le penser avant la nouvelle situation, avec cette doctrine américaine de la préemption, c'est-à-dire de la capacité qu'aurait un pays de décider lui-même, tout seul, pour tous les autres. Ca veut dire qu'il faut équilibrer, donc on a besoin d'une Europe politique forte."
C. Ockrent : Quelles sont les initiatives communes que la France et la Grande-Bretagne par exemple pourraient mener dans la perspective de l'après-guerre en Irak ? Je signale qu'il y a quelques minutes, d'après des informations d'une chaîne de télévision américaine, les forces américaines se seraient emparées de l'aéroport de Bagdad qui, je le rappelle, est à 10 kilomètres de la capitale irakienne.
- "Je pense que nous devons faire des efforts notamment pour l'Europe de la défense. C'est vrai qu'en ce moment, quand nous disons cela, nous pouvons paraître décaler par rapport à la réalité de la situation irakienne puisque nous sommes en désaccord avec les Britanniques. Malgré cela, cependant, l'Europe avance, l'Europe vient de prendre ces jours-ci la relève de l'OTAN en Macédoine. Donc, il y a là une démarche qui est une démarche positive. Ce n'est pas quelque chose de massif comme effort évidemment, mais c'est quelque chose de très important et de significatif, l'OTAN a donné la place à l'Europe qui, aujourd'hui, gère le dossier macédonien. De même que, par exemple, on est en train de travailler les uns et les autres sur des projets de porte-avions, d'ores et déjà, des entreprises de défense françaises travaillent avec les Britanniques sur le projet de porte-avions britannique. Donc, il y a un certain nombre de rapprochements. Evidemment, c'est un effort très important qu'il nous faut faire, je crois que nous sommes là face à une nécessité, si on veut un monde multipolaire, il faut l'Europe. Il faut donc avancer sur le terrain institutionnel, donc il faut que la Commission, présidée avec énergie et capacité par V. Giscard d'Estaing, puisse faire ses propositions et puisse dégager de nouvelles institutions. On ne peut pas rester dans des institutions comme ça avec une présidence qui tourne tous les six mois, on ne peut pas rester dans la situation dans laquelle, on est. Il y a une proposition franco-allemande, il y a une proposition britannique, espagnole, d'ailleurs qui sont des propositions assez voisines, il faut faire ça aussi avec les autres pays de manière à ce qu'on puisse avoir une bonne cohésion. Je pense que nous avons sans doute pris un peu de retard parce que cette année 2003 est quelque peu chahutée par la guerre en Irak, mais le projet européen reste intact. Il nous faut réussir l'élargissement, ce sera difficile. Moi, je ne crois pas que les pays de l'Est soient tentés par une attitude pro-américaine inconditionnelle. Je pense que dans leur histoire, ils s'affirmeront comme vraiment européens. Et je pense qu'il nous faut aller assez vite à des institutions européennes renforcées, notamment une présidence du Conseil stabilisée. Et là, nous ferons des progrès. Mais, c'est vrai que l'Europe n'avance que par besoin, par exigence, par destin, l'Europe est une nécessité, ce n'est pas une évidence."
G. Leclerc : Questions d'actualité, monsieur le Premier Ministre. Le Conseil constitutionnel a censuré plusieurs dispositions de la loi qui concernait une réforme des scrutins à la fois pour les européennes et les régionales. C'est visiblement en tout cas un vice de forme, d'autres disent qu'il y a peut-être également des problèmes sur le fond, notamment un point en tout cas est annulé, c'est le point qui portait de 5 % des suffrages exprimés à 10 % des inscrits, le seuil nécessaire pour pouvoir se présenter au second tour des régionales. Tout à l'heure, Matignon a publié un communiqué en disant que vous allez refaire un nouveau texte. Alors, qu'est-ce qu'il y aura dans ce texte ? Est-ce que vous allez reprendre tout simplement cette disposition qui avait fait beaucoup de bruit, c'est le moins qu'on puisse dire ?
- "Je vais vous le dire. Un, le Conseil constitutionnel vient de prendre position. J'ai vu dans le passé un certain nombre de gouvernements qui contestaient le Conseil constitutionnel quand la décision ne leur plaisait pas. Moi, je ne juge pas le juge. Donc, je prends acte de la décision du Conseil constitutionnel. Le Conseil constitutionnel dit qu'il ne remet pas en cause les 10 %, sur le fond, mais sur la procédure en disant qu'on n'a pas eu le même texte au Conseil d'Etat et au conseil des ministres. Dont acte. J'ai deux solutions : soit, je reviens avec le texte du conseil des ministres, 10 % des inscrits, je crois que ça va prendre du temps et ça risque de produire un certain nombre de tensions. Soit, je reviens avec le texte que nous avions déposé au Conseil d'Etat, ça ira plus vite et ce sera la voie de l'apaisement. Je pense sérieusement que dans la période de tension internationale, dans les périodes de difficultés intérieures, on a d'autres choses à faire que de relancer un débat politicien à l'Assemblée nationale et au Sénat sur ce sujet. Donc, je choisis la voie de l'apaisement."
S. July : Monsieur le Premier Ministre, vous avez à plusieurs reprises, au cours de cette émission, évoqué l'engagement qu'était le vôtre, celui de dire toute la vérité aux Français. Peut-être que vous n'avez pas eu tout à fait toute l'occasion de dire toute la vérité, vous connaissez la formule. On a quand même le sentiment, vous avez reconnu que la croissance serait de 1,3 cette année, qu'on a vécu sur une fiction budgétaire en 2002 et en 2003, y compris la campagne électorale, c'était fait sur une prévision de 3 %, ce n'était pas uniquement votre camp, la gauche faisait campagne aussi sur la même prévision
- "Tous les experts au mois de juin disaient 3 %."
S. July : Oui, mais, dès l'été, tout le monde était déjà sur d'autres prévisions. Même P. Méhaignerie avait alerté sur le fait qu'il y avait une situation qui n'allait pas dans les prévisions, y compris à 2,5 %, le MEDEF pensait que cette prévision serait beaucoup plus basse, malheureusement d'ailleurs.
- "C'est la preuve que je ne prends pas mes conseils au MEDEF."
S. July : Oui, mais, moi, ce n'était pas du tout polémique. Le problème, c'est qu'on a vécu sur une fiction budgétaire. C'est quand même quelque chose de très important, qui nous menait d'une certaine manière, en tout cas dans des chiffres qui sont ceux qui ont été rendus publics et d'une certaine manière qui amènent cette forme de mise sous tutelle bruxelloise - c'est une forme de tutelle puisque d'une certaine manière, Bruxelles va faire des recommandations au gouvernement français -. Bruxelles et les ministres des finances vont vous faire des recommandations sur comment il faut traiter le budget, je suppose que vous allez négocier avec eux. Et toujours sur la question de la vérité, est-ce que d'une certaine manière, on ne peut pas dire aux Français qu'on est dans une crise économique grave, peut-être même très grave ? Les prévisions de Bruxelles sur la zone euro, c'est 1 %, ce n'est même pas 1,3, certains instituts comme l'OFCE, J.-P. Fitoussi qui, en plus, est très favorable aux baisses d'impôts, donc pas du tout quelqu'un de soupçonnable, avance une prévision de 0,8 pour l'année, les prévisions pour l'année prochaine sont du même ordre, on ne passe pas du simple au double. Donc, oui, effectivement, le moral des ménages baisse, la consommation est quand même atteinte, les entreprises sont toujours surendettées, donc n'ont pas les moyens de créer tant d'emplois, d'investir énormément, est-ce que d'une certaine manière, tout ça ne crée pas une situation particulièrement difficile ? Et d'une certaine manière, si on dit toute la vérité aux Français, est-ce que ce n'est pas le moment de leur dire ?
- "Moi, je vais leur dire la vérité, je vous dis vraiment les choses très clairement. Tous les experts donnaient 3 % de croissance le 15 juin et les experts, les mêmes, donnaient 1,5 % le 15 octobre ou le 1er novembre. Dès que nous avons eu, donc, toutes ces informations sur l'hypothèse de baisse de croissance, nous avons tout de suite décidé de faire une réserve de précaution, sachant qu'il y avait l'hypothèse internationale. Parce que, vous vous souvenez qu'il y a eu les élections américaines au mois de novembre et c'est là où la bourse s'est effondrée. "
S. July : 4 milliards d'euros. La réserve est de 4 milliards d'euros.
- "C'est là où les choses se sont effondrées parce que la guerre était déjà dans les élections américaines du mois de novembre dernier. Donc, nous n'avons pas voulu, nous, nous battre pour la paix et anticiper la guerre et jouer la carte de la guerre ; donc nous avons fait en sorte que nous restions sur notre hypothèse de 2,5 % avec une réserve de précaution de plus de 4 milliards de manière à ce que, si la guerre se déclenchait, nous puissions faire face. "
S. July : Ces quatre milliards, vous en avez utilisé une partie, vous les avez annulés ?
- " Non, non () Nous prendrons la décision le 1er juin pour le faire avant l'été. C'est à la fin du premier semestre que nous pourrons voir où nous en sommes parce que, très sérieusement, moi, dès que j'ai vu qu'on était sur une pente de 1, les experts disaient même 1,5, on a pris 1,3 pour être plus prudents. Mais aujourd'hui, personne ne peut vous dire exactement la vérité, parce que personne ne sait combien de temps va durer la guerre en Irak et ce qui va se passer après. Est-ce que le dollar va flamber ? Où en sera le baril ?
S. July : En un an, le dollar a baissé de 35 %. C'est un facteur de crise
- "Vous savez que nous sommes aujourd'hui dans une situation où globalement, on peut redémarrer très rapidement. Vous avez vu, dans le passé... "
S. July : Non, mais cela on le sait, que vous êtes optimiste...
- "Non, non je ne dis pas cela. "
S. July : C'est une qualité.
- "Vous vous souvenez qu'on avait dit, que vous avez écrit qu'il y a eu dans le passé, une fois, une dissolution qui avait été faite sur une hypothèse d'experts. Je ne sais pas si c'est vrai, mais six mois après, la croissance partait. Donc, tout cela doit nous inviter à la prudence. (...) Je veux dire qu'au-delà de six mois vous n'avez pas de visibilité, aujourd'hui. La vérité, elle est là. Au-delà de six mois. Et donc moi, j'ai organisé le budget pour que nous ayons une visibilité à six mois. Ce que je veux dire aux Français, c'est qu'aujourd'hui les entreprises ont déstocké, c'est-à-dire qu'elles ont une capacité d'investissement dès qu'elles retrouvent confiance en l'avenir."
S. July : Oui mais elles sont toujours endettées ; leur endettement est toujours très important.
- "C'est-à-dire qu'elles ont une capacité de reprise. Il y a de l'épargne populaire aujourd'hui et c'est pour cela que je ne baisse pas le Livret A. Il y a une capacité aujourd'hui de redémarrer. Donc on n'a pas à être particulièrement inquiets. Il y a des ressources, la France n'est pas asséchée, la France aujourd'hui, elle est naturellement craintive parce qu'elle est dans une incertitude internationale, mais elle a un fort potentiel aujourd'hui. Donc, il est vrai que la crise peut durer et donc il faut être vigilant, c'est pour cela que je dis aux uns et aux autres qu'il faut faire les réformes. Mais je crois très franchement qu'on a une capacité de rebond dans notre pays. On a des réserves de croissance intérieure, tout ne dépend pas de l'extérieur et donc, si on fait bien les réformes qu'on a à faire et donc il faut les faire tous ensemble. J'ai vu des gens qui manifestaient aujourd'hui, j'ai aussi vu des gens qui souffraient de ne pas pouvoir aller à leur travail. Donc, ce que je dis, c'est qu'il ne faut pas opposer les uns aux autres, ni le secteur public, ni le secteur privé. Il faut que la France garde sa cohésion, reste rassemblée comme elle était rassemblée sur les questions internationales, qu'elle soit rassemblée sur les questions nationales, qu'on fasse les réformes de structure et nous avons toutes les chances de faire face aux difficultés qui sont devant nous. Donc, il y a un pilote dans l'avion, on a une ligne, on ne va pas changer de cap, je pense qu'on peut y arriver. Il est évident que plus la crise sera longue, plus ce sera difficile et plus il faudra être courageux, mais il faut faire face aux difficultés."
S. July : Alors prenons, c'est le jeu de la vérité, point par point. Il n'y aura pas de réformes du pacte de stabilité. Les Allemands n'en veulent pas, donc il n'y en aura pas.
- "Il y a déjà eu des réformes. On a étalé dans le temps."
S. July : Les propositions françaises n'ont pas été acceptées, qui consistent à dire, on va mettre des investissements, on va les sortir...
- "Il y a eu un décalage dans le temps, qui, comme nous nous avons du temps, nous permet de pouvoir nous mettre dans le rythme."
S. July : Est-ce que j'ai bien compris, donc, ce que vous avez dit : que d'une certaine manière vous allez continuer des baisses d'impôts. On a cru comprendre que la baisse de la TVA sur la restauration ce sera fait. Cela représente à peu près 3 milliards d'euros.. ?
- "C'est à négocier avec Bruxelles. J'ai profité de la circonstance..."
S. July : Je mets les points sur les "i" : les économies, ça va se faire où ? Si on a bien compris, c'est la démographie des fonctionnaires, 50 000 fonctionnaires par an partent à la retraite. Autrement dit la question est : est-ce que c'est un sur deux que vous ne remplacez pas ? Et deuxièmement, est-ce que ce sont des économies d'équipement, c'est-à-dire, c'est la fameuse formule employée par monsieur Méhaignerie, est-ce que ça va être ça votre secret, d'une certaine manière, la croissance zéro pour les dépenses publiques ?
- "Je pense qu'en effet il faut maîtriser et être proche d'une croissance zéro pour les dépenses publiques. Mais à l'intérieur de ces dépenses, il faut faire la lutte contre les gaspillages, je vois plein de gaspillages. Il faut faire en sorte que l'on puisse consacrer les moyens financiers à des priorités, vous citiez tout à l'heure la recherche, à un certain nombre de priorités. Donc, c'est du redéploiement. Il y a un certain nombre d'économies qu'il faut faire et ce qui me paraît très important aujourd'hui, c'est de pouvoir engager une action au quotidien, dans chacun des ministères pour que l'Etat montre l'exemple et fasse des économies. "
S. July : Oui, mais autrement dit, il faut que les Français sachent ce que ça veut dire. C'est, moins de routes, moins d'équipements, le TGV qui devait aller à tel endroit, on ne va pas le faire. C'est cela, je veux dire, qu'on comprenne ce que ça veut dire la croissance zéro, donc, la réduction des dépenses.
- "Je vais vous donner un autre exemple. Savez-vous que l'Etat aujourd'hui a 14 millions de mètres carrés dont il est propriétaire, et une grande partie qui ne sert à rien. Je vais vendre plus d'un million de mètres carrés de l'Etat, qui ne servent à rien aujourd'hui, parce que l'Etat est propriétaire de très nombreux bâtiments et qu'il y a beaucoup de choses aujourd'hui... Il y a beaucoup de gaspillage et je pense que là c'est important. C'est pour cela qu'il y a des dépenses qui sont utiles, il y a des engagements qui ont été pris par l'Etat, ceux-là seront respectés mais là où on peut faire de la lutte contre le gaspillage, on va le faire. Une bonne gestion de bon père de famille, voilà ce qu'il faut à l'Etat."
C. Ockrent : Monsieur Raffarin, une question d'actualité encore. On ne saurait clore cette émission sans vous la poser. La Corse : est-ce que vous y aller avec N. Sarkozy lundi prochain ?
- "J'irai en Corse lundi prochain avec N. Sarkozy. Je proposerai aux élus de Corse et aux citoyens de Corse, un projet de statut nouveau et je leur proposerai d'adopter, par voie référendaire, avant l'été, ce nouveau statut.
C. Ockrent : Un référendum en Corse, et quand ?
- "Ce sera avant l'été. "
C. Ockrent : Avant l'été ? L'été pour vous commence le 14 juillet !
- "Pour exprimer le message de la République aux Corses, le 14 juillet serait une belle date, mais il y a beaucoup de choses à faire. Ce sera en tout cas un message républicain. La décentralisation est une très grande réforme et nous avons fait une réforme de la Constitution très importante. Beaucoup de gens ont pensé que cette réforme n'était pas si importante que cela, à Paris, alors que sur le terrain on sait qu'elle est très importante. La première application de la réforme constitutionnelle sur la décentralisation aura lieu dans quelques mois, en Corse, avec un statut particulier pour plus de responsabilités, pour que la Corse qui a des atouts formidables puisse libérer de ses énergies et participer elle-même, à son devenir."
C. Ockrent : Merci Monsieur le Premier Ministre d'avoir répondu ce soir à l'invitation de France 3 et France Info et d'avoir ainsi confirmé et précisé le cap de votre gouvernement.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 4 avril 2003)