Texte intégral
Madame et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Présidents et Directeurs,
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux de conclure cette journée de travail et de débat.
Professionnels de tous les secteurs économiques, chercheurs, entrepreneurs, financiers, responsables politiques : les Assises de l'innovation ont rassemblé un vaste public.
Le succès de ces assises, -et en particulier leur audience régionale-, souligne, si besoin était, l'importance du sujet qui nous a réuni aujourd'hui.
Ce succès est une réponse parmi d'autres à ceux qui se plaisent parfois à dénoncer " la panne de l'innovation " dont la France souffrirait, ou à ceux qui s'inquiètent d'une " fuite des cerveaux" qui conduirait les français les plus entreprenants à se tourner vers des eldorados étrangers.
L'attractivité de notre territoire, -dont témoigne notre 3ème rang dans l'accueil des investissements étrangers-, la qualité de nos chercheurs et de notre recherche fondamentale, montrent que notre économie dispose en réalité d'un fort potentiel en matière d'innovation. Encore faut-il, pour que ce potentiel s'exprime, que nous cultivions le goût du risque et le désir d'entreprendre.
Tout au long de l'histoire, la France et plus généralement l'Europe ont construit leur grandeur quand elles ont su, à la Renaissance, prendre le risque d'explorer des territoires nouveaux, ou, à la fin du XVIIIème siècle, s'engager dans l'aventure de la révolution agricole puis industrielle. L'innovation est aujourd'hui la voie qui doit nous redonner cet enthousiasme et cette ambition.
Fort de cette conviction, le gouvernement a décidé, il y a quelques mois, de participer à cette nécessaire mobilisation, en organisant ces Assises de l'innovation. Votre présence, la richesse de vos travaux et de vos contributions sont un précieux encouragement. Je tenais à vous en remercier.
La priorité accordée par mon gouvernement à l'innovation est un axe essentiel de la politique économique et sociale volontariste engagée il y a onze mois et tournée vers un objectif central : faire reculer le chômage et créer des emplois.
Les activités nouvelles représentent en effet les principaux gisements de croissance et d'emplois de la nouvelle économie qui se façonne à l'échelle mondiale. La croissance est aujourd'hui tirée par les secteurs des technologies modernes et des nouveaux services, elle le sera encore plus demain. Toute nation soucieuse de son avenir se doit donc d'être présente et ambitieuse sur ces secteurs. Faire en sorte que, par l'innovation, l'investissement et la création de nouvelles entreprises, le retour de la croissance qui se fait sentir soit durable : tel est notre objectif.
Quel peut être le rôle de l'Etat pour favoriser l'innovation ?
Certains prétendent qu'il suffirait que la puissance publique se désengage pour que se libèrent spontanément les initiatives génératrices de richesse. Je crois au contraire qu'une intervention publique forte se justifie dans un domaine où les bénéfices pour la collectivité dépassent les intérêts particuliers. Encore faut-il que ses formes soient adaptées aux temps présents.
En matière d'innovation et de développement technologique, la période de reconstruction et de rattrapage économique qui a prévalu après la guerre a laissé une empreinte profonde sur l'organisation de l'action publique. Nous avons construit nos programmes de développement technologique selon une logique centralisée où la commande publique jouait un rôle majeur.
Cette organisation a porté ses fruits, et connu de nombreux succès, par exemple dans les télécommunications, le spatial ou l'aéronautique. Toutefois, elle n'est plus adaptée à une économie mondialisée, dans laquelle le marché a pris une part déterminante et où l'évolution des savoirs et des technologies s'est considérablement accélérée.
Dans ce contexte nouveau, une politique de l'innovation doit s'accompagner d'une modification profonde des relations entre l'Etat et les acteurs du processus de production et de création. Le rôle de l'Etat n'en doit pas moins demeurer, dans ce cadre nouveau, essentiel.
C'est à lui qu'il revient d'assurer un contexte économique favorable, de développer une politique de formation et de qualification et de soutenir la recherche fondamentale. Il doit aussi accompagner les initiatives privées, en stimulant notamment le potentiel d'innovation des PME.
Mais son rôle ne s'arrête pas là, Il doit également garantir que l'innovation et la croissance ne mettent pas en péril la cohésion sociale et que tous en bénéficient. Il doit rester le garant de la solidarité nationale. A ce titre, les programmes engagés en matière d'évolution du système éducatif, de formation et de qualification tout au long de la vie, constituent des éléments essentiels d'une politique globale en faveur de l'innovation.
Conscient de la nécessité d'engager des réformes, le gouvernement a confié il y a quelques mois une mission d'analyse à Henri Guillaume, -dont je salue le travail. Sur cette base, nous avons décidé de mettre en place un large plan d'actions qui doit couvrir tous les aspects du processus d'innovation. Un certain nombre de mesures ont déjà été prises et d'autres ont été annoncées au cours de cette journée. Pour ma part, je souhaite que cet effort se prolonge au-delà de ces assises, afin que dorénavant l'action publique s'adapte au rythme des innovations.
1. L'Etat doit tout d'abord assurer la diffusion des savoirs.
Si la France dispose d'une recherche publique de très bonne qualité, toutes les études réalisées depuis plus de dix ans nous indiquent que nous n'avons pas su faire bénéficier pleinement l'ensemble de l'économie de ce capital d'intelligence et de savoir. Ainsi, alors que notre pays se situe à la deuxième place européenne quant à son effort de recherche, il n'atteint que le 9 ème rang en matière de dépôt de brevet.
La diffusion des savoirs passe avant tout par la mobilité des hommes et des femmes. Pour multiplier les passerelles entre la recherche publique et le monde économique, il est d'abord nécessaire de lever les obstacles réglementaires et législatifs qui freinent aujourd'hui cette mobilité. Les personnels de recherche qui le souhaitent doivent pouvoir disposer d'un cadre juridique clair leur permettant de participer à la création d'une entreprise, de prendre part au Conseil d'administration de sociétés et d'exercer leur activité à temps partiel entre leur laboratoire et le secteur privé. Il est également nécessaire que les établissement publics de recherche et les universités puissent mettre en place rapidement et sans risque juridique des structures de valorisation de la recherche, notamment sous la forme de filiales.
C'est dans cet esprit qu'un projet de loi sera présenté au Parlement avant la fin de l'année par Claude Allègre.
Au-delà, il me semble nécessaire que la mobilité des chercheurs ainsi que les activités liées à la valorisation de leurs travaux, comme par exemple l'élaboration de brevets, soient mieux prises en compte dans le déroulement de leurs carrières. Je souhaite qu'une réflexion associant les organismes de recherche et les Universités s'engage rapidement sur le sujet.
Dans le même esprit, le gouvernement entend mener une action significative pour que les chercheurs qui souhaitent créer une entreprise pour valoriser leur travaux puissent bénéficier de fonds publics et privés aujourd'hui absents du marché. Nous avons décidé d'ouvrir un appel à propositions pour la mise en place de fonds d'amorçage, visant à accompagner financièrement les créateurs d'entreprises lors de la phase " d'incubation " de ces sociétés. Cent millions de francs seront dégagés à cet effet dès 1998. Cet effort sera complété par les investisseurs privés qui souhaiteront s'y associer. Les collectivités locales seront dans le même temps invitées à compléter ce dispositif, notamment en contribuant au financement d'" incubateurs d'entreprises " ou de plates-formes technologiques. Grâce à l'initiative de l'INRIA, un premier fonds de ce type existe déjà dans le secteur des technologies de l'information ; je souhaite qu'un deuxième, consacré aux biotechnologies, soit rapidement mis en place. Ce secteur connaît en effet une croissance très rapide et la France n'a pas encore su pleinement transforrner son potentiel scientifique incontestable dans ce domaine en un nombre suffisant de réussites économiques.
Pour assurer cette diffusion des savoirs, il convient également de rapprocher les cultures, celle de la recherche publique et celle de l'entreprise privée.
Dans le domaine de la recherche technologique, nous souhaitons que les forces et les moyens des organismes publics se regroupent et se complètent efficacement afin de mieux répondre aux besoins des entreprises. A cette fin, nous avons décidé de mettre en place des réseaux thématiques d'abord dans des secteurs prioritaires comme les technologies de l'information, les biotechnologies, les matériaux ou l'électronique. Rassemblant laboratoires et entreprises, ils auront vocation à faire émerger des projets de recherche communs répondant à un réel besoin de l'économie.
Pour rapprocher durablement la recherche publique et les entreprises, il est indispensable que l'Etat concentre une partie importante de ses moyens pour favoriser la constitution de ces réseaux de coopération. Afin de donner l'impulsion nécessaire et marquer clairement cette priorité, le gouvernement a décidé d'orienter une partie significative de l'effort public de recherche vers cet objectif : un milliard de francs sur trois ans y seront consacrés, en plus des moyens existants. Un effort particulier sera réalisé dans ce cadre en faveur des coopérations associant des PME.
Nous souhaitons, par la mise en place de ce dispositif, passer d'une simple logique de subvention à une véritable logique d'incitation visant à terme à construire des relations durables et décentralisées entre la recherche publique et les entreprises.
Favoriser les coopérations et encourager la mobilité suppose de modifier certaines habitudes. Il serait vain de vouloir y parvenir par des actions trop autoritaires ou artificielles. J'ai la certitude que c'est en levant des contraintes et en donnant des moyens incitatifs, comme nous le faisons, que nous remplirons notre objectif : celui de féconder l'ensemble du tissu économique par le processus d'innovation, qui reste trop souvent confiné au laboratoire.
2- L'Etat doit aussi favoriser et accompagner les initiatives privées.
Il serait réducteur de limiter une politique de l'innovation à la seule valorisation des résultats de la recherche publique. Sans doute plus encore que par le passé, l'innovation doit prendre sa source dans le secteur privé, dans les domaines des hautes technologies comme dans celui des services.
Dans le domaine de la recherche et de la technologie, l'action publique est devenue progressivement moins audacieuse. Alors que déjà notre régime fiscal a tendance à privilégier le capitalisme de rente plutôt que les placements à risque, les aides gouvernementales se concentrent encore trop sur certains grands secteurs industriels et des projets aux résultats garantis. Il convient de modifier cet état d'esprit.
Dès le premier trimestre de 1998, un effort important a été réalisé en faveur des investissements dans les entreprises à fort potentiel de croissance. Par la mise à disposition de fonds publics et par un régime fiscal introduit dans la loi de finances de 1998, nous avons souhaité donner une impulsion forte pour que se développe en France un secteur véritablement professionnel du capital-risque. Le bon accueil réservé à ces mesures présentées dans le détail il y a quelques jours par Dominique Strauss-Kahn nous montre que nous devons poursuivre dans cette voie.
Une partie importante de l'épargne française doit ainsi irriguer le tissu des entreprises innovantes. Il me semble tout aussi important d'encourager les placements directs des Français vers la création de telles entreprises. La réussite de projets risqués dépend en effet en partie du soutien financier de celui qui désire entreprendre. Pour cela, il est essentiel de mobiliser l'épargne de proximité tout en limitant les pertes éventuelles réalisées dans des projets à risques et des entreprises innovantes. A cet effet, et au delà des décision déjà annoncées par Dominique Strauss-Kahn, je souhaite que, dans la perspective de la loi de finances 1999, soit mis à l'étude un dispositif fiscal permettant de limiter partiellement l'impact financier de l'échec d'un projet innovant dans sa phase initiale.
Grâce une fiscalité et un traitement social adaptés, nous devons également savoir récompenser la prise de risque pour ceux qui font le choix d'entreprendre.
Au-delà des moyens financiers, les entreprises à fort potentiel de croissance ont besoin de dirigeants et de collaborateurs de haut niveau, souvent difficiles à recruter pendant les phases de création. Pour les attirer et pouvoir prendre en compte les risques encourus, nous avons créé dans la loi de finances de 1998 un régime spécifiquement prévu au bénéfice de ces entreprises : les bons de souscription de pans de créateurs d'entreprises. Une évaluation de ce dispositif sera réalisée dans le cadre de la loi de finances de 1999. Je souhaite dans ce cadre que l'ensemble des entreprises en forte croissance qui en sont aujourd'hui exclues puissent en bénéficier, et qu'en particulier ce dispositif leur soit applicable sur une durée de 15 ans après leur création.
Plus généralement, il est nécessaire de permettre à l'ensemble des entreprises d'associer leur salariés à la réussite de projets innovants. Notre régime d'options de souscription d'actions, qui devrait remplir cet objectif, est devenu inadapté ; il ne privilégie pas la prise de risque individuel et a souvent été détourné de son objectif initial. Dans le cadre de la préparation de la loi de financement de la Sécurité Sociale de 1999, le gouvernement examinera une refonte du traitement juridique et social de ces options qui garantisse une plus grande transparence en évitant les abus, tout en redonnant à cet instrument sa vocation initiale.
Dans le même esprit, nous allons engager des concertations avec les partenaires sociaux afin d'étudier les conditions dans lesquelles la couverture sociale des créateurs d'entreprises peut être améliorée. On peut se demander par exemple, s'il ne serait pas bénéfique pour l'emploi que des salariés qui démissionnent de leur entreprises pour réaliser leur projet de création puissent être couverts par l'assurance chômage. Une mission sera confiée par Martine Aubry à l'inspection générale des affaires sociales afin d'engager les nécessaires concertations sur ce thème.
L'innovation doit aussi se développer au sein des entreprises déjà existantes. Il est en particulier indispensable qu'elles augmentent les efforts de recherche nécessaires pour préparer les innovations de demain. Pour encourager ce type d'investissements, nous avons décidé de réformer le crédit d'impôt recherche qui sera prolongé, à partir de 1999, pour une durée de 5 ans. Les entreprises qui n'avaient plus accès à ce dispositif pourront de nouveau y participer et l'ensemble des petites entreprises en création pourront bénéficier d'une restitution immédiate de leur crédit d'impôt. Nous souhaitons aussi rendre plus simple et plus efficace l'usage de cet instrument.
Favoriser l'innovation suppose enfin une action publique plus efficace et plus proche des réalités quotidiennes des entreprises.
Henri Guillaume, dans son évaluation, a relevé que les aides de l'Etat en faveur du développement technologique des entreprises étaient concentrées sur un trop petit nombre d'entreprises. Christian Pierret et Dominique Strauss-Kahn ont engagé un vaste chantier visant à réformer et à simplifier les procédures existantes qui sont devenues trop nombreuses et trop compliquées. Il n'est pas normal, qu'à cause de leur complexité, les dispositifs publics ne bénéficient qu'à ceux qui ont les moyens de s'y retrouver. Les structures de l'Etat doivent être mieux organisées et plus proches des entreprises. Je souhaite pour ma part que, d'ici la fin de l'année, l'organisation des différents services régionaux de l'Etat et de l'ANVAR soit entièrement clarifiée et que leurs missions respectives soient clairement lisibles pour l'ensemble des entreprises.
Ce sont souvent à partir de projets locaux, notamment au niveau régional, que naissent de nouvelles formes d'innovation, que ce soit dans le domaine social ou dans celui des services. Il convient que l'ensemble des acteurs du territoire, qu'ils relèvent de l'Etat ou des collectivités locales, soient davantage associés au sein d'une politique partenariale de l'innovation. Dominique Voynet s'y emploie, dans le cadre de la préparation de la loi d'orientation pour l'Aménagement Durable du Territoire, et dans la perspective des futurs contrats Etat-Région.
L'innovation doit bien sûr se concevoir aussi au niveau européen. Cette priorité faisait partie des plans d'action pour l'emploi que l'ensemble des gouvernements ont présentés récemment à la Commission européenne. Je forme le voeu que nous puissions, dans un cadre européen, examiner nos politiques respectives en la matière et mettre en place des actions communes qui démultiplieront, sur une échelle plus large, les efforts de chacun. Dans l'immédiat, la France prendra deux initiatives au niveau politique : l'une visant à réformer le système des brevets européens, l'autre pour relancer le programme EUREKA, fortement apprécié des petites et moyennes entreprises. L'émergence d'une Europe économique, monétaire et sociale, telle que nous la souhaitons, doit ouvrir à tous les créateurs et tous les entrepreneurs un espace plus large pour la réalisation de leurs projets.
Au total nous devons prendre en compte toutes les dimensions de l'innovation, jouer de tous les leviers disponibles en les organisant et en les orientant pour mieux favoriser la prise de risque et l'envie d'entreprendre. L'Etat est très à mobiliser des moyens importants au service de cette ambition. Mais nous ne réussirons que si nous savons mettre en réseau les efforts publics et privés dans un cadre décentralisé associant les acteurs locaux. Nous savons aussi que nous n'y parviendrons que dans la durée et par une poursuite constante de nos efforts.
J'ai la conviction que nous avons tous les atouts pour réussir le pari de l'innovation. C'est pourquoi je souhaite que, autour de cet objectif, nous unissions nos forces afin que le regain de confiance et la croissance plus forte que nous connaissons aujourd'hui se transforme en un progrès durable pour notre pays.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 12 juin 2001)
Mesdames et Messieurs les Présidents et Directeurs,
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux de conclure cette journée de travail et de débat.
Professionnels de tous les secteurs économiques, chercheurs, entrepreneurs, financiers, responsables politiques : les Assises de l'innovation ont rassemblé un vaste public.
Le succès de ces assises, -et en particulier leur audience régionale-, souligne, si besoin était, l'importance du sujet qui nous a réuni aujourd'hui.
Ce succès est une réponse parmi d'autres à ceux qui se plaisent parfois à dénoncer " la panne de l'innovation " dont la France souffrirait, ou à ceux qui s'inquiètent d'une " fuite des cerveaux" qui conduirait les français les plus entreprenants à se tourner vers des eldorados étrangers.
L'attractivité de notre territoire, -dont témoigne notre 3ème rang dans l'accueil des investissements étrangers-, la qualité de nos chercheurs et de notre recherche fondamentale, montrent que notre économie dispose en réalité d'un fort potentiel en matière d'innovation. Encore faut-il, pour que ce potentiel s'exprime, que nous cultivions le goût du risque et le désir d'entreprendre.
Tout au long de l'histoire, la France et plus généralement l'Europe ont construit leur grandeur quand elles ont su, à la Renaissance, prendre le risque d'explorer des territoires nouveaux, ou, à la fin du XVIIIème siècle, s'engager dans l'aventure de la révolution agricole puis industrielle. L'innovation est aujourd'hui la voie qui doit nous redonner cet enthousiasme et cette ambition.
Fort de cette conviction, le gouvernement a décidé, il y a quelques mois, de participer à cette nécessaire mobilisation, en organisant ces Assises de l'innovation. Votre présence, la richesse de vos travaux et de vos contributions sont un précieux encouragement. Je tenais à vous en remercier.
La priorité accordée par mon gouvernement à l'innovation est un axe essentiel de la politique économique et sociale volontariste engagée il y a onze mois et tournée vers un objectif central : faire reculer le chômage et créer des emplois.
Les activités nouvelles représentent en effet les principaux gisements de croissance et d'emplois de la nouvelle économie qui se façonne à l'échelle mondiale. La croissance est aujourd'hui tirée par les secteurs des technologies modernes et des nouveaux services, elle le sera encore plus demain. Toute nation soucieuse de son avenir se doit donc d'être présente et ambitieuse sur ces secteurs. Faire en sorte que, par l'innovation, l'investissement et la création de nouvelles entreprises, le retour de la croissance qui se fait sentir soit durable : tel est notre objectif.
Quel peut être le rôle de l'Etat pour favoriser l'innovation ?
Certains prétendent qu'il suffirait que la puissance publique se désengage pour que se libèrent spontanément les initiatives génératrices de richesse. Je crois au contraire qu'une intervention publique forte se justifie dans un domaine où les bénéfices pour la collectivité dépassent les intérêts particuliers. Encore faut-il que ses formes soient adaptées aux temps présents.
En matière d'innovation et de développement technologique, la période de reconstruction et de rattrapage économique qui a prévalu après la guerre a laissé une empreinte profonde sur l'organisation de l'action publique. Nous avons construit nos programmes de développement technologique selon une logique centralisée où la commande publique jouait un rôle majeur.
Cette organisation a porté ses fruits, et connu de nombreux succès, par exemple dans les télécommunications, le spatial ou l'aéronautique. Toutefois, elle n'est plus adaptée à une économie mondialisée, dans laquelle le marché a pris une part déterminante et où l'évolution des savoirs et des technologies s'est considérablement accélérée.
Dans ce contexte nouveau, une politique de l'innovation doit s'accompagner d'une modification profonde des relations entre l'Etat et les acteurs du processus de production et de création. Le rôle de l'Etat n'en doit pas moins demeurer, dans ce cadre nouveau, essentiel.
C'est à lui qu'il revient d'assurer un contexte économique favorable, de développer une politique de formation et de qualification et de soutenir la recherche fondamentale. Il doit aussi accompagner les initiatives privées, en stimulant notamment le potentiel d'innovation des PME.
Mais son rôle ne s'arrête pas là, Il doit également garantir que l'innovation et la croissance ne mettent pas en péril la cohésion sociale et que tous en bénéficient. Il doit rester le garant de la solidarité nationale. A ce titre, les programmes engagés en matière d'évolution du système éducatif, de formation et de qualification tout au long de la vie, constituent des éléments essentiels d'une politique globale en faveur de l'innovation.
Conscient de la nécessité d'engager des réformes, le gouvernement a confié il y a quelques mois une mission d'analyse à Henri Guillaume, -dont je salue le travail. Sur cette base, nous avons décidé de mettre en place un large plan d'actions qui doit couvrir tous les aspects du processus d'innovation. Un certain nombre de mesures ont déjà été prises et d'autres ont été annoncées au cours de cette journée. Pour ma part, je souhaite que cet effort se prolonge au-delà de ces assises, afin que dorénavant l'action publique s'adapte au rythme des innovations.
1. L'Etat doit tout d'abord assurer la diffusion des savoirs.
Si la France dispose d'une recherche publique de très bonne qualité, toutes les études réalisées depuis plus de dix ans nous indiquent que nous n'avons pas su faire bénéficier pleinement l'ensemble de l'économie de ce capital d'intelligence et de savoir. Ainsi, alors que notre pays se situe à la deuxième place européenne quant à son effort de recherche, il n'atteint que le 9 ème rang en matière de dépôt de brevet.
La diffusion des savoirs passe avant tout par la mobilité des hommes et des femmes. Pour multiplier les passerelles entre la recherche publique et le monde économique, il est d'abord nécessaire de lever les obstacles réglementaires et législatifs qui freinent aujourd'hui cette mobilité. Les personnels de recherche qui le souhaitent doivent pouvoir disposer d'un cadre juridique clair leur permettant de participer à la création d'une entreprise, de prendre part au Conseil d'administration de sociétés et d'exercer leur activité à temps partiel entre leur laboratoire et le secteur privé. Il est également nécessaire que les établissement publics de recherche et les universités puissent mettre en place rapidement et sans risque juridique des structures de valorisation de la recherche, notamment sous la forme de filiales.
C'est dans cet esprit qu'un projet de loi sera présenté au Parlement avant la fin de l'année par Claude Allègre.
Au-delà, il me semble nécessaire que la mobilité des chercheurs ainsi que les activités liées à la valorisation de leurs travaux, comme par exemple l'élaboration de brevets, soient mieux prises en compte dans le déroulement de leurs carrières. Je souhaite qu'une réflexion associant les organismes de recherche et les Universités s'engage rapidement sur le sujet.
Dans le même esprit, le gouvernement entend mener une action significative pour que les chercheurs qui souhaitent créer une entreprise pour valoriser leur travaux puissent bénéficier de fonds publics et privés aujourd'hui absents du marché. Nous avons décidé d'ouvrir un appel à propositions pour la mise en place de fonds d'amorçage, visant à accompagner financièrement les créateurs d'entreprises lors de la phase " d'incubation " de ces sociétés. Cent millions de francs seront dégagés à cet effet dès 1998. Cet effort sera complété par les investisseurs privés qui souhaiteront s'y associer. Les collectivités locales seront dans le même temps invitées à compléter ce dispositif, notamment en contribuant au financement d'" incubateurs d'entreprises " ou de plates-formes technologiques. Grâce à l'initiative de l'INRIA, un premier fonds de ce type existe déjà dans le secteur des technologies de l'information ; je souhaite qu'un deuxième, consacré aux biotechnologies, soit rapidement mis en place. Ce secteur connaît en effet une croissance très rapide et la France n'a pas encore su pleinement transforrner son potentiel scientifique incontestable dans ce domaine en un nombre suffisant de réussites économiques.
Pour assurer cette diffusion des savoirs, il convient également de rapprocher les cultures, celle de la recherche publique et celle de l'entreprise privée.
Dans le domaine de la recherche technologique, nous souhaitons que les forces et les moyens des organismes publics se regroupent et se complètent efficacement afin de mieux répondre aux besoins des entreprises. A cette fin, nous avons décidé de mettre en place des réseaux thématiques d'abord dans des secteurs prioritaires comme les technologies de l'information, les biotechnologies, les matériaux ou l'électronique. Rassemblant laboratoires et entreprises, ils auront vocation à faire émerger des projets de recherche communs répondant à un réel besoin de l'économie.
Pour rapprocher durablement la recherche publique et les entreprises, il est indispensable que l'Etat concentre une partie importante de ses moyens pour favoriser la constitution de ces réseaux de coopération. Afin de donner l'impulsion nécessaire et marquer clairement cette priorité, le gouvernement a décidé d'orienter une partie significative de l'effort public de recherche vers cet objectif : un milliard de francs sur trois ans y seront consacrés, en plus des moyens existants. Un effort particulier sera réalisé dans ce cadre en faveur des coopérations associant des PME.
Nous souhaitons, par la mise en place de ce dispositif, passer d'une simple logique de subvention à une véritable logique d'incitation visant à terme à construire des relations durables et décentralisées entre la recherche publique et les entreprises.
Favoriser les coopérations et encourager la mobilité suppose de modifier certaines habitudes. Il serait vain de vouloir y parvenir par des actions trop autoritaires ou artificielles. J'ai la certitude que c'est en levant des contraintes et en donnant des moyens incitatifs, comme nous le faisons, que nous remplirons notre objectif : celui de féconder l'ensemble du tissu économique par le processus d'innovation, qui reste trop souvent confiné au laboratoire.
2- L'Etat doit aussi favoriser et accompagner les initiatives privées.
Il serait réducteur de limiter une politique de l'innovation à la seule valorisation des résultats de la recherche publique. Sans doute plus encore que par le passé, l'innovation doit prendre sa source dans le secteur privé, dans les domaines des hautes technologies comme dans celui des services.
Dans le domaine de la recherche et de la technologie, l'action publique est devenue progressivement moins audacieuse. Alors que déjà notre régime fiscal a tendance à privilégier le capitalisme de rente plutôt que les placements à risque, les aides gouvernementales se concentrent encore trop sur certains grands secteurs industriels et des projets aux résultats garantis. Il convient de modifier cet état d'esprit.
Dès le premier trimestre de 1998, un effort important a été réalisé en faveur des investissements dans les entreprises à fort potentiel de croissance. Par la mise à disposition de fonds publics et par un régime fiscal introduit dans la loi de finances de 1998, nous avons souhaité donner une impulsion forte pour que se développe en France un secteur véritablement professionnel du capital-risque. Le bon accueil réservé à ces mesures présentées dans le détail il y a quelques jours par Dominique Strauss-Kahn nous montre que nous devons poursuivre dans cette voie.
Une partie importante de l'épargne française doit ainsi irriguer le tissu des entreprises innovantes. Il me semble tout aussi important d'encourager les placements directs des Français vers la création de telles entreprises. La réussite de projets risqués dépend en effet en partie du soutien financier de celui qui désire entreprendre. Pour cela, il est essentiel de mobiliser l'épargne de proximité tout en limitant les pertes éventuelles réalisées dans des projets à risques et des entreprises innovantes. A cet effet, et au delà des décision déjà annoncées par Dominique Strauss-Kahn, je souhaite que, dans la perspective de la loi de finances 1999, soit mis à l'étude un dispositif fiscal permettant de limiter partiellement l'impact financier de l'échec d'un projet innovant dans sa phase initiale.
Grâce une fiscalité et un traitement social adaptés, nous devons également savoir récompenser la prise de risque pour ceux qui font le choix d'entreprendre.
Au-delà des moyens financiers, les entreprises à fort potentiel de croissance ont besoin de dirigeants et de collaborateurs de haut niveau, souvent difficiles à recruter pendant les phases de création. Pour les attirer et pouvoir prendre en compte les risques encourus, nous avons créé dans la loi de finances de 1998 un régime spécifiquement prévu au bénéfice de ces entreprises : les bons de souscription de pans de créateurs d'entreprises. Une évaluation de ce dispositif sera réalisée dans le cadre de la loi de finances de 1999. Je souhaite dans ce cadre que l'ensemble des entreprises en forte croissance qui en sont aujourd'hui exclues puissent en bénéficier, et qu'en particulier ce dispositif leur soit applicable sur une durée de 15 ans après leur création.
Plus généralement, il est nécessaire de permettre à l'ensemble des entreprises d'associer leur salariés à la réussite de projets innovants. Notre régime d'options de souscription d'actions, qui devrait remplir cet objectif, est devenu inadapté ; il ne privilégie pas la prise de risque individuel et a souvent été détourné de son objectif initial. Dans le cadre de la préparation de la loi de financement de la Sécurité Sociale de 1999, le gouvernement examinera une refonte du traitement juridique et social de ces options qui garantisse une plus grande transparence en évitant les abus, tout en redonnant à cet instrument sa vocation initiale.
Dans le même esprit, nous allons engager des concertations avec les partenaires sociaux afin d'étudier les conditions dans lesquelles la couverture sociale des créateurs d'entreprises peut être améliorée. On peut se demander par exemple, s'il ne serait pas bénéfique pour l'emploi que des salariés qui démissionnent de leur entreprises pour réaliser leur projet de création puissent être couverts par l'assurance chômage. Une mission sera confiée par Martine Aubry à l'inspection générale des affaires sociales afin d'engager les nécessaires concertations sur ce thème.
L'innovation doit aussi se développer au sein des entreprises déjà existantes. Il est en particulier indispensable qu'elles augmentent les efforts de recherche nécessaires pour préparer les innovations de demain. Pour encourager ce type d'investissements, nous avons décidé de réformer le crédit d'impôt recherche qui sera prolongé, à partir de 1999, pour une durée de 5 ans. Les entreprises qui n'avaient plus accès à ce dispositif pourront de nouveau y participer et l'ensemble des petites entreprises en création pourront bénéficier d'une restitution immédiate de leur crédit d'impôt. Nous souhaitons aussi rendre plus simple et plus efficace l'usage de cet instrument.
Favoriser l'innovation suppose enfin une action publique plus efficace et plus proche des réalités quotidiennes des entreprises.
Henri Guillaume, dans son évaluation, a relevé que les aides de l'Etat en faveur du développement technologique des entreprises étaient concentrées sur un trop petit nombre d'entreprises. Christian Pierret et Dominique Strauss-Kahn ont engagé un vaste chantier visant à réformer et à simplifier les procédures existantes qui sont devenues trop nombreuses et trop compliquées. Il n'est pas normal, qu'à cause de leur complexité, les dispositifs publics ne bénéficient qu'à ceux qui ont les moyens de s'y retrouver. Les structures de l'Etat doivent être mieux organisées et plus proches des entreprises. Je souhaite pour ma part que, d'ici la fin de l'année, l'organisation des différents services régionaux de l'Etat et de l'ANVAR soit entièrement clarifiée et que leurs missions respectives soient clairement lisibles pour l'ensemble des entreprises.
Ce sont souvent à partir de projets locaux, notamment au niveau régional, que naissent de nouvelles formes d'innovation, que ce soit dans le domaine social ou dans celui des services. Il convient que l'ensemble des acteurs du territoire, qu'ils relèvent de l'Etat ou des collectivités locales, soient davantage associés au sein d'une politique partenariale de l'innovation. Dominique Voynet s'y emploie, dans le cadre de la préparation de la loi d'orientation pour l'Aménagement Durable du Territoire, et dans la perspective des futurs contrats Etat-Région.
L'innovation doit bien sûr se concevoir aussi au niveau européen. Cette priorité faisait partie des plans d'action pour l'emploi que l'ensemble des gouvernements ont présentés récemment à la Commission européenne. Je forme le voeu que nous puissions, dans un cadre européen, examiner nos politiques respectives en la matière et mettre en place des actions communes qui démultiplieront, sur une échelle plus large, les efforts de chacun. Dans l'immédiat, la France prendra deux initiatives au niveau politique : l'une visant à réformer le système des brevets européens, l'autre pour relancer le programme EUREKA, fortement apprécié des petites et moyennes entreprises. L'émergence d'une Europe économique, monétaire et sociale, telle que nous la souhaitons, doit ouvrir à tous les créateurs et tous les entrepreneurs un espace plus large pour la réalisation de leurs projets.
Au total nous devons prendre en compte toutes les dimensions de l'innovation, jouer de tous les leviers disponibles en les organisant et en les orientant pour mieux favoriser la prise de risque et l'envie d'entreprendre. L'Etat est très à mobiliser des moyens importants au service de cette ambition. Mais nous ne réussirons que si nous savons mettre en réseau les efforts publics et privés dans un cadre décentralisé associant les acteurs locaux. Nous savons aussi que nous n'y parviendrons que dans la durée et par une poursuite constante de nos efforts.
J'ai la conviction que nous avons tous les atouts pour réussir le pari de l'innovation. C'est pourquoi je souhaite que, autour de cet objectif, nous unissions nos forces afin que le regain de confiance et la croissance plus forte que nous connaissons aujourd'hui se transforme en un progrès durable pour notre pays.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 12 juin 2001)