Interview de M. Jean-François Copé, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement et porte-parole du Gouvernement, à Europe 1 le 26 mai 2003, sur la volonté du gouvernement de mener à bien les projets de réforme des retraites et de décentralisation de l'enseignement malgré les manifestations des syndicats et l'opposition des partis de gauche.

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Média : Emission Journal de 8h - Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach-. Confirmez-vous ce matin que la réforme des retraites sera vraiment présentée après-demain au Conseil des ministres ?
- "Oui, naturellement. C'est bien le calendrier qui a été retenu."

Et qu'elle sera présentée telle quelle ?
- "Oui. Vous savez, on est maintenant au temps de la décision ; il y a eu de très nombreux mois de discussions avec les uns et les autres, de consultations, d'écoute. Il y avait un calendrier qui a été fixé par le Premier ministre. Si nous voulons que ce texte soit adopté avant l'été, il faut qu'il puisse passer en Conseil des ministres mercredi."
Mais après le mouvement social qui s'est exprimé hier dans toute la France, et qui va s'exprimer, vous n'aménagez pas la réforme, vous ne rectifiez pas la réforme, vous ne changerez rien ?!
- "Mais il y a eu déjà des améliorations à la suite de discussions qui ont été tenues avec les partenaires sociaux, il y a quelques jours. Je voudrais quand même rappeler qu'il y a eu effectivement du monde dans la rue hier, il y avait, je crois, 300 ou 400 000 personnes, ce qui fait beaucoup de monde, et notamment beaucoup de gens de la fonction publique. Mais je veux aussi rappeler qu'il y a 60 millions de Français qui, il y a un an, nous ont demandés expressément, d'engager des réformes difficiles, et parmi elles, les réformes des retraites. Et nous avons de ce point de vue une responsabilité."

Vous vous appropriez tous les électeurs du 5 mai ?
- "Mais attendez, il y a dans..."

Définitivement ?
- "... dans le fonctionnement de la démocratie, des règles qui exigent que chacun les entende. De ce point de vue, il y avait dans les projets sur lesquels nous nous sommes engagés devant les Français, un certain nombre de réformes difficiles qui n'avaient pas été faites depuis des années. Vous avez, quand on travaille à l'intérêt nationale, c'est pas uniquement des grands mots. C'est quoi l'intérêt national ? C'est le devoir d'avenir, c'est travailler pour les gosses, l'avenir des enfants. Et je crois qu'aujourd'hui, ce que nous engageons, c'est dans cet esprit."

Mais beaucoup vous disent que vous êtes en train de jouer sur une logique de confrontation, et que vous prenez le risque d'une collision sociale - la presse et M. Grossiord en parlent - d'une erreur de force ?
- "Je crois qu'il ne faut pas poser tout à fait les termes ainsi. On entend bien les menaces, car pour certains c'est bien de menaces dont il s'agit. Mais je crois qu'il faut en appeler aujourd'hui chacun à la responsabilité. Pour toute une série de raisons qui me paraissent utiles de rappeler. D'abord, premier point, cette réforme des retraites elle nous engage pour aujourd'hui, et elle nous engage surtout par rapport à demain. Et donc, on doit bien comprendre la distinction à faire entre l'instantané, l'inquiétude du moment, que l'on peut entendre, et aussi la réalité des choses, qui est qu'on n'a pas d'autre choix pour réformer les retraites que de prendre les décisions que nous proposons. On n'a pas d'autre choix, hélas ! Parce qu'on a perdu beaucoup trop de temps. Deuxième élément, il faut rappeler que si jamais il y avait des risques de blocage de notre économie, cela veut dire derrière que ceux qui en seraient les premières victimes, alors que la croissance commence un tout petit peu à repartir, ce sont les plus fragiles de nos concitoyens."

Vous voulez dire que, s'il y a du chômage, une crise sociale ou économique, c'est de la faute de ceux qui manifestent ?
- "Ca veut dire simplement que chacun doit prendre ses responsabilités. Nous entendons les messages, nous les avons longuement écoutés, nous en avons pris beaucoup en compte, notamment ceux qui, de manière constructive voulaient améliorer le projet de réforme, qui est le seul possible je le répète, compte tenu du temps perdu."

Est-ce que vous êtes en train de nous dire que le Gouvernement choisit l'usure du mouvement, l'enlisement, d'autres disent "le pourrissement" ?
- "Là encore..."

Que ça se délite quoi ...?
- "Nous avons un calendrier. Rien n'a changé dans ce calendrier depuis le premier jour. On ne peut pas dire qu'on a pris les gens de côté ou qu'on les a trompés. Depuis le premier jour, le Premier ministre a dit : nous voulons... c'est une urgence absolue que ce texte prenne le temps nécessaire de la discussion. Cela a été fait avec les partenaires sociaux, ça va l'être maintenant au Parlement, de telle manière qu'il soit ensuite adopté avant l'été, car il y a aussi d'autres réformes à mettre en oeuvre par la suite."

C'est le Premier ministre qui affirmait que ce n'est pas la rue qui gouverne, autrement dit, c'est maintenant que "le théorème Raffarin" démontre qu'il est vrai ou faux ?
- "Oui enfin... En même temps, c'est pas ainsi que les grands piliers de nos institutions fonctionnent. Il y a la place nécessaire pour le dialogue, et c'est vrai que c'est important, c'est vrai que dans ce pays on manquait de passer assez de temps à dialoguer avec les partenaires sociaux, et notamment durant les cinq dernières années, ça a été beaucoup reproché à juste titre. Aujourd'hui, on est maintenant dans la phase de la décision : le Conseil des ministres et le Parlement. Le débat politique maintenant, au sens noble du terme d'ailleurs."

Dans les manifestations... Oui, ça en peut être que dans le sens noble quand on parle de politique...
- "Je le souhaite ardemment."

Dans les manifestations, on voit et on entend : "A bas le projet Fillon-Chérèque !"; "Chérèque collabo" ou "Traître". Est-ce que votre Gouvernement a cherché et réussi peut-être à casser l'unité syndicale ? Est-ce que vous préférez la CFDT, qui accepte le compromis du réformisme, à la CGT, à la FSU, à FO qui préfèrent le harcèlement syndical ?
- "D'abord, je voudrais vous dire qu'il y a des mots dans ces banderoles qui sont épouvantables, qui sont la mauvaise partie de certains nos modes d'expression. Et notre travail d'ailleurs, c'est de lutter contre la désinformation et de prendre les banderoles les unes après les autres, pour y répondre. Et sur cet aspect des choses, je crois qu'aujourd'hui, nous sommes arrivés à une période où la réforme que nous engageons, elle dépasse largement les critères, les clivages et les critères syndicaux habituels."

Aujourd'hui, en face ils ne pensent pas, il faut les convaincre, il faut arriver à les convaincre.
- "C'est pour cela que vous nous entendez si souvent dire que notre devoir d'explication est constant et que vous nous voyez si souvent répéter combien cette réforme des retraites est vitale, et nous l'avons choisie."

Ca, c'est la première autocritique, vous faites comprendre que vous avez peut-être encore mal procédé aux explications que vous deviez faire...
- "En tout cas, ce qui est vrai, c'est que le devoir d'avenir exige, à la fois, le devoir de modestie et le devoir d'explication. Personne n'a la vérité révélée, on l'a bien démontré au travers du temps que nous avons consacré à écouter ceux qui proposaient des améliorations. Et sur ce point, j'ai le sentiment qu'aujourd'hui, à un moment qui est essentiel dans notre histoire économique et sociale, à travers cette réforme, il y a d'un côté la famille des réformateurs, de l'autre, la famille des conservateurs."

Vous ne m'avez pas répondu sur F. Chérèque ?
- "Je crois qu'il fait partie, à travers les propositions qu'il a faites, de ceux qui ont envie de faire bouger les choses. Ils sont beaucoup plus nombreux qu'on ne le croit. Et qu'à travers ce qui est proposé aujourd'hui, on voit, d'un côté, les réformateurs, qui sont dans toutes les... Quand vous regardez B. Kouchner exprimer au PS une voix discordante par rapport à cette ambiance dans ce parti de conservatisme, donc c'est bien la démonstration qu'il y a, d'un côté, dans le front syndical, comme dans le front politique, ceux qui ont envie de faire bouger les choses, et de l'autre, ceux qui ne veulent rien entendre. Il nous appartient ensemble de rappeler qu'on travaille à l'intérêt national."

Vous parlez de B. Kouchner, soyons sérieux ! Quand on parle du PS, le nouveau PS, là l'opposition est claire, frontale. Vous avez vu que F. Hollande et les siens ont défilé, et même réclamé le double retrait des réformes. C'est pas vrai ?
- "Voilà une attitude qui est consternante, qui est désolante. Enfin, comment... Ce sont des gens, les responsables du PS, qui pendant cinq années étaient au gouvernement, qu'ils ont fait la politique de l'autruche, qu'ils étaient là à dire : la réforme des retraites est une nécessité, voilà pourquoi nous la ferons pas. Et qui, alors même qu'ils faisaient le même constat que nous - Jospin lui-même, il y a quelques mois, en mars 2 000 -, aujourd'hui, osent, sans rire, demander le retrait de la réforme. C'est une manière de faire, une posture qui, me semble-t-il n'a rien à voir avec l'esprit d'engagement. On peut être en désaccord sur beaucoup de choses, mais sur des sujets d'intérêt national comme ceux-là, il n'est pas digne de se comporter de manière aussi irresponsable ! Même A. Laguiller n'a pas osé en faire autant à la manifestation hier que F. Hollande."

Quelle passion vous mettez, J.-F. Copé, quand vous parlez du PS ou de la gauche...
- "Mais sachez que j'en pense tout autant pour ce qui concerne ces sujets-là, qui sont vitaux pour nous."

J.-P. Raffarin a-t-il trouvé le moment pour s'adresser à nous cette semaine ?
- "Ce qui est certain, c'est que le Premier ministre va très probablement s'exprimer, comme il l'a fait d'ailleurs très régulièrement. Je ne connais pas les modalités de cette expression. Mais il a très régulièrement veillé à dire aux Français, et notamment en intervenant à la télévision ou à la radio, ce qu'il en était des enjeux de cette réforme. Le calendrier est tenu et il paraît tout à fait légitime qu'il puisse continuer à s'exprimer naturellement."

Demain, à propos des enseignants, 15 ministres vont participer justement autour du Premier ministre à un Comité interministériel sur le métier d'enseignant. Pouvez-vous imaginer de retarder ou d'étaler le calendrier de la décentralisation qui concerne les enseignants ?
- "Retarder, ça n'a pas beaucoup de sens. Organiser, bien entendu, sa mise en oeuvre, c'est tout l'objectif. Quel sera l'objet premier de ce Comité interministériel qu'a convoqué le Premier ministre demain ? C'est d'adresser finalement un message assez monde au monde enseignant. En disant, voilà : en clair, premièrement, on ne vous laissera pas tomber contrairement à ce qu'on entend ici ou là, mais attention à la désinformation. Attention à ne pas vous faire raconter n'importe quoi, par des gens qui ont tellement la crainte de la modernisation, de la réforme positive, qu'ils ne veulent entendre parler de rien. Alors dans la décentralisation..."

Il y a un malaise, chez les enseignants...
- "Voilà, bien sûr."

...une angoisse, au-delà des mots. Est-ce que par exemple, vous allez essayer de les dissocier, eux, les enseignants, des autres protestataires ? Allez-vous faire un geste à leur égard ?
- "Il y a à l'évidence, le moment maintenant de réfléchir à ce que c'est que le métier d'enseignant. C'est un point essentiel, il faut prendre le temps de travailler avec eux à cette question, de réfléchir à ce que c'est que la carrière de l'enseignant, le métier de l'enseignant. Trop souvent, on a fait concentrer dans l'école tous les problèmes de la société française. Et..."

Heureusement qu'ils manifestent, on le découvre...
- "Non ne dites pas ça ! En revanche, ce que je crois, c'est qu'à travers la manifestation qu'ils expriment, l'hostilité de certains à la décentralisation, qui d'ailleurs ne concerne pas les enseignants, il y a crise de considération morale et matérielle, liée au fait que, pendant des années, on a raisonné uniquement en augmentant les crédits, en augmentant les budgets..."

Alors, alors, vous leur dites : venez, on va faire des états généraux ; vous et nous, nous allons parler, vous allez ouvrir une période de discussions, sans parler de négociations sur les salaires, leur... Mais parler de leur rôle, de leur avenir. C'est ce que vous voulez faire ?
- "Oui, non seulement leur rôle et leur avenir, mais aussi rappeler qu'ils ne peuvent pas s'occuper... on ne peut pas continuer de charger de la barque et de leur faire faire des choses qui ne relèvent pas de leurs compétences. Des questions comme celles de la sécurité, la violence à l'école, le problème de santé, le problème des familles, tout cela dépasse le seul cadre de l'Education nationale. Et pour ce qui concerne l'Education nationale, travaillons au métier d'enseignant, à une meilleure organisation de la vie dans les écoles, en tenant compte des spécificités de chacun. Parce que dans les quartiers c'est différent à chaque fois."

Il y a de quoi faire ! En attendant, il y a de nouvelles grèves qui sont prévues, des arrêts de travail, des défilés qui attendent demain, la semaine prochaine, etc, et au moment des vacances. Que fait le Gouvernement ? Il laisse faire ?
- "Là où j'entends l'appel de certains exprimer l'appel général à la grève, moi je réponds qu'il faut lancer un appel général à la responsabilité de chacun. Là encore, c'est l'avenir de nos enfants."

Qu'est-ce que cela veut dire ? Vous le dites depuis longtemps et puis...
- "Depuis longtemps, on le dit depuis qu'il est nécessaire de le rappeler aux uns et aux autres. Cela veut dire que nous ne sommes pas dans la logique des scénarios noirs, nous sommes dans la logique de dire à chacun, quand il s'agit de l'avenir du pays et des enfants,qu'il convient que chacun prenne ses responsabilités. Nous, Gouvernement, prendrons naturellement les nôtres."

Pour que les réformes puissent être faites ?
- "Pour que, bien sûr, les réformes..."

Parce qu'elles ont été promises celles-là ?
- "Absolument, d'autant que les Français nous l'ont demandé, qu'ils attendent cela de leurs gouvernants."

(source http://www.retraites.gouv.fr, le 27 mai 2003)