Déclaration de M. Alain Richard, ministre de la défense, sur la coopération militaire entre l'Union européenne et l'OTAN, le rôle de l'Europe dans la solution de la crise du Kosovo, l'ébauche d'une défense européenne et la nécessité pour l'Europe de se doter des moyens financiers et industriels pour assumer ses responsablités en matière de défense, Paris le 19 janvier 2000.

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Circonstance : Présentation des voeux de M. Alain Richard aux ambassadeurs de l'UE et de l'OTAN à Paris le 19 janvier 2000

Texte intégral

Messieurs les ambassadeurs,
Messieurs les officiers attachés de Défense,
Messieurs les officiers généraux,
Mesdames, messieurs,
C'est un réel plaisir pour moi de vous accueillir à nouveau, amicalement ici, à l'occasion de cette cérémonie de vux dont nous avons pris l'habitude, et je tiens d'abord à vous remercier de votre présence.
Je voudrais surtout vous dire toute la satisfaction commune devant l'excellente qualité de notre travail tout au long de cette année extrêmement riche et intense. Si nous avons progressé, j'en suis convaincu et je tenais à le réaffirmer aujourd'hui, c'est parce que nous sommes restés unis et cohérents au sein de l'Alliance et de l'Union européenne.
Cette cohésion n'est pas seulement la conséquence d'une convergence de vues déjà acquise, elle est surtout le résultat de l'esprit de concertation et de la volonté d'échange dont nous faisons preuve. Vous avez pu le percevoir à travers nos rencontres, j'attache en effet une grande importance à l'explication et à l'analyse conjointe, vous y contribuez de manière intense et professionnelle. J'ai rencontré mes homologues de tous les pays représentés ici ou presque, soit à Paris, soit dans mes déplacements, et je poursuivrai cette démarche, notamment dans les semaines qui viennent, auprès de la présidence portugaise, aux Pays-Bas, au Canada et aux Etats-Unis.
L'année 1999 écoulée a vu, avec la crise du Kosovo et, une de ses conséquences, les progrès de l'Europe de la Défense, la preuve que nous avions pris acte de la nécessité d'élaborer et de mettre en uvre une nouvelle conception de notre défense. Les chercheurs l'affirment déjà depuis quelques années, je pense notamment au livre blanc sur la Défense de 1994 : autour du concept de défense nationale, qui garde sa force dans des situations extrêmes, il faut agir dans un cadre multilatéral et global. C'est, j'en suis convaincu, dans cette direction que nous avons avancé lors de la gestion de la crise du Kosovo et de nos rencontres européennes dans le domaine de la défense.
La crise du Kosovo
Pour ce qui concerne le Kosovo, nous avons publié nos " leçons du Kosovo ", où vous avez pu lire les principaux enseignements que nous avions tirés du conflit. Parmi elles, je tiens à relever la conviction qu'au-delà de tous les moyens mis en uvre, c'est notre cohésion politique qui nous a permis de l'emporter. Elle a fait changer l'espoir de camp, elle a fait notre force.
Signe de cette cohésion politique, nous avons su, même dans les moments les plus tendus, faire évoluer ensemble l'Alliance en l'adaptant aux nouvelles réalités de l'Europe. Le Sommet de Washington en a été l'illustration solennelle.
Si l'on essaie de dresser un bilan de la gestion de cette crise pour la collectivité européenne, apparaissent à la fois des motifs de satisfaction et des insuffisances qui appellent de nouveaux efforts. Au titre des satisfactions, le Kosovo a montré que les Européens étaient présents et jouaient un rôle central, aussi bien au plan politique que militaire. Car, si nous avons été des acteurs secondaires dans les opérations aériennes, nous constituons l'ossature du dispositif terrestre. Cependant, il nous reste beaucoup à faire encore pour adapter nos armées aux nouvelles missions et renforcer notre capacité à acquérir rapidement la supériorité.
Enfin, il ne faut pas oublier que, sur le terrain, un long chemin reste à parcourir pour parvenir à réaliser notre objectif, et il concerne le volet politique de notre action : faire en sorte que l'ensemble des habitants du Kosovo puissent vivre en paix dans cette province, dans une atmosphère de sécurité qui, seule, sera propice à la reconstruction de son économie et de sa société. C'est le rôle de l'Union européenne, de l'OTAN et des Nations Unies.
L'Europe de la Défense
L'année 1999 a aussi vu une accélération de la construction de l'Europe de la Défense, élément majeur de l'équilibre mondial de demain. A ce titre, le Kosovo a constitué un moment clé, qui a mis en évidence une véritable volonté européenne d'avancer vers l'Europe de la Défense. Cette convergence des positions de certains pays européens est fondée sur une évolution graduelle et réfléchie de certains de nos partenaires.
Dans ce contexte, les sommets de Cologne et d'Helsinki ont marqué des progrès auxquels personne ne s'attendait : nous allons, dans quelques semaines, disposer des organes politiques et militaires intérimaires dont nous avons besoin pour que les Européens prennent des décisions autonomes et, bientôt, ils seront en mesure d'agir de façon autonome lorsque l'Alliance, en tant que telle, n'est pas engagée.
C'est un progrès remarquable pour l'Europe de la Défense. Je ne doute pas que sa gestation sera longue, mais je suis aussi convaincu que ce mouvement, fondé sur des évolutions profondes, est inéluctable. Les avancées de l'année 1999 font désormais peser sur nous, Européens, une lourde responsabilité.
Dès le mois de mars 2000, ces instances de décision seront mises en place sous une forme que nous espérons très proche de leur forme définitive : un comité politique et de sécurité, qui s'appuiera sur un comité militaire européen et sur un état-major militaire européen.
De même, nous pourrons progresser vers les objectifs que nous nous sommes fixés en commun en termes de capacités : la " headline goals ", avec 2003 pour horizon, et, indéfectiblement lié à cet objectif global, quantitatif, nos objectifs en termes de capacités fonctionnelles, à savoir commandement et contrôle, renseignement et transport stratégique. Vous connaissez ces objectifs, mais je tiens aujourd'hui à les réaffirmer pour qu'ils guident notre action tout au long de l'année 2000 et démontrer notre capacité effective de progrès.
Les capacités européennes ne sont pas négligeables, mais pour savoir, agir et décider en commun, une attention particulière devra être portée sur les moyens d'évaluation de commandement et de projection en commun. Parmi cela, à savoir capacité de se déployer et de durer, interopérabilité, flexibilité, mobilité, capacité de se protéger et, enfin, commandement et contrôle, il reste des étapes à franchir.
Enfin, nous allons devoir aussi préserver notre capacité financière et industrielle à agir. En effet, l'Europe de la Défense doit pouvoir s'appuyer sur une industrie européenne compétitive. Des étapes décisives ont été franchies cette année mais il reste, comme au plan politique et militaire, à rendre les regroupements transnationaux effectifs et à leur donner une dimension sociale.
Pour continuer à agir efficacement, nous devrons poursuivre dans cet esprit de concertation, d'explication et de compréhension qui a marqué nos échanges en 1999. L'Europe se dote des moyens d'assumer ses responsabilités en termes de sécurité et c'est une opportunité pour l'Alliance et pour l'équilibre mondial. Il nous appartiendra de convaincre et de montrer que la construction d'une dimension Sécurité et Défense au sein de l'UE ne créera pas une forteresse et qu'elle se fera en conformité avec nos engagements dans l'Alliance. La fin de l'année 1999 a soutenu cet optimisme et le début de l'année 2000 est serein.
Il nous appartient d'approfondir le travail de communication pour qu'il n'y ait pas de difficultés de compréhension, avec les Américains notamment.
Pour conclure, je veux me féliciter de la qualité des rapports entre le ministère de la Défense et le Quai d'Orsay. Hubert Védrine et moi-même avons pu mesurer à quel point cela constituait un avantage tout au long des épreuves que nous avons surmontées ensemble cette année 1999. Nous poursuivrons le parcours, notamment dans sa dimension européenne, côte à côte. Que cette année nous assure d'avoir le même niveau de convergence et de facilité de manuvre.
Un travail de fond nous attend en 2000, fondamental pour l'équilibre mondial et la paix. Je souhaite que nous continuions à le mener en commun et qu'il soit compris et soutenu par nos concitoyens, Européens et Américains, afin de ne pas laisser s'installer un sentiment d'indifférence vis-à-vis des institutions internationales. Cette année doit être placée sous le signe de la conscientisation et de la responsabilisation démocratique.
Mes vux vous souhaiteront aussi, ainsi qu'à vos proches, une heureuse année sur le plan personnel et familial.
Bonne année à tous !
Je vous remercie.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 14 février 2000)