Déclaration de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, pour la présentation du projet de loi sur les retraites, à l'Assemblée nationale le 10 juin 2003.

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Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Le projet de loi qu'au nom du Gouvernement j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui est conforme aux engagements du Président de la République et au calendrier annoncé dans ma déclaration de politique générale, approuvée par le Parlement.
Ce n'est pas le projet initial du Gouvernement, c'est un texte qui a fait l'objet d'une rédaction négociée avec les partenaires sociaux, recueillant ainsi l'accord d'une majorité des organisations représentatives. Il est le fruit du dialogue social.
Dans ce débat que nous savons essentiel, que la France sait essentiel, je veux souligner le rôle du temps.
Depuis 15 ans, tous les gouvernements ont été confrontés à la question des retraites : les succès, les insuccès, les attentes ont permis une prise de conscience et une évolution des esprits. Il nous revient aujourd'hui de franchir un pas décisif.
J'en appelle à la responsabilité de tous pour que nous le fassions ensemble.
Après de multiples études et rapports, des années durant, le temps de l'action, le temps de la lucidité, le temps de la lucidité démographique, est venu.
Voilà maintenant 30 ans que notre pays ne remplace plus ses générations. Il nous fallait donner un jour à ce fait historique sa place dans l'action publique.
LE CHANGEMENT DEMOGRAPHIQUE
La France est convaincue d'avoir la passion du changement : changement politique, social, économique changement climatique même sur lequel nous travaillons activement.
Et pourtant, ceux qui ont alerté les Françaises et les Français sur le changement démographique n'ont pas été entendus.
A la Libération, Alfred Sauvy et Robert Debré contribuèrent à la prise de conscience du nécessaire sursaut démographique et des mesures très importantes comme les allocations familiales ou le quotient familial furent mises en place.
Mais, après la fin du " baby-boom ", la société française, malgré une démographie meilleure que ses voisins, semble indifférente face à un changement fondamental pour son avenir.
A l'extérieur, la croissance continue de la population chinoise, les 400 millions de nouveaux citoyens de l'Inde, le million d'Egyptiens supplémentaire chaque année, la démographie toujours galopante dans plusieurs pays d'Amérique latine sont pour beaucoup d'Européens des informations saisies mais pas traitées.
Pourtant la démographie, je devrais dire le changement démographique, est la matrice première de l'action politique pour les 15 prochaines années.
La retraite est le dossier d'évidence de cette nouvelle lucidité, mais bien d'autres champs de l'action publique sont concernés : la santé, l'aménagement du territoire, l'éducation nationale, l'immigration et bien sûr l'emploi.
Trop souvent, nous avons cherché les solutions à nos problèmes en comptant sur les richesses produites par le plus grand nombre.
La solidarité entre les générations a profité de cette ancienne donne.
Avec la nouvelle donne démographique, les rapports entre les recettes et les dépenses seront modifiés.
Mais, le changement ne se limite pas à la comptabilité.
Dans une société qui place la personne humaine en première ligne de ses préoccupations, c'est le changement qui affecte les différents âges de la vie qui devient le fait majeur de ce début du XXIè siècle :
-L'accueil de l'enfant s'affirme comme une priorité nationale, et la politique familiale est une politique de premier plan.
-L'éducation nationale doit plus encore accompagner l'enfant, avant que la formation n'accompagne l'adulte, tout au long de la vie.
-L'expérience redevient une richesse nationale et il faudra en convaincre les entreprises pour que cessent les licenciements des salariés de plus de 50 ans.
-La retraite n'est plus synonyme de vieillesse, mais d'une activité pouvant être à la fois généreuse et créatrice.
-La famille à 4 générations et à périmètre variable sera davantage la règle que l'exception
-Il nous faudra trouver les moyens financiers pour faire face au nécessaire accompagnement humain et médical des plus âgés d'entre nous.
" Permettre aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours " : cet objectif de la charte du Conseil national de la Résistance reste pour nous fondamental, même si d'évidence, il dépasse la seule question de retraites.
Aucune des politiques publiques dans l'avenir ne pourra échapper au changement démographique.
Face à ce changement, la société d'aujourd'hui, la société de demain, c'est la société des réformes.
LA SOCIETE DES REFORMES
La stratégie de l'autruche est la plus coupable face à notre devoir de parents, d'élus, de responsables.
Notre pacte social ne sera pas sauvé par l'immobilisme.
La retraite par répartition, la sécurité sociale pour tous, la qualité du service public tous ces piliers de notre pacte républicain sont menacés par les retards, les délais, les moratoires Nos chefs d'uvre sociaux sont fragiles. Je vous tiens le langage de la vérité
Le courage aujourd'hui ce n'est pas de retarder, de reprocher ou de constater, le courage aujourd'hui c'est agir pour que le modèle français trouve dans la réforme sa sauvegarde.
Cette exigence est européenne. Notre continent ne pèsera pas dans le monde d'ici 20 ans si, année après année, sa croissance est durablement inférieure à celle des Etats-Unis, qui est elle-même inférieure à celle de plusieurs pays émergeants.
Notre stratégie, c'est celle de la croissance durable, cette croissance qui, lorsqu'on la tient, doit être utilisée pour les réformes nécessaires à l'avenir de la France.
Ne vivons pas la réforme comme une contrainte mais bien comme une chance. La vie nouvelle du XXIè siècle aura ses bonheurs.
Quand, grâce aux réformes, les peurs seront apaisées, chacun pourra profiter des progrès : ceux de la médecine comme ceux de la technologie, ceux de la cohésion comme ceux de la création.
La France ne doit avoir peur de son avenir, elle doit y faire face. Pour cela, elle doit surmonter ses tensions et ses divisions.
Toutes les opinions sont respectables, mais tous les comportements ne sont pas acceptables.
Les Républicains doivent s'opposer à toute forme de violence. Les extrémismes fragilisent la démocratie. Dans une démocratie, il n'y a pas les bons violents d'un côté et les mauvais de l'autre.
Les règles républicaines de " notre vivre ensemble " doivent être respectées par tous et la première de ces règles est le respect du suffrage universel qui fonde la légitimité de la représentation, nationale, pièce de l'ultime décision.
LA REFORME DES RETRAITES
Après les initiatives courageuses d'Edouard BALLADUR et d'Alain JUPPE et après la création du fonds de réserve des retraites par Lionel JOSPIN, la réforme des retraites que nous vous proposons est la première qui intègre vraiment le changement démographique.
Je remercie les ministres François FILLON et Jean-Paul DELEVOYE qui ont su dialoguer, écouter et construire ce projet à la fois novateur et courageux.
Je salue tous ceux qui ont participé à ces travaux.
Nous avons poursuivi un seul objectif : la sauvegarde de notre régime par répartition. Parce que la répartition, c'est le socle sur lequel tous les Français se retrouvent.
C'est une réforme nécessaire : à partir de 2006 les déficits vont se creuser et sans réforme il nous faudrait 43 milliards d'euros en 2020 et 100 milliards en 2040 pour sauver notre retraite par répartition.
D'ores et déjà, plus de 18 milliards d'euros sont trouvés, sans qu'il soit nécessaire d'imposer le travail encore plus. Le solde s'étalera dans le temps.
C'est une réforme sage : une réforme progressive, que nous avons construite sur 17 ans, jusqu'en 2020, en prévoyant en 2008 et 2013 des rendez-vous d'adaptation en fonction des paramètres économiques et sociaux.
Ces rendez-vous réguliers nous permettront de vérifier le bien fondé des hypothèses que nous aurons retenu et de prendre le cas échéant les mesures nécessaires d'adaptations afin que le montant des pensions soit maintenu et reste en rapport avec les ressources des actifs.
C'est une réforme juste : les petites retraites seront améliorées, ceux qui ont commencé à travailler à 14, 15 ou 16 ans pourront partir avant 60 ans. La retraite des agriculteurs sera enfin mensualisée. L'effondrement dû à la non réforme est ainsi évité.
C'est une réforme équitable : progressivement, nous organisons la convergence entre le secteur privé et le secteur public. En 2008, avec une durée de cotisation de 40 ans, nous vivrons ce premier rendez-vous de l'équité.
C'est enfin une réforme de société : L'âge de départ à la retraite ne sera plus un âge couperet, la transition entre le travail et la retraite sera beaucoup plus progressive et les travailleurs expérimentés vont être mieux considérés.
CONCLUSION
Monsieur le Président,
Mesdames et messieurs les députés,
Cette réforme veut nous rappeler que le travail et l'esprit d'initiative sont aussi synonymes de promotion sociale, d'accomplissement personnel et de progrès.
La France a besoin de mieux valoriser toutes ses ressources humaines pour créer les conditions d'une croissance durable qui profite à tous et cela nous permettra de résister à la compétition internationale.
Mieux vaut augmenter le nombre d'heures travaillées, de manière globale, plutôt qu'augmenter les prélèvements qui finissent toujours par fragiliser l'emploi. Le travail crée l'emploi, le travail crée la croissance.
Je sais que ces changements engendrent des inquiétudes. Je comprends le désarroi de ceux qui craignent que l'incertitude s'ajoute à l'angoisse de la retraite. La cohésion sociale exige le respect de tous.
A ceux-là, je dis que notre réforme est une réforme de sécurité nationale, qui va sauver le régime par répartition, qui va sauver nos retraites. Elle engendrera de réels progrès pour les plus fragiles.
Elle est devenue urgente car durant ces dernières années, je n'ai pas vu de projet déposé et aujourd'hui je vois le temps nous dépasser.
Nous ne pouvons pas abandonner nos responsabilités à nos enfants. " Rien ne justifie qu'un adulte sacrifie les enfants dont il a la charge ".
Notre génération est face à son devoir : assurer l'avenir de la France.
Je vous remercie.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 12 juin 2003)