Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Directeurs,
J'avais beaucoup regretté de n'avoir pu participer à votre précédente réunion à Rennes à laquelle le Directeur de mon cabinet, Jean-François ROCCHI, ainsi que le Directeur général de l'administration et de la fonction publique, Jacky RICHARD, s'étaient cependant rendus.
Je me réjouis de prendre contact avec vous et de participer, dans un espace de temps malheureusement restreint du fait d'une actualité sociale chargée, aux travaux de cette réunion de printemps du réseau des 28 Ecoles de service public.
Vous avez écrit dans votre programme " Accueil et rencontre-débat avec le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire ", c'est une heureuse initiative et j'espère que nous pourrons avoir entre nous un échange sur les sujets qui vous préoccupent ainsi que sur les chantiers que le Gouvernement a ouverts.
Car les choses bougent du côté de la fonction publique. Des facteurs de changement sont à l'uvre et le Gouvernement a décidé de s'en saisir : départs à la retraite, relève des générations, ouverture internationale, réforme de l'Etat, décentralisation
D'une manière ou d'une autre, vos établissements seront concernés par ces évolutions et il est bon que nous en parlions parce qu'il me paraît important que vous ne soyez pas des spectateurs passifs, mais au contraire des acteurs déterminés du changement.
Monsieur le Président, vous m'avez posé deux questions, l'une relative à la formation initiale, l'autre à la formation continue. Je crois que le plus simple est d'y répondre successivement.
I - Formation initiale
Vous m'avez interrogé, tout d'abord, sur le bien-fondé de la formation initiale des cadres de l'administration.
Vous avez rappelé, fort justement, que le système " classique " d'accès à la fonction publique repose sur un binôme : concours et école de formation. Ce système a fait ses preuves et nous y sommes très attachés.
Le concours, c'est le mérite. Ce mode de recrutement est le gage d'une administration impartiale et de qualité. Il faut s'y tenir. Je dis cela avec une certaine insistance car des menaces pèsent sur notre système.
La première est l'influence du droit communautaire sur notre fonction publique. La jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes nous impose, comme vous le savez, l'ouverture, dans certaines limites, de notre fonction publique aux ressortissants communautaires. Elle le fait au nom de l'égalité de traitement : il ne peut y avoir de discriminations sur le fondement de la nationalité.
En revanche, il n'y a aucune obligation d'harmoniser nos modes de recrutement avec ce qui se fait chez nos partenaires. Nous pouvons garder nos spécificités à condition que l'ouverture de notre fonction publique soit sincère et effective. A défaut, c'est notre système même de recrutement, fondé sur le concours, qui pourrait être menacé.
C'est dans cette perspective que j'ai demandé au professeur Jean-Michel LEMOYNE-de-FORGES, qui enseigne à PARIS II, un rapport sur ces questions. Ce rapport doit m'être remis dans quelques jours. Nous allons l'exploiter et en tirer, après concertation, les éléments les plus utiles.
La deuxième menace qui pèse sur notre système de concours est une tendance, que j'ai constatée en prenant mes fonctions, à ce que l'administration multiplie les voies d'accès directes à la fonction publique : concours spéciaux, examens professionnels, recrutement sur titre. Les mesures de titularisation prises par voie législative répondent à la même logique avec une préoccupation sociale, mais elles nous éloignent de nos principes fondateurs.
Dans bien des cas, la solution à ces situations particulières serait le recrutement par la voie du contrat de longue durée, voire à durée indéterminée plutôt que l'intégration à toute force dans la fonction publique.
Mais le droit actuel de la fonction publique ne le permet pas.
La formation initiale en école est le deuxième élément du binôme. C'est un acquis essentiel, s'agissant surtout des catégories A, sur lequel il ne me paraît pas souhaitable de revenir, mais, en ce domaine, il nous faut évoluer.
De premiers changements sont apparus du côté des grandes Ecoles d'ingénieurs, dont certaines ont plus de 250 ans d'existence, sous l'influence de plusieurs phénomènes, le premier est la recherche d'une masse critique (face aux grandes Universités américaines, des promotions de 100 à 200 élèves ne " font pas le poids " et nos Ecoles peinent à garder leur rang au niveau international) ; par ailleurs, quelle justification fournir au contribuable quand un appareil de formation spécifique ne fournit que quelques ingénieurs par an à l'Etat, la grande majorité allant vers le secteur privé ? Je crains qu'un jour ou l'autre la question ne soit posée du maintien de ces filières " nobles " de formation, qui sont aussi très coûteuses, par rapport à des universités impécunieuses mais ouvertes à tous.
C'est sans doute pourquoi plusieurs grandes Ecoles d'ingénieurs ont exprimé, il y a peu de temps, leur volonté de se rapprocher. Cette évolution me paraît positive.
Dans la filière administrative, il ne vous a pas échappé que j'ai engagé aussi un processus de rénovation en demandant à une commission " ad hoc " de me faire des propositions en vue de la réforme de l'ENA. J'ai installé cette commission en lui demandant de réfléchir en fonction de trois objectifs :
- le premier est de maintenir l'attractivité de la fonction publique aux yeux de jeunes diplômés qui, dans les années qui viennent, seront très sollicités par le secteur privé (les besoins de renouvellement de l'administration vont être très forts d'ici 3 à 5 ans alors que le nombre de jeunes entrant sur le marché du travail sera plus réduit) ;
- le second objectif est de mieux positionner l'ENA dans notre dispositif de formation supérieure : le prestige de l'Ecole reste grand mais les élèves ne s'y plaisent guère et l'institution souffre de l'absence d'un véritable pôle de recherche ou d'études doctorales, éléments qui font la réputation des établissements étrangers ;
- enfin, il faut préparer l'ENA à la grande réforme de l'administration qui se prépare et dont les projets de décentralisation sont, en quelque sorte, un avant goût.
Avec les transferts de personnel, la fonction publique territoriale sera peut-être demain numériquement plus importante que celle de l'Etat. Avec les transferts de compétence, des pans entiers de l'action administrative passeront aux collectivités locales : il faudra que les règles de fonctionnement de notre administration évoluent pour que les agents, et notamment les cadres supérieurs, puissent mener des carrières inter-fonctions publiques, riches et variées.
Au-delà se posera sans doute un jour la question de la co-existence de deux systèmes de formation voisins : ENA/INET, IRA/ENACT, ainsi que les relations entre l'Université et nos grandes Ecoles administratives.
Après la filière " ingénieurs " et la filière " administrative ", je voudrais maintenant vous parler du projet d'Institut franco-allemand de management public dont la création a été actée, sur ma proposition, lors du quarantième anniversaire du Traité de l'Elysée au mois de janvier. L'idée est simple et résulte d'un double constat : il existe au niveau mondial un besoin en matière de management public, la France et l'Allemagne disposent en ce domaine d'une expérience, d'un savoir-faire de grande qualité et insuffisamment mis en valeur.
Gérer le métro de New-York, organiser le ramassage des ordures ménagères à Bombay, construire un réseau électrique au Bengladesh ou un réseau d'eau en Amérique latine, mettre en place un réseau sanitaire en Afrique, créer ou reconstruire une administration digne de ce nom dans les pays qui sortent d'un conflit (ex-Yougoslavie) ou sont en phase de transition (ex-URSS) sont des tâches qui ne peuvent relever de la seule initiative privée. Le profit n'est pas le ressort principal de l'opération (il y a un usager à servir et non un client à satisfaire) et les donneurs d'ordre sont, en général, des collectivités publiques (Etats, communes, districts) qui relèvent souvent de règles de droit spécifiques.
Il y a donc place pour un " management public " dont l'enseignement sera assuré simultanément à Paris et à Berlin et qui pourra constituer, parallèlement à d'autres, un débouché pour nos jeunes hauts fonctionnaires tentés par l'aventure internationale.
En conclusion sur ce point, je veux vous dire ma conviction que le binôme concours-école de formation reste la clé de voûte du recrutement dans notre fonction publique, mais que ceci ne nous dispense pas de nous adapter, et je suis très intéressé par les propositions que vous pourrez me faire en ce domaine.
Vous m'avez interrogé ensuite sur la validation des acquis professionnels.
Je crois que la validation des acquis professionnels est une voie intéressante mais qu'il faut, selon une formule familière, en user avec modération.
La validation doit être conçue comme une procédure ouvrant le droit à passer un concours et non pour accéder directement à la fonction publique.
En outre, " valider des acquis " signifie que quelqu'un évalue le candidat. Pour que l'évaluation soit impartiale, il vaut mieux qu'elle soit le fait d'un jury plutôt que d'une personne seule. Et pour qu'elle soit objective, il faut disposer de critères communs et affichés d'appréciation, sinon le risque est grand de tomber dans la subjectivité.
Un jury, des critères d'admission, on voit que l'on n'est pas loin du concours et, à tout prendre, ma préférence irait plutôt à des concours " professionnels ", c'est-à-dire moins académiques que ceux que l'on a aujourd'hui, plus proches à la fois des aptitudes des candidats et des attentes des administrations.
Dans tous les cas, la validation des acquis professionnels me paraît concerner d'autres catégories de personnels que celles qui transitent par vos Ecoles. Ici, le concours, même re-visité, doit rester de haut niveau.
Vous m'avez interrogé ensuite sur le décloisonnement des formations entre les différentes fonctions publiques.
Je crois vous avoir déjà répondu en partie tout à l'heure. Oui, la réforme de l'Etat va nous imposer d'envisager des carrières plus larges, plus diversifiées. Oui, il serait bon que des voies de passage simples et rapides existent entre nos trois fonctions publiques. Oui, il est possible qu'un jour ceci nous impose de reconsidérer la structure même de notre appareil de formation. Après tout, celui-ci existe en considération des besoins de nos administrations, de la nécessité d'attirer des jeunes dans la fonction publique et de l'impératif de donner satisfaction à l'usager-contribuable.
J'ai également répondu, je crois, à votre dernière question sur la diversité des modes de recrutement. Je voudrais insister sur deux points.
Le troisième concours n'est pas une panacée. C'est sans doute une solution qui permet de combler des creux dans une tranche d'âge, mais les agents ainsi recrutés nous font part de leur malaise : alors qu'ils ont déjà 10 ou 15 ans d'ancienneté professionnelle, on leur demande de refaire leurs preuves dans un nouveau service ; alors qu'ils disposaient parfois dans le privé d'un niveau de salaires confortable, on leur fait commencer leur carrière " en pied de corps ", à des niveaux de rémunération que même un régime indemnitaire adapté ne permet pas de compenser.
La formule du 3ème concours a atteint ses limites.
Il me semble préférable de mettre l'accent sur le concours externe (la sève montante de notre fonction publique) et la promotion interne, à travers les deuxièmes concours. Il ne faudrait pas qu'en freinant les perspectives d'avancement des jeunes générations, les 3ème concours ne dissuadent les jeunes diplômés de tenter leur chance dans l'administration.
II - Formation continue
Je vous dirai, en préambule, que je suis tout à fait acquis à l'idée d'une formation continue dans la fonction publique. Celle-ci est la condition de la mobilité et de la promotion interne.
La fonction publique a toujours joué dans notre République le rôle " d'ascenseur social ", dont il est souvent question. Il est important que cela continue.
Vous m'avez posé la question de l'utilisation des crédits consacrés à la formation continue.
La consommation des crédits est, je le comprends, un sujet de préoccupation pour vos budgets d'établissement mais je préférerais, si vous le permettez, poser le problème autrement. La question des moyens alloués à la formation continue me paraît se déduire des buts que l'on se donne en ce domaine. Autrement dit, la question essentielle est de savoir ce que l'on veut faire en matière de formation continue et ensuite se pose la question des moyens.
Il y a, à cet égard, plusieurs façons de voir les choses : celle de l'employeur, qui attend de son investissement un retour en termes d'efficacité, de compétence, de motivation au travail, et celle du fonctionnaire qui recherche une promotion, une diversification ou simplement une ouverture sur des horizons nouveaux.
A partir de là, il appartient au gestionnaire, en concertation avec les représentants du personnel, d'arrêter une politique de formation continue adaptée aux nécessités du service. Il est souhaitable que l'effort financier correspondant soit significatif, mais il ne peut être le même partout. Je me place ici dans l'optique du " ministre-employeur ", qui sera celle de la loi organique, ou du " maire-employeur ", qui veut que chacun, dans le respect d'orientations générales arrêtées par le Gouvernement, fixe sa propre politique en ce domaine.
Vous m'interrogez également sur le point de savoir quel doit être la place des Ecoles dans ce dispositif de formation continue.
Je vous répondrai que notre système de formation permanente doit s'appuyer prioritairement sur vos Ecoles dont c'est, ou cela devrait être, une activité centrale reconnue. Vous y avez naturellement vocation dans la mesure où vos infrastructures, votre expérience pédagogique, le réseau de vos enseignants vous prédisposent à répondre aux attentes des donneurs d'ordre publics.
Cette compétence doit-elle être exclusive, comme vous le suggérez par ailleurs ?
Je ne le crois pas, et je ne le dis pas uniquement parce que les règles de la concurrence communautaires vous l'interdiraient.
Il est bon qu'il existe une certaine émulation entre les établissements ou les réseaux d'enseignement : certains ministères ont mis en place des dispositifs de formation continue très efficaces et il ne viendrait à l'idée de personne d'en prescrire la remise en cause.
Par ailleurs, vous devez penser à la complémentarité qui doit exister entre les trois fonctions publiques. C'est au regard de cette exigence nouvelle et compte tenu du remodelage sans doute inévitable de notre appareil de formation initiale que vous devrez vous positionner à l'avenir.
La reconnaissance de droits exclusifs n'est plus dans l'air du temps, mais je suis confiant dans votre capacité à vous organiser pour répondre aux besoins exprimés par les collectivités, les administrations ou les organismes de toute nature qui vous adresseront des stagiaires.
Vous me demandez également s'il est envisagé de rendre, au moins en partie, la formation continue obligatoire.
D'une manière générale, il ne me paraît pas possible de rendre la formation continue dans la fonction publique obligatoire. Celle-ci est un droit, pas une obligation.
En revanche, il est vrai que nous nous interrogeons sur le point de savoir si l'accès à certaines fonctions, l'avancement à certains grades ne devrait pas être précédé d'une période plus ou moins longue de formation préalable. Cette réflexion est liée à nos travaux sur la gestion des ressources humaines, travaux menés en concertation avec les organisations syndicales, dans l'optique d'encourager la mobilité.
Vous souhaitez enfin savoir comment sanctionner l'effort et l'investissement que font les agents qui ont recours à la formation continue.
Je rappellerai que cette démarche est souvent liée au souhait d'un agent de progresser. A cet égard, l'agent trouve lui-même réponse à ses attentes dans la promotion de carrière dont il bénéficie.
Il reste qu'au-delà de ces formations, conçues dans la perspective de la promotion interne, le temps et les efforts passés en formation continue ne donnent pas lieu à gratification immédiate. Il y a peut-être là une lacune et je serais heureux d'entendre vos propositions en ce domaine.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Directeurs,
J'ai souhaité vous présenter mon point de vue sur les questions que vous avez bien voulu me faire connaître. Je suis maintenant à votre disposition pour vous écouter, entendre vos réactions et, au besoin, ouvrir de nouvelles perspectives.
(Source http://www.fonction-publique.gouv.fr, le 4 avril 2003)
Mesdames et Messieurs les Directeurs,
J'avais beaucoup regretté de n'avoir pu participer à votre précédente réunion à Rennes à laquelle le Directeur de mon cabinet, Jean-François ROCCHI, ainsi que le Directeur général de l'administration et de la fonction publique, Jacky RICHARD, s'étaient cependant rendus.
Je me réjouis de prendre contact avec vous et de participer, dans un espace de temps malheureusement restreint du fait d'une actualité sociale chargée, aux travaux de cette réunion de printemps du réseau des 28 Ecoles de service public.
Vous avez écrit dans votre programme " Accueil et rencontre-débat avec le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire ", c'est une heureuse initiative et j'espère que nous pourrons avoir entre nous un échange sur les sujets qui vous préoccupent ainsi que sur les chantiers que le Gouvernement a ouverts.
Car les choses bougent du côté de la fonction publique. Des facteurs de changement sont à l'uvre et le Gouvernement a décidé de s'en saisir : départs à la retraite, relève des générations, ouverture internationale, réforme de l'Etat, décentralisation
D'une manière ou d'une autre, vos établissements seront concernés par ces évolutions et il est bon que nous en parlions parce qu'il me paraît important que vous ne soyez pas des spectateurs passifs, mais au contraire des acteurs déterminés du changement.
Monsieur le Président, vous m'avez posé deux questions, l'une relative à la formation initiale, l'autre à la formation continue. Je crois que le plus simple est d'y répondre successivement.
I - Formation initiale
Vous m'avez interrogé, tout d'abord, sur le bien-fondé de la formation initiale des cadres de l'administration.
Vous avez rappelé, fort justement, que le système " classique " d'accès à la fonction publique repose sur un binôme : concours et école de formation. Ce système a fait ses preuves et nous y sommes très attachés.
Le concours, c'est le mérite. Ce mode de recrutement est le gage d'une administration impartiale et de qualité. Il faut s'y tenir. Je dis cela avec une certaine insistance car des menaces pèsent sur notre système.
La première est l'influence du droit communautaire sur notre fonction publique. La jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes nous impose, comme vous le savez, l'ouverture, dans certaines limites, de notre fonction publique aux ressortissants communautaires. Elle le fait au nom de l'égalité de traitement : il ne peut y avoir de discriminations sur le fondement de la nationalité.
En revanche, il n'y a aucune obligation d'harmoniser nos modes de recrutement avec ce qui se fait chez nos partenaires. Nous pouvons garder nos spécificités à condition que l'ouverture de notre fonction publique soit sincère et effective. A défaut, c'est notre système même de recrutement, fondé sur le concours, qui pourrait être menacé.
C'est dans cette perspective que j'ai demandé au professeur Jean-Michel LEMOYNE-de-FORGES, qui enseigne à PARIS II, un rapport sur ces questions. Ce rapport doit m'être remis dans quelques jours. Nous allons l'exploiter et en tirer, après concertation, les éléments les plus utiles.
La deuxième menace qui pèse sur notre système de concours est une tendance, que j'ai constatée en prenant mes fonctions, à ce que l'administration multiplie les voies d'accès directes à la fonction publique : concours spéciaux, examens professionnels, recrutement sur titre. Les mesures de titularisation prises par voie législative répondent à la même logique avec une préoccupation sociale, mais elles nous éloignent de nos principes fondateurs.
Dans bien des cas, la solution à ces situations particulières serait le recrutement par la voie du contrat de longue durée, voire à durée indéterminée plutôt que l'intégration à toute force dans la fonction publique.
Mais le droit actuel de la fonction publique ne le permet pas.
La formation initiale en école est le deuxième élément du binôme. C'est un acquis essentiel, s'agissant surtout des catégories A, sur lequel il ne me paraît pas souhaitable de revenir, mais, en ce domaine, il nous faut évoluer.
De premiers changements sont apparus du côté des grandes Ecoles d'ingénieurs, dont certaines ont plus de 250 ans d'existence, sous l'influence de plusieurs phénomènes, le premier est la recherche d'une masse critique (face aux grandes Universités américaines, des promotions de 100 à 200 élèves ne " font pas le poids " et nos Ecoles peinent à garder leur rang au niveau international) ; par ailleurs, quelle justification fournir au contribuable quand un appareil de formation spécifique ne fournit que quelques ingénieurs par an à l'Etat, la grande majorité allant vers le secteur privé ? Je crains qu'un jour ou l'autre la question ne soit posée du maintien de ces filières " nobles " de formation, qui sont aussi très coûteuses, par rapport à des universités impécunieuses mais ouvertes à tous.
C'est sans doute pourquoi plusieurs grandes Ecoles d'ingénieurs ont exprimé, il y a peu de temps, leur volonté de se rapprocher. Cette évolution me paraît positive.
Dans la filière administrative, il ne vous a pas échappé que j'ai engagé aussi un processus de rénovation en demandant à une commission " ad hoc " de me faire des propositions en vue de la réforme de l'ENA. J'ai installé cette commission en lui demandant de réfléchir en fonction de trois objectifs :
- le premier est de maintenir l'attractivité de la fonction publique aux yeux de jeunes diplômés qui, dans les années qui viennent, seront très sollicités par le secteur privé (les besoins de renouvellement de l'administration vont être très forts d'ici 3 à 5 ans alors que le nombre de jeunes entrant sur le marché du travail sera plus réduit) ;
- le second objectif est de mieux positionner l'ENA dans notre dispositif de formation supérieure : le prestige de l'Ecole reste grand mais les élèves ne s'y plaisent guère et l'institution souffre de l'absence d'un véritable pôle de recherche ou d'études doctorales, éléments qui font la réputation des établissements étrangers ;
- enfin, il faut préparer l'ENA à la grande réforme de l'administration qui se prépare et dont les projets de décentralisation sont, en quelque sorte, un avant goût.
Avec les transferts de personnel, la fonction publique territoriale sera peut-être demain numériquement plus importante que celle de l'Etat. Avec les transferts de compétence, des pans entiers de l'action administrative passeront aux collectivités locales : il faudra que les règles de fonctionnement de notre administration évoluent pour que les agents, et notamment les cadres supérieurs, puissent mener des carrières inter-fonctions publiques, riches et variées.
Au-delà se posera sans doute un jour la question de la co-existence de deux systèmes de formation voisins : ENA/INET, IRA/ENACT, ainsi que les relations entre l'Université et nos grandes Ecoles administratives.
Après la filière " ingénieurs " et la filière " administrative ", je voudrais maintenant vous parler du projet d'Institut franco-allemand de management public dont la création a été actée, sur ma proposition, lors du quarantième anniversaire du Traité de l'Elysée au mois de janvier. L'idée est simple et résulte d'un double constat : il existe au niveau mondial un besoin en matière de management public, la France et l'Allemagne disposent en ce domaine d'une expérience, d'un savoir-faire de grande qualité et insuffisamment mis en valeur.
Gérer le métro de New-York, organiser le ramassage des ordures ménagères à Bombay, construire un réseau électrique au Bengladesh ou un réseau d'eau en Amérique latine, mettre en place un réseau sanitaire en Afrique, créer ou reconstruire une administration digne de ce nom dans les pays qui sortent d'un conflit (ex-Yougoslavie) ou sont en phase de transition (ex-URSS) sont des tâches qui ne peuvent relever de la seule initiative privée. Le profit n'est pas le ressort principal de l'opération (il y a un usager à servir et non un client à satisfaire) et les donneurs d'ordre sont, en général, des collectivités publiques (Etats, communes, districts) qui relèvent souvent de règles de droit spécifiques.
Il y a donc place pour un " management public " dont l'enseignement sera assuré simultanément à Paris et à Berlin et qui pourra constituer, parallèlement à d'autres, un débouché pour nos jeunes hauts fonctionnaires tentés par l'aventure internationale.
En conclusion sur ce point, je veux vous dire ma conviction que le binôme concours-école de formation reste la clé de voûte du recrutement dans notre fonction publique, mais que ceci ne nous dispense pas de nous adapter, et je suis très intéressé par les propositions que vous pourrez me faire en ce domaine.
Vous m'avez interrogé ensuite sur la validation des acquis professionnels.
Je crois que la validation des acquis professionnels est une voie intéressante mais qu'il faut, selon une formule familière, en user avec modération.
La validation doit être conçue comme une procédure ouvrant le droit à passer un concours et non pour accéder directement à la fonction publique.
En outre, " valider des acquis " signifie que quelqu'un évalue le candidat. Pour que l'évaluation soit impartiale, il vaut mieux qu'elle soit le fait d'un jury plutôt que d'une personne seule. Et pour qu'elle soit objective, il faut disposer de critères communs et affichés d'appréciation, sinon le risque est grand de tomber dans la subjectivité.
Un jury, des critères d'admission, on voit que l'on n'est pas loin du concours et, à tout prendre, ma préférence irait plutôt à des concours " professionnels ", c'est-à-dire moins académiques que ceux que l'on a aujourd'hui, plus proches à la fois des aptitudes des candidats et des attentes des administrations.
Dans tous les cas, la validation des acquis professionnels me paraît concerner d'autres catégories de personnels que celles qui transitent par vos Ecoles. Ici, le concours, même re-visité, doit rester de haut niveau.
Vous m'avez interrogé ensuite sur le décloisonnement des formations entre les différentes fonctions publiques.
Je crois vous avoir déjà répondu en partie tout à l'heure. Oui, la réforme de l'Etat va nous imposer d'envisager des carrières plus larges, plus diversifiées. Oui, il serait bon que des voies de passage simples et rapides existent entre nos trois fonctions publiques. Oui, il est possible qu'un jour ceci nous impose de reconsidérer la structure même de notre appareil de formation. Après tout, celui-ci existe en considération des besoins de nos administrations, de la nécessité d'attirer des jeunes dans la fonction publique et de l'impératif de donner satisfaction à l'usager-contribuable.
J'ai également répondu, je crois, à votre dernière question sur la diversité des modes de recrutement. Je voudrais insister sur deux points.
Le troisième concours n'est pas une panacée. C'est sans doute une solution qui permet de combler des creux dans une tranche d'âge, mais les agents ainsi recrutés nous font part de leur malaise : alors qu'ils ont déjà 10 ou 15 ans d'ancienneté professionnelle, on leur demande de refaire leurs preuves dans un nouveau service ; alors qu'ils disposaient parfois dans le privé d'un niveau de salaires confortable, on leur fait commencer leur carrière " en pied de corps ", à des niveaux de rémunération que même un régime indemnitaire adapté ne permet pas de compenser.
La formule du 3ème concours a atteint ses limites.
Il me semble préférable de mettre l'accent sur le concours externe (la sève montante de notre fonction publique) et la promotion interne, à travers les deuxièmes concours. Il ne faudrait pas qu'en freinant les perspectives d'avancement des jeunes générations, les 3ème concours ne dissuadent les jeunes diplômés de tenter leur chance dans l'administration.
II - Formation continue
Je vous dirai, en préambule, que je suis tout à fait acquis à l'idée d'une formation continue dans la fonction publique. Celle-ci est la condition de la mobilité et de la promotion interne.
La fonction publique a toujours joué dans notre République le rôle " d'ascenseur social ", dont il est souvent question. Il est important que cela continue.
Vous m'avez posé la question de l'utilisation des crédits consacrés à la formation continue.
La consommation des crédits est, je le comprends, un sujet de préoccupation pour vos budgets d'établissement mais je préférerais, si vous le permettez, poser le problème autrement. La question des moyens alloués à la formation continue me paraît se déduire des buts que l'on se donne en ce domaine. Autrement dit, la question essentielle est de savoir ce que l'on veut faire en matière de formation continue et ensuite se pose la question des moyens.
Il y a, à cet égard, plusieurs façons de voir les choses : celle de l'employeur, qui attend de son investissement un retour en termes d'efficacité, de compétence, de motivation au travail, et celle du fonctionnaire qui recherche une promotion, une diversification ou simplement une ouverture sur des horizons nouveaux.
A partir de là, il appartient au gestionnaire, en concertation avec les représentants du personnel, d'arrêter une politique de formation continue adaptée aux nécessités du service. Il est souhaitable que l'effort financier correspondant soit significatif, mais il ne peut être le même partout. Je me place ici dans l'optique du " ministre-employeur ", qui sera celle de la loi organique, ou du " maire-employeur ", qui veut que chacun, dans le respect d'orientations générales arrêtées par le Gouvernement, fixe sa propre politique en ce domaine.
Vous m'interrogez également sur le point de savoir quel doit être la place des Ecoles dans ce dispositif de formation continue.
Je vous répondrai que notre système de formation permanente doit s'appuyer prioritairement sur vos Ecoles dont c'est, ou cela devrait être, une activité centrale reconnue. Vous y avez naturellement vocation dans la mesure où vos infrastructures, votre expérience pédagogique, le réseau de vos enseignants vous prédisposent à répondre aux attentes des donneurs d'ordre publics.
Cette compétence doit-elle être exclusive, comme vous le suggérez par ailleurs ?
Je ne le crois pas, et je ne le dis pas uniquement parce que les règles de la concurrence communautaires vous l'interdiraient.
Il est bon qu'il existe une certaine émulation entre les établissements ou les réseaux d'enseignement : certains ministères ont mis en place des dispositifs de formation continue très efficaces et il ne viendrait à l'idée de personne d'en prescrire la remise en cause.
Par ailleurs, vous devez penser à la complémentarité qui doit exister entre les trois fonctions publiques. C'est au regard de cette exigence nouvelle et compte tenu du remodelage sans doute inévitable de notre appareil de formation initiale que vous devrez vous positionner à l'avenir.
La reconnaissance de droits exclusifs n'est plus dans l'air du temps, mais je suis confiant dans votre capacité à vous organiser pour répondre aux besoins exprimés par les collectivités, les administrations ou les organismes de toute nature qui vous adresseront des stagiaires.
Vous me demandez également s'il est envisagé de rendre, au moins en partie, la formation continue obligatoire.
D'une manière générale, il ne me paraît pas possible de rendre la formation continue dans la fonction publique obligatoire. Celle-ci est un droit, pas une obligation.
En revanche, il est vrai que nous nous interrogeons sur le point de savoir si l'accès à certaines fonctions, l'avancement à certains grades ne devrait pas être précédé d'une période plus ou moins longue de formation préalable. Cette réflexion est liée à nos travaux sur la gestion des ressources humaines, travaux menés en concertation avec les organisations syndicales, dans l'optique d'encourager la mobilité.
Vous souhaitez enfin savoir comment sanctionner l'effort et l'investissement que font les agents qui ont recours à la formation continue.
Je rappellerai que cette démarche est souvent liée au souhait d'un agent de progresser. A cet égard, l'agent trouve lui-même réponse à ses attentes dans la promotion de carrière dont il bénéficie.
Il reste qu'au-delà de ces formations, conçues dans la perspective de la promotion interne, le temps et les efforts passés en formation continue ne donnent pas lieu à gratification immédiate. Il y a peut-être là une lacune et je serais heureux d'entendre vos propositions en ce domaine.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Directeurs,
J'ai souhaité vous présenter mon point de vue sur les questions que vous avez bien voulu me faire connaître. Je suis maintenant à votre disposition pour vous écouter, entendre vos réactions et, au besoin, ouvrir de nouvelles perspectives.
(Source http://www.fonction-publique.gouv.fr, le 4 avril 2003)