Interview de M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes, à Europe 1 le 9 juillet 2000, sur le projet d'une constitution européenne et les positions françaises et allemandes sur l'évolution de l'Union européenne et la réforme des institutions communautaires.

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Média : Emission Le Club de la presse - Europe 1

Texte intégral

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Q - Pourquoi est-ce toujours Joschka Fischer qui commence et qui ajoute des pas supplémentaires ?
R - Il a fait un bon discours, à titre personnel, et par ailleurs, c'est un homme politique très habile, très adroit. Il est en plus un homme d'une formation politique, les Verts, qui est un peu minoritaire, il joue aussi sa personnalité. La position de l'exécutif français n'est pas exactement la même mais je reviens simplement à ce que je voulais dire : il y a le temps des initiatives, il y a le temps de la reconstruction de l'Europe, mais il y a aussi un temps plus immédiat, les six mois qui viennent, et ils sont fondamentaux, pendant lesquels nous devons réformer les institutions européennes. Et pendant ce temps là, je vous l'assure, le président de la République, le Premier ministre et le Gouvernement travailleront la mano en la mano, sans couac.
Q - C'est bien d'utiliser comme cela des formules du général de Gaulle. Il n'empêche le président de la République a fait un grand discours devant le Reichstag et vous avez été le premier à dire " mais non, ce n'est pas le discours des autorités françaises ", c'etait quand même un couac dans la cohabitation.
R - Cela n'a pas été vécu comme cela. Ni le président de la République, ni le Premier ministre n'ont prétendu qu'il y avait un incident. Il y avait simplement une précision de ma part qui était extrêmement simple, qui était que le président de la République avait fait un discours important, qu'il s'était exprimé à titre tout à fait officiel. Par exemple, quand Mme Colonna expliquait que c'était officiel, j'étais tout à fait d'accord. C'était un discours officiel, c'était un discours du président de la République devant le Parlement d'un grand pays ami. C'est donc quelque chose de tout à fait important et en même temps, personne ne peut imaginer qu'il n'y aura pas d'autres versions de l'Europe de demain. Et les socialistes, les gaullistes, les chrétiens et sociaux-démocrates ne seront pas tout à coup devenus confondus. Par ailleurs, quand on a un discours dit " des autorités françaises ", c'est très simple, on se met autour d'une table, généralement autour du président de la République, on y travaille trois heures, quatre heures, et cela parvient à un discours, si je puis dire, estampillé. Moi, quand j'irai demain à Bruxelles, j'aurai une position des autorités françaises. Ce n'est pas du tout pour minimiser les choses, c'est simplement pour expliquer une différence de méthode.
Q - Vous ne vous demandez pas si vous réaffirmerez la même chose ? Est-ce que c'était improvisé ou c'est une position ferme ?
R - Cela me paraissait précis et réfléchi. C'est un discours du président de la République, en soit il est très important mais personne ne peut imaginer - M. Jospin l'a dit- que le moment venu, il n'aura pas lui aussi ses propositions, qui pourront être différentes. La Fédération d'Etats-nations dont parle Jacques Delors depuis 1995, Joschka Fischer depuis quelques temps, je ne suis pas contre. Quand j'étais secrétaire national du Parti socialiste, en charge de ces questions en 1996, je l'avais proposée, déjà à l'époque, et pourtant je ne me considère pas pour autant comme un précuseur. Donc les socialistes ont une histoire avec l'Europe, les gaullistes en ont une autre. Ces histoires continuent et il y aura ce débat dans l'avenir. Un autre exemple, MM. Juppé et Toubon, tout à coup, se sont ralliés à une Constitution européenne. C'est très important parce que cela manifeste une évolution du mouvement gaulliste mais je ne suis pas d'accord avec leur Constitution. Si un jour, je propose une Constitution...
Q - Vous êtes d'accord pour une Constitution ?
R - Je crois que c'est un point qui peut être partagé par beaucoup et à titre personnel, puisque c'est très à la mode, je ne suis pas opposé à une Constitution européenne. Mais si la Constitution consiste à plaquer les institutions de la Vè République sur l'Europe, en supprimant par exemple tout ce qui fait le modèle communautaire depuis longtemps, comme la Commission, alors je ne suis pas pour cette Constitution-là. C'est pour cela qu'il ne suffit pas de prononcer le mot Constitution, après il faut dire ce qu'il y a derrière, et c'est exactement ce que je voulais dire, il y a des avancées de tous et en même temps, le débat reste ouvert.
Q - Mais ce débat s'adresse aussi à Jacques Chirac, président de la République ?
R - Ce n'est pas un reproche.
Q - Non, c'est la remarque que vous faites sur la Constitution de Jacques Toubon et Alain Juppé, vous l'adressez également, d'une certaine façon, sur le thème de la constitution, à celui qui l'a lancé au Reichstag.
R - Je ne fais aucun procès sur le fond au discours de Jacques Chirac, que j'ai trouvé un discours de qualité...
Q - Quelque chose vous a choqué dans ce discours ?
R - ... et qui marquait des avancées. Ce que j'ai dit simplement, c'est qu'au delà du fait d'affirmer qu'il faut une Constitution, le vrai débat, le moment venu, sera de savoir quelle est cette constitution, ce qu'elle veut dire. N'oublions jamais ce qu'est une Constitution. Une Constitution est un modèle d'organisation politique qui est fondé sur des valeurs. On comprend donc que le débat européen, qui est effectivement un débat important pour notre vie quotidienne, qui est un débat fondateur et fondamental pour l'avenir, ce débat-là ne soit pas épuisé par les discours, aussi excellents soient-ils.
Q - Mais alors, Jacques Chirac, pour la première fois, donnait sa vision de l'Europe de demain ; en revanche, on ne sait pas exactement quelle est celle du Premier ministre et beaucoup disent qu'il est beaucoup moins européen que vous, par exemple. Quand croyez vous qu'il tracera lui aussi son Europe du futur ?
R - Imaginez qu'après le discours du Reichstag du président de la République, dès le lendemain, la version de Lionel Jospin ait dit : " ça, ça me plaît ; ça, ça ne devrait pas". On n'aurait à ce moment là pas parlé de couac, on aurait carrément parlé de hiatus. C'est donc pour cela que Lionel Jospin, qui est un homme qui respecte cette situation de cohabitation qui lui a été donnée, qui est, encore une fois, une donnée, n'estime pas qu'il faille ajouter des discordances ou manifester des différences.
Q - Mais cela gêne, embarrasse ou pas ?
R - Je ne le crois pas. Je voudrais simplement ajouter quelque chose : je connais Lionel Jospin depuis fort longtemps, nous avons ensemble écrit des textes sur l'Europe en 1996, par exemple, où je rappelle que le parti socialiste, parti qu'il dirigeait à l'époque, s'était prononcé pour la Fédération d'Etats-nations et j'ai une conviction absolument tranquille, c'est que Lionel Jospin est tout sauf un euro-minimaliste.
Q - Comment le définirez-vous, s'il n'est pas un euro-minimaliste ?
R - C'est un euro-volontariste, en même temps qu'un euro-réaliste. C'est quelqu'un qui veut justement permettre que l'Europe soit à la fois l'union des nations mais aussi le dépassement des nations. C'est en ce sens là que le terme Fédération d'Etats-nations ne me gêne absolument pas. Donc, il est tout sauf un minimaliste et le moment venu, on verra qu'il est un européen à la fois très conséquent, très cohérent, très ancien et qu'il est capable de penser tout cela. Vous disiez qu'on me pense plus Européen que lui. Parfois, c'est l'inverse. Je dirai simplement que je me sens tout à fait Européen comme lui. Si je suis là où je suis, je le lui dois et c'est pas tout à fait non plus le hasard.
Q - Vous aviez eu connaissance du discours du Reichstag, puisque Jospin avait eu connaissance avant qu'il ne soit prononcé.
R - Très peu de temps avant. Nous n'avons pas été invités à l'écrire, si c'est cela la question.
Q - Pourquoi vous écrivez d'habitude les textes du président de la République ?
R - On peut très bien le faire.
Q - Les autres ?
R - Encore une fois, j'y reviens, si c'est un discours des autorités françaises, c'est un discours commun.
Q - De sorte que l'Elysée, ou le président de la République écrivent ou participent à la rédaction des textes du Premier ministre pendant cette phase de cohabitation ?
R - Il peut très bien se prononcer dessus. Quand par exemple le Premier ministre, a fait son discours à l'Assemblée nationale, il avait été validé comme un discours qui présentait les positions qui seraient défendues et par le Président et par le Gouvernement. C'est cela un discours des autorités françaises.
Q - Monsieur le Ministre, quand on parle de Constitution européenne, on parle de l'Europe d'après-demain. Est-ce que le débat dont vous venez de donner quelques éléments, est-ce que ce même débat porte également sur la réforme des institutions qui doit être décidée d'ici la fin de l'année, c'est-à-dire est-ce qu'il y aussi un débat dans la cohabitation sur la réforme des institutions pour l'immédiat ?
R - Non, c'est pour cela que s'agissant des deux temps, il y a le temps des six mois qui viennent, qui est le temps de la Présidence française sur lequel, je vous le répète, on cherchera en vain l'épaisseur d'une feuille de papier de cigarette entre le Président et le Gouvernement. Là-dessus nous avons des positions que nous allons défendre, Hubert Védrine et moi dans la CIG, la Conférence intergouvernementale. Ces positions sont définies avec le président de la République, autour du président de la République et nous défendrons tout simplement la position de la France.
Q - On a l'impression qu'on parle plus concrètement de la Constitution que de la réforme immédiate des institutions.
R - C'est là d'ailleurs où je me permettrai de faire une petite observation : le discours sur l'avenir de l'Europe est extrêmement utile. Il montre bien l'urgence du sujet et en même temps, c'est un discours qui est extrêmement ouvert. Que ce soit celui de Jacques Delors, que ce soit celui de Joschka Fisher, que ce soit celui de Jacques Chirac, que ce soit d'autres encore. C'est un débat pour l'avenir alors que la CIG, c'est pour tout de suite.
Q - Alors on a dit que c'est très important.
R - Et, je ne voudrais pas qu'un discours chasse l'autre. C'est pour cela que je distingue bien les deux temps. Commençons par réussir cette réforme institutionnelle car d'ailleurs de la réussite ou non de cette réforme ne découle pas le même avenir.
Q - M. Moscovici, la présidence française de l'Europe commence. Qu'est-ce qu'apporte le gouvernement de plus, de différent à l'Europe ?
R - Alors, deux choses : le première des choses qui nous attend pendant cette présidence, c'est d'abord cette réforme des institutions. De quoi s'agit-il : l'Europe à quinze ne fonctionne plus, la Commission est en crise.
Q - A trente, ce sera meilleur ?
R - Justement, la Commission vit une crise. Le Parlement a encore un peu besoin de trouver sa place. Le Conseil des ministres est mal organisé. La décision est presque impossible, compte tenu du fait qu'on décide le plus souvent à l'unanimité. En plus, on n'a pas de possibilité d'avoir des souplesses entre nous, c'est-à-dire ce qu'on appelle les coopérations renforcées. J'ajoute, effectivement, la perspective de l'Europe à trente. Si ça ne marche pas à quinze, à trente cela ne peut pas marcher du tout. Ce que nous apportons là-dedans, c'est à la fois des solutions démocratiques pour l'Europe à quinze, des solutions fonctionnelles pour l'Europe à quinze, et puis, j'espère, aussi quelque chose de nouveau pour l'Europe à trente, qui est la généralisation de ce mécanisme de coopération renforcée, la capacité donnée à quelques Etats d'avancer entre eux même si tous ne le veulent pas. De la souplesse, de la flexibilité, car nous pouvons être opposés à certaines flexibilités, sociales, mais favorables à d'autres flexibilités, la flexibilité insitutionnelle, la flexibilité politique, la souplesse politique, d'ailleurs vous savez, moi, le libéralisme politique est quelque chose qui ne m'a jamais fait peur. Le libéralisme économique, c'est autre chose. Je ferme cette parenthèse. Voilà ce que nous apportons, c'est cela notre tâche première. Et quand je disais, ce n'est pas la même chose si on réussit ou si on échoue, il y a plusieurs scénarii : échec de la CIG, crise européenne profonde, le besoin d'une refondation dont j'imagine mal l'ampleur, on refera peut-être une nouvelle conférence de Messine.
Q - Mais s'il y avait une crise, puisque c'est vous qui l'imaginez, est-ce que la France serait prête à l'affronter?
R - La France souhaite effectivement qu'il y ait un bon traité à Nice et à défaut d'un bon traité, nous préférons pas de traité du tout. Si nous restons dans le système actuel, j'ai l'impression que c'est la mort à petit feu. Il faut donc un bon traité, sans quoi la crise peut être effectivement souhaitable ou nécessaire. D'ailleurs, certains comme Jacques Delors pensent que nous avons déjà besoin d'une crise refondatrice. Et puis il y a un deuxième scénario : c'est la réussite à Nice, raisonnable, un traité, et à ce moment là, l'envolée ...
Q - Mais qu'est-ce que cela veut dire une réussite raisonnable pour nos auditeurs ?
R - Cela veut dire quatre choses : d'abord que la Commission est profondément réformée car elle connaît une crise profonde...
Q - C'est-à-dire ils seront vingt, ils seront combien ?
R - Ils sont vingt quand on est quinze. Ils seront vingt quand on sera trente. Autrement dit, elle doit rester un collège, soudée, plafonnée.
Q - Est-ce à dire que la France serait prête à perdre un commissaire ?
R - Soyons concret. La France est prête à perdre un commissaire.
Q - L'Allemagne aussi ? Et les grands pays ?
R - Les grands pays aussi, mais à condition bien sûr, qu'il y ait d'autres efforts faits par d'autres. La deuxième chose, c'est qu'il faut le vote en Conseil des ministres - un peu technique, on vote avec un certain nombre de voix chaque pays - que ce vote ne déforme pas, ne produise pas des majorités absurdes.
Q - C'est-à-dire que les petits pays fassent la loi contre les grands ?
R - Il ne faut pas que les petits pays fassent la loi contre les grands. Il faut que trois grands pays - Italie, Allemagne, France par exemple - puissent avoir une minorité de blocage, parce que sinon le vote de la majorité devient absurde. Troisième chose, il faut, à partir du moment où on a ce garde-fou, que le vote à la majorité soit la règle dans toutes les matières ou presque, même s'il peut y avoir quelques exceptions. Car on voit bien qu'il y a toute une série de sujets, je prends la fiscalité, sur lesquels on n'avance pas bien si on n'a pas là encore de la majorité, la majorité étant la règle de la démocratie. Puis, il y a une quatrième chose, il faut que les coopérations renforcées soient effectivement assouplies c'est à dire qu'un petit nombre de pays - sept, huit, neuf - puissent les déclencher entre eux et qu'en plus, il y ait, dans le fonctionnement, des souplesses, ces coopérations renforcées. Si on a ce traité-là à Nice, alors je dis oui, c'est un bon traité, qui permettra ensuite de voir comment s'organise l'avant-garde, le groupe pionnier, le coeur de l'Europe.
Q - Quelles chances d'y arriver ? 50/50 ou plus ?
R - Je crois que les chances sont grandes parce que la situation est extrêmement difficile et en même temps parce que chacun mesure qu'il s'agit d'une dernière chance.
Q - Elles sont grandes?
R - Je crois qu'on va y arriver, tout simplement.
Q - D'arriver à un bon traité ?
R - Oui, je pense qu'on va arriver à un bon traité. Pourquoi ? parce qu'il n'y a pas d'alternative. On est vraiment dos au mur, et quand on est dos au mur, si on n'avance pas, on transperce le mur. Il faut être extrêmement ferme.
Q - Est-ce que l'Autriche peut bloquer cette avancée ? Est-ce que vous n'êtes pas responsable, Monsieur Moscovici, s'il y a un échec, de cet échec éventuel, parce que vous avez été un des premiers à être tellement dur et intransigeant à l'égard de l'Autriche dans sa nouvelle coalition, que l'Autriche pourrait émettre un veto en décembre et faire capoter tout ce que la France prépare ?
R - Ce serait me donner une très, très grande importance. Les mesures qui ont été prises l'ont été par quatorze chefs d'Etat et de gouvernement des Etats membres, donc des gens qui sont loin au-dessus de moi. Et, je considère effectivement, depuis le début, que ces sanctions étaient justifiées. Pourquoi ? Non pas tant parce que nous pensions que cela allait créer une situation particulière, je n'ai jamais pensé par exemple que ces sanctions seraient populaires en Autriche et qu'il y aurait une espèce de soulèvement du peuple autrichien contre cela, jamais, mais parce que cela soulignait la nature aberrante d'un parti, le FPOE, le parti de M. Haider qui est un parti xénophobe et pas clair avec le passé nazi.
Q - Cela a aggravé ou arrangé ?
R - Ni l'un ou l'autre.
Q - Quelles mesures trouver d'une évolution éventuelle ?
R - Je vais vous donner le fond de ma pensée. Aujourd'hui on s'aperçoit que les contradictions en Autriche sont exacerbées. Je prends un exemple : quand le Portugal, la présidence portugaise, a proposé ce qui va être décidé maintenant, que les experts expertisent la situation en Autriche, et bien, M. Schussel, le chancelier a dit oui, M. Haider a dit non et puis ensuite, M. Haider a contraint le Chancelier Schussel à se radicaliser, et à accepter un référendum dont la formulation ...
Q - une consultation populaire...
R - Oui, une consultation populaire.
Q - Il va donc y avoir une pression populaire et populiste.
R - Oui, populaire et populiste et tout cela n'est absolument pas sain. Donc, on voit bien que M. Haider qui a fait mine de se retirer est toujours là et qu'il reste en situation d'entraîner la coalition sur des positions populistes.
Q - Donc les positions populistes de M. Haider donnent raison à M. Moscovici, à la France et aux pays qui sont contre l'Autriche ?
R - Je pense qu'en tout cas M. Haider ne nous rassure pas. Si l'alternative est, soit arrêtons les mesures et cédons à M. Haider, soit tenons bon, sans pour autant avoir une attitude dogmatique, et essayons de faire en sorte de passer ce moment difficile, je préfère la deuxième hypothèse. Mais je rappelle que dans l'expertise qui va être demandée à trois grands juristes ou à trois politiques sur l'Autriche, il y a un point qui est important, c'est évaluer la nature politique du parti de M. Haider, qu'on soit capable de dire si cette nature est compatible avec les valeurs européennes.
Q - Est-ce que vous doutez de la réponse, vous-même ?
R - J'ai la conviction que le parti de M. Haider n'est pas d'une nature claire, mais je ne suis pas un de ces experts et je veux être clair aussi, la France ne pratiquera pas la politique du pire avec l'Autriche. Nous allons appliquer toutes les mesures, rien que les mesures, cela veut dire aussi que nous ferons leur place aux responsables de l'Autriche dans les instances européennes et que si on nous proposait à un moment donné quelque chose qui nous dirait que la situation évolue, alors bien sûr, nous évoluerions aussi. Nous ne sommes pas dogmatiques.
Q - Avant Nice ? C'est-à-dire avant décembre ou rien avant décembre ?
R - Nous verrons bien. C'est à ces experts de travailler à leur rythme.
Q - Personnellement, pardon, est-ce que vous serrez la main de vos homologues autrichiens quand ils sont du parti populiste, ou bien vous êtes comme Mme Aubry hier à la réunion des ministres des Affaires sociales, qui a refusé la main de son homologue autrichien ?
R - Pour être honnête, je connais très bien le chancelier Schussel et la ministre des Affaires etrangères puisqu'ils étaient ministre des Affaires étrangères et ministre des Affaires européennes. C'étaient des gens que j'aimais bien, en plus. J'ai évité de leur serrer la main depuis. Parce que je trouve que la responsabilité de ceux qui se compromettent avec un parti populiste est assez grande. Mais je leur serrerai la main sous la Présidence française.
Q - Pourquoi n'allez vous-pas défendre ces idées, ou si vous y êtes prêt, par exemple à Vienne, à Salzbourg avec des artistes, des intellectuels qui se battent sur place pour faire avancer les choses ? ou évoluer ?
R - Parce que, encore une fois, je n'oublie pas que l'Autriche est un pays membre de l'Union européenne et que mon rôle est de faire en sorte que sa place soit respectée. Rien que sa place, toute sa place. Mais il y a un dernier mot que je voudrais dire sur l'Autriche, c'est qu'il ne faut pas, il n'est pas acceptable que l'Autriche tente de prendre en otage les discussions sur la Conférence intergouvernementale. Je ne vois pas l'intérêt pour l'Autriche de le faire. M. Schussel et Mme Ferrero-Waldner n'arrêtent pas de répéter que l'Autriche est un grand pays européen. Ce n'est pas en bloquant une négociation qu'ils le montreront et ça, c'est le danger de la consultation populaire.
Q - La pression d'Haider ?
R - Absolument, d'autant que cette consultation populaire, je le rappelle, c'est six questions différentes. Si la prochaine réforme ne permet pas, par exemple, la prochaine levée des sanctions alors les choses seront ennuyeuses.
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Q - Quand on voit l'étrange indifférence des Français par rapport au débat sur le quinquennat, comment pensez-vous intéresser les gens aux réformes des institutions européennes alors que déjà, ils ne s'intéressent pas tellement aux réformes des institutions françaises ?
R - J'avoue que la chose est tout à fait complexe, l'Europe souffre en France d'un certain éloignement. Il y a un paradoxe, les Français sont de plus en plus européens, on ne le sait pas assez. Il y a un désir d'Europe et pour moi, ce désir d'Europe je l'analyse justement en liaison avec l'optimisme et la croissance retrouvés. Le fait que la croissance soit là, que la confiance soit là, induit de façon quasi mécanique qu'on se dit "bon, maintenant, il faut passer à l'étape supérieure". Quand les Français vont bien, que la France va bien, l'Europe va bien. En même temps, il y a un très grand éloignement de cela mais ce n'est pas parce que ce débat est difficile à comprendre pour les Français. Si nous ne sommes pas capables de réformer les institutions européennes, alors la France elle-même marchera moins bien, parce que c'est l'Europe qui sera défaite. Cest tout simplement cela. Et c'est pour cela que ce débat, qui est relancé par Joschka Fischer, après Jacques Delors, après d'autres, auquel j'ai apporté ma contribution, est un débat crucial pour notre avenir. Pour le dire encore différemment, je suis sûr qu'en 2002, au moment des élections législatives, on parlera beaucoup de l'Europe, parce que l'Europe n'est plus une affaire étrangère. L'Europe est une affaire intérieure parce que le vivre ensemble en Europe, c'est notre vivre ensemble en France, tout simplement.
(...)
Q - Revenons à vos dossiers, l'Europe, combien de temps Tony Blair va-t-il tenir cette position mi-chèvre, mi-choux, en tout cas selon vous, sur la question de l'euro ?
R - J'espère le moins longtemps possible. Je note qu'il s'est un peu avancé ces derniers temps d'une part, et que d'autre part, la Grande-Bretagne satisfait à peu près aux critères de l'euro. Je suis très partisan de l'entrée de la Grande-Bretagne dans l'euro et je pense que cela simplifiera aussi d'ailleurs notre débat institutionnel sur l'Europe, parce que sinon, la question de savoir, si la Grande-Bretagne est ou n'est pas dans l'avant-garde, dans le groupe pionnier, dans le coeur, est une question posée et je suis favorable à ce qu'elle y soit. Je vois surtout que sur toute une série de sujets nous ne pouvons pas avancer sans les Anglais - je pense à la défense - et en même temps, la non-appartenance de la Grande-Bretagne à l'euro pose cette question. Je ne souhaite pas que nous allions vers de nouvelles fractures en Europe. Donc, je dis à Tony Blair " oui Tony, vas-y maintenant, prononce-toi " tout en sachant qu'il y a une opinion publique extrêmement réticente en Grande-Bretagne.
Q - Parce que vous le tutoyez ?
R - Oui, il parle bien français. Il a travaillé dans une société d'assurances.
Q - Est-ce que vous avez l'impression à la suite du discours de M. Fischer, puis celui de M. Chirac, que le moteur franco-allemand est relancé ?
R - Complètement, et pas seulement par ces deux discours, parce que nous avons eu à Rambouillet une discussion à plusieurs, une dizaine, parce que nous avons eu également un très bon sommet franco-allemand à Mayence, parce que la visite d'Etat, en Allemagne, à Berlin, a été un succès et tout cela fait qu'effectivement, aujourd'hui, la France et l'Allemagne parleront de la même voix. Par exemple, demain, nous avons le premier Conseil des ministres consacré à la CIG, nous défendrons les mêmes positions et cela est tout à fait nouveau. Depuis Amsterdam, cela n'existait plus. Nous avions des relations qui étaient bonnes, qui tournaient bien mais qui n'avaient peut-être pas ce surplus de flamme. La flamme est là, le couple franco-allemand est de retour, et pour l'Europe c'est une bonne nouvelle.
Q - Comme Kohl-Mitterrand, on est là, Schroeder-Chirac, c'est pareil ...
R - Les hommes sont un peu différents. En plus, on est trois là : Schroeder, Chirac, Jospin.
Dans les ménages à trois, on est toujours deux et un mais jamais trois à la fois en général ...
Vous savez, je suis très vertueux. Je n'ai pas cette expérience.
Q - Monsieur Moscovici, tout à l'heure, vous disiez que vous tutoyez M. Tony Blair. Joschka Fischer, vous le tutoyez?
R - Oui.
Q - Est-ce que vous lui dites "Arrête, arrête" parce qu'il a encore fait une déclaration qui va au-delà de ce qu'il a dit, il a quelques jours, je crois que c'était le 12 mai, il propose les Etats-Unis d'Europe et puis il propose un Président de l'Europe élu par un collège des grands électeurs désignés au suffrage universel dans chaque Etat, ce président qui choisit ses ministres, son gouvernement dans les Etats et la Commission de Bruxelles placée, quand cela se fera, à terme si cela se fait, sous l'autorité de ce président-là.
R - Je ne lui dis pas "Arrête" mais je trouve que cela illustre bien ce que je disais au début, à savoir qu'il faut être capable de distinguer les deux temps, parce que si on est sans arrêt dans les six mois qui viennent, à la fois en train de faire une CIG difficile, aride, modeste mais indispensable et en train de lancer de nouvelles idées alors on court un double risque. On court d'abord le risque de ridiculiser ce qui est en train de se faire et que de toute façon, à Nice, on nous dise tout cela est, pardonnez-moi le : terme " du pipi de chat ", et que cela ne sert à rien. Et on décrédibilise le travail qui est en train de se faire, ce qui n'est pas une bonne chose. Et puis, le deuxième risque est qu'on peut faire peur aux Etats-membres, ceux qui n'ont pas envie d'entendre parler de fédéralisme, d'avant-garde, d'Europe à deux vitesses, les Danois, les Anglais, etc. Donc je crois qu'il ne faut pas en rajouter dans la période. Honnêtement, je ne lui dirai pas "arrête", je lui dirai "tu as raison de poser des problèmes, mais revenons y calmement après la CIG, après la réforme institutionnelle" et c'est exactement ce que disait Lionel Jospin dans cette affaire. Respectons les deux temps, réussissons la présidence française et sur cette pierre, alors nous pourrons bâtir une belle Europe.
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Q - Quelle signification a des vacances pour un ministres des Affaires européennes en ce moment ?
R - Décevante. Puisque justement, il y a la présidence, et que je suis pris pratiquement jusqu'au 1er août. Et à partir du 15 août, je reprends ... ()./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 août 2000)