Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, à France-inter le 23 septembre 2003, sur le débat entre la France et la Commission européenne à propos du plan de sauvetage d'Alstom, le respect des règles du Pacte de stabilité et de croissance et le rôle de l'UDF au sein de la majorité.

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Média : France Inter

Texte intégral

A qui la faute ? Faut-il parler du juridisme de la Commission de Bruxelles, de l'arrogance française ?
Tout d'abord retenir ce matin qu'on en est sorti. Il y a un plan conforme, non pas aux règles de Bruxelles, mais aux règles que nous nous sommes nous-mêmes fixés.
Ce qu'il y a d'inquiétant et d'injuste, dans le débat entre les autorités françaises et européennes, quels que soient les gouvernements, c'est que nous faisons croire que Bruxelles a une loi qui nous gênerait, alors que c'est nous qui l'avons fixée. Aucune décision européenne n'a jamais été prise sur aucun sujet sans l'accord des autorités françaises et, le plus souvent, à la demande de celles-ci. Il faut le dire pour éviter les faux procès. Je me réjouis que sur Alstom on ait trouvé un accord qui réponde à ces règles-là, car c'est un accord de prudence. Alstom est sauvé et peut-être les risques pour l'avenir sont-ils moindres.
Un accord a été trouvé, sauf qu'il est soumis à un aval qui sera donné définitivement dans plusieurs mois. Alain Juppé le disait hier dans une tribune, cela pose la question de confiance. Quelle confiance peuvent avoir les investisseurs dans un plan, sans savoir s'il est pérenne, assuré ?
Le meilleur service qu'on puisse rendre à Alstom est de garantir son avenir sans multiplier les questions autour de l'entreprise. Je veux dire que ceux qui prendraient soin de bien souligner des difficultés éventuelles vont à coup sûr créer des difficultés réelles. L'exercice de la responsabilité est de dire, qu'il y a un accord qui garantit l'avenir avec l'intervention des banques, et c'est la moindre des choses que l'on puisse obtenir, et de faire en sorte que l'on travaille tous ensemble à l'avenir d'Alstom.
On ne ferme pas les yeux, mais on se décide d'y aller, comme le disait le Président de la République l'autre jour, le volontarisme. Est-ce que cela va suffire tout le temps et qu'est-ce que cela va laisser comme traces ? Et d'ailleurs, comment se fait-il qu'en quatre jours, on ait trouvé une solution alors que, depuis le 6 août dernier, on pouvait peut-être réfléchir à différentes formules ?
Évidemment, c'est la bonne approche et c'est la bonne question. On vient de vérifier que si les autorités françaises avaient pris soin d'observer la bonne approche, c'est-à-dire de discuter avec leurs interlocuteurs de la Commission européenne avant d'annoncer le plan, on aurait à coup sûr trouvé une solution. Ce qui est en cause c'est ceci : on dit très souvent dans les déclarations françaises, et ce n'est pas la première fois, " Bruxelles " comme si c'était l'étranger. Or Bruxelles, c'est nous, l'Europe c'est nous. Il n'y a pas d'autre avenir pour la France dans le domaine économique, dans le domaine industriel, dans le domaine de la recherche, dans le domaine de la défense et je crois de la diplomatie aussi, que de construire une Europe qui soit vraie, qui soit forte et qui vaille la peine. Donc, si en France, il y a des hommes qui croient à cette idée de l'avenir de l'Europe, il importe qu'ils ne présentent pas les autorités européennes comme des étrangers et même des adversaires.
Est-ce que cette affaire d'Alstom fait à vos yeux jurisprudence au moment où l'Union européenne est dans un passage difficile pour elle ? Est-ce qu'on parle comme Alain Juppé de l'acharnement de la Commission ? Est-ce qu'on demande à la Commission plus de souplesse et un peu moins de rigidité pour s'adapter aux enjeux économiques et à la concurrence des États-Unis et de la Chine ? Qu'est-ce qu'on fait ?
La Commission, c'est nous. La Commission n'a aucune autre mission que de faire respecter les règles que nous avons fixées. C'est comme si un législateur, un parlementaire, votait une loi et après allait faire un procès au gendarme qui fait respecter la loi qu'il a lui-même votée. C'est d'autant plus péjoratif, pénible, cela menace d'autant plus l'avenir, qu'il n'y a pas d'autre chemin que de bâtir cette Europe-là. Vous voyez bien le Monde comme il est, vous voyez bien la Chine qui arrive avec, c'est vrai, des distorsions de concurrence absolument terribles, des heures travaillées qui sont quarante fois moins chères que les nôtres. Est-ce qu'en face de cette nouvelle concurrence des États-Unis, nous avons un autre chemin que de bâtir cette force européenne dont on a besoin. Je ne le crois pas. Je pense qu'il n'y a pas de responsable au sens plein du mot qui puisse aujourd'hui être autre chose qu'européen en France. Cela veut dire qu'il faut que nous arrêtions de faire un procès à notre propre forteresse. Il faut que nous arrêtions de démolir, de saper les murs de la maison parce que si la maison nous tombe sur la tête, c'est nous qui allons être sous les ruines.
La Commission, c'est nous, en effet. Qu'est-ce qu'on fait ? On s'assoit sur les règles fixées par la Commission. La France et l'Allemagne, le moteur de la construction européenne, trouvent chacune de leur côté des arrangements avec le pacte de stabilité. Que se passe-t-il ?
Si nous voulons un jour changer les règles, il faut commencer par être fidèles à la parole que nous donnons. Ce qui s'est passé sur le déficit et avec lequel je n'ai pas été d'accord, c'est que nous avons nous-mêmes annoncé que nous ne respecterions pas les règles que nous avions exigées. Alors, ce jour-là, tous les autres pays européens disent " mais si la France ne respecte pas la parole qu'elle donne, la parole, à l'avenir, n'aura plus de sens ". Or, en Europe, la seule chose qui protège le lien entre les pays européens, c'est que la parole qu'on donne, on la respecte. Et vous voyez que ce qui apparaît comme de petites entorses, il y a en réalité de grandes menaces. Petites causes, grands effets. Si vous manquez à la parole sur ce point, plus personne ne fera confiance à votre parole sur les autres et donc il y a beaucoup dans les enjeux que nous jouons aujourd'hui de notre avenir partagé.
Vous prenez vos distances, là, avec le gouvernement ? On n'aura pas beaucoup de temps pour parler des régionales et des européennes, on en reparlera le moment venu. Vous allez présenter des candidats, y compris peut-être en Ile-de-France face à Jean-François Copé, M. Santini
Face aux Franciliens, le sortant est à gauche
vous savez bien comment l'UMP va recevoir cela. C'est l'UDF qui sort son sabre.
C'est exactement la même chose que ceux qui disent qu'il ne faut pas que la France s'exprime à l'ONU parce que les États-Unis ont pris une autre position. Dans une situation comme celle où la France est, en effet on ne peut pas croire qu'un parti qui a déjà tous les pouvoirs a raison sur tout. Je crois au contraire qu'aujourd'hui - on parle une seconde de ce qui va se passer aujourd'hui - la France a besoin de clarté et les signaux que le gouvernement a envoyés ces dernières semaines ne sont pas clairs. Quand on fait une grande campagne de communication sur la baisse des impôts sur le revenu pour les tranches les plus élevées, on ne peut pas le lendemain augmenter le gazole pour ceux qui travaillent et le surlendemain supprimer les allocations chômage pour les chômeurs en fin de droits. Quand on fait cela, à mon sens, on envoie au pays des signaux qui sont impossibles à comprendre pour les uns, au mieux, et très inquiétants pour les autres. Il faut bien qu'il y ait dans la majorité, c'est-à-dire dans ceux qui voudraient que la France se redresse dès maintenant, une voix libre pour dire tout haut ce que la plupart des responsables de l'UMP - vous le savez bien - disent tout bas, chuchotent. Nous, nous avons gagné la liberté de parler et c'est très important parce que si les avertissements ne sont pas entendus aujourd'hui, alors je crains de graves conséquences pour demain.
Un dernier mot sur votre liberté de parole. Gilles de Robien qui est au gouvernement ne doit pas trouver la liberté de parole très confortable à l'UDF ?
Ce que Gilles de Robien a fait notamment en matière de sécurité routière, mérite qu'on le salue et qu'on le soutienne. Ce n'est pas seulement par amitié que je le dis, c'est parce que c'est quelqu'un de bien et un responsable gouvernemental de premier plan.
(Source http://www.udf.org, le 25 septembre 2003)