Texte intégral
Bonjour François Bayrou. Les troupes américaines sont proches de Bagdad. Des conversations commencent entre Occidentaux pour l'après-guerre. Quel mode de dialogue, à votre avis, la diplomatie française doit-elle trouver avec les Américains ?
Ca ne sera pas facile. La situation est extrêmement tendue. Alain Duhamel rappelait à l'instant le climat extraordinairement agressif à l'égard de la France qui règne aux Etats-Unis. Je pense que la diplomatie française aujourd'hui, son intérêt, et peut-être l'avenir, c'est de choisir la vision la plus européenne possible. C'est en passant par une proposition européenne, forte, que nous aurons la chance d'équilibrer dans le monde de l'avenir la puissance américaine, qui elle-même va rencontrer des difficultés en Irak.
Quand Jean-Pierre Raffarin dit que la guerre en Irak n'a pas créé de failles en Europe, qu'il y a toujours eu un contact maintenu, même avec les pays comme l'Angleterre, ou l'Espagne, où le gouvernement est aligné sur les Etats-Unis.
Ca c'est du langage diplomatique. La vérité est qu'il y a une crise européenne gravissime, que cette crise européenne nous a entraînés à oublier les engagements que nous avions déjà pris. Nous avions promis-juré au moment du traité de Maastricht que nous ferions notre politique européenne ensemble. On a fait le contraire, et l'Europe s'est profondément divisée. Et lorsque l'Europe est profondément divisée, on le voit bien, elle ne compte pas. Et donc, il ne devrait y avoir aujourd'hui rien de plus urgent pour nous, que de repenser le projet européen. Non pas de garder le même en faisant semblant de changer de rythme, mais de repenser le projet européen, pour répondre simplement à la question : que voulons-nous faire ensemble ?
Ce n'est pas ce que fait le président et le gouvernement ?
Eh bien j'espère que d'ici quelques semaines ou quelques mois, ils prendront en compte ce qui est à mes yeux un impératif.
Dans ce que disait Jean-Pierre Raffarin - on y faisait allusion tout -à l'heure - il y avait aussi le mode de scrutin, cette réforme du gouvernement Raffarin à laquelle vous vous étiez opposé, parce que vous expliquiez que c'était une façon d'installer l'hégémonie de l'UMP, au détriment de l'UDF. Et puis donc le conseil constitutionnel hier a annulé cette réforme, pour vice de procédure, un motif de procédure en tout cas. vous êtes content bien sûr.
Oui, c'est une grande victoire pour tous ceux qui avaient fait de la défense du pluralisme leur but et leur choix. Mais vous dites que ça a été annulé pour vice de forme: c'est beaucoup plus profond que cela ! Ca c'est ce que le gouvernement a dit. La décision du conseil constitutionnel c'est tout-à-fait autre chose. Le conseil constitutionnel dit : "toute loi qui irait à l'encontre du pluralisme serait déclarée inconstitutionnelle". Et donc, ceux qui voulaient verrouiller la démocratie française ont perdu, pour aujourd'hui, et pour demain, puisqu'il ne pourra plus y avoir de lois qui portent atteinte au pluralisme. Alors, c'est vrai, c'est un très grand succès. Ce succès a été obtenu par une mobilisation en dehors des frontières habituelles, et vraiment ça me rend très heureux.
Ca dépassait le "droite-gauche". Jean-Pierre Raffarin a annoncé qu'il va représenter à l'Assemblée un texte de réforme qui ne sera pas celui qu'il avait présenté. Il revient, pour simplifier, à 10 % des suffrages exprimés, et dans ces conditions, est-ce que ça vous va ? Est-ce que c'est pour vous une démarche d'apaisement de la part de Jean-Pierre Raffarin ?
Le gouvernement n'avait pas le choix. Parce que s'il avait représenté son texte avec 10 % des inscrits, ce texte aurait été annulé encore plus sèchement qu'il l'a été hier. Mais tout geste d'apaisement mérite une réponse. Et s'il faut un partenaire à l'apaisement, je serai ce partenaire.
Autrement dit, vous voterez le texte tel qu'il arrivera.
J'avais donné mon accord à l'idée qu'un seuil raisonnable de 10 % des voix, pour se présenter au deuxième tour, ne portait pas atteinte au pluralisme, je ne change pas de ligne, parce qu'il faut savoir dire "non", et il faut savoir dire "oui".
Qui est-ce qui a cette volonté de réduire l'UDF, de la faire rentrer dans le rang de parti unique, à votre avis. C'est Jean-Pierre Raffarin lui-même ? Alain Juppé, Jacques Chirac ?
Vous dites : "qui a cette volonté". vous devriez employer le passé, parce que depuis hier, on sait que cette volonté est désormais sans objet. Alors oui, ceux qui avaient conçu l'UMP comme un parti unique, destiné à éradiquer tout ce qui l'entourait, ont perdu la bataille.
Dans les propos hier de Jean-Pierre Raffarin, il y avait aussi un large volet économique et social : continuer à baisser les impôts, ne pas augmenter la CSG... C'est primordial visiblement pour le premier ministre. Qu'est-ce que vous en pensez ?
Tout ce qui va dans le sens des réformes, je l'approuve. tout ce qui va dans le sens de la méthode-Coué, je n'y crois pas ! Par exemple, je ne crois pas que l'on va continuer à baisser les impôts, tout en continuant à dépenser sur un certain nombre de sujets. La crise est si profonde, que je ne crois pas que ces promesses - que j'avais autrefois qualifiées de "mirobolantes" - sont aujourd'hui tenables... Et il me semble en effet que la vérité est le premier pas de la réforme. Sur ce point, je ne crois pas à l'affirmation qui a été faite. Et il me semble qu'il y a plus urgent aujourd'hui à faire.
C'est-à-dire ?
Dans le sens du travail plutôt que la baisse des impôts.
Autrement dit, vous préconisez quoi alors ?
Je pense qu'il faut gérer de manière sérieuse, enfin, la réforme de l'Etat, créer de manière sérieuse la réforme de l'Etat. Je pense que la baisse des charges sur le travail est une priorité. La baisse des impôts, à mes yeux, ne l'est pas.
Et au soir des manifestations qui réclamaient le maintien des systèmes de retraites, Jean-Pierre Raffarin s'est dit déterminé à aller jusqu'au bout de sa réforme. Là vous approuvez ?
Alors, d'abord j'attends de voir ce que sera le contenu de la réforme. Mais sur l'idée que les Français, quels qu'ils soient, doivent avoir les mêmes droits devant la retraite, je dis que c'est une priorité. Et donc je soutiens toute idée qui fera que, à terme, dans six ans, dans huit ans, les Français seront égaux devant la retraite, parce qu'il y a là, non seulement quelque chose qui est infinançable - une crise pour les finances publiques des retraites - mais il y a là, aussi, une injustice. Il n'y a aucune raison de penser qu'un fonctionnaire - je suis un fonctionnaire d'origine - qui a une longue espérance de vie, doive partir à la retraite plus tôt qu'un manoeuvre, qui lui a une espérance de vie plus courte. Et donc, si certains doivent partir plus tôt, c'est ceux qui ont le travail le plus difficile, la vie la plus pénible, et donc l'espérance de vie la plus courte. La grande règle qui doit inspirer la réforme des retraites, c'est non seulement l'efficacité, mais aussi la justice.
Merci François Bayrou.
(Source http://www.udf.org, le 7 avril 2003)
Ca ne sera pas facile. La situation est extrêmement tendue. Alain Duhamel rappelait à l'instant le climat extraordinairement agressif à l'égard de la France qui règne aux Etats-Unis. Je pense que la diplomatie française aujourd'hui, son intérêt, et peut-être l'avenir, c'est de choisir la vision la plus européenne possible. C'est en passant par une proposition européenne, forte, que nous aurons la chance d'équilibrer dans le monde de l'avenir la puissance américaine, qui elle-même va rencontrer des difficultés en Irak.
Quand Jean-Pierre Raffarin dit que la guerre en Irak n'a pas créé de failles en Europe, qu'il y a toujours eu un contact maintenu, même avec les pays comme l'Angleterre, ou l'Espagne, où le gouvernement est aligné sur les Etats-Unis.
Ca c'est du langage diplomatique. La vérité est qu'il y a une crise européenne gravissime, que cette crise européenne nous a entraînés à oublier les engagements que nous avions déjà pris. Nous avions promis-juré au moment du traité de Maastricht que nous ferions notre politique européenne ensemble. On a fait le contraire, et l'Europe s'est profondément divisée. Et lorsque l'Europe est profondément divisée, on le voit bien, elle ne compte pas. Et donc, il ne devrait y avoir aujourd'hui rien de plus urgent pour nous, que de repenser le projet européen. Non pas de garder le même en faisant semblant de changer de rythme, mais de repenser le projet européen, pour répondre simplement à la question : que voulons-nous faire ensemble ?
Ce n'est pas ce que fait le président et le gouvernement ?
Eh bien j'espère que d'ici quelques semaines ou quelques mois, ils prendront en compte ce qui est à mes yeux un impératif.
Dans ce que disait Jean-Pierre Raffarin - on y faisait allusion tout -à l'heure - il y avait aussi le mode de scrutin, cette réforme du gouvernement Raffarin à laquelle vous vous étiez opposé, parce que vous expliquiez que c'était une façon d'installer l'hégémonie de l'UMP, au détriment de l'UDF. Et puis donc le conseil constitutionnel hier a annulé cette réforme, pour vice de procédure, un motif de procédure en tout cas. vous êtes content bien sûr.
Oui, c'est une grande victoire pour tous ceux qui avaient fait de la défense du pluralisme leur but et leur choix. Mais vous dites que ça a été annulé pour vice de forme: c'est beaucoup plus profond que cela ! Ca c'est ce que le gouvernement a dit. La décision du conseil constitutionnel c'est tout-à-fait autre chose. Le conseil constitutionnel dit : "toute loi qui irait à l'encontre du pluralisme serait déclarée inconstitutionnelle". Et donc, ceux qui voulaient verrouiller la démocratie française ont perdu, pour aujourd'hui, et pour demain, puisqu'il ne pourra plus y avoir de lois qui portent atteinte au pluralisme. Alors, c'est vrai, c'est un très grand succès. Ce succès a été obtenu par une mobilisation en dehors des frontières habituelles, et vraiment ça me rend très heureux.
Ca dépassait le "droite-gauche". Jean-Pierre Raffarin a annoncé qu'il va représenter à l'Assemblée un texte de réforme qui ne sera pas celui qu'il avait présenté. Il revient, pour simplifier, à 10 % des suffrages exprimés, et dans ces conditions, est-ce que ça vous va ? Est-ce que c'est pour vous une démarche d'apaisement de la part de Jean-Pierre Raffarin ?
Le gouvernement n'avait pas le choix. Parce que s'il avait représenté son texte avec 10 % des inscrits, ce texte aurait été annulé encore plus sèchement qu'il l'a été hier. Mais tout geste d'apaisement mérite une réponse. Et s'il faut un partenaire à l'apaisement, je serai ce partenaire.
Autrement dit, vous voterez le texte tel qu'il arrivera.
J'avais donné mon accord à l'idée qu'un seuil raisonnable de 10 % des voix, pour se présenter au deuxième tour, ne portait pas atteinte au pluralisme, je ne change pas de ligne, parce qu'il faut savoir dire "non", et il faut savoir dire "oui".
Qui est-ce qui a cette volonté de réduire l'UDF, de la faire rentrer dans le rang de parti unique, à votre avis. C'est Jean-Pierre Raffarin lui-même ? Alain Juppé, Jacques Chirac ?
Vous dites : "qui a cette volonté". vous devriez employer le passé, parce que depuis hier, on sait que cette volonté est désormais sans objet. Alors oui, ceux qui avaient conçu l'UMP comme un parti unique, destiné à éradiquer tout ce qui l'entourait, ont perdu la bataille.
Dans les propos hier de Jean-Pierre Raffarin, il y avait aussi un large volet économique et social : continuer à baisser les impôts, ne pas augmenter la CSG... C'est primordial visiblement pour le premier ministre. Qu'est-ce que vous en pensez ?
Tout ce qui va dans le sens des réformes, je l'approuve. tout ce qui va dans le sens de la méthode-Coué, je n'y crois pas ! Par exemple, je ne crois pas que l'on va continuer à baisser les impôts, tout en continuant à dépenser sur un certain nombre de sujets. La crise est si profonde, que je ne crois pas que ces promesses - que j'avais autrefois qualifiées de "mirobolantes" - sont aujourd'hui tenables... Et il me semble en effet que la vérité est le premier pas de la réforme. Sur ce point, je ne crois pas à l'affirmation qui a été faite. Et il me semble qu'il y a plus urgent aujourd'hui à faire.
C'est-à-dire ?
Dans le sens du travail plutôt que la baisse des impôts.
Autrement dit, vous préconisez quoi alors ?
Je pense qu'il faut gérer de manière sérieuse, enfin, la réforme de l'Etat, créer de manière sérieuse la réforme de l'Etat. Je pense que la baisse des charges sur le travail est une priorité. La baisse des impôts, à mes yeux, ne l'est pas.
Et au soir des manifestations qui réclamaient le maintien des systèmes de retraites, Jean-Pierre Raffarin s'est dit déterminé à aller jusqu'au bout de sa réforme. Là vous approuvez ?
Alors, d'abord j'attends de voir ce que sera le contenu de la réforme. Mais sur l'idée que les Français, quels qu'ils soient, doivent avoir les mêmes droits devant la retraite, je dis que c'est une priorité. Et donc je soutiens toute idée qui fera que, à terme, dans six ans, dans huit ans, les Français seront égaux devant la retraite, parce qu'il y a là, non seulement quelque chose qui est infinançable - une crise pour les finances publiques des retraites - mais il y a là, aussi, une injustice. Il n'y a aucune raison de penser qu'un fonctionnaire - je suis un fonctionnaire d'origine - qui a une longue espérance de vie, doive partir à la retraite plus tôt qu'un manoeuvre, qui lui a une espérance de vie plus courte. Et donc, si certains doivent partir plus tôt, c'est ceux qui ont le travail le plus difficile, la vie la plus pénible, et donc l'espérance de vie la plus courte. La grande règle qui doit inspirer la réforme des retraites, c'est non seulement l'efficacité, mais aussi la justice.
Merci François Bayrou.
(Source http://www.udf.org, le 7 avril 2003)