Déclaration de Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies, sur le droit de l'espace à l'Assemblée nationale le 13 mars 2003.

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  • Claudie Haigneré - Ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies

Circonstance : Rencontres parlementaires "Quel environnement juridique pour les activités spatiales" à l'Assemblée nationale le 13 mars 2003

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les Présidents et Directeurs,
Mesdames et Messieurs les Professeurs,
Mesdames et Messieurs et surtout chers amis,

Laissez-moi tout d'abord vous dire la joie et l'honneur que j'éprouve à être parmi vous aujourd'hui, dans un exercice, je dois l'avouer, assez inédit pour un ministre en charge de l'espace, qui consiste à aborder les questions juridiques.
Vous savez combien l'espace est un sujet important au sein de notre politique nationale de recherche et d'innovation. C'est, en outre, un sujet stratégique qui touche désormais de très nombreux aspects de la vie de notre pays, de l'Union européenne, comme de chacun de nos concitoyens. Vous savez aussi combien le sujet mérite notre attention, à la fois en raison des difficultés que ce secteur traverse et des perspectives de progrès qu'il recèle.
Cette rencontre est pour moi l'occasion de partager avec vous quelques réflexions pour que l'ensemble des questions spatiales, qu'elles touchent à la société, à l'économie, aux institutions ou au droit, soient désormais pleinement intégrées dans une véritable politique spatiale.
Je connais déjà l'intérêt de nos partenaires européens pour ces aspects, que ce soit à l'ESA, à la Commission européenne, en Italie ou en Allemagne. Je me félicite de la participation de nombreux experts étrangers à nos travaux. Cette coopération nous encourage à renforcer les perspectives d'harmonisation du droit de l'espace entre Etats.
Cette manifestation pose le premier jalon d'une adaptation du dispositif juridique en vigueur dans notre pays - compte tenu des évolutions profondes qui ont marqué le secteur spatial ces dix dernières années.
Cette réflexion est née à la suite de la privatisation des grands opérateurs européens (Arianespace, Eutelsat, Aérospatiale, Spot Image...) et de l'émergence de systèmes spatiaux privés ou semi-privés dont il fallait prendre en compte les droits et obligations - et particulièrement dans leurs relations avec les Etats " responsables ".
Cet exercice d'inventaire s'est achevé en 2002 dans une conjoncture industrielle et commerciale devenue particulièrement sombre, tant pour les satellites que pour les lanceurs, dans une Europe spatiale durement éprouvée par l'échec du lanceur Ariane V 517, le ralentissement du marché des télécommunications et les incertitudes sur le maintien de l'identité européenne d'Eutelsat.
Notre défi est aujourd'hui de parvenir, dans un délai rapproché, à des propositions concrètes, législatives ou réglementaires, qui devront être intégrées dans notre droit. Cet exercice doit trouver son prolongement naturel dans un cadre institutionnel et juridique européen, en conjonction avec l'Union européenne, l'Agence spatiale européenne et nos principaux partenaires.
Le sujet que nous abordons aujourd'hui rappelle à nos esprits l'importance des questions réglementaires dans le secteur spatial : il s'agit que l'Union puisse légiférer dans ce domaine et c'est avec cette nécessité, entre autres, que nous proposons d'inscrire, j'y reviendrai, une compétence partagée pour l'espace dans la nouvelle constitution de l'Union.
Je salue donc la direction de la technologie du Ministère d'avoir su initier et conduire, conjointement avec le CNES et sur la base d'une large consultation interministérielle, mais aussi ouverte à l'industrie, aux utilisateurs et aux plus grands spécialistes, une étude remarquablement informée sur l'évolution du droit de l'espace en France - texte que j'ai eu l'honneur de préfacer récemment.
Ce rapport met en évidence une multiplicité d'enjeux fondamentaux, qu'ils touchent à la construction de l'Europe spatiale, à des aspects stratégiques, de sécurité ou de défense, enfin, plus globalement, au lien capital entre le droit de l'espace et les enjeux de souveraineté.
Le maintien pour la France et pour l'Europe de leur statut de puissance spatiale de premier rang suppose que soit menée à bien, à côté des nécessaires efforts budgétaires et technologiques, la clarification du régime juridique propre aux activités spatiales - qu'il s'agisse du lancement et de l'immatriculation d'objets spatiaux ou de la surveillance des activités spatiales dans leur ensemble.
Un système de licence pour les activités spatiales, pourrait également permettre un meilleur encadrement juridique de ces activités, tout en les favorisant et en précisant les questions liées à la responsabilité de l'Etat.
Il me paraît également important de favoriser l'accès au marché pour les entreprises - dans le respect d'une saine concurrence grâce à un environnement juridique approprié.
Dans cet objectif, il conviendrait selon les cas, de préciser ou d'adapter, compte tenu de la spécificité des activités spatiales, certaines branches du droit français, voire européen.
Je pense en particulier au droit de la propriété intellectuelle, au droit de propriété des biens corporels, au droit des sûretés réelles, au droit de la responsabilité civile et contractuelle et des assurances.
Le renforcement du droit européen relatif aux activités spatiales a été considéré dans sa juste dimension, notamment en matière de libre concurrence, de privatisations, et de règles applicables au secteur des applications. Je citerais les services de télécommunications, de télédiffusion, d'observation et de navigation par satellite où se manifeste déjà aujourd'hui une intervention normative communautaire prépondérante. Je n'oublie pas non plus l'évolution juridique, nationale et européenne, du concept de service public et de ses nouveaux dérivés, notamment à la lumière des expériences de Galileo et du GMES.
Surtout, le rôle politique de l'Union européenne doit s'affirmer.
Alors que la Commission finalise un livre vert sur l'espace, la réforme des institutions de l'Union et la rédaction d'un nouveau traité nous offrent l'opportunité de porter l'inscription d'une compétence spatiale parmi les compétences de l'Union européenne.
Au nom du Gouvernement, je suis particulièrement attachée à l'inscription d'une telle compétence communautaire.
Je me réjouis donc que la question institutionnelle européenne ait été abordée ici dans la perspective des solutions juridiques qui permettront une coopération stable et approfondie entre l'Agence spatiale européenne et l'Union européenne. Je vous invite donc à poursuivre vos travaux en ce sens, en collaboration avec nos partenaires européens.
J'ajoute que je suis extrêmement sensible, en tant que médecin, astronaute et ministre chargée de la recherche à l'intérêt porté ici aux questions éthiques.
Je suis convaincue que le progrès scientifique et technologique dans le domaine spatial et les questions culturelles et politiques qui en découlent doivent se fonder, ici comme dans toutes les autres branches de la recherche et développement, sur une démarche éthique.

Mesdames, Messieurs,
Vos travaux vous permettront d'aborder nombre de questions fondamentales. Je serai attentive à toutes vos propositions et je vous encourage à faire preuve de créativité, d'ambition, dans un esprit de consensus et de lucidité.
Je tiens à vous préciser quelques orientations prioritaires à mes yeux qui doivent guider vos réflexions - sans cependant anticiper sur la prochaine communication que je ferai au Conseil des Ministres sur notre politique spatiale.
Je veux parler de la nécessité d'élaborer un cadre juridique national spécifique des activités spatiales ; du maintien d'une compétence nationale associé à l'idée que la construction d'une Europe spatiale doit nous servir de fil directeur.
Votre travail nous permettra d'engager, avec l'accord du Premier ministre, toutes les consultations utiles en vue d'aboutir, dans les mois à venir, à des propositions concrètes de textes législatifs et réglementaires. A cet effet, je compte notamment sur le soutien et l'expertise de la section du rapport et des études du Conseil d'Etat.
Cet approfondissement devra également se prolonger à l'échelle européenne, que ce soit au sein de l'Union européenne, de l'Agence spatiale européenne, et de leurs Etats-membres respectifs.
Je m'y attacherai en personne.
Je souhaite saluer ici l'ensemble des organismes, experts et acteurs du secteur spatial ou du secteur juridique qui ont participé à cette remarquable réflexion.
Plus que jamais il importe que cette mobilisation se poursuive tant à l'échelle nationale qu'européenne. Nous avons besoin de sécurité juridique pour faciliter le développement de l'usage de l'espace et encourager les prises de responsabilités des entrepreneurs.
Vos efforts à tous sont et seront une contribution essentielle à la définition d'une politique spatiale résolue, visionnaire, ambitieuse et lucide pour notre pays et la construction de l'Europe spatiale.
Je vous remercie de votre attention.

(Source http://www.recherche.gouv.fr, le 19 mars 2003)