Interview de M. Alain Bocquet, président du Groupe des députés communistes et républicains à l'Assemblée nationale, à LCI le 13 juin 2003, sur la position du PCF dans le débat sur la réforme des retraites.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A. Hausser-. Avant de parler du débat sur les retraites, on va parler de ceux qui vont bientôt payer pour nos retraites, c'est-à-dire les étudiants qui passent le Bac. Vous formulez vos voeux pour que le Bac se passe bien ?
- "Je forme le voeu que la Bac se passe partout, dans tous les établissements de France, de la meilleure manière qui soit, parce que les étudiants et les lycéens qui ont travaillé toute l'année ont besoin de réussir ces examens pour préparer leur avenir. Il y a le mouvement qui doit se mener, mais pas en prenant en otages les examens, cela n'a jamais été ma religion."
C'est ce que vous avez demandé aux enseignants qui vous sont proches ?
- "Tout à fait, tous ceux qui me sont proches, les enseignants communistes en particulier, sont décidés à faire leur travail, pour que les élèves et les jeunes puissent assurer leur avenir."
Sur les retraites, hier, vous étiez à la tribune, pendant 1h20, pour défendre la question préalable, c'est-à-dire une procédure pour empêcher le débat de progresser. Elle a été rejetée, ce qui n'est pas surprenant. Le Parti communiste a une attitude plus constructive que le Parti socialiste dans ce débat, avec 8.000 amendements ?
- "La question préalable n'avait pas pour but d'empêcher que le débat progresse, elle avait pour but que le débat avance au contraire. Le Gouvernement, le Premier ministre, le ministre M. Fillon répètent, à qui veut les entendre, qu'il n'y a pas d'autres alternatives que la proposition faite par le Gouvernement. Et nous nous inscrivons en faux contre cette théorie. D'ailleurs, le ministre M. Fillon a reconnu lui-même que les communistes avaient des contre-propositions cohérentes. Nous lui avons remis un projet, nous l'avons défendu hier, dans le cadre des débats et du début de la discussion. Et nous le défendrons dans le cadre de la bataille d'amendements qui s'annonce très fournie. Il faut réformer, ça c'est clair, on ne peut pas continuer dans la situation actuelle. Mais quelle réforme faut-il pour les retraites ? Il faut une réforme qui pérennise la tradition française de la répartition, fondée sur la solidarité intergénérationnelle et nationale."
Les garanties données par le Premier ministre et par le ministre des Affaires sociales ne vous satisfont pas ?
- "Non, ils parlent de répartition pour mieux introduire la notion de capitalisation et faire rentrer les fonds de pension. Le loup de la capitalisation va rentrer dans la bergerie de la retraite par répartition. C'est ça le fond, quand on regarde le texte de loi dans le détail. Et ça, les Françaises et les Français n'en veulent pas, deux sur trois le disent dans les enquêtes d'opinion, ils le disent dans les manifestations, ils le disent dans les débrayages et dans les grèves. Et nous, parlementaires communistes, nous nous battons à partir de cette mobilisation sociale, forte, pour faire avancer un autre projet, qui garantisse la retraite pleine et entière à soixante ans - elle est remise en cause dans le projet Fillon -, qui ramène l'équité entre le public et le privé - 37,5 annuités, c'est notre bataille -, qui fait en sorte d'augmenter les pensions... Alors, vous allez me dire, comment va-t-on financer cela ? Est-ce que vous savez qu'un million d'emplois, c'est 20 milliards de cotisation vieillesse. Et on a trois millions de chômeurs en France. Faites le compte. Si on n'a pas une politique de plein emploi, on ne crée pas les conditions de cotisation sociale. Trois millions de chômeurs, ce sont trois millions de cotisants en puissance."
Mais il y a une chose que je ne comprends pas bien chez vous : vous parlez de 37,5 ans, alors qu'il y a l'allongement de la vie !
- "Mais quand on a 55 ans, on a 55 ans, on va vivre plus vieux, c'est clair, mais vous imaginez une infirmière de 60 ou 62 ans dans les hôpitaux, au rythme de travail qu'elles connaissent..."
La fonction hospitalière n'est pas incluse...
- "Mais cela va suivre, la boîte de Pandore est ouverte. C'est évident qu'on va faire travailler les gens plus longtemps, et d'ailleurs pour gagner moins quand ils seront en retraite. J'ai vu un reportage sur les retraités de Grande-Bretagne, dans un journal télévisé quelconque. On présentait des papies de 70 ans, qui avaient un minimum vieillesse et qui étaient contraints d'aller faire des petits boulots dans les stations services, dans les succursales de supermarchés, pour essayer de compléter leurs revenus, pour survivre, disaient-ils. Un gouvernement qui supprime les emplois-jeunes, va-t-il lui aussi nous créer demain les "emplois vieux", comme en Grande-Bretagne ? Ce modèle-là, nous n'en voulons. Il y a un modèle français, exceptionnel, qui est un modèle de solidarité. Et il faut continuer à le défendre. C'est ce que nous faisons à l'Assemblée nationale."
Avec assez peu de chance d'y arriver...
- "Mais tout est possible. Il y a un mouvement social dont nul ne peut dire aujourd'hui comment il va évoluer. Il est souhaitable qu'il s'exprime avec force, qu'on ne s'enferme pas dans le seul débat parlementaire. Je considère que le débat parlementaire actuel est un débat qui ne doit pas trancher la question, qu'il faut surseoir le vote. J'ai proposé, hier à la tribune de l'Assemblée nationale, qu'on organise un grand rendez-vous, un "Matignon des retraites". Il y a eu deux grands rendez-vous dans l'histoire sociale de la France : 1936, un sommet et un accord de Matignon, pour les premiers congés payés et les 40 heures ; il y a eu 1968, pour l'augmentation des salaires et la reconnaissance de la section syndicale en entreprise. Eh bien, je propose qu'en 2003, il y ait un "Matignon des retraites", sous l'autorité du Premier ministre, avec tous les représentants du monde syndical - qui ont été évacués, il n'y a pas eu de concertation réelle -, pour décider d'une solution, d'un projet de réforme qui fasse le consensus."
Vous contestez le droit à la représentation nationale de légiférer ?
- "Non, que la représentation nationale légifère en fonction d'un accord consensuel ! Les représentants du monde du travail, majoritaires, ne sont pas d'accord avec ce projet de loi gouvernemental. Et quand on regarde les élections prud'homales, on s'aperçoit que cela fait quand même 65 % de votants. 65 %, cela compte, je l'ai dit hier à l'Assemblée, on ne peut l'évacuer comme ça."
Allez-vous faire obstruction au débat ?
- "On ne va pas faire obstruction, on va faire construction."
Etes-vous prêt à siéger tout l'été, s'il le faut ?
- "Jour et nuit, le Premier ministre a dit qu'il était prêt à discuter tout l'été ; eh bien, discutons tout l'été. Un projet qui concerne l'avenir, pour 50 années, mérite bien qu'on deux ou trois mois pour trancher. Tranchons la question à l'automne, en ayant pris toutes les garanties de réflexion, pour un projet qui est un projet de société. Ou la société évolue, progresse vers une civilisation plus moderne, plus progressiste, ou alors il y a un blocage et un retour en arrière."
Pourquoi tout l'été ? Le Gouvernement prépare la réforme depuis un an...
- "J'ai cru comprendre que les Français n'en voulaient pas. Quand il y a des milliers et des centaines de milliers de manifestants dans les rues, comme aujourd'hui encore à Marseille, c'est qu'il se passe quelque chose. Il faut entendre le pays, il faut tirer jusqu'au bout les enseignements de ce qui s'est passé l'an dernier, le 21 avril."
Mais le mouvement s'essouffle quand même ?
- "Le mouvement ne s'essouffle pas. La lutte est profonde, il y a une lame de fond dans le pays, elle s'exprime d'une manière diversifiée. On ne manifeste pas tous les jours, on ne fait pas grève tous les jours, mais je peux vous dire qu'il y a un fort mécontentement et une forte exigence dans le pays, d'un autre projet de réforme."
Il s'est produit à l'Assemblée et hors de l'Assemblée. D'abord, les députés communistes ont chanté l'Internationale ; cela ne s'était pas vu depuis 1947...
- "Il ne faut pas s'en offusquer..."
Personne ne s'en offusque, mais...
- "Si, le Premier ministre s'en est offusqué, mais l'Internationale est un patrimoine français, c'est une chanson française, qui a été créée par le poète de la Commune, Eugène Pottier, dont la musique a été écrite par un ouvrier Lillois, Pierre Degeyter, qui a fait le tour du monde. Et, comme je l'ai dit hier, dans un rappel au règlement de l'Assemblée nationale, des communistes et des progressistes se sont fait tuer pour défendre la France pendant la guerre, en chantant l'Internationale, mais ils y mêlaient la Marseillaise."
A propos de cette Marseillaise, J.-P. Raffarin en a voulu aux députés socialistes de ne pas s'être levés, quand les députés UMP ont entonné la Marseillaise...
- "Nous nous sommes levés et nous avons chanté la Marseillaise aussi."
Les socialistes se sont beaucoup indignés de sa phrase "les socialistes préfèrent leur parti à leur patrie". Est-ce que le Premier ministre aurait dû s'excuser ou est-ce que les regrets, dont il a fait état, sont insuffisants ?
- "Une première chose : les propos du Premier ministre sont inacceptables, intolérables. Quand on est Premier ministre, on ne tient pas de tels propos, qui sont excessifs, qui ont quand même des relents inquiétants. Cela étant dit, ensuite, il est de son devoir de s'excuser ou pas [sic]. Mais ce sur quoi je veux m'exprimer à ce propos, c'est qu'il ne faut pas que les choses dérivent et qu'on oublie le débat de fond sur les retraites, un peu comme le proverbe chinois le dit : "Quand le doigt montre la Lune, l'imbécile regarde le doigt". Ne tombons pas dans la politique politicienne, pour évacuer la vraie question de société qu'est la défense de la retraite à 60 ans et sa pérennisation."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 13 juin 2003)