Texte intégral
Le premier considérant de la charte de l'environnement rappelle que " les ressources et les équilibres naturels ont conditionné l'émergence de l'humanité et en conditionnent toujours l'existence ".
Or, l'appauvrissement de la diversité biologique mondiale, c'est à dire la diversité des gènes, des espèces animales et végétales, et des milieux qui les abritent, s'accélère au point d'être considéré aujourd'hui comme une menace globale d'égale importance à celle des changements climatiques. Les experts estiment que la moitié des espèces vivantes que nous connaissons pourrait disparaître d'ici un siècle.
L'importance et l'urgence de l'enjeu ont été universellement reconnues au Sommet de Rio de Janeiro en 1992, avec l'adoption de la Convention sur la diversité biologique, puis confirmées par la communauté internationale à Johannesburg en septembre 2002, en présence du Président de la République. Pour sa part, l'Europe a affiché, à travers la stratégie européenne pour la biodiversité, son ambition d'inverser la tendance d'ici à 2010.
La France porte une responsabilité de premier plan dans cette mobilisation planétaire et se doit d'être exemplaire pour au moins quatre raisons :
- Elle possède en métropole et outre-mer un patrimoine naturel exceptionnel. Le seul département des Alpes-Maritimes héberge plus d'espèces végétales que l'ensemble du Royaume-Uni. La Nouvelle-Calédonie est, après Madagascar, le deuxième foyer au monde le plus riche en espèces endémiques.
- Elle s'est engagée à participer à l'indispensable effort collectif par les nombreuses conventions internationales qu'elle a ratifiées, et par les directives communautaires - dont celles relatives au réseau Natura 2000 - qu'elle a transposées.
- Elle développe une politique de coopération active avec des pays qui incluent des zones de très forte biodiversité.
- Ses activités économiques mettent à contribution les ressources naturelles mondiales au-delà de celles de son propre territoire. Le chantier de l'éco-certification forestière est à cet égard emblématique.
Dans ce contexte, deux objectifs majeurs se dégagent :
1. Le premier : contribuer résolument à stopper la perte de biodiversité d'ici 2010
L'appauvrissement de la diversité biologique n'est ni inéluctable, ni totalement irréversible. Il résulte de choix politiques, économiques et sociaux. Je propose que le gouvernement adopte une stratégie nationale pour la diversité biologique en 2004. Les objectifs et les grandes orientations en seront exposés à la septième conférence des Parties de la convention sur la diversité biologique qui se tiendra à Kuala Lumpur, en Malaisie, en février 2004. La stratégie finale - y compris ses plans d'action sectoriels - sera établie pour juin 2004 et pourra, après validation, être présentée au colloque international d'experts sur la recherche et la biodiversité que la France accueillera à l'automne 2004.
Bâtie en large concertation avec tous les départements ministériels (agriculture, urbanisme, tourisme, aménagement du territoire, outre-mer, recherche) et tous les partenaires concernés, notamment les élus, la stratégie fournira un cadre de cohérence pour l'ensemble des politiques sectorielles agissant sur ou avec les espaces et les espèces. Elle étudiera les outils à mettre en place ou à renforcer, notamment les parcs nationaux, sur la base des recommandations du récent rapport Giran. J'ai entamé depuis un an les concertations délicates qui permettent de relancer les processus sur nos trois grands projets de parcs : Guyane, Réunion, Iroise. Elle intégrera la spécificité de l'outre-mer, où se concentre une part essentielle des enjeux de biodiversité en France.
2. Le second objectif : valoriser les territoires par une gestion durable du patrimoine naturel
Dans l'esprit et le cadre définis par la stratégie nationale pour la biodiversité, mon souhait est de rénover et de moderniser la politique de protection, de gestion et de valorisation du patrimoine naturel de notre pays, en prenant soin d'en préserver les incontestables acquis. Il s'agit de l'élargir à l'ensemble du territoire - à la " nature ordinaire " -, de tenir compte des évolutions récentes de la demande sociale, de rapprocher les décisions des citoyens, et de limiter les conflits d'usage.
La ligne directrice que je propose se décline en quelques principes :
- L'Etat garant plutôt que gérant,
- Des territoires labellisés,
- Une gestion concertée et contractualisée,
- Une rémunération des services rendus par la nature.
J'identifie trois axes prioritaires de travail :
- D'abord, la connaissance : pour faciliter le débat puis la prise de décision, il faut améliorer la qualité et la diffusion de la connaissance du patrimoine naturel, et développer la validation partagée des données. Mon ambition est de rapprocher, sinon de réconcilier, les acteurs de la gestion du patrimoine naturel autour de données fiables. L'observatoire de la faune sauvage et de ses habitats, qui a déjà porté ses fruits sur le dossier de la chasse, est un premier pas. Mais je souhaite aller plus loin en organisant et structurant un système d'information, véritable réseau national des données sur le patrimoine naturel et les paysages, avec l'appui attentif d'un conseil scientifique dédié. Face à la diminution du nombre d'experts dans le domaine des sciences de la nature, qui se traduit par une filière naturaliste sinistrée, un système cohérent de formation-recherche-expertise doit être reconstitué. Mes collègues Luc Ferry et Claudie Haigneré m'aideront dans cette tâche, par la réorientation des programmes de recherche vers une meilleure connaissance de la biodiversité, mais aussi par la sensibilisation et l'information du public.
- Ensuite, les acteurs : dans le contexte de décentralisation, une nouvelle architecture des responsabilités émerge, dans laquelle l'Etat doit garder une forte responsabilité sur la protection du patrimoine naturel, mais où la gestion et la valorisation de ce patrimoine doivent davantage être appropriées et portées par les acteurs locaux, notamment les collectivités territoriales. Au delà de l'implication des collectivités, l'engagement des acteurs économiques (agriculteurs et forestiers en particulier), mais aussi des propriétaires fonciers et des usagers des espaces naturels (chasseurs, pêcheurs, pratiquants de sports et loisirs de pleine nature), est à développer puisque la dimension patrimoniale du " capital nature " repose sur des comportements d'individus, des procédés d'entreprises et des stratégies familiales.
- En troisième lieu, les outils : l'enjeu est d'adapter, de rapprocher et de simplifier les outils, notamment techniques - les établissements publics -, juridiques, fonciers, de police, mais aussi, financiers et fiscaux, de la politique du patrimoine naturel.
Le patrimoine naturel et sa diversité biologique sont créateurs de richesses par tous les biens et services qu'ils fournissent, par le développement qu'ils induisent, par exemple dans le secteur du tourisme ou de l'exploitation des ressources naturelles (bois, chasse, pêche). Ils sont en outre l'objet d'un usage récréatif croissant de la part de la majorité de nos concitoyens. C'est pourquoi il est temps de construire une solidarité financière entre activités économiques découlant de l'usage de la nature et gestion des espaces naturels. Sur le plan fiscal, des travaux portant sur des dispositions incitant les comportements vertueux sont lancés avec le ministère des finances. D'autres le seront bientôt avec le ministère chargé du tourisme, comme validé hier en comité interministériel du tourisme.
L'ensemble de ce vaste " chantier " se traduira en juin 2004 par un colloque national, puis en fin d'année 2004, à l'issue d'une vaste concertation, de consultations régionales et d'un débat public, par un plan d'actions dont certaines mesures seront législatives. Un projet de loi sur la rénovation du patrimoine naturel sera présenté au Conseil des ministres à la fin du deuxième semestre 2004.
(Source http://www.environnement.gouv.fr, le 18 septembre 2003)