Texte intégral
Q - A propos de la diplomatie française et des relations avec le président de la République.
R - On se parle beaucoup, et on essaye non seulement de concerter en permanence les ressorts de la diplomatie française sur toutes les grandes décisions, mais on essaye surtout de réfléchir à l'évolution des choses, aux besoins, aux attentes, aux nécessités de l'action, aux initiatives qu'il faut prendre. Car nous sommes, et vos auditeurs le savent bien et le comprennent bien, dans un monde bouillonnant, plein d'inquiétude, plein de fièvre, et il faut en permanence remettre en cause ses idées, travailler. Je crois que jamais, sans doute, la diplomatie internationale n'a été autant sollicitée, il faut parler, s'ouvrir, partager avec les uns, avec les autres et essayer d'aller plus loin, trouver des solutions, remettre en cause des idées reçues. C'est tout le grand défi qu'il nous faut relever en Europe, c'est le défi qu'il nous faut relever dans les relations transatlantiques, c'est le défi qu'il faut relever partout au Moyen-Orient, on le voit en Irak bien sûr, on le voit au Proche-Orient. Il faut construire ensemble un nouvel ordre mondial, construire la paix et pour cela la conviction de la France c'est qu'on a besoin de tout le monde.
Q - Question d'un auditeur - Il semble que la politique française en matière de politique étrangère privilégie l'approche multipolaire et, à la lumière des récents événements en Irak, il est apparu un clivage important en Europe entre les tenants de cette politique et les pays qui sont plus atlantistes et plus ancrés derrière une position américaine et une vision plutôt américaine, notamment l'Angleterre. Compte tenu de cette question et des enjeux de construction de l'Europe, comment comptez-vous concilier à l'avenir les positions et rapprocher les points de vue ?
R - La question que vous posez est au cur de la diplomatie française et au cur de l'ensemble des préoccupations aujourd'hui des Etats européens. Lors de la dernière réunion des ministres des Affaires étrangères qui s'est tenue en Grèce il y a quelques jours, nous avions au menu de nos discussions, cette question : comment faire en sorte que les relations transatlantiques puissent retrouver l'élan qu'elles n'auraient jamais dû perdre ? La conviction de la France aujourd'hui c'est que nous pouvons bâtir un ordre nouveau, nous pouvons bâtir des relations transatlantiques fortes, fondées à la fois sur le respect et sur l'égalité. Il y a deux approches, Pierre Marie Christin l'a rappelé, l'une qui est plutôt celle du Premier ministre britannique qui tend à privilégier un monde unipolaire avec un partenariat transatlantique et puis celle de la France qui pense que, pour que nous ayons un monde équilibré, il vaut mieux avoir plusieurs pôles de stabilité. Ceci ne veut pas dire rivalité, cela veut dire au contraire complémentarité. Le monde - et c'est la conviction de la France - est tellement complexe, tellement difficile, les défis que nous avons à relever, le terrorisme, la prolifération, les crises régionales exigent la mobilisation de tous et pour cela il faut que nous travaillions ensemble, c'est pour cela que nous pensons que dans les relations entre l'Europe et les Etats-Unis, la France et les Etats-Unis, les valeurs y sont communes, les principes auxquels nous sommes attachés, doivent constituer le ciment de notre action mais que, bien évidemment, il faut que tous nous prenions nos responsabilités. L'exemple de la défense est sans doute le meilleur aujourd'hui : nous avons initié avec nos amis britanniques depuis Saint-Malo un certain nombre d'actions qui ont nourri la réflexion de l'Europe, en particulier lors du Sommet de Cologne, et nous éprouvons le besoin - la crise irakienne de ce point de vue sert de révélateur - nous éprouvons le besoin d'aller plus loin. Pour cela quatre pays, l'Allemagne, le Luxembourg, la Belgique et la France ont décidé de réfléchir à la façon de relancer cette politique de défense et ils ont constaté que l'on pouvait faire bien davantage ensemble. Bien évidemment ils ne décident pas tout seuls dans leur coin, ils proposent à leurs partenaires et nous proposons aux Vingt-cinq de prendre des initiatives dans ce domaine et c'est donc bien avec le souci d'avancer tous ensemble que nous voulons travailler au cours des prochains mois.
Q - Question d'auditeurs - On s'est mis à dos les Etats-Unis, est-ce que cela valait vraiment le coup de se mettre à dos les Etats-Unis dans cette histoire ? Ne croyez-vous pas que les Français auraient aimé faire partie de cette victoire en Irak, auraient aimé voir les trois couleurs flotter à côté de ceux qui ont gagné en Irak ? Est-ce que cela valait le coup, puisque finalement qu'est-ce qui reste de cela ?
R - Cela vaut toujours le coup d'être fidèle à soi-même, d'être fidèle à ses principes, d'être fidèle à ses convictions et le nouvel ordre international qu'il nous faut bâtir, on ne le fera pas par une série de guerres ou de coups de force, il faut le faire évidemment en ayant une stratégie commune. Donc, à présent, c'est vrai, nous n'avons pas partagé le sentiment américain, nous avons eu la conviction, et nous la maintenons, qu'il y avait une alternative à la guerre et que nous pouvions obtenir l'objectif qui était celui de la communauté internationale, le désarmement de l'Irak sur un mode pacifique. Et le choix qui avait été fait par la communauté internationale et par la résolution 1441, le choix unanime d'inspecteurs envoyés sur place qui étaient à la fois l'il et la main, nous confirmait sur le terrain qu'il y avait des progrès et on l'a vu avec la destruction du programme de missiles Al Samoud irakien. Dès lors qu'il y a des progrès, pourquoi se précipiter pour faire la guerre ? Et là, c'est vrai, nous n'avons pas partagé la conviction américaine et nous avons donc choisi de ne pas nous associer au choix américain.
Mais au-delà de cela, vous parlez de déclarations du côté américain, de polémiques qui sont engagées, la France ne croit pas que ce genre de procédé soit véritablement fructueux. Les défis, je l'ai dit, sont tels sur la scène internationale que ce n'est ni par la polémique, ni en pointant du doigt, ni en imaginant d'exclure la France que l'on obtient des résultats fructueux ; je crois que l'influence de la France telle qu'elle est apparue lors de cette crise, agace un certain nombre de gens, mais je n'y vois pas d'autres signes.
Quant à l'idée de mettre la France en quarantaine dans un coin, elle est non seulement impossible, toutes les règles internationales montrent bien - et on y reviendra peut-être sur le débat économique - que l'on ne peut pas aujourd'hui dans l'ordre économique qui est le nôtre, avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce, pointer du doigt un pays alors même qu'il a fait ce qu'il croyait, c'est-à-dire appliquer la légalité internationale. Par ailleurs, ce n'est pas non plus l'intérêt des Américains, les intérêts économiques aujourd'hui sont croisés, beaucoup de sociétés américaines emploient des Français, des sociétés françaises emploient des Américains, tout ceci s'interpénètre. Je salue le dynamisme de nos entrepreneurs qui, aux Etats-Unis, sur l'ensemble des marchés, relèvent le défi et je dois dire que si l'on imagine qu'il y a partout aux Etats-Unis une vague anti-française, on se trompe. Il y a là un certain nombre de réactions qui sont malgré tout des réactions, grâce à Dieu, isolées et il faut garder le calme. Je souligne par ailleurs, combien de fois j'ai été moi-même interrogé sur les liens entre l'administration américaine et le régime de Saddam Hussein, sur la part qu'il aurait prise à la construction d'armes de destruction massive, je ne suis jamais rentré dans ce genre de polémique. Je n'ai rien à cacher de la diplomatie française, nous n'avons rien à cacher, nous pensons simplement que ces polémiques ne font pas avancer les choses et que le devoir des dirigeants c'est de garder leur sang froid. Nous avons des devoirs vis-à-vis de la communauté internationale, nous avons des devoirs vis-à-vis du peuple irakien. Il y a eu plusieurs étapes : il y a eu l'étape de la négociation diplomatique en Irak, nous avons chacun défendu notre vision. Il y a eu la guerre, la France a défendu son point de vue avec un esprit de responsabilité et nous nous sommes réjouis de la chute du régime de Saddam Hussein. Nous sommes dans une étape nouvelle. Il faut construire la paix pour un nouvel avenir. Agissons ensemble et ma conviction, nous l'avons exprimée depuis le début, c'est qu'un pays seul peut faire la guerre, aucun pays seul ne peut gagner et construire la paix.
Q - Quand vous dites, ils ne pourront pas faire la paix tout seuls, comme vous dites depuis le départ, il n'empêche, quand on voit aujourd'hui le projet de résolution qui a été déposé à l'ONU, le projet de force de stabilisation, cela n'a rien à voir de près ou de loin avec la vision française pour le moment ?
R - Nous sommes au début d'une négociation qui est engagée dans le cadre du Conseil de sécurité et la question que nous posons - veut-on donner toutes les chances à la paix ? - c'est une question qui se pose à nous, qui se pose aux Etats-Unis, qui se pose à l'ensemble de la communauté internationale. Et ce que nous disons c'est que, si nous voulons véritablement avancer rapidement, servir les intérêts du peuple irakien qui attend, il faut faire face à la réalité en Irak. Certains auditeurs s'interrogeaient : fallait-il ou ne fallait-il pas participer à tout cela ? Regardons la réalité d'aujourd'hui, il y a un certain espoir lié à la chute du régime de Saddam Hussein mais il y aussi une inquiétude, les forces sur le terrain se demandent : mais quand finira cette insécurité ? Quand le pays se réorganisera-t-il ? Quand pourrons-nous enfin trouver une vie normale ?
Pour répondre à cela, et je crois que la période d'incertitude d'aujourd'hui est dangereuse, il est nécessaire d'agir très rapidement. Eh bien, pour ce faire, il faut mobiliser toute la communauté internationale et il y a un savoir-faire des Nations unies, il y a une légitimité des Nations unies qui sont essentiels pour la reconstruction. Ce sont des défis que nous avons relevés au Kosovo, en Afghanistan et il y a donc la nécessité de tirer parti de tout cela. Alors, que dans la phase de sécurisation qui est la phase actuelle, qui est une phase difficile, les forces de la coalition présentes sur le terrain aient des prérogatives particulières, - - on le voit d'ailleurs dans le projet de résolution puisqu'ils assument et revendiquent le statut de puissance occupante -, très bien. Mais pour ce qui est de la reconstruction de l'Irak, il faut mobiliser la communauté internationale sur le plan financier, il faut la mobiliser sur le plan politique, il faut mobiliser l'ensemble des pays de la région, eh bien que l'on se prive ou pense se priver de cette énergie donnée, ou que l'on souhaite que la communauté internationale s'engage dans un processus sans prendre ses responsabilités, cela me paraît dangereux. Dangereux pour qui ? Dangereux pour les forces qui sont présentes sur le terrain, dangereux pour l'avenir même de l'Irak, car il faut bien voir que nous sommes dans une situation où il faut éviter le pire, éviter le risque de fragmentation, de division de l'Irak. Il y a plusieurs communautés, de nombreuses tribus, des groupes régionaux très complexes, il faut donc bâtir un chemin pour les Irakiens. C'est surtout vrai dans le domaine politique où la légitimité est très importante, ce n'est pas un pays qui peut dicter de l'extérieur, fixer selon son sentiment, organiser lui-même un gouvernement, il y a besoin de l'accord de l'ensemble des parties de l'Irak, du soutien des puissances de la région, il y a besoin du soutien de la communauté internationale. C'est l'intérêt de ne pas s'installer dans un tête-à-tête. Si les Etats-Unis étaient tentés par cela, eh bien ils prendraient un grand risque, et vous savez, la France qui est un fidèle ami, un fidèle allié des Etats-Unis, eh bien ce que je vous dis, je le dis à nos amis américains, je le dis à nos amis britanniques, je dois constater qu'avec nos amis britanniques, nos amis espagnols, eh bien les points de vue de la France et leurs points de vue ne sont pas éloignés, nous avons les mêmes préoccupations.
Q - Quand vous dites cela aux Américains, qu'est-ce qu'ils vous répondent ?
R - J'ai parlé il y quelques jours avec Colin Powell, je lui ai dit mon sentiment et je lui ai dit mon souhait surtout que nous travaillions ensemble. C'est une chance que d'avoir le Conseil de sécurité : on le voit bien aujourd'hui, où parle-t-on ? Eh bien c'est au Conseil de sécurité.
Q - Mais il ne vient pas vous voir quand il vient en Europe ?
R - Il vient, il sera à Paris la semaine prochaine
Q - Voilà une information, nous avons la réunion
Q - dans le cadre du G8, ce n'est pas une visite bilatérale, comme il fait effectivement en Russie ou à Berlin.
R - Ce n'est pas une visite bilatérale, il sera là, il me verra, nous parlerons et croyez-moi, la voix de la France est entendue et attendue. C'est dire à quel point je crois à la nécessité de travailler, la diplomatie change de nature et, on le voit bien sur l'ensemble des dossiers, il y a besoin d'un travail de concertation, de propositions extrêmement intenses. Nous n'avons pas d'autre souci, l'ensemble des pays européens, nos grands partenaires, la Russie, la Chine, que d'apporter notre soutien et nos propositions à l'uvre indispensable à construire en Irak et, ne l'oublions pas, la paix et la justice ne sont pas divisibles. Il faut le faire en Irak mais il faut aussi le faire au Proche-Orient. J'étais dans la région lors de deux récents voyages. Comment vivre ensemble, disent les chefs d'Etat ? On vit la plus grande crise, c'est celle du Proche-Orient, qui nourrit un cycle extrêmement dangereux de fanatisme, de terrorisme, il faut sortir de ce cycle. Là encore, ce n'est pas un pays seul qui peut espérer avancer dans le sens de la paix, c'est la mobilisation totale de la communauté internationale et l'Europe, la France ont une responsabilité très particulière.
Q - Question d'un auditeur - Comment expliquez-vous aujourd'hui le soutien de la France au régime aujourd'hui en place en Syrie ? Ce pays est considéré comme complice actif de l'assassinat de l'ambassadeur de France Louis Delamare et du massacre des 88 soldats français du Drakkar au Liban. J'ai une deuxième question : est-il exact, comme le font savoir les medias américains, comme vous le savez, j'habite ici aux Etats-Unis, que le gouvernement français a procuré des passeports à des personnalités irakiennes de haut niveau, notamment quelques figures du fameux jeu de cartes ?
R - Je suis heureux de vous dire que la France n'a jamais délivré aucun passeport de cette sorte, nous l'avons fait savoir tout de suite à nos amis américains et je vous en conjure, ne cédez ni aux humeurs, ni aux rumeurs. Il faut, dans la société internationale d'aujourd'hui, savoir garder son sang froid et faire la part de l'information et de la désinformation. Vous pensez bien, vous aimez votre pays, vous le connaissez , vous n'imaginez pas les dirigeants de votre pays se livrer à de tels jeux. Donc les choses de ce point de vue là sont claires
En ce qui concerne la Syrie, croyez bien, la France n'oublie rien, la France a une ambition, c'est de contribuer à plus de stabilité, plus de justice et plus de paix au Proche-Orient. Est-ce que vous êtes choqué par le fait que Colin Powell ait été il y a quelques jours en Syrie rencontrer le président Bachar El Assad ? Est-ce que vous êtes choqué par le fait que le ministre britannique rencontre les dirigeants syriens ? Est-ce que vous êtes choqué par le fait que les dirigeants espagnols rencontrent les dirigeants syriens ? Vous savez, on n'obtient pas la paix sans travailler, sans se concerter. Et quant la France parle avec l'ensemble des Etats de cette région, elle ne parle que d'une seule voix. Elle dit ce qu'elle a à dire et elle évoque les questions des Droits de l'Homme, elle évoque les questions de terrorisme, elle évoque les questions de prolifération. Cela passe par un travail, par une concertation indispensable, ce n'est pas en se repliant dans son coin et en ignorant les problèmes que l'on peut avancer. La diplomatie française, c'est une diplomatie qui peut regarder le monde en face avec lucidité parce que c'est à la fois le devoir de la France - la France doit défendre les intérêts des Français, partout dans le monde - et c'est aussi le devoir de notre diplomatie si nous voulons contribuer à un monde plus stable et plus juste. Donc, de ce point de vue, nous serons fidèles à l'exigence qui est la nôtre, qui est de tenir partout ce langage, ce langage à la fois de la fermeté quand c'est nécessaire, mais aussi de la conviction et d'essayer de bâtir des chemins pour l'ensemble de ces pays qui souhaitent avancer et regarder vers l'avenir.
Q - Questions des auditeurs sur les relations franco-américaines.
R - Pas de polémique, n'oubliez pas, n'oubliez pas, je travaille tous les jours sur le bureau de Vergennes où ont été signés les ordres de soutien, l'envoi des troupes françaises pour aider à l'indépendance américaine ; cela crée des liens, les Américains sont venus nous soutenir pendant les deux guerres mondiales, nous avons, je crois, à la fois la capacité et l'amitié de surmonter les passions qui régulièrement reviennent dans les relations entre nos deux pays.
Q - Questions sur les Etats-Unis et l'ONU.
R - La tâche n'est pas simple, je ne veux pas céder à l'angélisme mais les choses ne sont pas faciles. Cela étant, il y a une réalité et cette réalité c'est que l'ONU apporte quelque chose à la communauté internationale comme conscience de celle-ci, elle se situe au-dessus des intérêts des Etats et cela c'est un plus. C'est dire qu'il y a une légitimité particulière et une capacité particulière des Nations unies qui est un atout pour la communauté internationale, alors il y a effectivement deux visions des Nations unies. Il y a les Etats qui, au lendemain de la deuxième guerre mondiale, ayant connu la tragédie de cette guerre sur leur propre sol, ont été très vite convaincus de la nécessité de bâtir un ordre nouveau et d'avoir un organe au-dessus des Etats qui avait cette capacité à dire le droit, à faciliter le travail de chacun, à arbitrer, à déployer des troupes quand c'était nécessaire. Et puis vous avez une autre logique et c'est vrai, qui a beaucoup d'écho aux Etats-Unis, où l'on veut, où on semble considérer qu'au-dessus des Etats-Unis, au-dessus des intérêts américains, il ne peut pas y avoir autre chose. C'est bien cela le débat.
Notre conviction c'est qu'à l'épreuve des faits - et nous le voyons aujourd'hui au Proche-Orient, nous le voyons aujourd'hui en Irak -, il y a un certain nombre de tâches qui ne peuvent être faites, bien faites, que par l'ONU. En tout cas l'ONU a plus de chance de pouvoir réussir dès lors qu'elle apporte le concours et le soutien de tous. On peut toujours imaginer à quelques-uns faire des choses, on peut faire des choses très bien, mais est-ce qu'on ne peut pas faire mieux dès lors que l'on est tous ensemble ? Et c'est bien cela le défi de la communauté internationale.
Depuis la chute du Mur de Berlin, le monde n'est pas équilibré selon la logique des blocs, où un bloc équilibre l'autre selon les vieux principes des manuels de relations internationales. Aujourd'hui il y une puissance qui domine toutes les autres et depuis le 11 septembre, on a constaté qu'il y avait quasiment toute la communauté internationale face à des puissances invisibles, sans visage, le terrorisme, la conspiration à travers l'emploi des armes de destruction massive.
Dans ce monde asymétrique, si vous n'avez pas un organe au-dessus des autres capable de fixer des règles, de défendre des principes, eh bien votre monde risque d'être boiteux, de marcher de façon inégale. C'est pour cela que nous pensons que les Nations unies, dans toutes les crises - c'est vrai de l'Irak, c'est vrai du Proche-Orient -, dans tous les défis qui sont ceux de la communauté internationale - c'est le cas du terrorisme, c'est le cas de la prolifération - ont des atouts. Alors ce qui est vrai, et là j'essaye de comprendre le raisonnement de nombre de mes amis américains, c'est vrai qu'on peut avoir le sentiment de l'impuissance dans certains cas, les choses ne vont pas assez vite, elles ne se règlent pas assez bien et on se dit après tout "autant faire les choses nous-mêmes". Et, quand on a la capacité de le faire, c'est le sentiment qu'ont les Américains, pourquoi s'en priver ?
Je crois qu'entre l'impuissance et l'emploi de la force, c'est-à-dire le recours à la guerre, il y a une autre voie qui est celle de la sécurité, de la responsabilité collective et c'est bien celle-là qu'il faut explorer. Alors cela implique, c'est vrai, que nous travaillions davantage pour que nous ayons des capacités que nous n'avons pas aujourd'hui. Cela était tout le sens de l'entreprise des inspections en Irak, doter la communauté internationale d'un bras séculier, d'une capacité à agir en faisant des inspections intrusives, c'est-à-dire en rentrant à l'intérieur d'un Etat pour essayer de découvrir des armements cachés et donc éliminer ces armes.
Cela peut être vrai dans d'autres domaines, je prends l'exemple des Droits de l'Homme. J'ai été très frappé de l'expérience que nous avons vécue récemment en Côte d'Ivoire. En Côte d'Ivoire, il y a eu un certain nombre d'actes terribles, des charniers qui ont été découverts et chacune des parties s'est renvoyé la balle. Eh bien la France qu'est-ce qu'elle a fait ? Elle a demandé au Haut-Commissaire des Droits de l'Homme d'envoyer sur place une mission ; cette mission a vu les uns et les autres et ceci a modifié le climat sur place. Chacun, je crois, s'est rendu compte, a pris conscience des responsabilités qui étaient les siennes et nous avons, à partir de là, pu modifier certains comportements. Pourquoi n'aurait-on pas un corps ou des missions des Droits de l'Homme que nous pourrions dépêcher partout où les situations sont inquiétantes ? Cela permettrait au moins à la communauté internationale d'être informée.
J'estime aujourd'hui qu'en Irak nous avons besoin de plus de transparence et de plus d'informations. C'est pour cela que, dans le cadre de cette résolution, nous demandons qu'il puisse y avoir un contrôle international. La communauté internationale a besoin d'être informée. Qui mieux que l'ONU peut faire ce travail d'information, de transparence ? C'est le sens de la responsabilité, et quand on s'interroge "est-ce que l'ONU sert encore à quelque chose ?", que peut-on constater ? Les Etats-Unis aujourd'hui, devant la situation en Irak, que font-ils ? Eh bien, ils se rendent aux Nations unies et ils demandent une résolution pour avoir le soutien des Nations unies, pour pouvoir modifier les dispositions en cours sur les sanctions, avancer dans la recherche de solutions pour créer une autorité politique. Tout cela passe par l'ONU. Tout cela exige un soutien de la communauté internationale. Alors on peut toujours imaginer faire les choses seuls, le problème c'est que très souvent, on les fait moins bien.
Q - Vous parlez des tâches bien faites, mais pour les Américains l'ONU sait faire de l'humanitaire et elle veut aujourd'hui confiner l'ONU dans ce rôle là, et pas du tout lui donner le rôle central que la France demande. La France a des propositions à faire à l'ONU ?
Question d'un auditeur sur la légitimité de l'administration irakienne.
R - C'est l'intérêt de tous.
Q - Vous voyez que les Américains veulent faire de l'ONU autre chose que vous.
R - Oui, c'est leur intérêt, ils sont engagés dans une situation très difficile en Irak. Se pose la question de savoir comment on assume la sécurité, nous avons dit depuis le début, ils sont sur le terrain, ils revendiquent le statut de puissance occupante, nous reconnaissons bien volontiers qu'il y a là une responsabilité lourde, il faut qu'ils puissent avoir le moyen d'exercer cette sécurité. Mais quand il s'agit de créer une autorité politique dans un pays comme l'Irak, aussi complexe, aussi morcelé, aussi fractionné, c'est l'intérêt de tous et au premier chef de ceux qui sont engagés sur le terrain que d'avoir le soutien et la reconnaissance de la communauté internationale. Donc ce que nous disons à nos amis américains, c'est que si l'on veut avoir toutes les chances de gagner, eh bien essayons de trouver des mécanismes et des propositions qui permettent d'associer les capacités de chacun.
L'Union européenne sait faire des choses, tel pays sait faire des choses, les Nations unies sont capables de faire des choses. Eh bien utilisons les capacités de chacun, nous le voyons bien, nous sommes dans une situation d'attentisme en Irak, certains souhaiteraient que les choses aillent plus vite, parce qu'il y a des problèmes et qu'il faut y répondre. Les Nations unies sont mobilisées, le Conseil de sécurité des Nations unies est mobilisé pour voter une résolution qui permettra de trouver le moyen d'aller plus vite. Prenons un exemple simple : le désarmement. Nous avons réclamé pendant toute la période des inspections qu'il y ait plus de moyens sur place. Nous avons eu droit à 150 inspecteurs. Il y a aujourd'hui une montée en puissance du nombre des inspecteurs, et on prévoit jusqu'à 2000 experts américains, britanniques qui vont mener le travail d'inspection sur place. C'est dire à quel point nous avions une intuition juste quand nous disions, "augmentons les moyens et nous irons plus vite, c'est la seule façon d'être efficaces".
A partir du moment où les Etats-Unis, la Grande-Bretagne décident de déployer des experts sur place, eh bien il faut que l'on puisse vérifier, certifier. Il faut que tout le monde soit d'accord sur le bilan de tout cela. Ce n'est l'intérêt de personne et certainement pas de celui qui est engagé dans une opération aussi délicate de voir contester sa légitimité.
Pour que tout le monde soit d'accord, il faut qu'à un moment donné les Nations unies, la CCVINU, l'Agence internationale de l'Energie atomique puissent dire, oui, c'est bien fait. Et je me félicite pour ma part de constater que nous avons pu éviter tout usage d'armes de destruction massive. Si nous avons décidé de voter la résolution 1441 c'est qu'il y avait une incertitude. Il se trouve qu'on n'a pas trouvé d'armes de destruction massive en Irak, ce qui montre bien qu'il n'y avait pas d'urgence qui apparaissait de façon criante, ce qui montre bien aussi que l'action de tous les Etats comme la France, ceux du camp de la paix qui ont plaidé pour que l'Irak accepte de s'engager dans ce processus de désarmement conduisant à la destruction des missiles, par exemple Al Samoud, a réussi à infléchir le comportement de l'Irak. Si des armes existent en Irak et qu'elles n'ont pas été utilisées, c'est bien parce que l'Irak a pensé à un moment donné qu'elle avait intérêt à se comporter de façon plus légitime vis-à-vis de la communauté internationale.
Q - Ou peut-être parce qu'ils ont eu peur aussi des Américains qui avaient menacé eux aussi d'utiliser des armes encore plus massives que celles qu'ils avaient utilisées.
R - Oui, mais enfin il y a un peuple irakien et je crois que la démocratie ce n'est jamais d'utiliser les moyens de l'adversaire.
Q - Sur l'ONU, je sais que c'est un débat extrêmement difficile qui mériterait toutes les missions, sur l'ONU vous dites, il faut réaugmenter son efficacité. En Afrique elle n'a pas été efficace, au Kosovo on s'est plutôt passé d'elle, elle a échoué très souvent jusqu'à présent. Jusqu'où êtes-vous prêt à aller dans l'ouverture d'une discussion sur la réforme du fonctionnement de l'ONU ?
R - Mais très loin et nous ne cessons de multiplier les propositions dans ce domaine. Et nous sommes bien convaincus que plus les Nations unies sont transparentes, plus elles sont démocratiques, plus elles sont à l'image de la communauté internationale et reflètent les rapports de force de la société internationale, plus elles ont de chance d'être efficaces. Donc de ce point de vue la France fait partie des pays qui font des propositions sur cette question. N'oublions jamais, les Nations unies ne sont que le reflet de la communauté internationale, je peux vous dire qu'aujourd'hui dans le cadre du Conseil de sécurité où une résolution comme la 1441 ou la résolution humanitaire qui a été adoptée il y a quelques semaines, ont été votées à l'unanimité. Si les Américains disent à l'ensemble des membres "nous allons travailler, nous allons essayer de mettre au point des mécanismes nous permettant rapidement de trouver des solutions", eh bien nous sommes tous disposés à travailler 24 heures sur 24 pour trouver des solutions. Donc l'ONU n'attend que cela, l'ONU est mobilisée pour cela et l'ONU aujourd'hui est sans doute la garantie la plus forte pour ceux qui sont engagés, Américains, Britanniques, sur le terrain pour réussir. Ne nous privons pas, donnons-nous tous les moyens de réussir en Irak, c'est un défi essentiel pour la communauté internationale et il en va de même pour le Proche-Orient.
Q - Je vous demanderai ce que vous pensez du droit de veto.
Monsieur le Ministre, je vous repose la question, cinq membres du Conseil de sécurité ont droit de veto, c'est le résultat de la deuxième guerre mondiale, pas de la situation actuelle, est-ce que la France est prête à discuter cela ?
R - La France est prête bien sûr à ouvrir le débat sur la composition du Conseil de sécurité et sur la façon d'assurer la meilleure représentativité possible du Conseil de sécurité. Si votre question est de savoir si la France serait prête à mettre en cause son droit de veto, je vous rappellerai simplement que la France est un pays nucléaire, un pays fondateur des Nations unies, que la France a une diplomatie engagée sur l'ensemble de la scène internationale - vous savez l'engagement qui est le nôtre, très fort vis-à-vis de l'Afrique, vis-à-vis de nombreux continents - tout ceci justifie pleinement la place de la France dans le Conseil de sécurité ; je peux vous dire que je n'ai jamais entendu aucune contestation de ce point de vue et que l'influence que chacun voit de la France aujourd'hui en est la meilleure expression.
Q - Pas de droit de veto européen à partager ?
R - Mais que nous ouvrions, qu'il y ait par exemple la possibilité d'avoir une représentation de l'Union européenne par ailleurs, pourquoi pas ? Mais de ce point de vue, c'est une discussion sérieuse qu'il faut avoir, savoir quelle est la place que nous donnons à de grandes puissances qui aujourd'hui ne font pas partie systématiquement du Conseil de sécurité, ce sont bien sûr des questions que nous devons poser et que nous posons.
Q - Cela nous amène à l'Europe, c'est l'actualité à la fin de la semaine. On va voir le projet qu'a élaboré le président Giscard d'Estaing pour réformer les institutions européennes.
Questions d'auditeurs sur l'avenir de la souveraineté française et sur la défense européenne.
R - Ce sont des questions essentielles. La souveraineté de la France peut-elle perdurer dans une évolution de l'Europe qui a vocation à s'affirmer de plus en plus ? En tout cas, nous le souhaitons. Il n'y a pas de contradiction, d'opposition, je dirais même au contraire, entre plus d'Europe et plus de France.
On le voit si on prend des exemples concrets, prenez l'euro par exemple : l'euro a accru notre capacité, notre poids dans le concert international en introduisant une monnaie unique qui nous donne la stabilité, une capacité extrêmement forte. Donc je ne crois pas que ce soit juste d'établir une concurrence entre l'évolution de l'Europe vers plus d'Europe et la défense de nos prérogatives.
L'Europe c'est le partage de valeurs, le partage de potentialités, un marché unique, des politiques communes, c'est tout ceci qui a constitué l'histoire de l'Europe tout au long des dernières décennies. Il se trouve que nous avons peu avancé dans le domaine de la politique étrangère commune et dans le domaine de la politique de défense commune. Ce sont, pour l'avenir, les grands chantiers de l'Europe. Et c'est à cela qu'il faut s'atteler. En particulier au lendemain de cet élargissement à Copenhague à dix nouveaux pays. Et la grande question qui se pose dans le cadre de la convention sur l'avenir de l'Europe que dirige magistralement le président Giscard d'Estaing, avec beaucoup de conviction et qui cherche à établir un consensus européen sur les nouvelles institutions, c'est de permettre à cette Europe d'être plus efficace, plus démocratique, plus transparente et c'est aussi le sens de cette évolution pour l'Europe. De permettre à chacun de nos Etats de peser davantage, être davantage lui-même, donc pour la France le fait d'avoir une Europe forte évidemment valorise notre rayonnement, donne des possibilités de prendre des marchés, de prendre des places ici et là, mais par ailleurs c'est une chance supplémentaire pour notre pays d'assurer son rayonnement, de défendre et de faire entendre sa voix sur la scène internationale. Donc pas de concurrence, par contre, d'immenses chantiers à développer sur le plan de la défense et sur le plan de la politique étrangère. Mais politique étrangère commune ne veut pas dire politique unique.
Q - Ce n'est pas comme la monnaie ?
R - Je ne suis pas naïf, je ne me réjouis pas du tout de l'absence de positions communes que nous avons pu avoir sur l'Irak, je crois que c'est certainement extrêmement regrettable et qu'il nous faut tout faire pour essayer de remédier et donc de nous concerter pour comprendre ce qui a pu se passer, pourquoi la relation transatlantique est venue compliquer la définition d'une position commune sur l'Irak. Ca c'est un défi qu'il faut relever, ma conviction c'est que nous sommes capables de la faire, il faut aller jusqu'au bout des non-dits, des sous-entendus, des arrière-pensées et pouvoir véritablement tracer un sillon nouveau pour l'Europe et évidemment ouvrir la voie au développement de relations transatlantiques sereines.
Q - Est-ce qu'il faut un président de l'Europe et dans une crise comme celle que l'on vient de traverser, qu'est-ce que ça aurait changé ?
R - Il faut certainement renforcer les capacités institutionnelles de l'Europe. La tradition européenne c'est un triangle : ses trois pôles, une Commission européenne, un président de la Commission, c'est un Conseil européen, un président du Conseil européen et c'est un Parlement. Je crois qu'il faut renforcer chacune de ces institutions, parce que nous avons tous besoin que l'Europe puisse faire davantage dans les domaines qui sont les siens et relever des défis dans des domaines nouveaux, je parle de la politique étrangère, je parlerai aussi bien de la politique de l'immigration ou dans le domaine judiciaire, on l'a vu avec les progrès par exemple du mandat européen. Dans tous ces domaines, il faut faire plus. Donc la question n'est pas de répartir le gâteau des pouvoirs actuels, la question est d'avoir le moyen d'être plus décisionnaire, de mieux prendre des décisions, d'être plus efficaces, et donc surtout à vingt-cinq. Il faut que le processus de décision, les procédures soient mieux fixées.
Réfléchissez à la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui quand nous déjeunons une fois par mois à Bruxelles ou à Luxembourg. Cela veut dire qu'autour de la table, il y a une trentaine de personnes si on rajoute les représentants du Conseil et de la Commission, cela veut dire que l'on a trois minutes par personne pour parler des différents sujets. Donc cela veut dire qu'il faut que l'on tire les conclusions du fonctionnement interne de la Commission et du Conseil européen, cela veut dire qu'il faut beaucoup plus de travail avant les réunions, il faut une capacité à décider, à trancher en réunion même, il faut donc changer les habitudes, changer les pratiques de travail, c'est une nouvelle culture qu'il faut mettre en uvre. Mais je crois qu'il y une volonté commune des uns et des autres d'avancer dans cette direction.
Q - M. Joschka Fisher, ministre allemand des Affaires étrangères, votre homologue et candidat au poste des ministres des Affaires étrangères de l'Europe ?
R - Il ferait un formidable ministre
Q - Vous êtes pour ?
R - C'est un ami, c'est quelqu'un que je respecte profondément, Dieu sait si nous avons passé des heures, des journées, des nuits à travailler pour essayer justement de faire avancer cette Europe, pour trouver des solutions au problème et c'est quelqu'un dont les capacités, les qualités sont tout à fait remarquables.
Q - Mais lui il a eu une politique, en tout cas l'Allemagne, pacifiste dans cette affaire, il s'est abstenu.
R - L'Allemagne a sa tradition, nous avons nos propres différences. La France n'a jamais fait partie des pays pacifistes. Je rappelle pour nos auditeurs que nous sommes le pays qui est le plus engagé dans les forces extérieures de l'OTAN, nous avons 5500 soldats, c'est dire à quel point, quand c'est nécessaire, nous sommes prêts à payer le prix. Nous l'avons fait, nous en avons donné la preuve en Afghanistan, au Kosovo, lors de la première guerre du Golfe. Donc la France sait être fidèle à ses principes et elle sait s'engager quand c'est nécessaire.
Q - A propos de la Pologne et de la Turquie.
R - L'Europe suppose des règles, des exigences, un code de conduite bien évidemment, et je partage votre sentiment sur le fait qu'il faut placer haut l'idéal européen et qu'il est donc important que chacun le respecte.
Dans le cas de la Pologne comme tous ces nouveaux pays qui rentrent dans notre Europe depuis Copenhague, il faut prendre en compte le chemin parcouru depuis des années. Ils ont payé un prix très fort, ils ont fait beaucoup d'efforts pour pouvoir satisfaire aux critères d'entrée dans l'Union européenne, ils ont connu l'occupation de l'autre côté du rideau de fer, ils ont donc beaucoup souffert et sont profondément marqués par cette histoire. Il faut, au moment où ils rentrent dans cette famille européenne, que nous les accompagnions dans cet idéal européen et là je crois beaucoup à l'ouverture, je crois beaucoup à la concertation et au dialogue. Je suis allé souvent dans cette région. Nous devons intensifier le dialogue.
Cette culture européenne, ce réflexe européen que vous appelez de vos vux, c'est bien sûr celui-là même que nous souhaitons. Mais ce que je peux vous dire c'est qu'au fil des réunions de l'Union européenne et notamment lors des dernières, ces représentants de la "nouvelle Europe" étaient présents et ont bien marqué leur volonté de jouer tout leur rôle. Ils ont le sentiment que cette Europe n'est pas quelque chose de passif et qu'effectivement, dès lors qu'une coopération en matière d'armement pourrait s'enclencher, je pense que cette volonté là va s'affirmer.
Q - Concernant le Proche-Orient et la "feuille de route".
R - Je partage bien sûr votre émotion et le sentiment que vous exprimez, il est absolument nécessaire de mobiliser toute la communauté internationale pour avancer. Cela implique que nous saisissions la chance qui est offerte par la "feuille de route". L'Europe a beaucoup travaillé pour que cette "feuille de route" puisse être adoptée. C'est fait, elle est publiée et il est important que chacun des Etats de cette région fasse sa part du chemin. Cela veut dire du côté palestinien, renoncer à la violence, poursuivre de façon ambitieuse le programme de réforme, cela veut dire du côté israélien renoncer à la colonisation, lever le bouclage du territoire, permettre à la vie quotidienne de revenir du côté des Palestiniens. Le cycle de violence dans lequel cette région est enfermée, qui la prend véritablement en otage, où l'on voit à la fois le peuple israélien vivre dans l'insécurité quotidienne d'attentats, et le peuple palestinien privé des éléments les plus ordinaires et nécessaires de la vie. Je crois que tout cela justifie cette mobilisation, cela implique bien sûr que nous ayons une vision globale.
Le volet israélo-palestinien, le volet syrien, le volet libanais sont une nécessité si l'on veut avancer. Il faut profiter de cet électrochoc que connaît aujourd'hui le Moyen-Orient pour marquer cette exigence d'un progrès. En principe la première phase de la "feuille de route" est prévue pour cinq mois. Nous avons déjà pris beaucoup de retard, il faut donc mettre les bouchées doubles. Ariel Sharon sera aux Etats-Unis dans quelques jours. Nous comptons sur nos amis américains pour mettre l'accent sur la nécessité de bouger pour chacune des parties, je serai moi-même dans la région, je serai en Israël, je serai dans les territoires palestiniens, c'est une mobilisation générale qui est nécessaire, la présidence grecque va se rendre aussi dans cette région, de même que Javier Solana. Je crois donc que chacun comprend bien la nécessité d'utiliser ce momentum, oui, ce moment d'énergie indispensable parce que si nous n'agissons pas aujourd'hui, ce sera beaucoup plus difficile demain.
Nous voyons la situation créée dans les territoires, nous voyons la montée des groupes radicaux. Je l'ai dit encore il y a quelques jours, parce que tous les Etats qui ont une capacité à agir sur ces groupes radicaux doivent l'exercer, je l'ai dit à la Syrie, je l'ai dit à l'Iran : nous devons faire en sorte de ne pas tomber dans le piège que nous tendent les terroristes, que nous tendent justement les radicaux de cette région, qu'il y ait toujours plus de violence. Pour ce faire, il faut sortir de la logique des préalables, arrêter de dire que c'est à l'autre de faire un geste. Faisons tous des gestes ensemble et donnons-nous les moyens. Les retombées sur le plan économique seront formidables. Cette région occupe 0,5 % des investissements internationaux. Comment voulez-vous imaginer un avenir pour cette région si elle n'est pas capable de mobiliser davantage de moyens d'énergie. Le président Bush a annoncé un grand plan d'une zone de libre échange pour 2013, c'est ce que l'Europe fait depuis 1995. Nous avons un grand plan euro-méditerranéen, nous mobilisons 13 milliards d'euros dans la période 2000/2006. C'est dire que si nous coordonnons nos efforts, nous pouvons changer la donne, c'est notre responsabilité. Nous parlions des relations entre la France et les Etats-Unis, nous parlions de l'ONU, voilà bien ce qui justifie un effort commun. Les défis sont si grands, pourquoi se diviser, pourquoi se chamailler, pourquoi se quereller ? Nous n'en avons pas le droit.
Q - Bon mot de la fin Monsieur le Ministre, merci. On n'a pas eu le temps d'appeler Guillaume de Saint-Marc qui représente les familles des victimes de l'attentat du DC 10 français, alors je vous propose, Monsieur le Ministre de vous transmettre ces questions qui demandaient pourquoi apparemment il y avait deux traitements différents entre les victimes américaines de Lockerbie et les Français. Je vous les transmets, merci.
R - Nous avons reçu Guillaume de Saint-Marc au Quai d'Orsay. Nous sommes très soucieux de prendre en compte l'ensemble des familles des victimes des attentats libyens.
Q - Merci Dominique de Villepin.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 mai 2003)
R - On se parle beaucoup, et on essaye non seulement de concerter en permanence les ressorts de la diplomatie française sur toutes les grandes décisions, mais on essaye surtout de réfléchir à l'évolution des choses, aux besoins, aux attentes, aux nécessités de l'action, aux initiatives qu'il faut prendre. Car nous sommes, et vos auditeurs le savent bien et le comprennent bien, dans un monde bouillonnant, plein d'inquiétude, plein de fièvre, et il faut en permanence remettre en cause ses idées, travailler. Je crois que jamais, sans doute, la diplomatie internationale n'a été autant sollicitée, il faut parler, s'ouvrir, partager avec les uns, avec les autres et essayer d'aller plus loin, trouver des solutions, remettre en cause des idées reçues. C'est tout le grand défi qu'il nous faut relever en Europe, c'est le défi qu'il nous faut relever dans les relations transatlantiques, c'est le défi qu'il faut relever partout au Moyen-Orient, on le voit en Irak bien sûr, on le voit au Proche-Orient. Il faut construire ensemble un nouvel ordre mondial, construire la paix et pour cela la conviction de la France c'est qu'on a besoin de tout le monde.
Q - Question d'un auditeur - Il semble que la politique française en matière de politique étrangère privilégie l'approche multipolaire et, à la lumière des récents événements en Irak, il est apparu un clivage important en Europe entre les tenants de cette politique et les pays qui sont plus atlantistes et plus ancrés derrière une position américaine et une vision plutôt américaine, notamment l'Angleterre. Compte tenu de cette question et des enjeux de construction de l'Europe, comment comptez-vous concilier à l'avenir les positions et rapprocher les points de vue ?
R - La question que vous posez est au cur de la diplomatie française et au cur de l'ensemble des préoccupations aujourd'hui des Etats européens. Lors de la dernière réunion des ministres des Affaires étrangères qui s'est tenue en Grèce il y a quelques jours, nous avions au menu de nos discussions, cette question : comment faire en sorte que les relations transatlantiques puissent retrouver l'élan qu'elles n'auraient jamais dû perdre ? La conviction de la France aujourd'hui c'est que nous pouvons bâtir un ordre nouveau, nous pouvons bâtir des relations transatlantiques fortes, fondées à la fois sur le respect et sur l'égalité. Il y a deux approches, Pierre Marie Christin l'a rappelé, l'une qui est plutôt celle du Premier ministre britannique qui tend à privilégier un monde unipolaire avec un partenariat transatlantique et puis celle de la France qui pense que, pour que nous ayons un monde équilibré, il vaut mieux avoir plusieurs pôles de stabilité. Ceci ne veut pas dire rivalité, cela veut dire au contraire complémentarité. Le monde - et c'est la conviction de la France - est tellement complexe, tellement difficile, les défis que nous avons à relever, le terrorisme, la prolifération, les crises régionales exigent la mobilisation de tous et pour cela il faut que nous travaillions ensemble, c'est pour cela que nous pensons que dans les relations entre l'Europe et les Etats-Unis, la France et les Etats-Unis, les valeurs y sont communes, les principes auxquels nous sommes attachés, doivent constituer le ciment de notre action mais que, bien évidemment, il faut que tous nous prenions nos responsabilités. L'exemple de la défense est sans doute le meilleur aujourd'hui : nous avons initié avec nos amis britanniques depuis Saint-Malo un certain nombre d'actions qui ont nourri la réflexion de l'Europe, en particulier lors du Sommet de Cologne, et nous éprouvons le besoin - la crise irakienne de ce point de vue sert de révélateur - nous éprouvons le besoin d'aller plus loin. Pour cela quatre pays, l'Allemagne, le Luxembourg, la Belgique et la France ont décidé de réfléchir à la façon de relancer cette politique de défense et ils ont constaté que l'on pouvait faire bien davantage ensemble. Bien évidemment ils ne décident pas tout seuls dans leur coin, ils proposent à leurs partenaires et nous proposons aux Vingt-cinq de prendre des initiatives dans ce domaine et c'est donc bien avec le souci d'avancer tous ensemble que nous voulons travailler au cours des prochains mois.
Q - Question d'auditeurs - On s'est mis à dos les Etats-Unis, est-ce que cela valait vraiment le coup de se mettre à dos les Etats-Unis dans cette histoire ? Ne croyez-vous pas que les Français auraient aimé faire partie de cette victoire en Irak, auraient aimé voir les trois couleurs flotter à côté de ceux qui ont gagné en Irak ? Est-ce que cela valait le coup, puisque finalement qu'est-ce qui reste de cela ?
R - Cela vaut toujours le coup d'être fidèle à soi-même, d'être fidèle à ses principes, d'être fidèle à ses convictions et le nouvel ordre international qu'il nous faut bâtir, on ne le fera pas par une série de guerres ou de coups de force, il faut le faire évidemment en ayant une stratégie commune. Donc, à présent, c'est vrai, nous n'avons pas partagé le sentiment américain, nous avons eu la conviction, et nous la maintenons, qu'il y avait une alternative à la guerre et que nous pouvions obtenir l'objectif qui était celui de la communauté internationale, le désarmement de l'Irak sur un mode pacifique. Et le choix qui avait été fait par la communauté internationale et par la résolution 1441, le choix unanime d'inspecteurs envoyés sur place qui étaient à la fois l'il et la main, nous confirmait sur le terrain qu'il y avait des progrès et on l'a vu avec la destruction du programme de missiles Al Samoud irakien. Dès lors qu'il y a des progrès, pourquoi se précipiter pour faire la guerre ? Et là, c'est vrai, nous n'avons pas partagé la conviction américaine et nous avons donc choisi de ne pas nous associer au choix américain.
Mais au-delà de cela, vous parlez de déclarations du côté américain, de polémiques qui sont engagées, la France ne croit pas que ce genre de procédé soit véritablement fructueux. Les défis, je l'ai dit, sont tels sur la scène internationale que ce n'est ni par la polémique, ni en pointant du doigt, ni en imaginant d'exclure la France que l'on obtient des résultats fructueux ; je crois que l'influence de la France telle qu'elle est apparue lors de cette crise, agace un certain nombre de gens, mais je n'y vois pas d'autres signes.
Quant à l'idée de mettre la France en quarantaine dans un coin, elle est non seulement impossible, toutes les règles internationales montrent bien - et on y reviendra peut-être sur le débat économique - que l'on ne peut pas aujourd'hui dans l'ordre économique qui est le nôtre, avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce, pointer du doigt un pays alors même qu'il a fait ce qu'il croyait, c'est-à-dire appliquer la légalité internationale. Par ailleurs, ce n'est pas non plus l'intérêt des Américains, les intérêts économiques aujourd'hui sont croisés, beaucoup de sociétés américaines emploient des Français, des sociétés françaises emploient des Américains, tout ceci s'interpénètre. Je salue le dynamisme de nos entrepreneurs qui, aux Etats-Unis, sur l'ensemble des marchés, relèvent le défi et je dois dire que si l'on imagine qu'il y a partout aux Etats-Unis une vague anti-française, on se trompe. Il y a là un certain nombre de réactions qui sont malgré tout des réactions, grâce à Dieu, isolées et il faut garder le calme. Je souligne par ailleurs, combien de fois j'ai été moi-même interrogé sur les liens entre l'administration américaine et le régime de Saddam Hussein, sur la part qu'il aurait prise à la construction d'armes de destruction massive, je ne suis jamais rentré dans ce genre de polémique. Je n'ai rien à cacher de la diplomatie française, nous n'avons rien à cacher, nous pensons simplement que ces polémiques ne font pas avancer les choses et que le devoir des dirigeants c'est de garder leur sang froid. Nous avons des devoirs vis-à-vis de la communauté internationale, nous avons des devoirs vis-à-vis du peuple irakien. Il y a eu plusieurs étapes : il y a eu l'étape de la négociation diplomatique en Irak, nous avons chacun défendu notre vision. Il y a eu la guerre, la France a défendu son point de vue avec un esprit de responsabilité et nous nous sommes réjouis de la chute du régime de Saddam Hussein. Nous sommes dans une étape nouvelle. Il faut construire la paix pour un nouvel avenir. Agissons ensemble et ma conviction, nous l'avons exprimée depuis le début, c'est qu'un pays seul peut faire la guerre, aucun pays seul ne peut gagner et construire la paix.
Q - Quand vous dites, ils ne pourront pas faire la paix tout seuls, comme vous dites depuis le départ, il n'empêche, quand on voit aujourd'hui le projet de résolution qui a été déposé à l'ONU, le projet de force de stabilisation, cela n'a rien à voir de près ou de loin avec la vision française pour le moment ?
R - Nous sommes au début d'une négociation qui est engagée dans le cadre du Conseil de sécurité et la question que nous posons - veut-on donner toutes les chances à la paix ? - c'est une question qui se pose à nous, qui se pose aux Etats-Unis, qui se pose à l'ensemble de la communauté internationale. Et ce que nous disons c'est que, si nous voulons véritablement avancer rapidement, servir les intérêts du peuple irakien qui attend, il faut faire face à la réalité en Irak. Certains auditeurs s'interrogeaient : fallait-il ou ne fallait-il pas participer à tout cela ? Regardons la réalité d'aujourd'hui, il y a un certain espoir lié à la chute du régime de Saddam Hussein mais il y aussi une inquiétude, les forces sur le terrain se demandent : mais quand finira cette insécurité ? Quand le pays se réorganisera-t-il ? Quand pourrons-nous enfin trouver une vie normale ?
Pour répondre à cela, et je crois que la période d'incertitude d'aujourd'hui est dangereuse, il est nécessaire d'agir très rapidement. Eh bien, pour ce faire, il faut mobiliser toute la communauté internationale et il y a un savoir-faire des Nations unies, il y a une légitimité des Nations unies qui sont essentiels pour la reconstruction. Ce sont des défis que nous avons relevés au Kosovo, en Afghanistan et il y a donc la nécessité de tirer parti de tout cela. Alors, que dans la phase de sécurisation qui est la phase actuelle, qui est une phase difficile, les forces de la coalition présentes sur le terrain aient des prérogatives particulières, - - on le voit d'ailleurs dans le projet de résolution puisqu'ils assument et revendiquent le statut de puissance occupante -, très bien. Mais pour ce qui est de la reconstruction de l'Irak, il faut mobiliser la communauté internationale sur le plan financier, il faut la mobiliser sur le plan politique, il faut mobiliser l'ensemble des pays de la région, eh bien que l'on se prive ou pense se priver de cette énergie donnée, ou que l'on souhaite que la communauté internationale s'engage dans un processus sans prendre ses responsabilités, cela me paraît dangereux. Dangereux pour qui ? Dangereux pour les forces qui sont présentes sur le terrain, dangereux pour l'avenir même de l'Irak, car il faut bien voir que nous sommes dans une situation où il faut éviter le pire, éviter le risque de fragmentation, de division de l'Irak. Il y a plusieurs communautés, de nombreuses tribus, des groupes régionaux très complexes, il faut donc bâtir un chemin pour les Irakiens. C'est surtout vrai dans le domaine politique où la légitimité est très importante, ce n'est pas un pays qui peut dicter de l'extérieur, fixer selon son sentiment, organiser lui-même un gouvernement, il y a besoin de l'accord de l'ensemble des parties de l'Irak, du soutien des puissances de la région, il y a besoin du soutien de la communauté internationale. C'est l'intérêt de ne pas s'installer dans un tête-à-tête. Si les Etats-Unis étaient tentés par cela, eh bien ils prendraient un grand risque, et vous savez, la France qui est un fidèle ami, un fidèle allié des Etats-Unis, eh bien ce que je vous dis, je le dis à nos amis américains, je le dis à nos amis britanniques, je dois constater qu'avec nos amis britanniques, nos amis espagnols, eh bien les points de vue de la France et leurs points de vue ne sont pas éloignés, nous avons les mêmes préoccupations.
Q - Quand vous dites cela aux Américains, qu'est-ce qu'ils vous répondent ?
R - J'ai parlé il y quelques jours avec Colin Powell, je lui ai dit mon sentiment et je lui ai dit mon souhait surtout que nous travaillions ensemble. C'est une chance que d'avoir le Conseil de sécurité : on le voit bien aujourd'hui, où parle-t-on ? Eh bien c'est au Conseil de sécurité.
Q - Mais il ne vient pas vous voir quand il vient en Europe ?
R - Il vient, il sera à Paris la semaine prochaine
Q - Voilà une information, nous avons la réunion
Q - dans le cadre du G8, ce n'est pas une visite bilatérale, comme il fait effectivement en Russie ou à Berlin.
R - Ce n'est pas une visite bilatérale, il sera là, il me verra, nous parlerons et croyez-moi, la voix de la France est entendue et attendue. C'est dire à quel point je crois à la nécessité de travailler, la diplomatie change de nature et, on le voit bien sur l'ensemble des dossiers, il y a besoin d'un travail de concertation, de propositions extrêmement intenses. Nous n'avons pas d'autre souci, l'ensemble des pays européens, nos grands partenaires, la Russie, la Chine, que d'apporter notre soutien et nos propositions à l'uvre indispensable à construire en Irak et, ne l'oublions pas, la paix et la justice ne sont pas divisibles. Il faut le faire en Irak mais il faut aussi le faire au Proche-Orient. J'étais dans la région lors de deux récents voyages. Comment vivre ensemble, disent les chefs d'Etat ? On vit la plus grande crise, c'est celle du Proche-Orient, qui nourrit un cycle extrêmement dangereux de fanatisme, de terrorisme, il faut sortir de ce cycle. Là encore, ce n'est pas un pays seul qui peut espérer avancer dans le sens de la paix, c'est la mobilisation totale de la communauté internationale et l'Europe, la France ont une responsabilité très particulière.
Q - Question d'un auditeur - Comment expliquez-vous aujourd'hui le soutien de la France au régime aujourd'hui en place en Syrie ? Ce pays est considéré comme complice actif de l'assassinat de l'ambassadeur de France Louis Delamare et du massacre des 88 soldats français du Drakkar au Liban. J'ai une deuxième question : est-il exact, comme le font savoir les medias américains, comme vous le savez, j'habite ici aux Etats-Unis, que le gouvernement français a procuré des passeports à des personnalités irakiennes de haut niveau, notamment quelques figures du fameux jeu de cartes ?
R - Je suis heureux de vous dire que la France n'a jamais délivré aucun passeport de cette sorte, nous l'avons fait savoir tout de suite à nos amis américains et je vous en conjure, ne cédez ni aux humeurs, ni aux rumeurs. Il faut, dans la société internationale d'aujourd'hui, savoir garder son sang froid et faire la part de l'information et de la désinformation. Vous pensez bien, vous aimez votre pays, vous le connaissez , vous n'imaginez pas les dirigeants de votre pays se livrer à de tels jeux. Donc les choses de ce point de vue là sont claires
En ce qui concerne la Syrie, croyez bien, la France n'oublie rien, la France a une ambition, c'est de contribuer à plus de stabilité, plus de justice et plus de paix au Proche-Orient. Est-ce que vous êtes choqué par le fait que Colin Powell ait été il y a quelques jours en Syrie rencontrer le président Bachar El Assad ? Est-ce que vous êtes choqué par le fait que le ministre britannique rencontre les dirigeants syriens ? Est-ce que vous êtes choqué par le fait que les dirigeants espagnols rencontrent les dirigeants syriens ? Vous savez, on n'obtient pas la paix sans travailler, sans se concerter. Et quant la France parle avec l'ensemble des Etats de cette région, elle ne parle que d'une seule voix. Elle dit ce qu'elle a à dire et elle évoque les questions des Droits de l'Homme, elle évoque les questions de terrorisme, elle évoque les questions de prolifération. Cela passe par un travail, par une concertation indispensable, ce n'est pas en se repliant dans son coin et en ignorant les problèmes que l'on peut avancer. La diplomatie française, c'est une diplomatie qui peut regarder le monde en face avec lucidité parce que c'est à la fois le devoir de la France - la France doit défendre les intérêts des Français, partout dans le monde - et c'est aussi le devoir de notre diplomatie si nous voulons contribuer à un monde plus stable et plus juste. Donc, de ce point de vue, nous serons fidèles à l'exigence qui est la nôtre, qui est de tenir partout ce langage, ce langage à la fois de la fermeté quand c'est nécessaire, mais aussi de la conviction et d'essayer de bâtir des chemins pour l'ensemble de ces pays qui souhaitent avancer et regarder vers l'avenir.
Q - Questions des auditeurs sur les relations franco-américaines.
R - Pas de polémique, n'oubliez pas, n'oubliez pas, je travaille tous les jours sur le bureau de Vergennes où ont été signés les ordres de soutien, l'envoi des troupes françaises pour aider à l'indépendance américaine ; cela crée des liens, les Américains sont venus nous soutenir pendant les deux guerres mondiales, nous avons, je crois, à la fois la capacité et l'amitié de surmonter les passions qui régulièrement reviennent dans les relations entre nos deux pays.
Q - Questions sur les Etats-Unis et l'ONU.
R - La tâche n'est pas simple, je ne veux pas céder à l'angélisme mais les choses ne sont pas faciles. Cela étant, il y a une réalité et cette réalité c'est que l'ONU apporte quelque chose à la communauté internationale comme conscience de celle-ci, elle se situe au-dessus des intérêts des Etats et cela c'est un plus. C'est dire qu'il y a une légitimité particulière et une capacité particulière des Nations unies qui est un atout pour la communauté internationale, alors il y a effectivement deux visions des Nations unies. Il y a les Etats qui, au lendemain de la deuxième guerre mondiale, ayant connu la tragédie de cette guerre sur leur propre sol, ont été très vite convaincus de la nécessité de bâtir un ordre nouveau et d'avoir un organe au-dessus des Etats qui avait cette capacité à dire le droit, à faciliter le travail de chacun, à arbitrer, à déployer des troupes quand c'était nécessaire. Et puis vous avez une autre logique et c'est vrai, qui a beaucoup d'écho aux Etats-Unis, où l'on veut, où on semble considérer qu'au-dessus des Etats-Unis, au-dessus des intérêts américains, il ne peut pas y avoir autre chose. C'est bien cela le débat.
Notre conviction c'est qu'à l'épreuve des faits - et nous le voyons aujourd'hui au Proche-Orient, nous le voyons aujourd'hui en Irak -, il y a un certain nombre de tâches qui ne peuvent être faites, bien faites, que par l'ONU. En tout cas l'ONU a plus de chance de pouvoir réussir dès lors qu'elle apporte le concours et le soutien de tous. On peut toujours imaginer à quelques-uns faire des choses, on peut faire des choses très bien, mais est-ce qu'on ne peut pas faire mieux dès lors que l'on est tous ensemble ? Et c'est bien cela le défi de la communauté internationale.
Depuis la chute du Mur de Berlin, le monde n'est pas équilibré selon la logique des blocs, où un bloc équilibre l'autre selon les vieux principes des manuels de relations internationales. Aujourd'hui il y une puissance qui domine toutes les autres et depuis le 11 septembre, on a constaté qu'il y avait quasiment toute la communauté internationale face à des puissances invisibles, sans visage, le terrorisme, la conspiration à travers l'emploi des armes de destruction massive.
Dans ce monde asymétrique, si vous n'avez pas un organe au-dessus des autres capable de fixer des règles, de défendre des principes, eh bien votre monde risque d'être boiteux, de marcher de façon inégale. C'est pour cela que nous pensons que les Nations unies, dans toutes les crises - c'est vrai de l'Irak, c'est vrai du Proche-Orient -, dans tous les défis qui sont ceux de la communauté internationale - c'est le cas du terrorisme, c'est le cas de la prolifération - ont des atouts. Alors ce qui est vrai, et là j'essaye de comprendre le raisonnement de nombre de mes amis américains, c'est vrai qu'on peut avoir le sentiment de l'impuissance dans certains cas, les choses ne vont pas assez vite, elles ne se règlent pas assez bien et on se dit après tout "autant faire les choses nous-mêmes". Et, quand on a la capacité de le faire, c'est le sentiment qu'ont les Américains, pourquoi s'en priver ?
Je crois qu'entre l'impuissance et l'emploi de la force, c'est-à-dire le recours à la guerre, il y a une autre voie qui est celle de la sécurité, de la responsabilité collective et c'est bien celle-là qu'il faut explorer. Alors cela implique, c'est vrai, que nous travaillions davantage pour que nous ayons des capacités que nous n'avons pas aujourd'hui. Cela était tout le sens de l'entreprise des inspections en Irak, doter la communauté internationale d'un bras séculier, d'une capacité à agir en faisant des inspections intrusives, c'est-à-dire en rentrant à l'intérieur d'un Etat pour essayer de découvrir des armements cachés et donc éliminer ces armes.
Cela peut être vrai dans d'autres domaines, je prends l'exemple des Droits de l'Homme. J'ai été très frappé de l'expérience que nous avons vécue récemment en Côte d'Ivoire. En Côte d'Ivoire, il y a eu un certain nombre d'actes terribles, des charniers qui ont été découverts et chacune des parties s'est renvoyé la balle. Eh bien la France qu'est-ce qu'elle a fait ? Elle a demandé au Haut-Commissaire des Droits de l'Homme d'envoyer sur place une mission ; cette mission a vu les uns et les autres et ceci a modifié le climat sur place. Chacun, je crois, s'est rendu compte, a pris conscience des responsabilités qui étaient les siennes et nous avons, à partir de là, pu modifier certains comportements. Pourquoi n'aurait-on pas un corps ou des missions des Droits de l'Homme que nous pourrions dépêcher partout où les situations sont inquiétantes ? Cela permettrait au moins à la communauté internationale d'être informée.
J'estime aujourd'hui qu'en Irak nous avons besoin de plus de transparence et de plus d'informations. C'est pour cela que, dans le cadre de cette résolution, nous demandons qu'il puisse y avoir un contrôle international. La communauté internationale a besoin d'être informée. Qui mieux que l'ONU peut faire ce travail d'information, de transparence ? C'est le sens de la responsabilité, et quand on s'interroge "est-ce que l'ONU sert encore à quelque chose ?", que peut-on constater ? Les Etats-Unis aujourd'hui, devant la situation en Irak, que font-ils ? Eh bien, ils se rendent aux Nations unies et ils demandent une résolution pour avoir le soutien des Nations unies, pour pouvoir modifier les dispositions en cours sur les sanctions, avancer dans la recherche de solutions pour créer une autorité politique. Tout cela passe par l'ONU. Tout cela exige un soutien de la communauté internationale. Alors on peut toujours imaginer faire les choses seuls, le problème c'est que très souvent, on les fait moins bien.
Q - Vous parlez des tâches bien faites, mais pour les Américains l'ONU sait faire de l'humanitaire et elle veut aujourd'hui confiner l'ONU dans ce rôle là, et pas du tout lui donner le rôle central que la France demande. La France a des propositions à faire à l'ONU ?
Question d'un auditeur sur la légitimité de l'administration irakienne.
R - C'est l'intérêt de tous.
Q - Vous voyez que les Américains veulent faire de l'ONU autre chose que vous.
R - Oui, c'est leur intérêt, ils sont engagés dans une situation très difficile en Irak. Se pose la question de savoir comment on assume la sécurité, nous avons dit depuis le début, ils sont sur le terrain, ils revendiquent le statut de puissance occupante, nous reconnaissons bien volontiers qu'il y a là une responsabilité lourde, il faut qu'ils puissent avoir le moyen d'exercer cette sécurité. Mais quand il s'agit de créer une autorité politique dans un pays comme l'Irak, aussi complexe, aussi morcelé, aussi fractionné, c'est l'intérêt de tous et au premier chef de ceux qui sont engagés sur le terrain que d'avoir le soutien et la reconnaissance de la communauté internationale. Donc ce que nous disons à nos amis américains, c'est que si l'on veut avoir toutes les chances de gagner, eh bien essayons de trouver des mécanismes et des propositions qui permettent d'associer les capacités de chacun.
L'Union européenne sait faire des choses, tel pays sait faire des choses, les Nations unies sont capables de faire des choses. Eh bien utilisons les capacités de chacun, nous le voyons bien, nous sommes dans une situation d'attentisme en Irak, certains souhaiteraient que les choses aillent plus vite, parce qu'il y a des problèmes et qu'il faut y répondre. Les Nations unies sont mobilisées, le Conseil de sécurité des Nations unies est mobilisé pour voter une résolution qui permettra de trouver le moyen d'aller plus vite. Prenons un exemple simple : le désarmement. Nous avons réclamé pendant toute la période des inspections qu'il y ait plus de moyens sur place. Nous avons eu droit à 150 inspecteurs. Il y a aujourd'hui une montée en puissance du nombre des inspecteurs, et on prévoit jusqu'à 2000 experts américains, britanniques qui vont mener le travail d'inspection sur place. C'est dire à quel point nous avions une intuition juste quand nous disions, "augmentons les moyens et nous irons plus vite, c'est la seule façon d'être efficaces".
A partir du moment où les Etats-Unis, la Grande-Bretagne décident de déployer des experts sur place, eh bien il faut que l'on puisse vérifier, certifier. Il faut que tout le monde soit d'accord sur le bilan de tout cela. Ce n'est l'intérêt de personne et certainement pas de celui qui est engagé dans une opération aussi délicate de voir contester sa légitimité.
Pour que tout le monde soit d'accord, il faut qu'à un moment donné les Nations unies, la CCVINU, l'Agence internationale de l'Energie atomique puissent dire, oui, c'est bien fait. Et je me félicite pour ma part de constater que nous avons pu éviter tout usage d'armes de destruction massive. Si nous avons décidé de voter la résolution 1441 c'est qu'il y avait une incertitude. Il se trouve qu'on n'a pas trouvé d'armes de destruction massive en Irak, ce qui montre bien qu'il n'y avait pas d'urgence qui apparaissait de façon criante, ce qui montre bien aussi que l'action de tous les Etats comme la France, ceux du camp de la paix qui ont plaidé pour que l'Irak accepte de s'engager dans ce processus de désarmement conduisant à la destruction des missiles, par exemple Al Samoud, a réussi à infléchir le comportement de l'Irak. Si des armes existent en Irak et qu'elles n'ont pas été utilisées, c'est bien parce que l'Irak a pensé à un moment donné qu'elle avait intérêt à se comporter de façon plus légitime vis-à-vis de la communauté internationale.
Q - Ou peut-être parce qu'ils ont eu peur aussi des Américains qui avaient menacé eux aussi d'utiliser des armes encore plus massives que celles qu'ils avaient utilisées.
R - Oui, mais enfin il y a un peuple irakien et je crois que la démocratie ce n'est jamais d'utiliser les moyens de l'adversaire.
Q - Sur l'ONU, je sais que c'est un débat extrêmement difficile qui mériterait toutes les missions, sur l'ONU vous dites, il faut réaugmenter son efficacité. En Afrique elle n'a pas été efficace, au Kosovo on s'est plutôt passé d'elle, elle a échoué très souvent jusqu'à présent. Jusqu'où êtes-vous prêt à aller dans l'ouverture d'une discussion sur la réforme du fonctionnement de l'ONU ?
R - Mais très loin et nous ne cessons de multiplier les propositions dans ce domaine. Et nous sommes bien convaincus que plus les Nations unies sont transparentes, plus elles sont démocratiques, plus elles sont à l'image de la communauté internationale et reflètent les rapports de force de la société internationale, plus elles ont de chance d'être efficaces. Donc de ce point de vue la France fait partie des pays qui font des propositions sur cette question. N'oublions jamais, les Nations unies ne sont que le reflet de la communauté internationale, je peux vous dire qu'aujourd'hui dans le cadre du Conseil de sécurité où une résolution comme la 1441 ou la résolution humanitaire qui a été adoptée il y a quelques semaines, ont été votées à l'unanimité. Si les Américains disent à l'ensemble des membres "nous allons travailler, nous allons essayer de mettre au point des mécanismes nous permettant rapidement de trouver des solutions", eh bien nous sommes tous disposés à travailler 24 heures sur 24 pour trouver des solutions. Donc l'ONU n'attend que cela, l'ONU est mobilisée pour cela et l'ONU aujourd'hui est sans doute la garantie la plus forte pour ceux qui sont engagés, Américains, Britanniques, sur le terrain pour réussir. Ne nous privons pas, donnons-nous tous les moyens de réussir en Irak, c'est un défi essentiel pour la communauté internationale et il en va de même pour le Proche-Orient.
Q - Je vous demanderai ce que vous pensez du droit de veto.
Monsieur le Ministre, je vous repose la question, cinq membres du Conseil de sécurité ont droit de veto, c'est le résultat de la deuxième guerre mondiale, pas de la situation actuelle, est-ce que la France est prête à discuter cela ?
R - La France est prête bien sûr à ouvrir le débat sur la composition du Conseil de sécurité et sur la façon d'assurer la meilleure représentativité possible du Conseil de sécurité. Si votre question est de savoir si la France serait prête à mettre en cause son droit de veto, je vous rappellerai simplement que la France est un pays nucléaire, un pays fondateur des Nations unies, que la France a une diplomatie engagée sur l'ensemble de la scène internationale - vous savez l'engagement qui est le nôtre, très fort vis-à-vis de l'Afrique, vis-à-vis de nombreux continents - tout ceci justifie pleinement la place de la France dans le Conseil de sécurité ; je peux vous dire que je n'ai jamais entendu aucune contestation de ce point de vue et que l'influence que chacun voit de la France aujourd'hui en est la meilleure expression.
Q - Pas de droit de veto européen à partager ?
R - Mais que nous ouvrions, qu'il y ait par exemple la possibilité d'avoir une représentation de l'Union européenne par ailleurs, pourquoi pas ? Mais de ce point de vue, c'est une discussion sérieuse qu'il faut avoir, savoir quelle est la place que nous donnons à de grandes puissances qui aujourd'hui ne font pas partie systématiquement du Conseil de sécurité, ce sont bien sûr des questions que nous devons poser et que nous posons.
Q - Cela nous amène à l'Europe, c'est l'actualité à la fin de la semaine. On va voir le projet qu'a élaboré le président Giscard d'Estaing pour réformer les institutions européennes.
Questions d'auditeurs sur l'avenir de la souveraineté française et sur la défense européenne.
R - Ce sont des questions essentielles. La souveraineté de la France peut-elle perdurer dans une évolution de l'Europe qui a vocation à s'affirmer de plus en plus ? En tout cas, nous le souhaitons. Il n'y a pas de contradiction, d'opposition, je dirais même au contraire, entre plus d'Europe et plus de France.
On le voit si on prend des exemples concrets, prenez l'euro par exemple : l'euro a accru notre capacité, notre poids dans le concert international en introduisant une monnaie unique qui nous donne la stabilité, une capacité extrêmement forte. Donc je ne crois pas que ce soit juste d'établir une concurrence entre l'évolution de l'Europe vers plus d'Europe et la défense de nos prérogatives.
L'Europe c'est le partage de valeurs, le partage de potentialités, un marché unique, des politiques communes, c'est tout ceci qui a constitué l'histoire de l'Europe tout au long des dernières décennies. Il se trouve que nous avons peu avancé dans le domaine de la politique étrangère commune et dans le domaine de la politique de défense commune. Ce sont, pour l'avenir, les grands chantiers de l'Europe. Et c'est à cela qu'il faut s'atteler. En particulier au lendemain de cet élargissement à Copenhague à dix nouveaux pays. Et la grande question qui se pose dans le cadre de la convention sur l'avenir de l'Europe que dirige magistralement le président Giscard d'Estaing, avec beaucoup de conviction et qui cherche à établir un consensus européen sur les nouvelles institutions, c'est de permettre à cette Europe d'être plus efficace, plus démocratique, plus transparente et c'est aussi le sens de cette évolution pour l'Europe. De permettre à chacun de nos Etats de peser davantage, être davantage lui-même, donc pour la France le fait d'avoir une Europe forte évidemment valorise notre rayonnement, donne des possibilités de prendre des marchés, de prendre des places ici et là, mais par ailleurs c'est une chance supplémentaire pour notre pays d'assurer son rayonnement, de défendre et de faire entendre sa voix sur la scène internationale. Donc pas de concurrence, par contre, d'immenses chantiers à développer sur le plan de la défense et sur le plan de la politique étrangère. Mais politique étrangère commune ne veut pas dire politique unique.
Q - Ce n'est pas comme la monnaie ?
R - Je ne suis pas naïf, je ne me réjouis pas du tout de l'absence de positions communes que nous avons pu avoir sur l'Irak, je crois que c'est certainement extrêmement regrettable et qu'il nous faut tout faire pour essayer de remédier et donc de nous concerter pour comprendre ce qui a pu se passer, pourquoi la relation transatlantique est venue compliquer la définition d'une position commune sur l'Irak. Ca c'est un défi qu'il faut relever, ma conviction c'est que nous sommes capables de la faire, il faut aller jusqu'au bout des non-dits, des sous-entendus, des arrière-pensées et pouvoir véritablement tracer un sillon nouveau pour l'Europe et évidemment ouvrir la voie au développement de relations transatlantiques sereines.
Q - Est-ce qu'il faut un président de l'Europe et dans une crise comme celle que l'on vient de traverser, qu'est-ce que ça aurait changé ?
R - Il faut certainement renforcer les capacités institutionnelles de l'Europe. La tradition européenne c'est un triangle : ses trois pôles, une Commission européenne, un président de la Commission, c'est un Conseil européen, un président du Conseil européen et c'est un Parlement. Je crois qu'il faut renforcer chacune de ces institutions, parce que nous avons tous besoin que l'Europe puisse faire davantage dans les domaines qui sont les siens et relever des défis dans des domaines nouveaux, je parle de la politique étrangère, je parlerai aussi bien de la politique de l'immigration ou dans le domaine judiciaire, on l'a vu avec les progrès par exemple du mandat européen. Dans tous ces domaines, il faut faire plus. Donc la question n'est pas de répartir le gâteau des pouvoirs actuels, la question est d'avoir le moyen d'être plus décisionnaire, de mieux prendre des décisions, d'être plus efficaces, et donc surtout à vingt-cinq. Il faut que le processus de décision, les procédures soient mieux fixées.
Réfléchissez à la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui quand nous déjeunons une fois par mois à Bruxelles ou à Luxembourg. Cela veut dire qu'autour de la table, il y a une trentaine de personnes si on rajoute les représentants du Conseil et de la Commission, cela veut dire que l'on a trois minutes par personne pour parler des différents sujets. Donc cela veut dire qu'il faut que l'on tire les conclusions du fonctionnement interne de la Commission et du Conseil européen, cela veut dire qu'il faut beaucoup plus de travail avant les réunions, il faut une capacité à décider, à trancher en réunion même, il faut donc changer les habitudes, changer les pratiques de travail, c'est une nouvelle culture qu'il faut mettre en uvre. Mais je crois qu'il y une volonté commune des uns et des autres d'avancer dans cette direction.
Q - M. Joschka Fisher, ministre allemand des Affaires étrangères, votre homologue et candidat au poste des ministres des Affaires étrangères de l'Europe ?
R - Il ferait un formidable ministre
Q - Vous êtes pour ?
R - C'est un ami, c'est quelqu'un que je respecte profondément, Dieu sait si nous avons passé des heures, des journées, des nuits à travailler pour essayer justement de faire avancer cette Europe, pour trouver des solutions au problème et c'est quelqu'un dont les capacités, les qualités sont tout à fait remarquables.
Q - Mais lui il a eu une politique, en tout cas l'Allemagne, pacifiste dans cette affaire, il s'est abstenu.
R - L'Allemagne a sa tradition, nous avons nos propres différences. La France n'a jamais fait partie des pays pacifistes. Je rappelle pour nos auditeurs que nous sommes le pays qui est le plus engagé dans les forces extérieures de l'OTAN, nous avons 5500 soldats, c'est dire à quel point, quand c'est nécessaire, nous sommes prêts à payer le prix. Nous l'avons fait, nous en avons donné la preuve en Afghanistan, au Kosovo, lors de la première guerre du Golfe. Donc la France sait être fidèle à ses principes et elle sait s'engager quand c'est nécessaire.
Q - A propos de la Pologne et de la Turquie.
R - L'Europe suppose des règles, des exigences, un code de conduite bien évidemment, et je partage votre sentiment sur le fait qu'il faut placer haut l'idéal européen et qu'il est donc important que chacun le respecte.
Dans le cas de la Pologne comme tous ces nouveaux pays qui rentrent dans notre Europe depuis Copenhague, il faut prendre en compte le chemin parcouru depuis des années. Ils ont payé un prix très fort, ils ont fait beaucoup d'efforts pour pouvoir satisfaire aux critères d'entrée dans l'Union européenne, ils ont connu l'occupation de l'autre côté du rideau de fer, ils ont donc beaucoup souffert et sont profondément marqués par cette histoire. Il faut, au moment où ils rentrent dans cette famille européenne, que nous les accompagnions dans cet idéal européen et là je crois beaucoup à l'ouverture, je crois beaucoup à la concertation et au dialogue. Je suis allé souvent dans cette région. Nous devons intensifier le dialogue.
Cette culture européenne, ce réflexe européen que vous appelez de vos vux, c'est bien sûr celui-là même que nous souhaitons. Mais ce que je peux vous dire c'est qu'au fil des réunions de l'Union européenne et notamment lors des dernières, ces représentants de la "nouvelle Europe" étaient présents et ont bien marqué leur volonté de jouer tout leur rôle. Ils ont le sentiment que cette Europe n'est pas quelque chose de passif et qu'effectivement, dès lors qu'une coopération en matière d'armement pourrait s'enclencher, je pense que cette volonté là va s'affirmer.
Q - Concernant le Proche-Orient et la "feuille de route".
R - Je partage bien sûr votre émotion et le sentiment que vous exprimez, il est absolument nécessaire de mobiliser toute la communauté internationale pour avancer. Cela implique que nous saisissions la chance qui est offerte par la "feuille de route". L'Europe a beaucoup travaillé pour que cette "feuille de route" puisse être adoptée. C'est fait, elle est publiée et il est important que chacun des Etats de cette région fasse sa part du chemin. Cela veut dire du côté palestinien, renoncer à la violence, poursuivre de façon ambitieuse le programme de réforme, cela veut dire du côté israélien renoncer à la colonisation, lever le bouclage du territoire, permettre à la vie quotidienne de revenir du côté des Palestiniens. Le cycle de violence dans lequel cette région est enfermée, qui la prend véritablement en otage, où l'on voit à la fois le peuple israélien vivre dans l'insécurité quotidienne d'attentats, et le peuple palestinien privé des éléments les plus ordinaires et nécessaires de la vie. Je crois que tout cela justifie cette mobilisation, cela implique bien sûr que nous ayons une vision globale.
Le volet israélo-palestinien, le volet syrien, le volet libanais sont une nécessité si l'on veut avancer. Il faut profiter de cet électrochoc que connaît aujourd'hui le Moyen-Orient pour marquer cette exigence d'un progrès. En principe la première phase de la "feuille de route" est prévue pour cinq mois. Nous avons déjà pris beaucoup de retard, il faut donc mettre les bouchées doubles. Ariel Sharon sera aux Etats-Unis dans quelques jours. Nous comptons sur nos amis américains pour mettre l'accent sur la nécessité de bouger pour chacune des parties, je serai moi-même dans la région, je serai en Israël, je serai dans les territoires palestiniens, c'est une mobilisation générale qui est nécessaire, la présidence grecque va se rendre aussi dans cette région, de même que Javier Solana. Je crois donc que chacun comprend bien la nécessité d'utiliser ce momentum, oui, ce moment d'énergie indispensable parce que si nous n'agissons pas aujourd'hui, ce sera beaucoup plus difficile demain.
Nous voyons la situation créée dans les territoires, nous voyons la montée des groupes radicaux. Je l'ai dit encore il y a quelques jours, parce que tous les Etats qui ont une capacité à agir sur ces groupes radicaux doivent l'exercer, je l'ai dit à la Syrie, je l'ai dit à l'Iran : nous devons faire en sorte de ne pas tomber dans le piège que nous tendent les terroristes, que nous tendent justement les radicaux de cette région, qu'il y ait toujours plus de violence. Pour ce faire, il faut sortir de la logique des préalables, arrêter de dire que c'est à l'autre de faire un geste. Faisons tous des gestes ensemble et donnons-nous les moyens. Les retombées sur le plan économique seront formidables. Cette région occupe 0,5 % des investissements internationaux. Comment voulez-vous imaginer un avenir pour cette région si elle n'est pas capable de mobiliser davantage de moyens d'énergie. Le président Bush a annoncé un grand plan d'une zone de libre échange pour 2013, c'est ce que l'Europe fait depuis 1995. Nous avons un grand plan euro-méditerranéen, nous mobilisons 13 milliards d'euros dans la période 2000/2006. C'est dire que si nous coordonnons nos efforts, nous pouvons changer la donne, c'est notre responsabilité. Nous parlions des relations entre la France et les Etats-Unis, nous parlions de l'ONU, voilà bien ce qui justifie un effort commun. Les défis sont si grands, pourquoi se diviser, pourquoi se chamailler, pourquoi se quereller ? Nous n'en avons pas le droit.
Q - Bon mot de la fin Monsieur le Ministre, merci. On n'a pas eu le temps d'appeler Guillaume de Saint-Marc qui représente les familles des victimes de l'attentat du DC 10 français, alors je vous propose, Monsieur le Ministre de vous transmettre ces questions qui demandaient pourquoi apparemment il y avait deux traitements différents entre les victimes américaines de Lockerbie et les Français. Je vous les transmets, merci.
R - Nous avons reçu Guillaume de Saint-Marc au Quai d'Orsay. Nous sommes très soucieux de prendre en compte l'ensemble des familles des victimes des attentats libyens.
Q - Merci Dominique de Villepin.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 mai 2003)