Lettre de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, adressée à M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, sur les conséquences sociales du projet de réforme des retraites, Montreuil le 10 juin 2003.

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Texte intégral

J'AURAIS AIMÉ EN FAIRE LA DÉMONSTRATION publique à l'occasion d'un débat contradictoire télévisé, malheureusement votre gouvernement le refuse. C'est regrettable pour la démocratie, pour la transparence qui devraient prévaloir s'agissant d'une réforme affectant la vie de millions de salariés sur des décennies.
Ni équitable, ni juste. La preuve :
Par l'allongement de la durée de cotisation et la baisse des niveaux de pension, ce sont les salariés qui supporteront 91 % de l'effort financier de la réforme. Les entreprises sont ainsi largement exonérées.
" Aucune retraite ne sera inférieure à 85 % du SMIC ", dites-vous. C'est faux :
Il n'y aura rien de changé pour les 4 millions de retraités déjà au minimum de pension.
Le niveau de toutes les retraites continuera de fondre en raison de leur indexation sur l'évolution des prix et non sur les salaires. Ainsi, un smicard ne touchera plus que 65 % après 15 ans de retraite.
" La retraite par répartition est sauvegardée ". Absolument pas :
Vous introduisez deux nouvelles dispositions pour " compenser " la baisse programmée (20 à 30 % !) du niveau des retraites :
Un dispositif d'épargne-retraite pour ceux qui pourront se le payer. C'est l'introduction de la capitalisation au détriment de nos droits solidaires.
Avec le cumul emploi + retraite pour les plus pauvres, vous inventez les " emplois vieux " , les employeurs n'ayant plus qu'à verser la différence entre le montant de la retraite acquise et l'ancien salaire. Quel cadeau !
" Le droit à la retraite à 60 ans est préservé ". Un leurre :
Avec les nouvelles règles que vous fixez : 42 ans de cotisation (pour l'instant...!), le système de Bonus/Malus, l'alternative sera soit de partir avec une retraite largement amputée, soit de travailler bien au-delà de 60 ans.
Dans ces conditions, les femmes salariées -premières victimes de la précarité et des bas salaires -verront leurs pensions laminées.
Vous clamez qu'il suffira de " travailler simplement un peu plus longtemps pour avoir la même retraite ".
Cela est particulièrement inexact pour les salariés du privé :
D'abord, pour des millions d'entre-eux, la première préoccupation c'est d'avoir un vrai travail et de le conserver. 42 ans de travail pour avoir la retraite complète, ils savent que c'est inaccessible.
Par ailleurs, jusqu'en 1993, le calcul de leur retraite "tait bas" sur les 10 meilleures années de salaire.
Vu le décret Balladur, aux 10 meilleures se sont d'ajoutées 10 plus mauvaises. Grâce à vous, qui avez choisi de conserver ce décret en l'Etat, en 2008, ce sera cette fois 15 mauvaises années qui viendront " pourrir " les 10 meilleures. Donc, même en travaillant plus long- temps, le niveau des retraites va continuer baisser dans des proportions importantes. Bravo !
Trop d'attentes insatisfaites
Alors qu'il faudrait des mesures spécifiques pour plusieurs catégories de salariés, comme ceux exerçant des métiers pénibles, dangereux, insalubres ou astreignants, dont l'espérance de vie est d'ailleurs inférieure à la moyenne, votre projet a fait l'impasse.
Alors qu'il faudrait permettre à ceux qui ont commence à travailler jeunes et ont leurs 40 ans de cotisation de partir avant 60 ans, vos mesures excluent la grande majorité des intéressés.
J'attire enfin votre attention sur le fait que, loin d'être acquises dans le reste de l'Europe, les réformes des retraites sont aussi contestées vigoureusement en Autriche, Italie, Allemagne.
Alors oui à une réforme des retraites, mais certainement pas celle là. Et pas dans le calendrier étriqué dans lequel vous voulez la faire voter par l'Assemblée Nationale.
Ne pensez-vous pas que le vrai courage politique serait d'ouvrir enfin de réelles négociations avec toutes les organisations syndicales, comme vous le demandent les deux tiers des français ?
Monsieur le Premier Ministre, la balle est dans votre camp, qu'attendez-vous pour la jouer !
(Source http://www.cgt.fr, le 16 juin 2003)